S’il existait encore le moindre doute sur la motivation pétrolière dans l’invasion et l’occupation de l’Irak, l’étude publiée récemment par plusieurs associations britanniques et étasuniennes PLATFORM, INSTITUTE FOR POLICY STUDIES, WAR ON WANT, GLOBAL POLICY FORUM, OIL CHANGE INTERNATIONAL, NEW ECONOMIC FOUNDATION : sous le titre : « CRUDE DESIGNS : THE RIP-OFF OF IRAK’S OIL WEALTH », téléchargeable sur le net en anglais et en arabe, le lèverait définitivement.
Ce document a été présenté par un de ses auteurs, GREG MUTTIT, le 26 mai 2005 à une réunion du syndicat des employés du pétrole à BASRAH.
Nul besoin d’attentats du 11 septembre, nul besoin d’armes de destruction massive, nul besoin de démocratie à construire, le destin de SADDAM HUSSEIN et de son régime étaient scellés dès l’instant où le chef d’orchestre du grand pillage, DICK CHENEY accédait à la Vice-présidence.
Le contexte pétrolier :
L’exploitation du pétrole irakien commence après la première guerre mondiale et elle est confiée, par la monarchie mise en place par la Grande-Bretagne, à une société internationale créée pour les besoins de la cause. Cette société : l’IRAK PETROLEUM COMPANY, fabriquée sur mesure par les gouvernements britanniques et français rassemble l’anglo-néerlandais SHELL, la future BP britannique, et la COMPAGNIE FRANCAISE DES PETROLES, future TOTAL. Les Etats-Unis qui, à l’époque, sont largement autosuffisants en pétrole forceront quand même la porte et un groupement de pétroliers US deviendra le quatrième larron actionnaire.
Le pétrole irakien est abondant, facile à extraire, donc très bon marché et comme le prix international se fixe à un niveau permettant aux producteurs des Etats-Unis qui ont des coûts de production plus élevés, posséder et exploiter un champ de pétrole en Irak garantit de plantureuses marges bénéficiaires. Après le coût d’état militaire du 14 Juillet 1958 qui renverse la monarchie, les nouveaux dirigeants irakiens voudront reprendre le contrôle de cette richesse. Après avoir éliminé ses rivaux, SADDAM HUSSEIN et le parti BAAS mèneront à bien cette tâche en nationalisant le pétrole en 1972. Parallèlement le régime consacrera tous les moyens nécessaires à la formation d’un personnel national capable à tous les niveaux d’assurer le bon fonctionnement et le développement de l’industrie pétrolière nationale.
Aussi, le jour même de l’arrivée de l’armée d’invasion US à Bagdad en mars 2003, le premier soin de l’envahisseur sera de prendre le contrôle du Ministère du pétrole et de s’approprier toute la documentation et l’information qu’il recèle. Ayant un mandat très précis, l’armée d’invasion laissera piller sans sourciller les autres ministères- tout comme les musées - mais celui du pétrole deviendra une forteresse imprenable et ses trésors ne tomberont pas entre « de mauvaises mains ».
Au nombre de ces trésors, les résultats des recherches géologiques, des forages effectués sur tout le territoire irakien constituent un véritable inventaire du potentiel pétrolier du pays. Potentiel énorme quand on sait que sur 80 champs pétroliers identifiés, seuls 17 étaient en exploitation avant l’invasion.
Il est donc possible de mettre en exploitation 63 nouveaux gisements et de hisser l’Irak à la première place des producteurs mondiaux.
Les compagnies pétrolières qui n’ignorent pas cette réalité ne dédaignent pas dans le même temps de semer l’inquiétude en parlant d’absence de nouveaux grands gisements dans le monde, d’une demande croissante bientôt impossible à satisfaire, des énormes appétits de la Chine et de l’Inde etç, etç..., discours connu qui a l’immense et immédiat avantage de faire monter les prix et les bénéfices.
La question qui se pose à la Maison Blanche, comme dans les états-majors des multinationales pétrolières, est donc de savoir qui va mettre la main sur la manne irakienne. Elle ne se pose d’ailleurs plus guère dans un pays gouverné par un pouvoir fantoche et occupé par une armée de plus de 200 000 hommes (militaires et mercenaires de tous poils) et les solutions mises au point dans la discrétion, avant d’être validées par le nouveau gouvernement irakien (qui sortira les 15 décembre des urnes comme un lapin d’un chapeau de magicien) sont très bien décrites dans le rapport.
