RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

De l’autre côté du mur : un anti-Vie des autres.

A voir l’affiche du film, on pouvait se demander ce qu’il fallait penser de cette nouvelle "Femme de Checkpoint Charlie", comme on appelle en Allemagne ces édifiants drames de femmes, immigrées de l’Est, qui trouvent le bonheur et la liberté à l’Ouest : le film, selon l’affiche, "évoque La Vie des autres et Barbara, et s’en démarque habilement".

En fait, il ne s’agit pas ici de nuances habiles : Westen (titre allemand du film), de Christian Schochow, est un anti-Vie des autres, non au sens où ce serait un film de propagande communiste, comme La Vie... est un film de propagande anti-communiste, mais au sens où Westen est un film réaliste et pondéré qui, sur le point central dans La Vie..., le système oppressant des services secrets, renvoie dos à dos RDA et RFA.

Il faut bien avouer qu’après les révélations d’Assange et Snowden, La Vie... a pris un sacré coup de vieux : pourrait-on encore aujourd’hui faire peur aux petits enfants en leur parlant du méchant loup STASI ? Qui a les oreilles les plus longues ? On sait bien aujourd’hui que, où qu’on soit, Big Brother USA nous surveille.

Mais c’est tout le film Vie des autres qui était une mystification, un objet de propagande de guerre comme Hollywood sait si bien en concocter. Rien n’y est crédible, et surtout pas son héros, Wiesler, "l’instrument parfait d’un régime, dont les yeux perçants sont un étau" (dixit Télérama), qui, comme Albert le Contractuel, ne savait pas "que dans le ciel les papillons bleus ont des ailes". Ce personnage de parfait fonctionnaire sans âme est une caricature, mais sa métamorphose lorsque, "touché par l’amour et l’art" (Télérama), il se convertit à la "liberté", relève d’une psychologie de collection Harlequin.

Wiesler est censé découvrir l’art en espionnant le couple d’intellectuels et artistes Dreymann, sous la forme d’un poème de Brecht que, peut-être, des générations de petits Allemands de l’Est ont appris par coeur ! On voudrait nous faire croire que la RDA était un camp de concentration façon Fahrenheit 451 où toute activité intellectuelle et artistique était interdite – énormité que les médias, à la sortie du film se sont bien gardés de relever. En fait, pendant la période de la guerre froide, les deux grands poètes allemands, Bertolt Brecht et Anna Seghers vivaient à l’Est, et la topographie berlinoise garde la trace de la supériorité de l’Est : les théâtres prestigieux, dont le Berliner Ensemble de Brecht, sont toujours à l’Est ! Par contre, quand je suis passée à Berlin, vers 2005, du côté ouest, on faisait de la pub pour une opérette sur la vie de Sissi.

De fait, l’acteur qui joue le rôle de Wiesler, Ulrich Mühe, a d’abord fait carrière à l’Est, où il a joué les rôles les plus prestigieux du répertoire (dont Hamlet) ; dans l’Allemagne réunifiée, il devait accepter des rôles alimentaires, comme celui du médecin-légiste dans la morbide série policière Le Dernier Témoin.

Westen fait justice de cette grossière mystification dans ce qui est une des scènes les plus émouvantes du film : une immigrée du camp d’accueil, c’est-à-dire de rétention, venue de Pologne où elle jouait dans un orchestre, prend, à la demande de l’héroïne et son petit garçon, son violoncelle, auquel elle n’avait plus touché depuis son arrivée à l’Ouest : après quelques essais, elle fait naître sous ses doigts les premières mesures d’une œuvre de Bach.

Mais les deux réalisateurs s’opposent tout autant que leurs deux films.

Le dénouement de La Vie des autres nous montre un Wiesler devenu, après la réunification, facteur (sans doute une touche d’humour : Wiesler continue à manipuler les papiers des autres !) ; au cours d’une tournée, il voit le nom de son ancien espionné et protégé en haut de l’affiche, avec émotion et peut-être un peu de fierté : ce dernier avatar de Wiesler relève de la même psychologie à trois sous que tout le film, mais aussi d’une philosophie sociale bien caractérisée : un petit fonctionnaire ne peut espérer mieux que de se réjouir des succès des grands bourgeois intellectuels qui sont redevenus ses maîtres !

Cela nous rappelle que l’auteur de La Vie..., Florian Comte Henckel von Donnersmarck (zu Donnersmarck, est-on tenté d’ajouter) appartient à une vieille famille aristocratique catholique qui, au début du 20e siècle, était la plus riche de Prusse après les Krupp. Ses ancêtres, grands propriétaires terriens, avaient des domaines en Silésie et Slovaquie, que la famille a dû abandonner en 1945, après la défaite nazie (mais peut-être ont-ils pu, grâce au nouveau régime, recouvrer une partie de leurs biens ?)

Christian Schowchow aussi vient de l’Est, mais dans de tout autres conditions : sa mère, scénariste du film, et lui sont passés à l’Ouest en 1989, peu avant la chute du Mur et, comme les deux héros du film, ils ont connu le camp d’accueil d’urgence (Notaufnahmelager) où on parquait les candidats à l’immigration, pendant qu’on décidait, ou non, de leur donner des papiers de citoyens de l’Ouest.

C’est sans doute ce qui donne au film son caractère réaliste ; au manichéisme de Donnersmarck, il oppose une vision sombre des deux régimes ou, du moins, car il ne va pas au-delà, de ce qui se passait de part et d’autre du Mur.

Par cette démystification, (les immigrés de l’Est trouvent, avec amertume,à l’Ouest, les mêmes procédures bureaucratiques et autoritaires qu’à l’Est), Westen se rapproche plutôt d’un documentaire catalan de 2002, Balseros, dont l’auteur, Carles Bosch, un journaliste anti-castriste, suivait pendant plusieurs années 7 Cubains, candidats enthousiastes à l’émigration aux Etats-Unis : à la fin, on retrouve l’un invalide et abruti par une secte évangélique, une autre, tombée dans la drogue... et le seul qui ait "réussi", employé modèle (sous d’autres climats on eût dit stakhanoviste) d’un magasin d’alimentation.

L’héroïne, Nelly, déchante aussi lorsqu’elle commence à chercher du travail : titulaire d’un doctorat en physique, elle se voit proposer un travail de laborantine, tandis que son amie violoncelliste travaille comme serveuse. Nous avons vu le même phénomène après 1989, lorsque des Russes avocates, professeurs, ou médecins, poussées par l’introduction catastrophique du libéralisme, sont venues chez nous travailler comme femmes de ménage.

Sur le plan artistique, certes, Westen relève de l’esthétique académique des films de qualité allemands, comme L’Honneur perdu de Katharina Blum (dont l’actrice vedette, Angela Winkler, appartient au même type de beautés nordiques taillées à la serpe que Jördis Triebel, alias Nelly) ; mais elle ne nuit pas à une évocation concrète et authentique de la vie dans le camp, avec ses mornes et longs couloirs et sa salle des machines à laver. Surtout, le film est éclairé par le petit garçon de Nelly, Alexeï, (Tristan Göbel), qui appartient lui aussi à un type cinématographique, celui des petits garçons sérieux à bonnes bouilles rondes, avec ou sans lunettes : celui de Voleur de bicyclettes, ou celui de Papa est en voyage d’affaires, de Kusturica (le grand frère, passionné de cinéma, par les yeux duquel nous voyons la Yougoslavie de Tito, autoritaire, mais sans rien qui corresponde au Goulag). Ces trois petits garçons apportent à leurs films fraîcheur, humour, tendresse et espoir. On pourra se rappeler la scène où Alexeï explique au pasteur du camp, avec pédagogie mais fermement, que le foulard rouge qu’il porte au cou ne peut pas être un foulard de Pionnier (de la RDA), puisqu’il a des pois blancs.

Westen, comme son héroïne, ne fait pas de politique. Mais, au moment où medias et politiciens célébraient, avec un pathos aussi faux et mystificateur que La Vie des autres, la chute du mur, sa sortie annonce peut-être que le temps de la réflexion historique va remplacer celui de la propagande. Du reste, essayons d’imaginer que La Vie des autres sort aujourd’hui : cette sinistre et grossière caricature ne tomberait-elle pas dans le grotesque ?

Rosa Llorens

URL de cet article 27449
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

L’horreur impériale. Les États-Unis et l’hégémonie mondiale
Michael PARENTI
Enfin traduit en français. Notes de lecture, par Patrick Gillard. La critique de l’impérialisme made in USA La critique de l’impérialisme américain a le vent en poupe, notamment en Europe. Pour preuve, il suffit d’ouvrir Le Monde diplomatique de novembre 2004. Sans même évoquer les résultats des élections américaines, dont les analyses paraîtront en décembre, le mensuel de référence francophone en matière d’actualité internationale ne consacre pas moins de deux articles à cette question. Signé Claude (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"Au Salvador, les escadrons de la mort ne tuent pas simplement les gens. On les décapite, on place leurs têtes sur des piques et on garnit ainsi le paysage. La police salvadorienne ne tuait pas seulement les hommes, elle coupait leurs parties génitales et les fourrait dans leurs bouches. Non seulement la Garde nationale violait les femmes salvadoriennes, mais elle arrachait leur utérus et leur en recouvrait le visage. Il ne suffisait pas d’assassiner leurs enfants, on les accrochait à des barbelés jusqu’à ce que la chair se sépare des os, et les parents étaient forcés de garder."

Daniel Santiago,prêtre salvadorien
cité dans "What Uncle Sam Really Wants", Noam Chomsky, 1993

Commandos supervisés par Steve Casteel, ancien fonctionnaire de la DEA qui fut ensuite envoyé en Irak pour recommencer le travail.

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.