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Par sélection naturelle, mes amis étaient aussi gais que Buster Keaton et Jean Daniel réunis.

Comment j’ai renoncé à mon projet d’immortalité qui embêtait ceux qui m’ont assez vu.

C’était avant :

Primo, dès le réveil, j’avalais un cachet d’aspirine, geste quotidien qui réduit de près de 60% des risques du cancer colorectal.

Ensuite je ne m’attardais pas dans les lieux d’aisance où prolifèrent les bactéries et autres effluves fécales. Enfant, j’y paressais en lisant. Mais c’est fini, grâce au Monde fr. qui m’en a dissuadé par un article bien senti (pardon) sous le titre :" Lire aux toilettes est-il bon pour la santé ?". Une étude israélienne conclut par un ni oui ni non : « Un chouïa de constipation en moins pour les lecteurs mais un tantinet d’hémorroïdes en plus ».

Puis, je buvais un bol de café (la caféine permet de réduire les risques de développer un cancer de la peau) en mangeant une tartine de pain complet. Attention, les cosses des céréales sont farcies de toxines ! Donc, un pain complet bio.

A midi, un plat de quinoa qui peut alterner avec le riz, mais c’est moins bon au goût. Je le faisais passer avec de l’eau de source la moins minéralisée possible. J’en changeais la marque. J’en avais toute un bataillon à la cave (dont j’avais viré le vin, avec ses sulfites). En cas de rupture de stock, je buvais l’eau du robinet, mais filtrée et dynamisée en la secouant.

Ah oui, l’eau minérale craint la lumière ! Je la transvasais dans des bouteilles en verre, bleu marine de préférence, sur lesquelles j’écrivais Santé, Calme, Bonheur, Purification, Paix. Je faisais ça depuis que j’avais rencontré le dalaï-lama en classe affaire dans un avion. Il est intellectuellement puissant ce mec, heu, Sa Sainteté. Et poilant. Il dit par exemple (dans un anglais déplorable) : « Si vous méditez chaque jour (pas si vous m’éditez, hein ? Hommmf, hommph !) vous aimerez votre ennemi, hommmf, hommph, hiiiii !) ».

J’avais essayé le coup des étiquettes guérisseuses et ça marchait ! L’expérience contraire aussi. Inscrivez : Marine Le Pen, Ornella Guyet, Indymédia, Rébellyon, Sarkozy, Conspihorsdenosvies et l’eau prend un goût de … enfin, vous m’avez compris. Vous pouvez la jeter.

Au supermarché, je vérifiais les dates de péremption des boites de conserve quand je faisais la folie d’en acheter. Je fouillais au fond du rayon où sont planquées les plus récentes (ils sont malins, mais moi aussi, il y va de ma vie).

Bien entendu j’utilisais des huiles d’olive bio première pression à froid plutôt que des huiles ordinaires deuxième pression à chaud ou troisième, à ébullition.

Pour sucrer, j’avais opté pour du rapadura, un sucre « intégral » (comme le nu du même nom, mais en moins excitant) qui contient à foison des vitamines et oligo-éléments. Je me marrais en sourdine quand je voyais des types dissoudre dans leur tasse du sucre blanc, ce poison pour les dents, le foie et tout le Saint-frusquin.

J’ingurgitais aussi du brocolis modifié, incomparable contre le cancer de la prostate.

Quand j’avais mal à la tête et que je craignais un AVC, hop du chocolat. Quand mon taux de cholestérol montait, viré le chocolat.

Je n’allumais plus la télé depuis que je savais qu’une heure de télé, c’est 20 minutes de vie en moins.

Je me tenais à l’écart des antennes relais, des villes bourrées de CO2 et de la campagne arrosée de pesticides agricoles. J’évitais la montagne où les rayons ultraviolets ne pardonnent pas. Et terminée la mer, ce cloaque réceptacle des fleuves poubelles.

J’étais peinard dans ma cave. Je n’avais pourtant pas renoncé à mon téléphone portable, hier cancérigène, aujourd’hui acquitté. En attendant que le Parquet fasse appel, et en application du principe de précaution, je ne le gardais pas dans ma poche mais je le rangeais sous le tas de charbon.

J’avais transformé le four à micro-ondes en bocal à poisson rouge (pas terrible, en vérité). Comme les nouvelles lampes à économie d’énergie vous envoient, à l’allumage, un faisceau de saloperies invisibles qui vous déclenchent vite fait une leucémie ou une raréfaction des spermatozoïdes, je les allumais astucieusement, planqué derrière un paravent de plomb, ma main gantée prolongée par un long bâton.

Quand je sortais de mon bunker, je passais au large des centrales nucléaires, des fumeurs, des téléphoneurs et, d’une manière générale : des boutiques qui vendent de la farine blanche ou des peintures acryliques, de la laine de verre, de l’éverit, des gâteaux à l’huile de palme, du soja transgénique, de l’aspartame, du steak aux hormones, du poulet non gersois, des barbecues et des merguez (qui finissent volontiers carbonisées), du poisson d’élevage, des croissants au beurre, et même des chamalows.

Quoi d’autre ? Pas de climatisation dans ma voiture et pas de chauffage dans ma chambre (cinq couvertures, un édredon, un bonnet de nuit, fenêtre légèrement entrouverte, même en février, c’est plus sain).

Couché tôt, levé tôt, sport quotidien (principalement recherche du téléphone quand il sonne, sous le tas de charbon et toilette consécutive au gant de crin en sautant sur un pied parce que ça fait mal et on se les gèle, en plus), courte sieste sur un matelas en toile de jute garni de boulets de charbon en guise de noyaux de pêches.

Bien sûr, pas de clope, pas d’apéro. Pas de pratique de la fellation qui provoque le cancer de la bouche (mais là , j’étais déjà abstinent à 100%, inutile de me vanter comme si c’était un sacrifice).

Bref, tout ce qui m’occupait me hissait dans le rang des petits malins, des débrouillards qui ont repéré l’emplacement des canots de sauvetage du Titanic et qui savent bien compter (il en manque !), des individualistes, des égocentriques, des adeptes du slogan publicitaire : « Profitez-en ! », des attentifs aux avertissements : « Série limitée », « … dans la limite des places disponibles », « Gratuit pour les cent premières demandes »…

En fait, je m’accommodais assez bien des naufrages à condition d’avoir une bouée autour de la taille, un gilet de sauvetage sur le dos tandis que le canot dans lequel je m’étais assis était hélitreuillé, survolant les imprévoyants qui pataugeaient dans l’eau glacée. Sentiment de culpabilité : néant. Ce n’est pas moi qui pilotais le bateau et je n’avais pas sifflé l’iceberg.

Vous aurez remarqué que pas une fois je n’ai encore écrit ici « planète », « survie de l’humanité », « frères humains » ou autres fariboles.

Ma pomme d’abord. C’est ainsi que nous ont appris à penser les politiques et leurs relais journalistiques et commerciaux : la troïka des semeurs de graines Monsanto dans les cerveaux, pour que poussent des champs d’asociaux égoïstes.

Et puis…

Et puis je me suis rendu compte que je ne cessais de culpabiliser au moindre écart de régime alimentaire, que je recherchais des indices établissant ma responsabilité au moindre mal de ventre ou crampe au mollet, que je me voyais en ennemi de moi-même, que je résistais en permanence à mes penchants, toujours crispé, agrippé au Vivre Sainement comme au rebord de la falaise surplombant des récifs acérés, que je traversais ma vie comme on passe un interminable examen médical. Pis, je m’étais abonné à des revues pour une Vie Saine qui ne me parlaient que de maladies.

Je menais en permanence une lutte désespérée contre le possible déséquilibre qui fait chuter du fil de fer de la santé dans l’abîme de la déliquescence. Je commençai à pratiquer des autodiagnostics pertinents qui décelèrent chez moi un début de sclérose en plaque, l’amorce de la maladie de Parkinson, un blocage des reins, une tendance à la dégénérescence du nerf optique et quelques autres saloperies sournoises que je tentais de tenir à distance par la fréquentation frénétique des Bio-cops, magasins dont le vert de la devanture me guérissait déjà à moitié avant même que je pousse la porte d’entrée (passons sur la rechute légère au moment de payer. « Madre mia ! Pourquoi c’est si cher alors qu’ils n’achètent pas de pesticide, d’insecticide, d’engrais chimique ? »).

Une angoisse durable s’empara de moi quand je m’aperçus que les craintes permanentes pour ma santé avaient chassé un ingrédient indispensable à sa conservation : le rire, qui vaut un beef et qui dispense néanmoins d’élever des vaches péteuses troueuses de la couche d’ozone).

Par mimétisme ou sélection naturelle, mes amis étaient aussi gais que Buster Keaton et Jean Daniel réunis. Leurs femmes amorçaient un phénomène d’homogénéisation : chaussures plates, bagues en métal argenté, bracelet en bois d’arbre, parka Gore-tex, cheveux grisonnants tirés en arrière et tenus par un catogan, visage ridé dès la trentaine, peau asséchée par des frictions au savon noir et des toilettages à l’eau froide, début de couperose, goût pour l’humour remplacé par celui pour le rutabaga (qui facilite le transit intestinal).

La vie filait sans que je me régale. Le spectre de l’Inquisition traînait dans les parages pour sanctionner le moindre écart. J’avais peur.

Un soir, au cours d’un dîner végétarien, j’avais cessé d’écouter la conversation qui ronronnait sur la nostalgie des lavoirs à linge et des soirées où l’on chantait gaiement en patois en égrainant du maïs et en buvant du cidre fait à la ferme. A vrai dire, je m’étais assoupi, ce qui explique que je fis une désastreuse confusion sur ce qui se disait, d’où mon inopportune intervention : « Vous m’em… avec vos témoins de Jéhovah. Je me demande comment vous pouvez encore y croire et passer vos soirées à en parler ! »

Oubliant ses cours de zen-attitude, ma femme s’était alors levée de son tapis en raphia, rouge de colère, imitée par un petit pâlichon, maigre comme une bicyclette. Elle a claqué la porte et elle est partie (Ou ça ? On était chez nous, dans notre véranda en briques de terre, au toit isolé par du chanvre). L’autre type, copie de Gandhi, l’a suivie et depuis, ils survivent ensemble en grignotant des graines qui se coincent entre les dents et des germes de plantes exotiques et amères. Et ils b… heu, ils pratiquent l’acte de don de soi réciproque dans un grand lit Futon posé au centre de leur chambre en un endroit précis qui rassemble les ondes positives et évite les autres. Et ils se finissent à la tisane du Népal.

Et alors…

Et alors, j’ai craqué ! J’ai craqué au moment même ou elle passait la porte en enfilant son gilet en lamelles de bambous birmans. Ciao ! J’ai décidé de commencer à jouir en attendant la mort, décision saluée par un peu convenable « Eh merde et chiottes sèches ! ».

Et je me suis mis à la lecture du Grand Soir, qui semble ne rien avoir contre le bio et l’écologie, mais qui fait la grimace à l’approche des intégristes Verts autocentrés et qui vire au rouge vif quand il entend dire que l’écologie n’est ni de droite ni de gauche », que le tri sélectif, c’est pareil à Neuilly ou à La Courneuve, on ne va pas tout politiser.

Si, justement, il faut tout politiser. C’est le seul moyen de ne pas tomber dans l’intégrisme eugéniste sectaire, le « moi-d’abord » peinturluré à la chlorophylle.

Allez, hop ! envoyez un havane, por favor. Y viva Fidel ! (1)

Vincent Moret.


(1) Pour bien comprendre que je reste dans le sujet en criant ici « Viva Fidel ! », il faut savoir que l’association WWF (World Wide Fund for Nature), première organisation mondiale de protection de la nature, affirme que Cuba est le seul pays remplissant des conditions pour un développement durable. Son rapport (2006) indique que si les choses continuent de la même manière, en 2050 l’humanité consommerait les ressources et l’énergie de deux planètes Terre.
WWF a élaboré un graphique avec deux variables : l’indice de développement humain (établi par l’ONU, il mesure la satisfaction des besoins vitaux) et l’« empreinte écologique », indiquant l’énergie et les ressources per capita consommées dans chaque pays.

Il en résulte que Cuba est la seule nation avec des indices permettant de dire qu’elle « possède les critères minimum de durabilité ». Mais pas un mot à Cohn-Bendit, à José Bové et à Eva Joly.

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