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Colombie : les évolutions inattendues du processus de démobilisation des paramilitaires.








Colombia Journal, 17 mai 2007.


Cela devait être simple, la voie royale pour la réinsertion des dirigeants des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC) dans la société colombienne et la possibilité pour eux d’entrer dans l’arène politique. Selon le plan de départ, les dirigeants du paramilitarisme devaient révéler les emplacements des charniers et nommer quelques politiciens et quelques officiers militaires coupables d’avoir collaboré avec eux. D’une part, ces « révélations » devaient être considérées comme des confessions et, d’autre part, les années passées dans une hacienda pendant les négociations devaient être comptabilisées comme temps de réclusion ; les dirigeants du paramilitarisme n’auraient finalement dû passer que deux ans en prison, très vraisemblablement dans une propriété de l’Etat assez luxueuse. Or, du point de vue du gouvernement Uribe Vélez, le processus de démobilisation de la plus grande organisation paramilitaire a terriblement mal tourné. Finalement ce processus pourrait apporter à la Colombie la plus grande opération de nettoyage politique de son histoire et pourrait bien être le début de la fin de l’impunité dont jouissent traditionnellement les politiciens et les militaires.

En juin 2003 le gouvernement Uribe Vélez avait annoncé qu’il était parvenu à un accord avec les AUC pour entamer des conversations de paix afin de démobiliser l’organisation. Les discussions se sont ensuite déroulées dans une propriété rurale de la région de Santa Fe de Ralito, dans le nord de la Colombie. Ayant reçu près de trois milliards de dollars d’aide militaire états-unienne au cours des trois années précédentes, les militaires colombiens étaient plus puissants et ils étaient passés à l’offensive contre les deux organisations de guérilla de gauche du pays. De plus, les forces de sécurité de l’Etat s’impliquaient plus directement dans la « guerre sale » contre la gauche, l’opposition politique, les syndicalistes, les dirigeants communautaires et les défenseurs des droits humains. Les paramilitaires quant à eux se présentaient alors comme des « patriotes héroïques » dont les services n’étaient plus nécessaires en raison de la force retrouvée de l’armée colombienne - ce qui permettait la démobilisation des AUC.

Le processus de démobilisation avait pour objectif de réintégrer dans la société les dirigeants des AUC, comme Salvatore Mancuso qui s’est enrichi avec le narcotrafic et d’autres activités criminelles et qui voudrait maintenant entrer en politique. Pour le président Alvaro Uribe Vélez la démobilisation des AUC devait représenter un bon résultat qui lui permettrait de plus de désigner les guérillas comme les principales responsables de la violence dans le pays. Les objectifs de la démobilisation annoncés officiellement étaient d’offrir aux dirigeants des AUC des peines de prison réduites en échange de la démobilisation de toutes leurs forces, la confession de tous leurs crimes et le démantèlement total de leur organisation criminelle, y compris les réseaux du narcotrafic. Le plan réel, par contre, visait à donner aux dirigeants des AUC une amnistie de fait en échange d’une démobilisation fictive de leurs forces, de la révélation de l’emplacement des charniers et de la dénonciation de politiciens et officiers militaires coupables de collaboration mais qui fussent déjà morts ou déjà en détention.

Selon la Loi Justice et Paix (la loi 975), approuvée en juin 2005, la plus forte peine que pût recevoir un paramilitaire était de huit ans. Le gouvernement Uribe Vélez permettait aussi que les années écoulées durant la négociation soit considérées « temps passé en détention » pour les dirigeants des AUC. Cela signifiait, si on ajoute les réductions de peine pour bonne conduite, que les dirigeants des AUC pouvaient n’être détenus que 22 mois bien qu’ils fussent responsables de crimes contre l’humanité. De plus, ils auraient passé ces 22 mois dans une propriété de l’Etat et non dans une prison de haute sécurité. Les dirigeants paramilitaires auraient ensuite été libres de réintégrer la société colombienne, de jouir de leurs richesses et de se lancer dans la vie politique.

