Alvaro Uribe, Président de la Colombie.
Le Courrier, 25 juillet 2007.
Le grand déballage sur les crimes paramilitaires a commencé en Colombie. Avec les aveux en mars dernier de Chiquita et le procès intenté actuellement à Drummond, les Etats-Unis s’interrogent sur la responsabilité de leurs transnationales dans la campagne de terreur qui a coûté la vie à 2400 syndicalistes depuis 1991.
La cinquantaine de mineurs exténués vient juste de quitter la mine de charbon de La Loma, ce 12 mars 2001, dans le nord-ouest de la Colombie, lorsque plusieurs hommes armés bloquent l’autobus de la compagnie Drummond. Les assaillants font descendre Valmore Locarno et Victor Hugo Orcasita, président et vice-président de la section locale du syndicat. On ne les reverra plus vivants. Moins de sept mois plus tard, un troisième employé de l’entreprise étasunienne, Gustavo Soler, subira le même sort. Il venait de remplacer Valmore à la tête de Sintraminergetica [1].
Trois assassinats [2]. Trois fois rien, une goutte de sang dans l’océan de drames - 2400 morts et disparus en seize ans - qui endeuillent le syndicalisme colombien. Mais peut-être trois de trop. A Birmingham, Alabama, siège de Drummond, s’est ouvert le 9 juin 2007 un procès civil qui pourrait faire date. Soutenus par des organisations ouvrières étasuniennes, Sintraminergetica et les familles des trois syndicalistes y réclament la condamnation de la transnationale pour « soutien et financement » des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), organisatrices présumées du triple crime. (lire à la suite)
Sauve qui peut !
Aux Etats-Unis, l’affaire est prise très au sérieux et les habituelles dénégations méprisantes ne sont plus de mise. Le scandale de la « parapolitique » - qui éclabousse depuis un an des institutions colombiennes liées aux narco-paramilitaires [3] - est passé par là . Aujourd’hui, les langues se délient. Agents des services d’intelligence, miliciens repentis, militaires, politiciens ou fonctionnaires, personne ne veut couler tout seul.
D’autant que le passif des « paras » est impressionnant : en une vingtaine d’années, ce conglomérat d’organisations armées d’extrême droite aurait exécuté plus de 17 000 personnes [4] et forcé au déplacement de 1 à 3 millions de paysans. De notoriété publique, les AUC contrôlent aujourd’hui l’essentiel du trafic de cocaïne en provenance de Colombie. Pis, en ces temps de « lutte contre le terrorisme », les AUC sont devenues particulièrement infréquentables, puisque inscrites sur la fameuse liste des organisations criminelles dressée par le Département d’Etat américain.
Chiquita avoue
Dans ce sauve qui peut des complices, commanditaires et autres exécutants, certaines transnationales présentes de longue date dans l’Eldorado colombien commencent à trembler. Première à passer aux aveux : la fameuse société bananière Chiquita a admis avoir eu recours aux services des AUC « pour la sécurité de [son] personnel », pour la modique somme 1,7 million de dollars entre 1997 et 2004. Selon un responsable chargé de collecter les fonds, Banadex, l’ancienne filiale colombienne de Chiquita, versait une obole de trois centimes de dollars par caisse de banane exportée.
Contre une amende de 25 millions, la justice étasunienne a finalement accepté en mars dernier d’abandonner la procédure judiciaire. Mais les tourments de Chiquita ne semblent pas près de s’arrêter. Car si la justice colombienne demeure muette, plusieurs ONG ont déposé plainte la semaine dernière devant une Cour du New Jersey, pour « assassinats », « tortures » et « crimes de guerre » commis dans les régions bananières de Colombie.
Importation d’armes
Il faut dire que le dossier de l’ex-United Fruits & Cie est particulièrement gratiné. Ainsi, selon les éléments retenus par la justice, la collaboration entre Chiquita et les paramilitaires s’est menée tout au sommet, Le fondateur des AUC, Carlos Castaño, y a participé en personne, au su de la maison mère de l’entreprise à Cincinnati.
De l’aveu même des « paras, la multinationale a grandement contribué - consciemment ou pas - à leur prise de contrôle de la région de l’Uraba. Ainsi, en novembre 2001, Banadex déchargea sur son port privé, situé en zone franche, puis transporta, en l’espace de quatre jours, quelque 3400 fusils et 4 millions de cartouches en provenance d’Israël et du Nicaragua pour le compte des AUC. « Mon meilleur goal », confia après coup Carlos Castaño.
