« Une nation pardonne toujours les préjudices matériels qu’on lui fait subir, mais non une atteinte portée à son honneur,surtout lorsqu’on emploie la manière d’un prédicateur qui veut avoir raison à tout prix »
Max Weber (le Savant et le politique)
Ces phrases de Max Weber nous donnent l’opportunité de parler du magister dixit des anciens ou de l’actuelle doxa occidentale réputée infaillible D’ailleurs le pouvoir colonial l’a bien compris, pour asséner des vérités qui ont force de parole d’Evangile donc indiscutables c’est l’histoire du pays colonisé qui est nié et rasé au profit d’une nouvelle histoire, jusqu’en 1962, selon la doxa occidentale d’essence coloniale, nos ancêtres étaient gaulois » … Comme l’écrit si bien A. Moumouni : « C’est particulièrement en histoire que se faisait sentir l’entreprise de falsification et de mystification dans la formation du jeune africain par l’enseignement colonial » (1) De ce fait, tout est mis en oeuvre pour faire perdurer le mythe de la « tabula rasa ». Ce qui a fait dire aux « historiens organiques » et plus tard à ce que l’on appelle les orientalistes, comme Garnier : « A notre arrivée en Algérie, rien n’existait sur le plan intellectuel, si ce n’est quelques écoles coraniques » (2)
Cela va même plus loin, la religion chrétienne est convoquée et mise au service de l’entreprise coloniale . Lisons ce morceau d’ontologie attribuée au roi des Belges qui recommande aux missionnaires d’inculquer aux noirs du Congo : « Vous veillerez à désintéresser les sauvages de leur richesse dont regorgent leur sol et leur sous sol . Votre connaissance de l’Evangile vous permettra de trouver facilement des textes recommandant aux fidèles d’aimer la pauvreté. Par exemple : « Heureux les pauvres car le royaume des cieux est à eux » ; « Il est difficile aux riches d’entrer aux cieux » Vous ferez tout pour que les nègres aient peur de s’enrichir. Apprenez aux jeunes à croire et non à raisonner… » (3)
Ce discours résume à lui tout seul les vérités sur la suprématie de l’homme blanc et le mythe de la race supérieure. On l’aura compris des clichés des préjugés et des dogmes ( il n’est que de se souvenir du sort des Noirs dans la Bible) sont mis en pratique et font l’objet de consensus qu’il est difficile de remettre en cause. Sir Geoffroy Fisher dans un ouvrage remarquable tente de déconstruire le mythe de la piraterie barbaresque en la situant dans un contexte où même la papauté avait ses propres galères !! Il écrit à propos des « vérités et certitudes occidentales » : « Il n’est plus possible de soutenir l’hypothèse selon laquelle il existe bel et bien un consensus définitif en ce qui concerne l’Afrique du Nord ; hypothèse selon laquelle, il serait oiseux et de mauvais gout de déranger un tel consensus à un stade aussi tardif » (4)
Le magister dixit de l’Occident et la sanctuarisation du sionisme
D’où vient cette hégémonie qui fait que l’Occident est le seul dépositaire de sens Cette doxa incanté ad nauseam . Pour l’encyclopédie Wikipédia, La doxa (du grec « opinion »), est l’ensemble - plus ou moins homogène - d’opinions (confuses ou non), de préjugés populaires ou singuliers, de présuppositions généralement admises, sur lesquelles se fonde toute forme de communication. Dans la philosophie de Parménide
, c’est l’opinion confuse que l’on se fait sur quelqu’un ou sur un aspect de la réalité, par opposition au vrai chemin d’accès à la vérité.Il vient que chaque fois que l’on parle il faut s’assurer que l’on ne froisse pas, que l’on est pas à contre courant et que l’on encourt pas les foudres si on s’écarte de la ligne tracée en touchant aux fils rouges. Il est courant d’admettre que l’Occident est parti à la conquête du Monde après la première révolution industrielle. En fait, il serait plus indiqué de remonter dans le temps pour s’apercevoir que l’hégémonie occidentale a débuté après ce qu’on appelle dans la doxa occidentale « Les Grandes découvertes ». Prenant la relève d’un Orient et d’une civilisation islamique sur le déclin, et au nom de la Règle des trois C - Christianisation, Commerce, Colonisation,, il mit des peuples en esclavage. Il procéda à un dépeçage des territoires au gré de ses humeurs sans tenir compte des équilibres sociologiques que les sociétés subjuguées ont mis des siècles à sédimenter. Pendant cinq siècles, au nom de ses « Droits de l’Homme » qui « ne sont pas valables dans les colonies » si l’on en croit Jules Ferry un chantre enragé de la colonisation et de la grandeur de l’Empire colonial français-, l’Occident dicte la norme, série, punit, récompense, met au ban des territoires qui ne rentrent pas dans la norme. Ainsi, par le fer et par le feu, plus de 75% des richesses des Suds épuisés comprenant plus de 80% des habitants de la planète furent spoliés et détenus par 20% des pays du Nord. (5)
