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Énergie solaire : rien de nouveau sous le soleil ! par François Iselin.

« Il faut se garder de croire, malgré le silence des traités modernes de physique à cet égard, que l’idée de faire travailler la chaleur solaire soit récente »
Augustin Mouchot


solidaritéS, 6 juillet 2004

Les naïfs, trompés par la désinformation dominante, croient malheureusement encore que les inventions permettant d’exploiter l’énergie solaire seraient le produit de la géniale économie de marché mondialisée. Il n’en est rien et il n’en était rien non plus il y a plus d’un siècle lorsqu’en 1869 Augustin Mouchot, inventeur et expérimentateur de pratiquement tous les procédés de conversion du rayonnement solaire en énergie utile, publiait « La chaleur solaire et ses applications industrielles » d’où cette citation est extraite. [1]

L’impasse énergétique actuelle n’est pas une fatalité. Un autre mode d’approvisionnement énergétique abondant, propre, renouvelable était possible et le reste. Mais ce mode ne pourra être instauré tant que le mode de production capitaliste dominera la Planète. En effet, la crise énergétique actuelle a été indirectement programmée dès le début du XXème siècle par l’abandon de toute recherche et développement des procès de conversion de l’énergie solaire en chaleur, électricité et force motrice à l’avantage des énergies fossiles pétrolières et nucléaires. Ces énergies étaient certes plus performantes mais leur choix découlait avant tout du fait d’être marchandisables, donc plus rentables pour l’accumulation capitaliste, au détriment de la formation d’une dette écologique dont la facture serait payée en privations, pollutions et vies humaines par les générations futures. [2].

Ainsi la filière solaire a été abandonnée, dénigrée, gadgétisée et taxée de curiosité - alors qu’il s’agissait d’une technologie vitale pour la survie de millions d’êtres humains - dès la découverte de nouveaux stocks naturels gaziers, pétroliers puis uranifères pour le dernier en date et probablement le dernier exploitable.

Pour les lecteurs sous l’emprise des drogues distillées par la science spectacle qui douteraient des potentialités du gisement solaire, il suffit de leur rappeler qu’« aussi incroyable que cela puisse paraître, le stock d’énergie terrestre [fossile] tout entier ne pourrait fournir que quelques jours de lumière solaire ». [3] Au cas où cette autorité en la matière ne les convainquait pas ils pourront se référer aux nombreux ouvrages récents ou anciens. [4]

Des inventions qui auraient pu sauver la Planète

Tous les procédés permettant d’utiliser l’énergie solaire étaient connus, expérimentés et utilisés au début du XXème siècle ; rappelons brièvement quelques cas. En 1767, le Genevois Horace Bénédict de Saussure atteignait 160°C dans son four pour la cuisson des aliments. [5] Mais déjà au XVIIIème siècle, le four solaire d’Antoine Laurent Lavoisier lui permettait d’atteindre des températures de 1755°C. En 1874 fut construit à Las Salinas, sur le haut plateau d’Atacama au Chilli, un distillateur solaire qui produisit 23 tonnes d’eau douce par jour ensoleillé - à 0.001 $ le litre ! - et qui a fonctionné pendant 40 années date à laquelle cette eau douce ne fut plus nécessaire. En 1878 le moteur solaire d’Augustin Mouchot actionnait la presse d’imprimerie de l’Exposition Nationale à Paris. Dès 1913, une installation de pompage solaire irriguait 200 hectares de champs de cotons à Méadi en Egypte.

Quant à l’énergie nécessaire aux bâtiments, dès le début du siècle passé, des capteurs solaires plans, produits industriellement, chauffaient l’eau d’innombrables maisons californiennes. Le terme de « maison solaire » dont on se gargarise aujourd’hui, était utilisé dès 1920 dans la presse de Chicago pour décrire ces « Crystal Houses » chauffées essentiellement par les apports solaires. [6] Enfin, une maison solaire avec stockage d’énergie au moyen de 62 m3 d’eau, fut construite en 1931.

En ce qui concerne la conversion directe du rayonnement solaire en électricité dont on parle tant aujourd’hui, sa découverte date de l’invention de Becquerel en 1839 et les premières démonstrations de cellules photovoltaïques étaient produites dès 1931. [7] La voiture électrique de Baker, alimentée par des photopiles montées sur son toit, roulait déjà il y a un demi-siècle. Bref, les applications de l’énergie solaire étaient innombrables et fort avancées comme en témoignent force gravures, photos et publicités de l’époque.

