RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

L’aliénation linguistique

Une nouvelle rubrique pour Le Grand Soir. Je dois son titre au livre qu’Henri Gobard, un de mes professeurs à Amiens, publia au début des années soixante-dix chez Flammarion, avec une préface de Gilles Deleuze.

Dire « week-end », « datcha » ou « minestrone » ne relève pas de l’aliénation linguistique car le locuteur sait fort bien que, en l’occurrence, il utilise des termes empruntés à des langues étrangères. L’aliénation linguistique commence lorsqu’on parle inconsciemment une langue étrangère dans sa propre langue. Si je dis : « j’ai travaillé sur une ferme cet été », je parle anglais. Imaginons Brel chantant :

Sur le port d’Amsterdam

Y’a des marins qui chantent

Et Verlaine se lamentant :

Il pleure sur mon coeur

Comme il pleut sur la ville

« Il pleut à Paris » n’a pas le même sens que « Il pleut sur Paris ».

Autre exemple : Si je dis : « A la FNAC, il y a un espace dédié à l’informatique », je parle anglais. Je calque le verbe anglais « to dedicate » qui signifie à la fois (l’anglais est ici moins précis que le français) dédier et consacrer (« to dedicate one’s life to politics » signifiant « consacrer sa vie à la politique »). Et quand je dis : « Allez sur Internet, vous y trouverez un espace dédié », je ne parle plus aucune langue, je suis dans le néant langagier, le sabir intégral.

L’aliénation linguistique peut, a priori, concerner toutes les langues. J’écris ces lignes au lendemain d’un non-événement que le monde entier nous envie : l’annulation du match PSG-OM, rencontre que les médias nous ont présenté comme le « classico ». Ceux qui auraient osé parler d’un « classique » eussent été des ploucs. On s’en doute, la cause de l’aliénation se retrouve massivement dans l’anglo-américain, pas la langue de Shakespeare ou de Henry James, mais la langue du dollar, du baron Seillière, de Wall Street, de la CIA.
Lorsqu’on parle dans une autre langue à l’insu de son plein gré, on pense dans une autre langue. Orwell (qui connaissait sept langues) avançait même que penser dans une autre langue revenait à mal penser, techniquement, bien sûr, mais aussi moralement.

L’une des thèses d’Henri Gobard est qu’en amont de l’aliénation linguistique il y a le renversement qui s’est opéré depuis un demi-siècle environ lorsque l’économique a d’abord pris le pas sur la politique, puis l’a complètement déterminée. Cette subordination du politique à l’argent a débouché sur l’aliénation de la culture, donc de la langue qui n’est plus un espace de communication, d’échanges, de vibrations mais un facteur de conditionnement, une arme de décomposition. Le marché tue la culture, tue la langue après s’en être abreuvé.

Deux exemples pour la route et pour en finir provisoirement.

D’abord l’interjection « Woaou ! » Nous sommes ici dans la lallation. Ce surgissement pré-verbal est moins utilisé par les Étatsuniens dans la vie de tous les jours que par les auteurs des séries B de télévision en mal de vocabulaire (comme « O My God ! » traduit bêtement par « ô Mon Dieu » en français). Je propose au choix : « Ah, la vache ! », « Dingue ! », « Super ! », « Putain ! », « C’est pas vrai ! ». Liste non exhaustive.
Deuxième exemple : « Je l’ai connu deux ou trois ans en arrière », voire « il y a deux ou trois ans en arrière ». Il se trouve que l’expression anglaise « two or three years ago » a été progressivement supplantée, à l’oral puis à l’écrit, par « two or three years back ». Alors, bien sûr, « je l’ai connu il y a deux ou trois ans » est désormais complètement ringard.

A suivre.

URL de cet article 9361
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Auteur
Dominique Fernandez : Ramon
Bernard GENSANE
(Paris, Grasset, 2008) La lecture des livres de Dominique Fernandez (romans, livres de voyage, photographies) m’a toujours procuré un très grand plaisir. Avec, cependant, deux petits bémols. Pour se rassurer, j’imagine, Fernandez éprouve le besoin d’en faire des kilos, d’écrire jusqu’à plus soif. Dans son très beau livre sur Tchaikovski, par exemple, s’il ne nous décrit pas trois cents rues et artères russes, il n’en décrit aucune. Dans son Ramon, il nous inflige, par le menu (c’est le cas de le dire), (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Nous faisons semblant de ne pas comprendre le lien entre notre confortable niveau de vie et les dictatures que nous imposons et protégeons par une présence militaire internationale.

Jerry Fresia

Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.