L’Observatoire présidentiel pour les droits humains estime que durant la période où Chiquita finançait le bloc paramilitaire de la zone, celui-ci a commis 62 massacres (432 victimes) et forcé le déplacement de 60 000 personnes.
Emblématique, le cas de Chiquita a valu un avertissement en bonne et due forme à toutes les entreprises US présentes en Colombie. Celles-ci « doivent prendre note que les versements effectués à des terroristes ne peuvent être considérés comme des frais d’affaires : ce sont des délits », déclarait le 19 mars dernier le procureur fédéral Jeffrey Taylor dans un communiqué.
Et il n’aura pas fallu deux mois pour que la tempête présagée éclate. Le 17 mai, contre une remise de peine, l’ex-chef des paramilitaires, Salvatore Mancuso, livrait une longue liste d’entreprises nationales ou étrangères ayant financé les AUC. On y retrouve notamment le gotha des sociétés bananières - dont Chiquita, Dole et Del Monte qui auraient versé 1 cent par caisse produite - mais aussi Hyundai, Bavaria (SABMiller) et toutes les exploitants de charbon du Département du Cesar (ou opère Drummond), ainsi que deux douzaines d’autres firmes actives dans les secteurs pétrolier, agroexportateur et alimentaire.
Représentants fâchés
Ajouté au démarrage ce mois du procès de Drummond pour un triple assassinat, la coupe était plaine pour certains élus démocrates, de plus en plus rétifs aux liens entre Washington et le régime de Bogotà . Saisie du dossier de la « para-économie » en juin, la sous-commission parlementaire aux organisations internationales n’a pas hésité à réclamer l’audition du repenti Mancuso. « Nos intérêts économiques nuisent-ils à la lutte contre le terrorisme ? Sommes nous en train de faire des compromis ? Si tel est le cas, le public doit le savoir », a notamment déclaré dans la presse Bill Delahunt [5] . Et le président de la sous-commission de prévenir que celle-ci allait « examiner de très près le comportement des transnationales étasuniennes dans le monde » et qu’elle usera de la Colombie « comme d’un modèle ». A terme, M. Delahunt n’a pas exclu qu’il faille compléter le code pénal étasunien, pour restaurer « notre crédibilité et notre position morale dans le monde ». BPZ
Guerre civile ou guerre sociale ?
« L’Ecole nationale syndicale de Colombie a recensé 2245 homicides, 3400 menaces et 138 disparitions forcées à l’encontre de syndicalistes entre janvier 1991 et décembre 2006 ». « Dans plus de 90% des cas, les responsables n’ont pas été jugés. » « En 2005, environ 49% des violations de droits humains envers des syndicalistes furent l’oeuvre des paramilitaires, et 43% directement par les forces de sécurité. » Ces impressionnants constats figurent dans un rapport d’Amnesty International [6] opportunément publié le 3 juillet dernier.
L’information n’est pas vraiment nouvelle. Année après année, ONG et confédérations syndicales dénoncent le sonderfall colombien : ce pays à peine plus peuplé que l’Espagne héberge à lui seul plus de 90% des assassinats de syndicalistes commis dans le monde. Sans compter les meurtres de proches ou les exils forcés par milliers, car si le nombre d’assassinats directs de militants a diminué ces dernières années, les manoeuvres d’intimidation ont, elles, explosé.
Alors pourquoi ? Pourquoi cette hécatombe ? Employeurs et paramilitaires concordent sur un point : il s’agirait là d’un effet de la subversion communiste qui agite le pays depuis les années 1960. Pour les Autodéfenses unies de Colombie (AUC), les syndicalistes pris pour cible seraient en réalité des collaborateurs des guérillas, qu’ils aideraient en particulier à extorquer les entrepreneurs.
Sans accuser directement les syndicats, les employeurs s’en remettent aussi à la « guerre civile ». Ainsi l’avocat de Drummond déclarait-il en ouverture du procès pour meurtre des trois dirigeants de Sintraminergetica : « Ce sont trois parmi des milliers de leaders syndicaux assassinés en Colombie », selon les mots de William Jeffress. Et d’ajouter que « personne ne pourrait imaginer que Drummond ait pu aider à assassiner ses propres employés. »
Une argumentation absurde et scandaleuse, rétorque un ancien dirigeant de Sintraminergetica. Ce fils et petit-fils de syndicalistes souligne que les meurtres de ses collègues sont intervenus en période de conflit avec l’entreprise. Cinq ans plus tard, lui-même a été menacé et a dû fuir le pays après avoir conduit un mouvement de grève victorieux (lire à la suite). « Je me suis toujours battu pour les droits des travailleurs, je n’ai pas d’armes, à part ma tête et mes bras », confie-t-il.