Le capitalisme a éclipsé le solaire

Il ne fait aucun doute que si ces inventions n’avaient pas été méprisées la généralisation de l’exploitation de la filière solaire directe aurait permis de prévenir, entre autres catastrophes, l’accumulation de déchets radioactifs à hauts risques, l’épuisement des ressources fossiles et les changements climatiques provoqués par l’effet de serre. A ce propos on peut dire que faute d’avoir utilisé l’effet de serre dans des installations solaires dès leur découverte il y a plus d’un siècle, ce même effet de serre, produit par le choix fossile, menace aujourd’hui la Planète. Mais le dénigrement de l’énergie solaire sous toutes ses formes permettait de faire place nette au marché du fossile et d’instaurer ainsi le pillage et le gaspillage d’énergie non renouvelable. Il ne s’agit pas d’un quelconque déterminisme technologique mais du choix conscient de privilégier la filière fossile par les actionnaires-réactionnaires. Ainsi les filières concurrentes aux convertisseurs solaires se suivent : au gaz d’éclairage inventé en 1799, succède le pétrole dont le premier gisement fut découvert en 1859 et enfin l’« atome pour la paix » lancée par la Conférence de Genève en 1955.

La plupart des inventeurs des procédés de conversions de l’énergie solaire n’étaient pas dupes sur l’issue de leurs découvertes. Ils pressentaient déjà que les immenses bénéfices qu’apporterait à l’humanité la mise en oeuvre de leurs procédés ne produiraient pas de bénéfices pour l’industrie capitaliste censée les exploiter. Leur acharnement inventif n’était pas seulement le fruit d’une curiosité scientifique mais sustenté par la conscience d’une pénurie énergétique inévitable. « Quelques milliers d’années, gouttes dans l’océan du temps, épuiseront les mines de charbon de l’Europe, si, dans cet intervalle, on n’a recours à l’assistance du soleil » écrivait John Ericsson en 1868, l’inventeur des machines à vapeur et à air chaud mues par le soleil. Au même moment Mouchot s’inquiétait : « Ainsi, dans un avenir lointain sans doute [...] l’industrie ne trouvera plus en Europe les ressources qui sont en partie la cause de son essor prodigieux, que fera-t-on alors ? ». Puis quelques années après : « Quand les provisions accumulées dans le passé seront épuisées, nous serons bien obligés de nous contenter bon gré mal gré de ce que le soleil nous fournira au jour le jour ». [8]

Déjà en 1869, à l’aube du capitalisme, Auguste Mouchot, écrivait : « Si dans nos climats l’industrie peut se passer de l’emploi direct de la chaleur solaire, il arrivera nécessairement un jour où, faute de combustible, elle sera bien forcée de revenir au travail des agents naturels. Que les dépôts de houille et de pétrole lui fournissent longtemps encore leur énorme puissance calorifique, nous n’en doutons pas. Mais ces dépôts s’épuiseront sans aucun doute : le bois qui, lui, cependant, se renouvelle n’est-il pas devenu plus rare qu’autrefois ? Pourquoi n’en serait-il pas de même un jour d’une provision de combustible où l’on puise si largement sans jamais combler les vides qui s’y forment ?[...] On ne peut s’empêcher de conclure qu’il est prudent et sage de ne pas s’endormir à cet égard sur une sécurité trompeuse ». [9]

Le capitalisme crépusculaire

Une nuit énergétique tombe sur la Planète. Irrémédiablement ? C’est du moins ce qu’affirment certains « écologistes » fatalistes pour qui « Nous n’avons pas le temps d’expérimenter nos sources d’énergie visionnaires ». [10] Ce catastrophisme tourne à l’eugénisme lorsqu’on lit effaré qu’« Un mode de vie soutenable [...] n’est possible que pour une population terrestre comprise dans une fourchette de 1 à 3 milliards » et comme « en aucune manière les énergies renouvelables ne sont susceptibles de remplacer quantitativement les énergies fossiles » reste « la normalisation de la population mondiale ». [11] Faute d’entrevoir une issue politique à la barbarie productiviste, soit la mise sous contrôle définitif par l’ensemble des êtres humains des ressources terrestres, des procès de production et de la distribution des produits, toutes les dérives réactionnaires deviennent possibles.

La bourgeoisie n’est pas en reste et les déclarations de bonnes intentions de ses idéologues écologiques qui prétendent « inverser la tendance » ne doivent plus faire illusion. [12] Depuis sa prise de contrôle discrétionnaire des choix d’approvisionnement énergétique, des ressources à exploiter, des procédés de transformation et des critères de distribution, la classe dominante à toujours privilégié la satisfaction de ses propres besoins d’accumulation à celle des besoins vitaux des populations qu’elle exploite, pille et opprime. Ainsi, le développement de l’énergie solaire fut et demeure incompatible avec l’accumulation capitaliste.