En 2005 les Nations Unies ont publié un rapport qui révélait que les AUC avaient tué des centaines de personnes durant l’année précédente, en violation du cessez-le-feu que les paramilitaires avaient accepté de respecter pour participer au processus de démobilisation. Le président Uribe Vélez a ignoré le rapport des Nations Unies ainsi que les protestations insistantes des défenseurs des droits humains, colombiens et étrangers, signalant que les AUC ne respectaient pas le cessez-le-feu et indiquant que le processus de démobilisation n’était rien de plus qu’une amnistie pour des criminels de guerre. Le gouvernement Uribe Vélez était décidé à faire avancer la démobilisation conformément au plan d’origine et, en février 2006, environ 31 000 paramilitaires avaient supposément déposé les armes et réintégré la société. Les dirigeants des AUC étaient alors sur le point de bénéficier d’une amnistie de fait.

Mais quand, en mai 2006, la Cour Constitutionnelle colombienne a considéré que certains points de la Loi Justice et Paix étaient anticonstitutionnels, les choses ont commencé à mal tourner. Du point de vue des concepteurs du processus de démobilisation, l’aspect le plus néfaste de la décision de la Cour était l’interdiction d’ôter le temps des négociations du temps des peines à accomplir. En d’autres termes, la décision de la Cour signifiait que les huit années à accomplir ne devaient pas commencer tant que les négociations et la démobilisation n’avaient pas complètement abouti ni tant que les dirigeants des AUC n’avaient pas apporté aveux et témoignages exhaustifs.

Les dirigeants des AUC se sont plaints de la décision de la Cour et ils ont menacé de se retirer du processus de démobilisation. En même temps, le scandale de la para-politique, qui commençait à peine, révélait les liens existant entre les politiciens uribistes et les paramilitaires. Feignant de se distancier des paramilitaires, le président Uribe Vélez a durci sa rhétorique à l’encontre des 59 dirigeants des AUC puis, en décembre 2006, il a ordonné leur transfert de la zone rurale où ils étaient concentrés à la prison de haute sécurité d’Itagüà­. La décision de la Cour d’une part et la décision d’Uribe Vélez d’emprisonner les chefs paramilitaires d’autre part, cela a signifié le début de la fin de l’alliance scellée entre le paramilitarisme et le président pour le processus de démobilisation.

Le scandale de la para-politique a commencé avec des accusations selon lesquelles, lors des élections municipales et lors des élections pour le Congrès tenues en mars 2006, les dirigeants du paramilitarisme ont soutenu les candidats de la droite uribiste dans le nord de la Colombie pour garantir la victoire électorale du camp présidentiel. Puis le scandale a repris avec force lors de la saisie d’un ordinateur portable appartenant au dirigeant paramilitaire Rodrigo Tovar - également connu comme « Jorge 40 ». L’ordinateur n’a pas été livré aux autorités dans le cadre du processus de démobilisation ; il était en possession du bras droit de Rodrigo Tovar au moment de son arrestation début 2006.

Selon la Ministère public l’ordinateur contenait des preuves révélant que, dans le nord de la Colombie, des paysans sans emploi avaient été payés pour feindre d’être des combattants paramilitaires et participer au processus de démobilisation, cependant que les vrais paramilitaires continuaient de commettre des crimes. Parmi ces crimes, selon l’information apportée par l’ordinateur, on compte l’assassinat de 558 personnes rien que dans une seule région du nord de la Colombie durant le cessez-le-feu. L’ordinateur contenait également des preuves des relations des paramilitaires avec les politiciens locaux et nationaux et avec les forces de sécurité de l’Etat. Ce sont les données découvertes dans l’ordinateur de Rodrigo Tovar qui se trouvent à l’origine de l’enquête sur la para-politique, et non des aveux ou des preuves qui auraient été obtenus grâce à la Loi Justice et Paix.