Dans son rapport, Amnesty confirme sans ambiguïté cette version. L’ONG a relevé des « abus constants contre les droits humains de syndicalistes commis dans le contexte des conflits de travail » ou lors de campagnes contre des projets de privatisations. Autrement dit, dans l’immense majorité des cas, c’est bien « le statut et l’activité syndicale » qui motive l’exaction. Pour l’ONG, il existerait même « une stratégie militaire-paramilitaire coordonnée, destinée à réduire le travail de ces personnes, en les éliminant physiquement, mais aussi en tentant de discréditer la légitimité des activités syndicales ». En somme, le conflit armé servirait de « couverture » à tous ceux qui cherchent à augmenter leurs profits par tous les moyens. « Drummond, comme d’autres, a fait sciemment le choix de s’installer dans une zone en conflit pour faire plus d’argent », illustre Herman Johnson, avocat étasunien de Sintraminergetica.
Et la méthode a prouvé son efficacité ; jadis réputé pour sa combativité, le mouvement syndical colombien s’affaiblit irrémédiablement. En une dizaine d’années, le taux de syndicalisation est passé de 8% à moins de 4%. Corollaire, le nombre de travailleurs couverts par une convention collective a chuté de moitié, indique la Centrale unitaire des travailleurs. Une véritable catastrophe dans un pays qui ne connaît pas de sécurité sociale publique.
Salaires et stabilité de l’emploi ont suivi le mouvement : durant la même période, 900 000 contrats de salariés ont disparus. Quant au code du travail, pourtant prévu par la Constitution de 1991, il est resté lettre morte.
D’autres gêneurs...
Les syndicalistes ne sont pas les seuls à payer le prix de la guerre sociale. La course aux fabuleuses ressources naturelles colombiennes ne souffre aucun type de contestation. Selon Amnesty, plus de 60% des trois millions de Colombiens déplacés de force l’ont été de terres situées dans des zones minières ou à fort potentiel agricole. Afro-colombiens et surtout indigènes sont particulièrement visés : bien que les autochtones ne représentent que 0,6% de la population, ils fourniraient plus de 10% des déplacés. De 2002 à 2006, premier mandat du président Alvaro Uribe, 1190 indigènes, dont de nombreux leaders communautaires, ont été assassinés, affirme l’Organisation nationale indigène de Colombie (ONIC).
Et la situation des communautés natives n’est pas près de s’améliorer. D’après une étude de l’anthropologue étasunien Jean E. Jackson [7], près de 80% des ressources naturelles (eau, minerais, pétrole, biodiversité) sont concentrées sur les 27% du territoire détenus en propriété collective inaliénable par les indigènes... BPZ
Drummond, le syndicat et les pirates des Caraïbes.
L’affaire Drummond débute par une histoire de pirates. En 1789, préoccupé par la résurgence du banditisme maritime, le Congrès étasunien adopte l’Alien Tort Claims Act (ATCA), ou Loi de réclamations pour des torts contre un étranger. Etonnamment moderne, ce texte donne la compétence aux cours étasuniennes de juger des plaintes civiles étrangères pour violation des traités internationaux. Une sorte de « compétence universelle » avant le lettre, dont les victimes des multinationales, deux siècles plus tard, commencent à saisir le potentiel.
Le coup de semonce a été tiré en 2004, lorsque des villageois birmans ont contraint la transnationale pétrolière Unocal à les indemniser pour des exactions commises par l’armée. Un accord à l’amiable qui faisait suite à une série de procédures avortées sous la pression de Washington.
Mais avec le procès de Drummond, qui se tient depuis le 9 juillet à Birmingham, c’est un nouveau cap qui est franchi. « Si nous gagnons, ce sera la première fois qu’une compagnie des Etats-Unis est déclarée coupable pour des abus commis à l’étranger », relève Dan Kovalik, l’avocat de l’United Steel Workers. Cette organisation, qui regroupe 800 000 travailleurs étasuniens, s’est constituée partie civile pour soutenir les familles des trois dirigeants de Sintraminergetica assassinés en 2001, près de la mine de charbon de Pribbenow à La Loma (nord-est de la Colombie).
Faisseau d’indices
L’hypothèse d’une condamnation est sérieuse ; le faisceau d’indices conséquent. Les avocats soulignent que les tensions entre Drummond et Sintraminergetica ont débuté dès l’arrivée de la société minière sur la côte caraïbe de la Colombie. Mauvaises conditions de travail, licenciements abusifs et surtout, insécurité, l’organisation ouvrière, à laquelle est affiliée près d’une moitié des travailleurs de La Loma, dénonce avec vigueur un grave accident survenu en 1995 qui a coûté la vie à treize mineurs.
