La nouvelle loi Irakienne sur les brevets - Une déclaration de guerre contre les fermiers
Octobre 2004
CLARIFICATION - Février 2005
Le rapport qui a été produit par Focus on the Global South et GRAIN en Octobre 2004 portant sur la nouvelle loi sur les brevets a reçu beaucoup d’attention dans le monde entier. Il a été aussi la cause d’un malentendu que nous désirons clarifier.
La loi n’interdit pas aux fermiers iraquiens d’utiliser ou de garder de côté leurs semences traditionnelles. Elle leur interdit de réutiliser les graines provenant de "nouvelles" variétés de plantes enregistrées sous cette législation. - pratiquement, cela veut dire qu’ils ne peuvent pas garder ces graines pour les réutiliser.
Le rapport a fait l’objet d’une révision pour refléter ceci plus clairement.
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Quand L. Paul Bremer III, alors administrateur de la coalition provisoire en Irak, quitta Bagdad en juin 2004, après le prétendu ’transfert de souveraineté’, il laissait derrière lui 100 ordres qu’il avait émis en tant que chef des forces d’occupation. Parmi ceux-ci, se trouve l’ordre 81 qui concerne les "Brevets, le design industriel, l’information non révélée, les circuits intégrés, et la loi sur les variétés de plantes". [1]Cet ordre a pour effet de remplacer la loi Iraquienne de 1970 sur les brevets et il a force de loi [2] jusqu’à ce que la nouvelle administration décide de le réviser ou de l’abroger. Avec cette loi, les Etats-Unis ont posé un jalon supplémentaire important pour la transformation radicale de l’économie de l’Irak et ceci avec des implications majeures pour les paysans et l’avenir de l’agriculture dans ce pays.
Qui en profite ?
En Irak presque tout le système de production de semences a opéré, depuis plusieurs générations de façon informelle et non régulée. Les pratiques agricoles ont pendant longtemps eu comme base les graines de semences conservées dans les fermes où l’innovation est gratuite et où l’échange de semences se fait parmi les communautés de paysans. Tout ceci appartient maintenant au passé. Le CPA a rendu illégal le réemploi par les fermiers iraquiens des semences provenant de nouvelles variétés légalement enregistrées. Les fermiers iraquiens peuvent continuer à utiliser et à garder de côté les graines de leurs réserves traditionnelles ou plutôt ce qu’il en reste après les années de guerre et de sécheresse. Mais ceci ne constitue pas le programme de reconstruction qui est à la base de la législation. Le but de cette loi est d’établir plus facilement le marché des nouvelles semences en Iraq où les corporations multinationales peuvent vendre leurs semences, qu’elles soient génétiquement modifiées ou non, aux fermiers qui devront les racheter au moment de chaque récolte. Tandis qu’historiquement la Constitution irakienne interdisait les droits de propriété privée sur les ressources biologiques, la nouvelle loi des brevets, imposée par les Américains introduit un système de droits monopolistique sur les semences. On a ajouté à l’ancienne loi irakienne tout un chapitre sur la protection de variétés de plantes (PVP), qui prévoit de ’protéger les nouvelles variétés de plantes’. PVP est un droit de propriété intellectuelle ou un genre de brevet pour les variétés de plantes donnant des droits exclusifs de monopole à un sélectionneur qui prétendrait avoir développé une nouvelle variété. Ainsi la ’protection’ dans PVP n’a rien à voir avec la conservation mais se destine plutôt à protéger les intérêts commerciaux des sélectionneurs privés (souvent de grandes Corporations) qui prétendent avoir créé de nouvelles plantes.
Les conditions imposées par la Convention de l’UPOV [3]pour qu’une variété de plante soit qualifiée de PVP, sont les suivantes : elle doit être nouvelle, distincte, homogène est stable. Les graines développées par les paysans ne peuvent répondre à ces critères, et ainsi les droits accordés sous le PVP seront exclusivement réservés aux Corporations. Sous cette mesure les sélectionneurs se voient donc octroyés des droits exclusifs de produire, reproduire, vendre, exporter, importer et stocker les variétés protégées. Ces droits ne concernent pas seulement les graines mais aussi les récoltes y compris des plantes entières ou des parties de plante obtenues à partir de l’utilisation de variétés protégées. Ce genre de système de PVP est souvent la première étape qui mènera éventuellement au brevetage du vivant. En effet dans le cadre de cette loi, le brevetage de plantes et d’animaux n’est pas exclu.