Justement à propos du danger en Occident de remettre en cause le bien fondé de certains faits comme la politique sioniste d’Israël, nous rapportons à ce sujet deux évènements passés inaperçus/ Le limogeage de Bruno Guigue Sous préfet normalien et qui pour son malheur ou pour sa dignité témoigne en faveur de la Palestine . Nous l’écoutons : « Dans les jours qui ont suivi mon ’limogeage’, les éditorialistes Jean Daniel, Bernard-Henri Lévy et quelques autres se sont empressés de me prendre pour cible. (…) Deux phrases inlassablement reprises en boucle, tirées de leur contexte, en effet, ont alimenté mon lynchage médiatique. « L’Etat d’Israël est le seul où des snipers abattent des fillettes à la sortie des écoles ». Une phrase choquante ? Sans nul doute. Mais les tirs de soldats israéliens contre des enfants, hélas, sont des faits avérés, évoqués par le quotidien israélien Haaretz depuis 2000. (…) La deuxième phrase litigieuse est celle où j’évoque « les geôles israéliennes, où grâce à la loi religieuse, on interrompt la torture durant le shabbat ». Mais le fait mentionné, lui, ne fait pas l’ombre d’un doute : il suffit de consulter le dossier établi par l’association israélienne de défense des droits de l’homme Bet’Selem ». (6)
« Lorsque la Cour suprême israélienne tenta de limiter l’usage de la torture pratiquée sur les prisonniers palestiniens, en 1999, les services secrets ont argué de l’urgence pour la justifier. Les plaignants ont alors fait observer que du vendredi midi au samedi soir, cette pratique était interrompue (…) Mea culpa : j’avais oublié que les comparaisons les plus désobligeantes, aux yeux de l’establishment hexagonal, sont interdites à propos d’Israël mais vivement recommandées à l’égard des pays du « Tiers Monde ». Mon principal tort, plus que d’avoir enfreint le devoir de réserve, n’est-il pas d’avoir heurté de plein fouet la doxa occidentale ? (…) A mes dépens, j’ai fait la démonstration que la frontière entre ce qu’il est licite de dire et ce qui ne l’est pas, dans notre pays, n’a rien à voir avec le vrai et le faux » (6)
Le deuxième exemple nous est donné par l’ostracisme à l’endroit de Pascal Boniface pratiquement interdit de plateau télé , comme Dieudonné Pascal Boniface Directeur de l’Institut français des relations Internationales (IFRI) met au jour une réalité singulière : l’impossibilité de critiquer le gouvernement israélien sans encourir les accusations les plus extravagantes et des mesures de rétorsion qui s’apparentent au terrorisme intellectuel. la droite et l’extrême droite ont lancé sur la « communauté » une OPA intolérante visant à rallier, selon une logique strictement communautariste, tous les juifs français à un soutien inconditionnel envers la politique de la droite israélienne. Dès lors, toute critique de cette politique, toute tentative de traiter du conflit du Proche-Orient selon des critères universels, non communautaires, est assimilée à une volonté de détruire Israël et à une position antisémite. Pascal Boniface a été lui-même victime d’une véritable campagne organisée. Il analyse ici le mécanisme dangereux, la « fatwa », dont il a été l’objet. (7)
Y a-t-il un nouvel ordre mondial qui organise le prêt à penser ?
Après 1’implosion de l’empire soviétique, ce fut la fin de l’histoire selon le mot de Fukuyama avec une pax americana qui paraissait durer mille ans. Une étude du Pnac (Programme for New American Century) recommandait de chercher un motif pour relancer l’hégémonie américaine d’une façon définitive, notamment avec le déclin du pétrole dont il fallait à tout prix s’assurer des sources d’approvisionnement pérennes et à un prix « raisonnable ». L’arrivée du 11 septembre fut du pain bénit. Le Satan de rechange tombait du ciel, l’Islam et terrorisme. Ainsi, furent organisées les expéditions punitives que l’on sait un peu partout semant le chaos, la destruction et la mort. (8)
Cependant, les signes d’un craquement de l’hégémonie occidentale commencèrent à poindre à l’horizon. Des voix inquiètes commençaient à douter de la pérennité du magister occidental. Ce n’est pas l’avis de la CIA qui a publié un rapport intitulé : Le monde en 2025. On constate une prise de conscience d’une nouvelle donne à la fois démographique, économique, financière et même dans une certaine mesure, militaire La lecture du rapport de la CIA nous permet de mieux connaître le mode de pensée de la classe dirigeante étatsunienne et d’en identifier les limites. Terrorisme en retrait, glissement du pouvoir économique de l’Occident à l’Orient, pénurie d’eau, déclin des ressources en hydrocarbures, nouvelles technologies. Dans la lignée du précédent Rapport de la CIA, pour la première fois, les Américains reconnaissent qu’ils ne seront plus les maîtres du monde ! (9)
Pourtant et malgré cela, « l’Empire » ne se laisse pas faire. Ceux qui parlent d’un Nouvel ordre mondial sont traités de conspirateurs. Le nouvel ordre mondial est il écrit dans l’encyclopédie Wikipédia est un concept géopolitique désigne alors l’alignement idéologique et politique des gouvernements et organismes mondiaux vers une certaine unipolarité, incarnée par les États-Unis. Plusieurs théories dites conspirationnistes utilisent elles aussi la formule « nouvel ordre mondial », parfois mentionné par son acronyme NOM (NWO en anglais) . Elle désigne la prise de contrôle de l’économie mondiale par les élites conspirantes, notamment de la finance. Utilisée pour la première fois le 11 septembre 1990 par le président George H.W. Bush, l’expression « nouvel ordre mondial » s’inscrit dans la lignée des formules exprimant l’idée de nouveauté dans la diplomatie américaine, après la « nouvelle donne » de 1932 et la « nouvelle frontière » de 1960. (10) «