Malgré la prise de distance entre le gouvernement Uribe Vélez et les dirigeants paramilitaires en raison du scandale de la para-politique, Mancuso continuait de s’en tenir au scénario prévu à l’origine lorsqu’on lui a demandé début 2007 d’apporter son témoignage selon les termes de la Loi Justice et Paix. Le dirigeant des AUC n’a révélé les cas de collusion avec le paramilitarisme que pour des politiciens ou des officiers militaires soit morts soit déjà en prison, protégeant ainsi les personnes encore en activité dans les institutions de l’Etat. Les témoignages des chefs paramilitaires servaient essentiellement à retrouver les charniers où gisaient les corps des milliers de victimes des massacres commis par les paramilitaires. Cette stratégie visait à apaiser les organisations de défense des droits humains et les organisations de victimes qui dénonçaient le processus de démobilisation comme une tromperie visant à faire croire que les dirigeants paramilitaires allaient confesser tous leurs crimes.

Le scandale de la para-politique, cependant, a connu de nouveaux rebondissements. Plus de 50 élus locaux et nationaux viennent d’être imputés, en mai 2007, soit par le Ministère public soit par la Cour Suprême en raison de leurs liens avec le paramilitarisme. Plus d’une douzaine d’entre eux ont été accusés d’avoir commis des crimes ; la plupart d’entre eux sont de proches alliés du président Uribe Vélez. Le fait que le scandale de la para-politique commence à ternir la réputation du président Uribe Vélez et à endommager la crédibilité de son gouvernement est apparu au grand jour lorsque le chef d’Etat colombien a dû faire face à des manifestations d’hostilités lors de sa visite à Washington en mai 2007. Certains représentants démocrates états-uniens ont émis des critiques assez fermes à l’encontre du chef d’Etat colombien, aussi bien sur la question de la crise des droits humains que sur la crise politique de son pays.

A la mi-mai 2007 Mancuso a promis de révéler, lors de son prochain témoignage officiel, les noms d’officiers militaires et de politiciens qui ont collaboré avec les paramilitaires et qui sont encore en activité. Pourquoi Mancuso changerait-il soudain de comportement en révélant la collusion des milieux officiels avec le paramilitarisme, quatre mois à peine après son premier témoignage, quand il n’en avait rien dit ? Peut-être que Mancuso a pensé que ses intérêts et ceux des autres dirigeants du paramilitarisme seraient mieux défendus s’il livrait des aveux complets ; le scandale de la para-politique commençait à rendre difficile le maintien des objectifs initiaux du plan de processus de démobilisation. Par exemple, si l’enquête sur la para-politique trouvait des preuves de collusion que les dirigeants des AUC emprisonnés avaient omis de confesser devant la justice, ils pouvaient perdre leur droit aux réductions de peine et ils risquaient donc de se voir appliquer des peines pouvant aller jusqu’à 40 ans de prison pour les crimes qu’ils ont commis.

Deux jours après l’annonce publique de Mancuso, disant qu’il allait révéler des noms de collaborateurs des paramilitaires, Semana -l’un des principaux hebdomadaires colombiens- a publié la transcription d’un enregistrement envoyé par une source anonyme proche du gouvernement. L’enregistrement des appels, faits à partir de la prison avec des téléphones portables par les dirigeants emprisonnés des AUC et par leurs bras droits, provient des écoutes effectuées par l’unité d’intelligence de la Police nationale. Cet enregistrement montrait que les dirigeants paramilitaires continuaient de gérer leurs organisations criminelles, y compris en se trouvant derrière les barreaux. L’enregistrement confirmait ce que disaient beaucoup de critiques du processus de démobilisation : il s’agissait plus d’une « réorganisation » que d’une « démobilisation » des AUC. En 2006 l’ONG colombienne INDEPAZ avait révélé que 43 nouvelles organisations paramilitaires avaient été formées pendant les deux années précédentes dans 22 des 32 départements du pays. De plus, des ex-commandants de niveau intermédiaire des AUC dirigeaient une grande quantité de nouveaux escadrons de la mort, ce qui montre le lien existant entre les anciennes AUC et la nouvelle génération de paramilitaires.