La durée du monopole octroyé est de 20 ans pour les plantes agricoles et de 25 ans pour les arbres et les vignes. Durant cette période la variété protégée devient de facto la propriété personnelle du sélectionneur, et nul ne peut la planter ou l’utiliser d’une façon ou d’une autre sans compenser ce dernier. Sous les provisions de cette nouvelle loi, [4] les paysans irakiens ne peuvent plus librement et légalement planter ou conserver des graines de semences de n’importe quelle variété de plantes enregistrées. Cela les prive donc d’un droit qui est considéré par eux et par beaucoup d’autres de part le monde comme étant un droit inaliénable ; celui de conserver et de replanter les graines.
Contrôle des Corporations
La nouvelle loi est présentée comme étant nécessaire pour assurer l’approvisionnement de graines de bonne qualité en Irak et de faciliter l’accession de l’Irak à l’OMC. [5] En réalité, elle facilite la pénétration de l’agriculture irakienne par des géants qui contrôlent le commerce mondial de graines tels Monsanto, Syngenta, Bayer et Dow Chemicals. Cette loi a réussi à éliminer la compétition venant des paysans, ce qui est une condition préalable pour aider ces multinationales à lancer leurs opérations en Irak. Prendre contrôle du premier maillon dans la chaîne alimentaire est leur prochaine étape. En dépit de la résistance farouche contre les OGM venant des paysans et des consommateurs à travers le monde, cette nouvelle loi encourage explicitement la commercialisation de graines génétiquement modifiées. Ces multinationales ignorent cette résistance et ne retiennent qu’une seule et unique considération - leurs profits.
En dépit de ce que l’Industrie veut bien nous faire croire, les graines génétiquement modifiées ne réduit pas l’utilisation de pesticides mais par contre posent un risque à l’environnement et à la santé et augmentent la dépendance des fermiers sur les agrobusiness. Dans certains pays, en Inde par exemple, la dissémination ’accidentelle’ des OGM est faite de façon délibérée [6] puisque la ségrégation entre les cultures GM et non-GM n’est pas possible. Aussitôt introduit dans le cycle agro écologique, ce n’est plus possible d’ enlever ou de nettoyer la pollution génétique. [7]
En ce qui concerne l’argument de l’OMC, l’Irak a légalement un certain nombre d’options pour se conformer aux règles de l’organisation sur la propriété intellectuelle mais les Etats Unis ont tout simplement décidé que l’Irak ne devrait ni les explorer ni en bénéficier.
Sous la Façade de la reconstruction
L’Irak est un pays de plus sur la scène mondiale, à subir cette impulsion globale de faire adopter des lois de brevets sur les semences, pour protéger les droits monopolistiques des corporations multinationales aux dépens des fermiers locaux. Beaucoup d’autres pays du sud ont été forcés [8]à adopter des lois de brevets sur les semences à travers des traités bilatéraux [9]durant cette dernière décennie. Le Sri Lanka [10]et le Cambodge [11] en sont des exemples flagrants : sous la pression des Etats-Unis, ils ont adoptés des lois sur la protection des plantes basées sur le modèle UPOV et celles-ci vont bien au-delà des normes requises par l’OMC concernant les Droits de Propriété Intellectuelle. Les pays sortant des conflits ont aussi été ciblés de la même manière, comme dans le cas de l’Afghanistan [12]qui vient de signer un accord de Commerce et d’investissement avec les Etats-Unis dans le cadre de la reconstruction et qui comprend aussi des mesures relatives aux droits à la propriété intellectuelle.
Mais l’Irak est un cas particulier car l’adoption des lois sur le brevetage n’a pas été faite dans le cadre des négociations entre Etats souverains, ni non plus par un corps souverain qui reflète la volonté du peuple Irakien. La loi sur le brevetage en Irak n’est rien d’autre qu’une mesure supplémentaire pour effectuer la transformation radicale et complète de l’économie d’un pays occupé, ’d’après les dogmes néo-libéraux des forces d’occupation. Cette transformation ne consiste pas seulement à faire adopter des lois préférées mais aussi à mettre sur pieds des institutions qui sont plus favorables au régime du marché.
L’ordre 81 n’est qu’un ordre parmi les 100 ordres laissés derrière lui par Bremmer qui jettent les bases d’un régime néo-libéral en Irak, l’objectif premier des Etat-Unis. Parmi les plus notoires et questionnables se trouve l’ordre 39 qui met en place le cadre légal pour l’économie de l’Irak en donnant aux investisseurs étrangers les mêmes droits que les Irakiens pour l’exploitation du marché domestique. Dans leur ensemble, toutes ces lois qui couvrent pratiquement tous les aspects de l’économie - y compris le commerce, le mandat de la banque centrale, les règlements sur les activités des syndicats, etc -démontrent clairement le but visé.