Les tenants de la « théorie de l’empire global » considèrent les événements politico-économiques internationaux survenus depuis 1989 comme témoins de la transition de l’humanité vers un « empire global », qui dans un premier temps correspondrait à un ordre mondial polarisé autour d’une seule puissance : les États-Unis. Cette théorie est soutenue par le philosophe Francis Fukuyama et des plans géostratégiques ont été développés dans ce sens par le politologue Zbigniew BrzeziÅ„ski. Pour maintenir leur hégémonie et devancer la prééminence de rivaux comme la Chine, la Russie ou le Japon, Brzezinski estime que les États-Unis devront s’allier avec l’Europe pour dominer l’Eurasie en cooptant ou en contrôlant ses élites . Selon Brzezinski, la tâche d’Obama est de restaurer la légitimité américaine en étant le fer de lance d’un effort collectif pour un système de management global plus inclusif 7. L’évolution générale du monde politique se caractérise par la naissance de grands pôles politico-économiques L’ensemble doit constituer l’architecture générale d’une gouvernance mondiale dotée d’une monnaie planétaire10. La gouvernance mondiale ne nécessite pas un gouvernement mondial et peut être organisée avec des institutions de coopération entre les pays. David Rockefeller dans son livre Mémoires a écrit que lui-même et sa famille ont travaillé contre l’intérêt des États-Unis. Il aurait d’autre part affirmé que le but était de construire une souveraineté supranationale d’une élite intellectuelle et de banquiers mondiaux Ces propos sont vus comme l’aveu d’une conspiration mondiale pour la mise en coupe réglée du monde par le pouvoir financier. (10)
A l’autre bout du curseur concernant l’avenir du Monde, le besoin d’équilibre et la multiplicité des visions, nous trouvons l’analyse lumineuse de l’ambassadeur singapourien Kishore Mahbubani qui décrit le déclin occidental : recul démographique, récession économique, et perte de ses propres valeurs. Il observe les signes d’un basculement du centre du monde de l’Occident vers l’Orient. (Citant l’ouvrage de l’historien britannique Victor Kiernan « The Lords of Humankind, European Attitudes to the Outside World in the Imperial Age » qui avait été publié en 1969, lorsque la décolonisation européenne touchait à sa fin. Victor Kiernan qui écrivait : « La plupart du temps, cependant, les colonialistes étaient des gens médiocres mais en raison de leur position et, surtout, de leur couleur de peau, ils étaient en mesure de se comporter comme les maîtres de la création. Même si la politique coloniale européenne touchait à sa fin, l’attitude colonialiste des Européens subsisterait probablement encore longtemps ». (11)
« En fait, poursuit Kishore Mahbubani, celle-ci reste très vive en ce début de XXIe siècle. Souvent, on est étonné et outré lors de rencontres internationales, quand un représentant européen entonne, plein de superbe, à peu près le refrain suivant : « Ce que les Chinois [ou les Indiens, les Indonésiens ou qui que ce soit] doivent comprendre est que... », suivent les platitudes habituelles et l’énonciation hypocrite de principes que les Européens eux-mêmes n’appliquent jamais. Le complexe de supériorité subsiste. Le fonctionnaire européen contesterait certainement être un colonialiste atavique. Comme l’écrit Mahbubani : « Cette tendance européenne à regarder de haut, à mépriser les cultures et les sociétés non européennes a des racines profondes dans le psychisme européen. » (11)
Quand Mahbubani écrit que « le moment est venu de restructurer l’ordre mondial », que « nous devrions le faire maintenant ». Pour lui l’Occident est dans l’incapacité à maintenir, à respecter et encore plus à renforcer les institutions qu’il a créées. Et l’amoralité avec laquelle il se comporte trop souvent sape davantage les structures et l’esprit de la gouvernance mondiale. Prenons le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) . » Selon Mahbubani, il « est légalement vivant mais spirituellement ( souligné par nous Ndr) mort » « Le monde, écrit-il, a perdu pour l’essentiel sa confiance dans les cinq États nucléaires. Au lieu de les considérer comme des gardiens honnêtes et compétents du TNP, il les perçoit généralement comme faisant partie de ses principaux violateurs » Leur décision d’ignorer le développement par Israël d’un arsenal nucléaire leur a été particulièrement préjudiciable. (11)
Il vient que le Nouvel Ordre Mondial tente de reformater le monde en mettant des institutions à même de prolonger et asseoir définitivement son pouvoir dans un contexte de pénurie de matières premières,d’eau et surtout d’énergie. Nous sommes avertis. Résistons.
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz