[Certes, la catastrophe productiviste ne se serait pas produite sans les producteurs que nous sommes, par leur travail contraint, souvent servile. Nous avons trop tergiversé entre les « grands soirs » qui devaient se coucher sur une grève générale et les « ouvertures nocturnes » des temples de la consommation factice !]
solidaritéS, 17 septembre 2005.
Les données relatives à l’évolution de la fréquence des cyclones destructeurs ont été publiées, suite aux catastrophes provoquées par Erika et Rita [1]. Ni le nombre annuel de cyclones dans le monde, ni leur durée, ni la vitesse des vents n’ont varié, cependant leur intensité a plus que décuplé au cours des dernières décennies. Cette évolution est aussi caractéristique de l’augmentation du nombre de catastrophes naturelles dans le monde et des pertes qui en découlent. La courbe exponentielle de leur évolution au cours des dernières années suit celle, tout aussi exponentielle, du pillage des ressources naturelles, de la masse de marchandises, de déchets et de pollutions que ce mode de production engendre. Cette tendance n’est plus constante, ni graduelle mais explosive : elle s’emballe et s’élance vers des limites jamais atteintes dans l’histoire humaine. Son issue ne peut être qu’une chute...
La croissance exponentielle - « explonentielle » pourrait-on dire - de la production pouvait jadis s’expliquer par la demande d’une population mondiale en augmentation. Mais cette interprétation est infirmée, d’une part, parce que la croissance démographique n’a pas été exponentielle : elle tendra d’ailleurs à plafonner vers 8 milliards d’êtres humains aux cours des prochaines décennies, avant de fléchir lentement [2] . D’autre part, parce que malgré l’emballement productif, la satisfaction des besoins vitaux des populations est en régression. Preuve en est, qu’un tiers des êtres humains manque d’électricité, ou qu’une personne sur cinq n’a pas accès à l’eau potable. Ceci, alors que les consommations mondiales d’énergie (voir graphe 1) et d’eau explosent. Il en va de même de l’accumulation de richesses, alors que près de la moitié des êtres humains vivent au-dessous du seuil de pauvreté [3].
Accumulation privée et productivisme
La symbiose entre accumulation privée et productivisme apparaît avec le capitalisme. Cependant, l’année 1945 marque symboliquement une inexorable accélération : une fuite en avant conduisant à un point de non retour. Cette année a été celle du massacre par les Etats-Unis de 200000 civils - deux fois plus en sont morts depuis - à Hiroshima et Nagasaki, horreur qui faisait dire à Albert Camus : « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques » [4] . Or ce choix n’a pas été fait et le « suicide collectif » menace plus que jamais.
La tendance exponentielle est caractéristique de ce qu’il convient d’appeler le « productivisme », ce « système d’organisation de la vie économique dans lequel la production, la productivité, sont données comme l’objectif essentiel » [5]. C’est une combinaison organique entre, d’un côté, l’accroissement des richesses et, de l’autre, la réduction des biens utiles. Alors que le nombre de milliardaires ne cesse d’augmenter, 2.7 milliards d’humains vivent au-dessous du seuil de pauvreté, et un enfant sur trois souffre de malnutrition.
Vers un épuisement des ressources ?
La crise énergétique actuelle résulte de la priorité donnée aux ressources fossiles, au détriment des énergies renouvelables abondantes. Elle est la manifestation la plus tangible et récente d’une crise globale du procès de production capitaliste. Cette crise affecte plusieurs conditions nécessaires à la vie : la dépendance croissante des humains envers des ressources essentielles, mais non renouvelables, leur raréfaction consécutive (voir graphe 2), l’émission de gaz à effet de serre, le réchauffement climatique qui en résulte et, plus grave, l’absence d’alternatives énergétiques crédibles à ces combustibles.
L’étude de cette crise énergétique permet de mieux comprendre le choix productif absurde qu’a fait le capital, il y a deux siècles. Cette crise montre - ce qui est nouveau pour la gauche anti-capitaliste - que son projet de transformation sociale doit inclure dorénavant un projet de transformation du procès de production dominant en vigueur, projet que les révolutions passées n’ont su réaliser.
Certes l’épuisement des gisements fossiles est l’inquiétude du moment. Mais la plupart des autres intrants suivent une même tendance vers une irrémédiable raréfaction. L’augmentation de l’extraction de bauxite, minerai à la base de l’aluminium, par exemple, suit la même courbe folle que toutes les autres ressources minérales, dont le pillage aboutira, d’ici une vingtaine d’années à l’épuisement de cinq métaux essentiels. Il en va de même de l’eau douce, des surfaces cultivables, des forêts et de la biodiversité...
