Pour un guérillero, mourir à 80 ans est une victoire militaire, estime le sociologue Alfredo Molano à propos de Manuel Marulanda, le chef historique des FARC. Dans un article d’El Spectator repris par le Courrier International, Alfredo Molano fait un portrait de Marulanda. Un autre article du même journal colombien brosse le portrait de son sucesseur Alfonso Cano. Un paysan silencieux et tenace, un intellectuel issu du milieu urbain, mais tous les deux communistes. Va-t-il comme le croit l’article y avoir un changement de stratégie, ce serait oublier que ce qui empêche que les armes se taisent et que l’échange humanitaire des otages ait lieu ce n’est pas la mauvaise ou la bonne volonté du dirigeant des FARC, mais bien le gouvernement colombien qui entretient la guerre civile et la haine pour que prospère les monstrueux trafics. Parce que ce gouvernement criminel est soutenu par les Etats-unis qui en ont fait la tête de pont de toutes leurs manoeuvres régionales et ont intérêt à ce que perdure la dangerosité.
Manuel Marulanda, la dernière bataille de Tirofijo
Pedro Anfonio Marin (le vrai nom de Manuel Marulanda) est mort (le 26 mars 2008) de mort naturelle, deux mois avant de fêter ses 80 ans. Il était né à Génova (département du Quindio). Il était plus âgé- d’un jour- qu’Ernesto Che Guevara. Contrairement à Guevara, c’était un paysan et il l’a été jusqu’à sa mort. Il avait pris les armes en 1948 lorsque ses oncles, de simples libéraux, avaient été condamnés par les « corbeaux » de la bourgade où ils vivaient (pendant la Violencia, la guerre civile qui opposa les conservateurs aux libéraux et qui fit plus de 300.000 morts). Il les avait ensuite quittés pour tenter d’être commerçant dans le valle del Cauca (département du sud de la Colombie). Il aurait pu être un homme riche. Mais il reprit le sentier de la guerre en suivant ses cousins dans le sud du Tolma. Il avait du sang indien, ça se voyait dans ses yeux qu’il avait petits et vifs. L’utopie communiste l’avait attiré non seulement par identification idéologique, mais aussi pour des raisons pragmatiques : les armes n’appartenaient pas au guerilléro qui les gagnait mais au patrimoine de l’organisation. Le gouvernement d’Alberto Lleras Camango (1958-1962) lui avait concédé l’amnistie, et Pedro Antonio Marin était devenu ouvrier dans les Travaux Publics ; il construisit la route entre Planadas et Gaitania (dans le département du Tolima). Mais il avait repris les armes lorsque les militaires l’avaient poursuivi. C’est à cette époque que sont nées les Autodéfenses Paysannes et Marquetalia (la république éphémère et autonome de Marquetalia détruite par l’armée en 1964), qui n’a rien été d’autre qu’une tentative de gouvernement autonome dans une zone de colonisation. C’est à cette occasion que sont nées les FARC, avec une douzaine d’insurgés.
J’ai parlé deux fois avec Tirofijo (le surnom de Marulanda). La première fois c’était dans un campement situé à 80 kilomètres de Bogota. C’était Alfonso Cana qui me l’a présenté. Il était accompagné d’un chien et portait une carabine M1. Plus que timide, il était prudent et sagace. Nous avons parlé toute une matinée et, de mauvais grès, il m’a raconté tout ce que je vous raconte. La seconde fois, c’était en 1990, quelques jours avant le bombardement de son camp de la rivière Duda. Il a chargé son barda sur son dos et s’est échappé avec ses hommes. Malgré ce que l’on peut croire, Marulanda combattait : il faisait face à l’armée, il tendait des embuscades, il dormait dans des camps et il n’était pas étranger aux enlèvements et aux opérations.
Franchement, je ne crois pas qu’un bombardement (de l’armée) ait précipité son attaque cardiaque. Ni qu’il soit mort de peur comme le pense le ministre de la Défense (Juan manuel Santos, qui a annoncé le 24 mai la mort de Marulanda, confirmée ensuite par les FARC). Pour un guérillero, mourir à 80 ans est en soi un triomphe militaire. Marulanda est mort selon sa loi, c’est-à -dire de mort naturelle, ce qui représente une véritable victoire sur l’ennemi, qui n’a réussi ni à l’attraper ni à l’obliger à se rendre. Même si l’armée a réussi bien d’autres coups contre les FARC.