L’ ordre 81 déclare de manière explicite que ses clauses sont compatibles avec la ’transition d’une économie planifiée et non transparente à une économie de marché libre qui est caractérisée par la croissance économique soutenable à travers l’établissement d’un secteur privé dynamique, et la nécessité d’instituer des reformes institutionnelles et légales à cet fin.’ Le US Agency for International Development qui est le moteur derrière ces ’réformes’ a adopté depuis octobre 2003 un programme de développement et de reconstruction de l’agriculture en Irak (ARDI). Pour le réaliser, on a accordé un contrat d’une année de $5 million à une firme de consultant Américaine, Development Alternatives Inc. [13]et qui a comme partenaire l’université de Texas A&M. [14] Une partie de ces travaux ont été sous-traités à une firme Australienne, Sagric International. [15]Sous la façade de la reconstruction de l’agriculture de l’Irak, le véritable objectif de ARDI est de développer les opportunités dans l’agrobusiness pour les firmes étrangères et d’ouvrir le marché irakien à des produits et services agricoles venant d’ailleurs.
Ainsi le travail de reconstruction n’est pas nécessairement de reconstruire l’économie et les capacités domestique mais consiste à aider les firmes approuvées par les forces d’occupation à profiter au maximum des opportunités en Irak. A travers la loi cadre mis en place par Bremmer, on s’est assuré que même si les troupes Américaines quittent l’Irak dans un avenir pas trop lointain, sa domination économique, elle, ne sera pas affectée.
Souveraineté alimentaire
La souveraineté alimentaire est le droit d’un peuple à définir sa politique d’agriculture et sa propre nourriture, à protéger et à régler le commerce et la production agricole domestique, à décider de la façon par laquelle la nourriture sera produite et de ce qui devrait être importé ou produit localement. La revendication pour l’a souveraineté alimentaire et l’opposition au brevetage des semences ont été au centre même de la lutte des petits fermiers à travers le monde durant la dernière décennie. En changeant fondamentalement le régime de droits à la propriété Intellectuelle, les Etats-Unis se sont assurés que le système d’agriculture de l’Irak restera sous ’occupation’.
L’Irak a le potentiel de se nourrir, mais au lieu de développer cette capacité les Etats Unis ont façonné l’avenir de son agriculture et de sa politique alimentaire pour servir les intérêts des Corporations Américaines. Le nouveau régime des droits de propriété intellectuelle ne démontre aucun respect pour la contribution des paysans irakiens au développement d’importants produits agricoles, tel le blé, l’orge, les dattes et les légumineuses. Des échantillons de ces variétés développées par les fermiers avaient commencé à être préservés dans les années 1970s dans la banque de gènes du pays à Abu Ghraib, qui se trouve en dehors de Bagdad. On craint que tous ceux-ci aient été perdus durant ces longues années de conflits. Mais le Centre International de Recherche dans les Régions Sèches (ICARDA), basé en Syrie et qui fait partie du Groupe de Consultation International sur la Recherche Agricole (CGIAR), [16] détient toujours plusieurs variétés irakiennes.
Ces collections qui sont le témoignage du savoir-faire des paysans irakiens sont censées être gardées en fidéicommis par le centre. Elles représentent le patrimoine agricole de l’Irak appartenant aux paysans irakiens et doivent maintenant être rapatriées. Il y a eu des situations dans le passé où le germoplasme tenu par des centres de recherches internationales était passé entre les mains des scientifiques des pays développés. [17] Ce genre de bio piratage est encouragé par un régime de droits à la propriété intellectuelle qui ignore l’art déployé par le paysan en premier lieu et accorde des droits à un sélectionneur qui prétend avoir créé quelque chose de nouveau à partir du matériel et de la connaissance de ce paysan.
Tandis que la souveraineté politique demeure une illusion, la souveraineté alimentaire du peuple irakien a été rendue presque impossible par ces nouveaux règlements. La liberté et la souveraineté de l’Irak demeureront incertaines tant que les Irakiens ne contrôleront pas ce qu’ils sèment, cultivent, récoltent et mangent.
GRAIN et Focus on the Global South
– Source : GRAIN www.grain.org
La Journée Mondiale de l’Alimentation : Les paysans irakiens ne sont pas en train de célébrer
Quand la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) célébrait la biodiversité lors de la journée mondiale de l’alimentation le 16 octobre dernier, les paysans irakiens eux, pleuraient sa perte. 15 October 2004.
– Lire le communiqué de presse : www.grain.org