La stratégie consiste à donner l’illusion que l’Irak n’est pas spolié et en même temps de s’assurer qu’aucun gouvernement irakien pour les décennies à venir ne pourra mette la main sur ce pactole. Une première mesure consiste à laisser la propriété et l’exploitation des 17 champs actuels aux nouveaux gouvernements régionaux institués par la nouvelle constitution. En pratique le pétrole de la zone Nord sera exploité par une société contrôlée par le gouvernement régional, gouvernement à dominante ou exclusivement kurde, et le pétrole de la zone Sud à une société contrôlée par le gouvernement à dominante chiite de cette région. La région du centre, autour de Bagdad, n’aura rien et les divisions ethnico-religieuses soigneusement entretenues par l’occupant et entérinées par la nouvelle constitution rendent très improbable un partage national de la richesse pétrolière existante ( sans oublier que la guerre, les destructions, les sabotages, n’ont pas permis à l’Irak de retrouver les niveaux de production d’avant l’invasion, loin s’en faut). Est donc ainsi mise en place un formidable outil de sécession économique.
La seconde mesure consiste à mettre en place un nouveau dispositif pour l’exploitation des 63 gisements nouveaux. Ce dispositif existe, est bien connu de l’industrie pétrolière internationale qui l’utilise en général pur l’exploitation de petits gisements dans des régions difficiles et dans des pays où le pouvoir politique central est trop faible et trop pauvre pour imposer autre chose que l’obtention d’un modeste bakchich. Il est souvent pratiqué par des « outsiders », sociétés pétrolières petites ou moyennes qui tentent leurs chances dans des zones à risque où les grandes hésitent à se lancer. Il est connu dans le monde pétrolier sous le nom de PRODUCTION SHARING AGREEMENT (PSA) *. Il s’agit d’un accord passé entre l’Etat, propriétaire du sous-sol et de ses ressources, et une société étrangère spécialisée à qui il confie pour des périodes longues (de 25 à 50 ans) l’exclusivité de l’activité productive et de ses revenus. Cette société de gérance investit, embauche, extraie, transporte, vend. Elle fait apparaître les réserves pétrolières qu’elle découvre dans son bilan alors qu’elle n’en est pas propriétaire mais ça fait monter le cours de ses actions en bourse. Elle fonctionne dans un cadre fixé pour toute la durée du contrat et intangible. Il est en effet stipulé que si jamais l’Etat venait à modifier des règles qui pénaliseraient le gérant, il en supporterait le coût. Exemple : si dix ans après la signature du PSA, l’Etat prend des mesures de protection de l’environnement qui entraînent des dépenses nouvelles pour le gérant, il doit compenser financièrement cette mesure nouvelle et rembourser au gérant les dépenses anti-pollution ainsi occasionnées ! Le fameux principe pollueur-payeur passe à la trappe ! Même chose en matière de nouveaux droits sociaux !
Ce type de disposition existait dans le défunt AMI (Accord Multilatéral pour l’investissement) et fait partie des exigences de base des grands prédateurs multinationaux qui créent ainsi l’insécurité permanente dans les revenus des travailleurs et des Etats mais veulent la sécurité des gains du Capital.
Dans un PSA, le gérant fait ce qu’il veut, sans aucune référence à une politique nationale de gestion raisonnée des ressources naturelles, sans référence à une politique des prix sur le marché mondial. Il achète la complicité de l’Etat propriétaire en lui versant une partie des bénéfices. Ceci peut paraître alléchant pour des dirigeants nationaux totalement soumis ou impuissants : aucun souci d’entrepreneur, aucune responsabilité et de l’argent qui tombe régulièrement. Mais il s’agit d’une façade trompeuse. Le gérant sera filiale d’un grand groupe multinational, il pourra assez facilement et artificiellement alourdir ses charges - en achetant très cher du matériel à des fournisseurs étrangers - et réduire ses recettes en facturant son pétrole très peu cher à sa maison mère laquelle empochera le gros de la marge bénéficiaire dans son pays d’origine ou dans un quelconque paradis fiscal. L’illusion d’une gestion nationale de la richesse pétrolière est totale. Il suffira de payer grassement quelques comparses irakiens mis à la tête de la Société d’Etat qui signera le PSA et le tour sera joué.