Mais pourquoi les milieux gouvernementaux révéleraient-ils l’existence des écoutes ? Il est possible que des membres de la Police nationale aient permis de faire connaître les enregistrements pour punir Mancuso en raison de sa promesse d’identifier des officiers militaires et des politiciens qui ont collaboré avec les paramilitaires. Quoi qu’il en soit, il appert que le gouvernement Uribe Vélez et les dirigeants des AUC ne sont plus en confiance, et les anciens alliés en sont réduits à se nuire mutuellement, chacune des parties tentant désespérément de sauver sa peau. Par ailleurs, l’investigation sur la question de la fuite des enregistrements a provoqué à un nouveau problème pour le gouvernement Uribe Vélez. Cette enquête a en effet permis de savoir que la Police avait sur table d’écoute, non seulement les dirigeants paramilitaires en prison, mais également des politiciens d’opposition et des journalistes.

Quelques jours après la publication de la transcription de l’enregistrement par l’hebdomadaire Semana, Mancuso a déclaré que plus d’une douzaine d’officiers militaires et de politiciens, y compris le ministre de la défense Juan Manuel Santos et le vice-président Francisco Santos -qui sont cousins-, ont participé à des conspirations avec les AUC. Mancuso a affirmé qu’il a rencontré personnellement le vice-président à quatre reprises à la fin des années 1990 quand ce dernier était responsable du quotidien El Tiempo - le plus important du pays. Mancuso a précisé que le vice-président Francisco Santos a voulu instaurer un bloc paramilitaire à Bogotá. Ces déclarations de Mancuso ont achevé de plonger le gouvernement Uribe Vélez dans le discrédit et elles ont définitivement mis un terme à l’alliance entre les dirigeants des AUC et le gouvernement.

L’objectif initial du processus de démobilisation était d’offrir une quasi amnistie aux dirigeants des AUC et de donner l’illusion d’une démobilisation paramilitaire sans révéler les liens entre les représentants de l’Etat encore en activité et les escadrons de la mort. Le scandale de la para-politique a détruit toute possibilité de blanchiment efficace des crimes perpétrés aussi bien par les paramilitaires que par des serviteurs de l’Etat. Il est important de noter que le scandale de la para-politique n’a pas été provoqué par le processus de démobilisation comme beaucoup de défenseurs d’Uribe Vélez l’affirment. Ce scandale est au contraire apparu de façon indépendante, avatar d’une enquête criminelle, et il a empêché le gouvernement Uribe Vélez et les dirigeants des AUC d’atteindre les objectifs qui étaient les leurs avec le processus de démobilisation.

Actuellement, résultat de la décision de la Cour Constitutionnelle, les dirigeants du paramilitarisme encourent des peines de prison de 8 à 40 ans, selon ce que seront les conclusions de l’enquête sur la para-politique. Par conséquent, les dirigeants des AUC ont maintenant de bonnes raisons d’être sincères et complets lors de leurs dépositions dans le cadre de la Loi Justice et Paix. De son côté, le gouvernement Uribe Vélez s’ébroue pour prendre ses distances vis-à -vis des paramilitaires et s’accroche aux résidus de crédibilité qu’il lui reste.

Ce qui avait commencé comme un pacte entre le gouvernement Uribe Vélez et les dirigeants des AUC -l’objectif étant de donner continuité à la longue histoire d’impunité et de collaboration entre les milieux officiels et les escadrons de la mort paramilitaires- a évolué vers une situation où chacun des deux ex-alliés se retournent l’un contre l’autre. Cela pourrait peut-être être le début du plus grand nettoyage des milieux politiques de l’histoire de la Colombie. Le processus de démobilisation, soigneusement conçu à son origine, ni ne souhaitait ni ne recherchait pareille conclusion.

Garry Leech


Source : Colombia Journal www.colombiajournal.org

ou
International Peace Observatory (IPO) www.peaceobservatory.org

 Traduction : Numancia Martà­nez Poggi




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 Photo : Paramilitaires AUC (Garry Leech)


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Texte de l’affiche apposée avant l’élection de la Commune de Paris, 25 mars 1871.

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