Il manifesto, mardi 9 janvier 2007.
« Glissant silencieusement dans la nuit du Golfe persique, les Navy Seals - écrivait un reporter excité du « New York Times » le 23 mars 2003- ont occupé deux terminaux pétroliers off shore par une série d’attaques hardies qui se sont terminées ce matin à l’aube, et sont arrivés à s’imposer face aux armes légères des gardes irakiens, obtenant une victoire sans effusion de sang dans la bataille pour le vaste empire pétrolier de l’Irak ». Une victoire qui fut immédiatement suivie, comme cela avait été programmée en plans détaillés par le Pentagone, par l’occupation des principales installations pétrolières du pays et celle, à Bagdad, du très surveillé ministère du pétrole par les troupes Usa alors que ces mêmes militaires étasuniens ouvraient les portes des autres ministères ou en abattaient les murs pour inviter la foule au saccage de l’histoire et de la mémoire de l’Irak.
Dans les prochains jours, voire prochaines heures, selon ce qu’a écrit dimanche l’hebdomadaire britannique « The Independent of Sunday », l’Administration Bush et le cartel des principales compagnies pétrolières, seraient sur le point de mettre définitivement la main sur le pétrole de ce que Paul Wolfowitz avait défini comme « un pays qui navigue sur le pétrole ».Un pays considéré comme le troisième au monde pour les réserves pétrolifères, après l’Arabie Saoudite et l’Iran, mais qui, en réalité, pourrait être le second, si ce n’est le premier. Officiellement l’Irak a des réserves pour 115 milliards de barils de pétrole, 10% du total mondial, mais il y aurait en fait dans son désert occidental des quantités de pétrole encore inconnues. Il s’agit d’un pétrole d’excellente qualité et très facile à extraire, au point que dans certaines zones, les autorités ont du couler du ciment pour éviter que les citoyens, en creusant, ne fassent jaillir du sol l’or noir. Un pétrole qui coûte donc très peu à l’extraction.
Ce jardin des délices sera de nouveau là pour les pétroliers, à plus de trente ans de la nationalisation du secteur conduite par le président de l’époque, Hassan al Bakr et son vice président Saddam Hussein, en 1972 : prêt à être exploité dans des conditions très favorables par les grandes multinationales comme Bp et Shell, britanniques, et les étasuniennes Exxon et Chevron. Peut-être quelques miettes relatives aux gisements de Nassiriya pourraient-elles être laissées par les compagnies Us à l’Eni (Ente nazionale idrocarburi, la société nationale des hydrocarbures, italienne, fondée par Enrico Mattei, NDT). Quelque chose d’assez différent de ce qu’il aurait pu advenir si Enrico Mattei n’avait pas été tué dans son avion le 26 octobre 1962 aux environs de Linate (aéroport de Milan ; l’enquête sur l’explosion en vol de l’avion personnel de Mattei, n’a toujours pas déterminé les causes de cet accident, NDT). Quelques jours plus tard le président de l’Eni aurait du mettre au point un accord avec le gouvernement irakien d’Abel Karim Kassem qui avait annoncé le 30 septembre la formation de la Société nationale irakienne pour le pétrole, avec une production annuelle de 20 millions de tonnes de pétrole. Un véritable défi aux sept soeurs.
La nouvelle loi qui sera discutée par le gouvernement de Bagdad pro-étasunien et pro-iranien et approuvée par le petit parlement issu des élections-farce de l’année dernière, s’écarte totalement de celles qui sont appliquées normalement dans la région et dans les pays en voie de développement : en effet, sous un système appelé « Production-Sharing Agreements », ou Psa, elle permet aux sociétés pétrolières de s’approprier 75 % des profits tant qu’elles n’auront pas récupéré les coûts supportés, pour ensuite descendre à 20%, à supposer que ce jour arrive jamais. Le double exactement de ce que le gouvernement de Saddam Hussein avait offert à la veille de la seconde guerre du Golfe à Total, pour le développement d’un grand gisement pétrolifère, et de ce qui est normalement pratiqué.