Conséquence indirecte mais certaine de cette perte de contrôle national : l’affaiblissement de l’OPEP. En effet, si les deux sociétés nationales en voie de création pour l’exploitation des gisements irakiens actuels peuvent adopter une attitude de défense collective des intérêts des pays producteurs, les gérants des PSA qui exploiteront les nouveaux gisements ne seront pas liés au cartel des pays producteurs. Ils produiront, vendront, feront des bénéfices à leur guise et dans leur seul intérêt. L’Irak pourra continuer à faire partie de l’OPEP, ce qui pourra peut-être satisfaire un orgueil national à courte vue, mais n’y pèsera en réalité d’aucun poids.
Les auteurs de l’étude ont cherché à chiffrer les conséquences financières de ces nouveaux contrats en comparant, pour un volume donné de pétrole extrait et vendu la recette d’une véritable compagnie pétrolière nationale vendant sur le marché international un pétrole au coût d’extraction très faible aux bénéfices reversés par le ou les gérants. Les résultats sont édifiants : la perte pour l’Etat irakien s’établit entre 60 et 150 milliards de dollars. Voilà le hold-up qui est en cours de préparation dans les coulisses et qui sera, à n’en pas douter, cautionné par le nouveau gouvernement irakien aux ordres. Un premier « couac » vient d’ailleurs de se produire, le gouvernement de la région Nord ayant déjà signé sans en avertir Bagdad, un PSA avec la société pétrolière norvégienne DNO qui vient de commencer à forer.
Ultime manifestation du cynisme et de l’impudence néocoloniale orchestrée par Washington et Londres : les PSA seront « vendus » à l’opinion publique irakienne et internationale en expliquant que face aux énormes charges de reconstruction du pays - en ne précisant pas qu’il a été dévasté par une guerre (du Golfe), une décennie d’embargo, des bombardements réguliers et l’état de guerre qui se poursuit- le gouvernement irakien doit donner la priorité à cette immense tâche à ses obligations en matière de santé, d’éducation ....et délègue à des professionnels riches et avertis le soin d’exploiter le pétrole.
Non seulement les agresseurs n’envisagent pas un instant des réparations pour les immenses dommages des guerres qu’ils ont conduites, mais en plus ils mettent la main sur la seule ressource qui aurait permis de faire face aux immenses besoins du pays. Le gouvernement irakien en sera réduit à vivre de mendicité auprès des institutions financières internationales et des myriades d’ONG qui viendront lui faire la charité de leur présence « humanitaire ».
*Quelques exemples de PSA
- Les premiers contrats de ce type furent signés avec l’Indonésie à partir de 1965 c’est-à -dire après le renversement de SOEKARNO et l’élimination physique - de 500 000 à 1 million de morts - du parti communiste indonésien et de tous ses sympathisants réels ou supposés.
- Au Timor Oriental après l’indépendance de ce petit pays très pauvre et saigné par sa guerre d’indépendance contre l’Indonésie,
- dans l’est du Congo (RDC) dans les régions où l’Etat congolais est quasiment absent, en Tanzanie .
- En 1994, ELTSINE, qui fut décidément un serviteur dévoué des intérêts occidentaux, fit voter par la Douma une loi autorisant les PSA en Russie. Le gouvernement russe, soucieux de redevenir maître chez lui, refuse désormais de l’appliquer. Une évolution analogue est en cours au Kazakhstan et en Azerbaïdjan dont les dirigeants avaient, eux aussi, cédé aux sirènes pétrolières occidentales jusqu’à la fin des années 90. Qu’importe : les pétroliers se rabattent sur l’Ukraine à qui ils laissent espérer des découvertes somptueuses et lui assurant une moindre dépendance par rapport au pétrole russe.
- Plus récemment en Syrie, en Jordanie et au Soudan.
– Source : Comaguer http://comaguermarseille.free.fr
Contre la Guerre Comprendre et Agir
Bulletin n°135 - semaine 49- 2005
[Comaguer a été créé après le 11 septembre 2002 par un groupe de citoyen-ne-s désireux de s’informer et d’informer sur les enjeux géopolitiques de notre monde, les guerres et plus particulièrement celle en cours en Irak]
Je refuse d’obéir. Jean Giono.
Démocratie au phosphore, par Giuliana Sgrena.
Irak : Détails d’un nettoyage ethnique soutenu par les USA, par Patrick Martin.
Irak : « Brisés, vidés et vivant au jour le jour » : La révolte des généraux, par Alexander Cockburn.
Vidéo Irak : Les yeux grands ouverts, AFCS.
Chaos irakien : une aventure coloniale dans l’impasse, par Claudio Katz.
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