Fin 2000, la tension est avivée par des négociations difficiles. Valmore Locarno et Victor Hugo Orcasita, les deux principaux dirigeants locaux du syndicat, sont suspendus par Drummond durant soixante jours. Sans raison apparente, selon les ouvriers.
Menacés, le président et son second demandent, le 19 décembre, la protection du Ministère de l’intérieur. Ils réclament aussi à l’entreprise de pouvoir dormir à la mine. En vain. Le 12 mars 2001, ils sont exécutés sans avoir obtenu la moindre mesure de sécurité. En octobre de la même année, le nouveau président du syndicat, Gustavo Soler, fera les mêmes demandes et subira le même sort.
« Ventilateur » dans les voiles
L’indifférence des autorités et de nouvelles menaces poussent alors leurs familles à quitter la Colombie. Aux Etats-Unis, elles obtiennent l’appui de l’International Labor Rights Fund, une fondation qui connaît bien l’ATCA pour l’avoir invoqué à plusieurs reprises. Ironie de l’histoire, les mineurs colombiens reçoivent aussi l’appui de leurs homologues étasuniens, qui ont vu cinq mines fermer et 2000 emplois s’envoler, lorsque Drummond est parti s’installer en Colombie.
En mars 2002, familles et syndicats déposent leur plainte pour assassinats. Treize mois plus tard, la justice étasunienne confirme ces charges, mais fait porter le fardeau de la preuve sur la partie civile. Une contrainte de taille, dès lors qu’aucune instruction sérieuse n’a été menée en Colombie !
L’éclatement du scandale de la « parapolitique » va bouleverser la donne. Début 2006, l’ordinateur portable du chef du Bloc Nord des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC), Rodrigo Tovar Pupo, alias « Jorge 40 », est saisi par la justice colombienne. On y découvre le descriptif de l’assassinat d’une cinquantaine de syndicalistes et les ramifications conduisant à des responsables politiques et des services secrets (DAS).
Acte 2 : l’ancien chef informatique du DAS, Rafael Garcàa, est arrêté. On l’accuse d’avoir trafiqué des données pour le compte de « paras » en voie d’extradition. Coincé, il passe à table. Depuis sa cellule, le « ventilateur », comme le surnomme la presse, raconte notamment qu’en 2001, peu avant le meurtre de MM. Locarno et Orcasita, il a assisté à la remise par Augusto Jiménez, directeur de Drummond-Colombie, d’une mallette contenant 200 000 dollars destinés à « Jorge 40 ». Avec mission explicite de liquider les gêneurs.
A deux reprises, l’entreprise aurait aussi mis ses infrastructures portuaires à disposition du Bloc Nord pour faciliter l’exportation de cocaïne. En échange, la milice était chargée de protéger les installations de Drummond, en particulier la voie ferrée conduisant le charbon vers la côte, plusieurs fois attaquée par la guérilla. Enfin, M. Garcàa affirme que des paramilitaires « travailleraient » dans la mine, afin de tenir à l’oeil les ouvriers.
Démenti par l’entreprise, qui l’a attaqué en diffamation, discrédité par les autorités colombiennes, Rafael Garcàa s’est dit prêt à témoigner au procès. Las ! Les autorités colombiennes n’ont « pas eu le temps » d’accéder à la requête étasunienne. Un problème de traduction aurait compliqué la procédure, assure-t-on à Bogota.
Or le temps presse. Démarré en l’absence de ce témoin crucial, le procès devrait s’achever la semaine prochaine. Dans une lettre datée du 18 juillet, douze parlementaires étasuniens ont supplié le vice-président colombien d’accélérer la procédure, comme il l’avait personnellement promis lors d’une visite aux USA.
« Le poisson meurt par la bouche »
Autre coup dur : l’ex-trésorier du syndicat, Jimmi Rubio a récemment disparu dans la nature : son père venait d’être assassiné, après avoir eu la langue coupée.... Selon son témoignage daté de 2004, M. Rubio aurait vu un cadre de Drummond, Alfredo Araújo, « donner des chèques à un célèbre leader paramilitaire ». M. Araújo avait nié ces allégations. Le parfum de scandale a pourtant été ravivé il y a peu, lorsque le sénateur Alvaro Araújo et son père homonyme - respectivement cousin et oncle d’Alfredo - ont été mis en examen pour complicité avec les AUC...