Alfonso Cano, portrait
« Guillermo Leon Saenz Vargas est né le 22 juillet 1952 à Bogota dans le quartier de Chapinnero, dans une famille de la classe moyenne supérieure. Son père, ingénieur agronome et sa mère enseignante, ont déménagé pour s’installer dans le quartier de Santa Barbara, près d’Usaquen. Guillermo Leon, le quatrième de leurs sept enfants, a connu une enfance tranquille. L’article poursuit en expliquant que le jeune homme était très sportif, amateur de foot et qu’il a fait des études d’anthropologie à l’université (publique) de Bogota. C’est à ce moment-là qu’il a adhéré aux jeunesses communistes et « a entamé une phase d’évolution personnelle . Ses goûts changèrent et il se mit à écouter de la musique cubaine et à lire de la littérature r évolutionnaire » C’était dans les années 1970, mais l’auteur de l’article nous dit que le jeune homme continua néanmoins à aller danser… Mais l’anthropologie, la sociologie sont on le sait depuis Bourdieu des sports de combat et Guillermo fut arrêté plusieurs fois par la police, passa près de six mois en prison. Ces interpellations, violation de domicile durèrent jusqu’en 1981 où cette fois il fut incrcéré à la prison de Picota et n’en put sortir que grâce à une amnistie présidentielle (Belisario Betancour) en 1982. On mesure que ces incarcerations le conduisirent finalement à prendre les armes et change d’identité puique’il devient alors Alfonso Cano.
Tout l’article s’interroge, avec ce nouveau chef intellectuel urbain, issu des couches moyennes est-ce que les FARC ne vont pas changer de stratégie, se montrer moins intraitable que le vieux chef ? Ce serait oublier ses premières expériences dans les FARC. En 1984, il prend part aux négociations avec le gouvernement de Bétancour, des pourparlers qui aboutissent à la signature d’un cesser le feu le 28 mai 1984. Le gouvernement s’engageait à faire des réformes et il autorise les FARC à créer un parti politique légal. Ce sera l’Union patriotique. Oui mais le résultat en sera l’assassinat de 4000 de ses membres. Cette expérience de la traitrise des gouvernements de l’oligarchie et des narcotrafiquants, paramilitaires colombien ne cesse de se renouveller, jusqu’à récemment la mort de reyes en pleines négociations. Il sera également négociateur en 1991 au venezuela, puis en 1992 au Mexique. Nouvel échec. Ici en France, on peut inventer des FARC inhumains, refusant de rendre les otages, mais c’est ignorer ce que l’on sait en Colombie, c’est-à -dire que tout pas en avant des FARC vers des solutions politiques ont été payés par la mort de beaucoup d’entre eux. Si depuis pas mal de temps on voit en Alfonso cano le futur chef de l’organisation c’est qu’il a contribué à la ligne politique des FARC qui souhaite les négociations politiques, l’échange humanitaire des otages, mais le fera dans les conditions de securité nécessaires. A la mort de jacobo Arenas, il a hérité de sa bibliothèque et de ses responsabilités, membre du secrétariat des FARC et chef de la zone occidentale (sud-ouest du pays).
Il est fréquent d’entendre dire, et l’article d’El Espectator ne déroge pas à cette analyse, que la mort de Marulanda et la venue d’Alfonso cano « permet d’entrer dans une nouvelle phase, où les armes ne seraient pas déposées mais où la négociation politique prévaudrait ». C’est présupposer que le choix de la négociation politique plutôt que les armes dépend des FARC, cela n’est pas le cas et les deux expériences que nous citons, celle de la création d’un parti politique qui a été massacré et celle de l’exécution sur le territoire équatorien de Raoul Reyes, en pleine négociation sur les otages et Ingrid Betancour témoigne des conditions réelles d’une situation ou jamais le gouvernement colombien ne renonce à profiter des pourparlers pour pratiquer l’assassinat, comme il agit d’ailleurs avec les syndicalistes qui ne pratiquent pas pourtant la lutte armée. Il faut bien mesurer que le gouvernement d’uribe agit ainsi non seulement avec les FARC, avec les militants syndicalistes et politiques légauc, mais avec ses voisins. Aujourd’hui même, ne cessent de s’infiltrer au Venezuela des Colombiens qui fuient théoriquement les exactions de l’armée et celle des paramilitaires, voir de la guérilla. En fait parmi eux il ya des éléments très dangereux qui font régner la peur et la violence, et dont on peut penser que certains d’entre eux ont comme consigne l’assassinat de Chavez.
Effectivement Alfonso Cano est guérillero mais il a d’abord une action politique, il a créé le Mouvement bolivarien pour la Nouvelle Colombie et le Parti Communiste clandestin PC3. Il a 56 ans. Donc il est probable que si cela ne dépendait que de lui, ou même des voisins de la dangereuse Colombie comme Chavez ou Correa, les armes aurait depuis lontemps cédé la place à l’intégration des FARC dans le jeu politique légal et l’échange humanitaire aurait eu lieu. Mais Alfonso Cano sait qu’ Il est devenu à son tour la cible privilégié de la traque des forces colombiennes aidés par des nord-américains et aussi des israéliens ayant à leur disposition les techniques de détection de pointe.
Danielle Bleitrach