Dégradation du milieu vital
L’évolution de la dégradation du milieu vital suit la même tendance exponentielle, mais s’est décalée d’un temps de latence de quelques décennies, soit de la durée nécessaire aux émissions polluantes pour exercer leurs ravages sur la santé des espèces vivantes, la vigueur de la nature et la qualité de l’atmosphère terrestre.
Si l’effet de serre est l’objet présent des inquiétudes, bien d’autres bombes à retardement, à mèches plus lentes certes, sont à prévoir. Si nous ne subissons qu’aujourd’hui les ravages de l’amiante, c’est que les pathologies qu’il engendre tardent plusieurs décennies avant de se manifester : les 50000 à 100000 morts attendus en France, jusqu’en 2030 résultent de la consommation exponentielle d’amiante depuis l’après-guerre. Les effets des milliers d’autres substances cancerogènes et toxiques, produites massivement depuis les trente glorieuses, manifesteront leurs effets plus tardivement, mais sûrement.
Croissance contre humanité
Les courbes de l’évolution de la production de marchandises divergent de celles de la satisfaction des besoins et de l’amélioration des conditions de vie des êtres humains. Les premières s’emballent alors que les secondes stagnent ou décroissent. Cet écart entre production et satisfaction se retrouve dans l’accès des populations aux ressources qu’elles détiennent et aux richesses qu’elles produisent.
L’espérance de vie est un bon indicateur de ces inégalités, car elle dépend principalement des disponibilités en ressources et services, qu’ils soient du ressort de l’alimentation, des soins médicaux ou de l’habitat, dont on estime que la rareté ou l’insalubrité provoque annuellement 2,2 millions de décès. L’espérance de vie va du simple au double, selon les pays, et les écarts se creusent entre classes sociales d’un même pays. Par exemple, en Zambie, où l’espérance de vie est de 37 ans, alors qu’elle pourrait atteindre le double, c’est comme si la moitié des habitants étaient décimés.
Les tendances exponentielles ne peuvent qu’aboutir à une chute. Pour la rendre moins dure aux générations futures, il n’y a plus rien à attendre du capital qui, obnubilé par ses profits immédiats, ne manifeste pas la moindre intention d’inverser la tendance. Pour ce qui est de la sortie de l’énergie fossile, on comprend bien que les cinq « majors » - Exxon-Mobil, Shell-BP, Total, Chevron-Texaco - dont les bénéfices nets s’élevaient à 65 milliards d’euros en 2004, ne veuillent pas tuer la poule aux oeufs d’or... noir pour épargner la Planète ! [6]
Espérer pour agir
Pas d’espoir non plus par rapport au développement d’alternatives énergétiques : les prévisions de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) pour 2030 sont claires : la demande d’énergie augmentera de 59% et l’énergie fossile couvrira le 85% des besoins mondiaux ; les énergies renouvelables resteront marginales avec 2% ! [7] Quant à une sortie de crise par la « décroissance », si elle était encore envisageable après guerre, un demi-siècle de dégâts ont rendu cette option obsolète. En effet, il est vain de freiner et de faire reculer un bolide fou qui va droit dans le mur et s’y trouve déjà à moitié embouti !
Alors il ne reste plus qu’à compter sur les milliards d’êtres humains pour qui le « Progrès », promis jadis par le capitalisme, ne soit pas que sang et larmes. Certes, la catastrophe productiviste ne se serait pas produite sans les producteurs que nous sommes, par leur travail contraint, souvent servile. Nous avons trop tergiversé entre les « grands soirs » qui devaient se coucher sur une grève générale et les « ouvertures nocturnes » des temples de la consommation factice !
Il faudra se remettre à espérer, même si l’aube radieuse s’annonce plus que jamais incertaine. Quoi qu’il en soit, nous n’avons plus le choix, car « cette crise ne nous quittera pas, aussi longtemps que les hommes n’auront pas inventé des formes sociales nouvelles, un mode de développement des techniques énergétiques et d’utilisation de la force de travail humaine affranchis des lois de l’accumulation du capital » [8] .
François Iselin
– Source : solidaritéS N° 74 www.solidarites.ch/journal
Énergie solaire : rien de nouveau sous le soleil ! par François Iselin.
Leurs éoliennes... c’est du vent, par François Iselin.
Le pétrole n’est pas un problème. Le pétrole est LE problème, par oleocene.org.
Pourquoi il n’y a plus de gorilles dans le Grésivaudan. Le téléphone portable, gadget de destruction massive, par PMO.