En l’absence de MM. Garcàa et Rubio, les avocats des victimes se sont rabattus sur les témoignages d’Edwin Guzmán, un ancien militaire passé aux paras, et d’Isnardo Ropero, ex-garde du corps de M. Araujo. Tous deux ont évoqué des services rendus par les AUC contre véhicules, essence et vivres.
Des syndicalistes sont aussi venu à la barre notifier des menaces qu’ils ont reçues de la part des AUC ou des dirigeants de Drummond. « Un poisson meurt par la bouche », avait pour habitude de déclarer Augusto Jiménez. « Une expression inoffensive », assure son avocat William Jeffress. Ce sera au jury populaire de l’Alabama d’apprécier. BPZ
Drummond : pas de répit pour les syndicalistes
L’affaire du triple assassinat de 2001, de l’histoire ancienne ? Le parcours de cet ancien dirigeant [8] de Sintraminergetica témoigne malheureusement du contraire. Machiniste à La Loma et militant depuis 2002, il accède en 2004 à la direction de sa section. C’est le début des ennuis, qui le conduiront, en février dernier, à chercher refuge en Suisse.
Au départ, pourtant, ce fils de syndicaliste « pensait être prêt à faire face ». « En Colombie, quand on prend une responsabilité syndicale, il faut se préparer psychologiquement, préparer sa famille, ses proches, réfléchir à comment on va mener cette lutte », décrit-il. « De toute façon, je n’avais pas le choix, on ne va pas accepter de travailler comme des animaux de charge ! » Sa façon d’expliquer l’inexplicable : comment peut-on prendre la tête d’une section syndicale, dont sept militants ont été assassinés en six ans ?...
Menacé dès son entrée en fonction, le jeune dirigeant va véritablement entrer dans l’oeil du cyclone en 2006, lorsque Sintraminergetica réclame une amélioration de la convention collective. « Nos revendications portaient avant tout sur la sécurité sociale et la santé des travailleurs - dont de nombreux souffrent de lésions dorsales », assure-t-il. Trentenaire, il vient lui-même d’être opéré d’une hernie discale, legs des fortes vibrations que subissent les machinistes de cette mine à ciel ouvert.
Second souci : la défense des communautés avoisinantes. « Une entreprise qui fait des milliards de profit ne peut laisser les gens dans le dénuement, sans égouts, ni clinique. » Et d’interpeller avec vigueur : « Que restera-t-il quand il n’y aura plus de charbon ? Un grand trou, la pollution, des malades et la misère ! »
Le 25 mars, deux jours avant l’ouverture des négociations, le militant Harvey Jovanny Morales Guevara tombe sous les balles des paramilitaires [9]. C’est la première d’une longue série d’intimidations. « D’abord, j’ai reçu des appels disant que nos demandes étaient exagérées et que nous faisions du mal à l’entreprise. » A plusieurs reprises, les militants se font traiter de « guérilleros » [10]. Une accusation synonyme de condamnation à mort dans cette zone infestée de « paras ». Après le bâton, on lui fait miroiter 300 000 francs pour rejoindre le « syndicat patronal ». Dès son refus, il est ostensiblement pris en filature.
Le 21 mai, les mineurs cessent le travail. Leur campement à l’entrée de la mine sera le théâtre de plusieurs tentatives d’intimidations. Le 13 juin, le négociateur Alvaro Mercado se fait tirer dessus. Ses assaillants sont capturés et remis à la justice qui les libère « faute de preuve » [11].
Pour les ouvriers, la grève s’achève néanmoins, le 21 juin, par de réelles avancées. « Un triomphe des travailleurs, du peuple et de la classe ouvrière », s’enflamme le syndicaliste. Pour les dirigeants de la section, la victoire aura un goût plus amer. Maintenus dans la mire, cinq d’entre eux doivent s’enfuir. A Bogotà , notre interlocuteur demande l’asile à l’ambassade suisse, avant de déambuler avec femme et enfants à travers la Colombie, dans l’attente de l’exil. « Les paramilitaires nous retrouvaient grâce à leurs complices de la police censés nous protéger », accuse-t-il, sur la base d’une confidence d’un garde du corps « de notre bord ».
Réfugié loin de ses amis, l’ancien mineur dit son admiration pour ceux qui sont resté, mais ne peut cacher un certain découragement : « Tant que Alvaro Uribe sera au pouvoir, il n’y aura aucun espoir. »
Benito Perez
– Source : Le Courrier www.lecourrier.ch
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