Notre coterie helvético-mondialisée ne fait pas exception, elle donne le ton avec ses discours prétentieux et mensongers en taisant le fait embarrassant qu’après plus d’un siècle d’innovation et d’industrialisation prodigieuses, le 80% de l’énergie consommée en Suisse est toujours pillée hors de ses frontières et seul le 0.4% de l’énergie consommée est tirée du rayonnement solaire direct ! [13]

Mais la bourgeoisie n’est pas prête à en tirer les leçons pour autant. Elle ne voit dans le solaire qu’une nouvelle source de profits : « Si nous encourageons maintenant les techniques d’avenir dans ce pays, nous pourrons les vendre à d’autres. Il ne tient qu’à nous de saisir cette chance économique » s’exclame Regine Aeppli Wartmann, conseillère nationale, coprésidente de l’Agence suisse des énergies renouvelables, agence qui vise « le marketing global des énergies renouvelables ». [14] Que les idéalistes se désillusionnent : le soleil « qui n’envoie pas de factures » s’accorde mal avec le Marché qui ne cherche qu’à en encaisser.

Dans le développement du capitalisme il n’y a de durable que le capital lui-même ; l’explosion de ses fortunes qui est inversement proportionnelle à l’accroissement de la misère humaine et des déficits publics le confirme. [15] Qu’il soit dictatorial, belliqueux ou liberticide, le capitalisme cherchera toujours à « faire du fric » en exploitant le travail des humains et de la nature. A son grand regret, le business du solaire ne lui en donne pas l’occasion. Pourtant, face à l’évidente nécessité de brancher enfin la Planète sur le Soleil, il est bien forcé de faire semblant d’y croire.

Rien n’est pourtant perdu si les consciences s’éveillent car « ce qui nécessaire maintenant c’est un grand débat national qui réexamine le système capitaliste sans oublier aucune de ses erreurs cachées derrière les tabous qui ont empêché pendant si longtemps de remettre en question la validité sociale de ce système ». [16] Ce débat peut alors conduire l’humanité à instaurer un mode de production « sans possession, une action sans aucun sentiment de suffisance, un développement sans domination ». [17]

François ISELIN

 Source : solidaritéS n°48 www.solidarites.ch

 Un trés bon site (parmi tant d’ autres) sur le solaire :
SOLAR CLUB CERN http://solar-club.web.cern.ch

[1Augustin Mouchot, La chaleur solaire et ses applications industrielles, Ed. Gauthier-Villars, Paris, 1869.

[2Développements in F. Iselin « Spécificités techniques de la production capitaliste », Inprecor n°461/462, 2001 et « Le choix des forces productives », Contretemps, n°4, mai 2002

[3Nicholas Georgescu-Roegen, Demain la décroissance, Favre, Lausanne, 1979, p. 31.

[4Voir par exemple : Hermann Scheer, Le solaire et l’économie mondiale, Solin, Actes Sud, 2001 ; A. B. Meinel et M.P. Meinel, Applied Solar Energy, Addison Wesley, USA 1976 ; Jacques Percebois, L’énergie solaire, perspectives économiques, CNRS, Paris 1975 et les autres cités dans cet article.

[5René Siegrist, Le capteur solaire de Horace-Bénédict de Saussure, Passé-Présent, Genève, 1993.

[6Donald Watson, Le livre des maisons solaires, L’étincelle

[7F. Daniels, Direct use of the sun’s energy, Yale, Yale, 1964.

[8M. C-W. Siemens, « Utilisation de la chaleur et des autres forces naturelles », Revue scientifique, n° 10, 5.3.1881.

[9Mouchot, op. cit.

[10James Lovelock, « L’énergie nucléaire est la seule solution écologique », Le Monde, 1.6.2004.

[11Jean Brière, « Le drame palestinien et la crise écologique », texte de son exposé à l’Uni-Lausanne dans le cadre de la Conférence sur un seul Etat démocratique Palestine/Israël 23-25 juin 2004.

[12Pour la Suisse, voir par exemple « Energie extra », informations de l’office fédéral de l’énergie (OFEN) et « Energie Environnement », revue de la Conférence romande des délégués à l’énergie.

[13Energie extra, juin 2004.

[14Energie Extra, avril 2001.

[15Dans le canton de Vaud, le nombre de millionnaires a doublé en dix ans. 24 Heures, 17.6.2004.

[16Barry Commoner, séminaire de Lake Itasca 1976 sur l’avenir de l’économie de marché.

[17Bertrand Russell à propos de ses observations en Chine, cité par Joseph Needhan, La science chinoise et l’Occident, Seuil, 1969.


URL de cet article 1986
   
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