De plus, les contrats auront une durée trentenaire et si quelque gouvernement irakien à venir voulait changer de perspective et revendiquer la souveraineté de l’Irak sur son pétrole, il y aurait toujours des marines pour le rappeler à ses devoirs.
C’est pour cela qu’il s’agit d’un accord qui sera difficilement accepté par le peuple irakien. Les accords de Psa laissent bien sûr la propriété des gisements au pays hôte mais assignent une grande partie des profits aux sociétés qui ont investi dans les infrastructures et dans la gestion des puits, des oléoducs et des raffineries, et, de ce fait, la nouvelle loi irakienne serait la première de ce type jamais adoptée par un grand pays producteur de pétrole de la région. Sans compter qu’en cas de controverses entre l’Etat irakien et les sociétés pétrolières, la souveraineté irakienne n’aura aucune valeur et les parties en présence devront avoir recours à un arbitrage international.
Les sociétés pétrolières, selon le document obtenu par The Independent, pourront en outre exporter librement leurs profits sans aucune condition, et elles ne seront soumises à aucune taxe en le faisant. L’Arabie Saoudite aussi bien que l’Iran - de même que l’Irak de 1972 à maintenant- contrôlent par contre tous les deux leur secteur avec des sociétés d’état dans lesquelles il n’y a aucune place pour des sociétés étrangères, comme c’est le cas pour la plus grande partie des pays qui adhèrent à l’OPEC.
La loi constituerait donc une sorte de dangereux précédent pour l’Organisation des pays exportateurs, depuis toujours dans le collimateur des « néo-cons », pour lesquels la guerre et l’occupation de l’Irak auraient du servir à la désagrégation des pays arabes : l’Irak d’abord, la Syrie ensuite, et pour finir l’Arabie saoudite, et les pays musulmans comme l’Iran, pour tout à la fois laisser le champ libre à Israël et asséner un coup définitif à l’Opec. Et la constitution provisoire de l’Irak, écrite par les experts étasuniens, ouvre justement la voie à la division du pays en trois « patries ethniques », une kurde, une sunnite et la troisième chiite, qui gèreront de façon autonome l’exploitation des nouveaux puits pétroliers, en ne laissant au gouvernement central qu’un pourcentage de revenus dérivant des gisements déjà en exploitation. Cela signifiera non seulement un conflit permanent entre les trois entités, chacune pouvant être facilement rançonnée par les multinationales, mais constituera aussi la fin d’un rôle prééminent du gouvernement central et donc de toute forme de « welfare » et d’intervention de l’état dans l’économie.
La loi qui légalise la rapine des ressources irakiennes n’a pas été rédigée, comme on pourrait le penser, par le gouvernement irakien mais par BearingPoint, une société étasunienne soudoyée par le gouvernement étasunien pour « conseiller » les autorités de Bagdad, ayant son propre représentant fixe auprès de l’ambassade Us dans la « zone verte ».
En juin 2003, BearingPoint a eu un contrat pour « faciliter la reprise économique irakienne » auquel se sont ajoutés une série de tâches assez délicates : rédiger le budget irakien, réécrire la loi sur les investissements, organiser la collecte des impôts, rédiger les nouvelles règles libérales pour le commerce et les douanes, privatiser les entreprises irakiennes, mettre fin à la distribution des denrées alimentaires à prix politiques, créer une nouvelle monnaie et fixer les taux de change. Une fois perfectionnée, la loi sur le pétrole a été présentée au gouvernement étasunien, aux sociétés pétrolières et, en septembre, au Fond Monétaire International. De nombreux députés irakiens l’ignorent encore.
Stefano Chiarini
– Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
L’administration Bush élabore des plans pour un bain de sang en Irak, par Bill Van Auken.
Irak : Le pillage du pétrole est prêt, par Comaguer.
Les USA livrent l’ agriculture irakienne aux transnationales, par GRAIN et Focus on the Global South.
Falluja, les preuves du massacre au phosphore.