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Balada triste, Pain noir, et la guerre civile espagnole

La guerre civile espagnole revient dans l’actualité avec deux films simultanément sur les écrans français : Balada triste, d’Alex de la Iglesia, et Pain noir, d’Agusti Villaronga, deux auteurs "périphériques", l’un basque, l’autre catalan des Baléares.

Chacun présente des aspects intéressants :

Balada triste rappelle la nature du Valle de los Caidos, que les circuits touristiques, y compris ceux destinés aux classes des lycées et collèges, incluent sans aucune précaution - c’est comme si on faisait visiter Auschwitz à des élèves en les invitant à en admirer l’architecture. Ce monument a été construit à la gloire des vainqueurs fascistes par des prisonniers républicains travaillant dans les mêmes conditions que dans les camps de concentration nazis ; des milliers d’entre eux y ont laissé la vie.

Quant à Pain noir, c’est une chronique de la vie dans les campagnes catalanes dans l’immédiat après-guerre civile (nous sommes en 1944) : là , les représailles contre les Républicains étaient d’autant plus faciles que tout le monde connaissait les engagements de chacun. Il est dommage que la traduction efface l’opposition entre espagnol et catalan et les passages parfois rapides de l’un à l’autre : les vainqueurs imposent l’espagnol aux Catalans vaincus, notamment à l’école, mais tous les gardes civils ne sont pas des brutes et l’un d’eux montre sa sympathie aux vaincus en utilisant fugitivement leur langue ; inversement, au collège des Frères Esculapes, un religieux montre sa dureté naturelle en laissant échapper une réprimande en
catalan.

Mais les deux films ont les défauts de leurs qualités :

Il n’y a pas de vision historique dans Pain noir, qui sombre dans un naturalisme nihiliste ; les vaincus semblent mériter de l’être, tant ils accumulent de noirceurs et de crimes, à la façon des paysans de Zola, sans qu’aucune figure positive n’émerge (sauf un tuberculeux, obsession personnelle de Villaronga, et un homosexuel, politiquement correct oblige). Andreu, le petit garçon dont on adopte le point de
vue (procédé tant de fois utilisé depuis Cria cuervos), choisit l’avenir confortable que lui assure la famille bourgeoise responsable de la mort de son père, et l’auteur semble l’approuver de vouloir échapper à la délétère atmosphère familiale. Finalement, le film prône l’arrivisme et confirme la maxime de l’instituteur fasciste malgré lui (il boit pour oublier sa trahison) : "Les vainqueurs ont plus de mérite que les vaincus".

Quant à Balada triste, elle montre l’essoufflement d’Alex de la Iglesia : il réutilise, transposée au sommet de la croix monumentale du Valle de los Caidos, la séquence de Chers Voisins (La Comunidad, 2000) où Carmen Maura escalade une statue dressée sur une haute terrasse madrilène, clin d’oeil à La Mort aux trousses où les héros sont suspendus du bout des doigts aux reliefs des statues du Mont Rushmore. Mais ici, au lieu d’humour, il n’y a plus qu’un symbolisme lourd, quand le rouleau aux couleurs du drapeau espagnol se déchire, brisant aussi en deux la colonne vertébrale de l’héroïne, facile personnification d’une Espagne coupée en deux. La fantaisie échevelée d’Alex de la Iglesia devient ici caricaturale, comme ses personnages : l’enfant qui, en 1939, voit mourir son père détenu au Valle de los Caidos, devient, dans son désir de vengeance, un adulte monstrueux, obèse et serial killer.

Ces deux films semblent le résultat d’une conception erronée du refus du manichéisme : il ne doit pas être refus de l’engagement et application obstinée à mettre les adversaires dos à dos. Mais ils sont de clairs symptômes de l’impasse historique dans laquelle se trouve l’Espagne depuis 35 ans : entre le putsch fasciste de Franco et son régime crapuleux et criminel et, d’autre part, la légalité républicaine, les autorités "démocratiques" refusent toujours de choisir : il y a aujourd’hui un projet "socialiste" pour dédier le Valle de los Caidos aux morts des deux camps !

Cette "transition démocratique" manquée est le leitmotiv de l’oeuvre de M. Vazquez Montalban ; ainsi, la police a rajeuni sa rhétorique et son look, mais l’idéologie des cadres est restée la même. Pendant qu’on attendait leur conversion idéologique spontanée, ce sont les nouvelles institutions démocratiques qui se sont droitisées : les Mossos d’Esquadra, la police autonomique catalane, sont, de façon répétée, au centre de polémiques pour faits de brutalité et de racisme ; ils deviennent des gardes civils design ( ce sont eux qui ont brutalement délogé les Indignés de la Plaça Catalunya à Barcelone).

Les anciens fonctionnaires de la République (1931-1939) ont bien obtenu, sous les premiers gouvernements socialistes, de Felipe Gonzalez, la reconnaissance de leurs droits à la retraite pour cette période, mais l’Etat refuse toujours de revoir les procès franquistes (même ceux qui étaient appelés : sumarisimos, c’est-à -dire : expéditifs !) et de réhabiliter les victimes du fascisme ; les soeurs de Salvador Puig Antich, dernière victime de Franco, en 1974, se battent encore pour faire reconnaître son innocence. Il faut même batailler pour obtenir l’ouverture des fosses communes où les franquistes jetaient leurs victimes, et dont les derniers témoins de cette époque connaissent encore l’emplacement. Il n’y a pas eu en Espagne, contrairement à l’Argentine, de loi de Obediencia debida y punto final (loi d’amnistie des crimes de la dictature), ce qui fait qu’on ne peut même pas l’abroger ! Les accords, confidentiels, établis dans le cadre de négociations entre les partis héritiers du franquisme et les partis de gauche, sont connus sous le nom de Pacte de la Moncloa et sont toujours en vigueur.

Cet attentisme des socialistes fait que chaque alternance politique est catastrophique : le PP (Parti Populaire, héritier du franquisme) revient sur les positions d’avant 1975 et remet en cause la légalité démocratique, notamment en ce qui concerne l’autonomie du Pays Basque
et de la Catalogne. Les élections anticipées de cet automne risquent de faire vivre à l’Espagne une nouvelle répétition de ce schéma, dans le contexte encore plus sombre de la crise économique.

Rosa Llorens

Rosa Llorens est normalienne, agrégée de lettres classiques et professeur de lettres en classe préparatoire. Elle a la double nationalité française et espagnole.

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