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Les ravages de la LRU (suite)

Je commence ici la recension d’un ouvrage capital sur la lutte des universitaires contre les mesures sarkozystes visant à privatiser, à financiariser l’Université (Loi LRU) et à faire disparaître les concours de recrutement et le statut de fonctionnaire des enseignants du secondaire (« mastérisation »).

Publié aux Éditions du Croquant sous la direction de Claire-Akiko Brisset, L’université et la recherche en colère, un mouvement social inédit est la réponse scientifique, argumentée, pour tout dire magistrale, aux menées libérales et aux discours médiocres du Président de la République et de ses ministres de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et de l’Éducation nationale.

La catastrophe qui s’est abattue et continue de s’abattre sur l’enseignement français dans son ensemble vient de loin. Sarkozy, Darcos et Pécresse n’en sont pas les premiers responsables. Avec la complicité passive d’hommes et femmes politiques de « gauche » (Jospin, Allègre, Royal etc.), Chirac, Raffarin, Villepin ont mis en musique des partitions écrites depuis près de trente ans par les institutions dominées par la pensée capitaliste en Europe et dans le monde : la European Round Table of Industrialists (le grand patronat européen), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), les institutions européennes (la Commission, au premier chef), et même l’Unesco. Relais ou parties intégrantes du capitalisme financier, ces groupes et institutions visent, de fait, un seul objectif : faire des universitaires (enseignants, administratifs, étudiants) des marchandises. On y est presque.

Sarkozy, Darcos et Pécresse furent les agents de ce bouleversement stratégique, politique et idéologique. Un mot, donc, sur ces agents. Il est toujours bon de bien connaître son ennemi. Nicolas Sarkozy fut un élève et étudiant, disons moyen (ne l’accablons pas), mais meilleur que son fils. Il voue depuis toujours un mépris d’acier aux valeurs de la République Française, à l’Éducation nationale et aux fonctionnaires. Valérie Pécresse est la fille d’un des tout premiers universitaires-entrepreneurs que la France ait connue (http://blogbernardgensane.blogs.nouvelobs.com/archive/2009/03/26/pecre...). Cet obligé de Bolloré collabora un temps avec un des plus riches hommes d’affaires français, mis en examen pour proxénétisme aggravé et recel d’abus de biens sociaux. Valérie Pécresse a suivi des études brillantes dans une institution privée de sa ville natale (Neuilly-sur-Seine), puis dans une classe préparatoire d’un lycée privé de Versailles. Contre la volonté de sa famille (she’s a rebel !) qui voyait dans cette école un repaire d’affreux fonctionnaires, elle a intégré l’ENA. Elle n’a donc jamais mis les pieds à l’Université. Son mari est un grand entrepreneur. Avec la famille Roux-Pécresse, nous sommes très loin de la République, du service public, même si la petite-fille du médecin de Laurence Chirac (tout se tient) est, dans le civil, haut fonctionnaire. Sous des dehors très policés, sous un vernis rutilant (agrégé, professeur de classe préparatoire, docteur en littérature, doyen de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, mélomane averti), Darcos est un homme brutal, ambitieux, pour qui la fin justifie les moyens. Sa grossièreté est légendaire. En 2004, il insulte une personnalité de la majorité municipale bordelaise : « Que Mme Fayet cesse de mettre en avant sa fidélité à Alain Juppé. Ce n’est tout de même pas à la femme adultère de donner des leçons de fidélité conjugale ! » Ministre, il verra dans les enseignants d’école maternelle des essuyeurs de culs de bébé après cinq années d’études supérieures. Ce ne sont pas là des bavures, même si M. Darcos bavait. En 1983, il est relaxé par le tribunal de grande instance de Périgueux après une plainte de son supérieur hiérarchique qui l’avait soupçonné d’avoir fourni à ses élèves les sujets du baccalauréat (670 candidats durent repasser l’épreuve). Au ministère de l’Éducation nationale, il appointe son épouse (pour l’anecdote, arrière-petite-fille du gendre du général Boulanger) comme chef de cabinet adjointe. En 2005, Darcos avait été nommé ambassadeur de France auprès de - comme par hasard - l’OCDE.

Ne l’oublions jamais : ces gens tiennent nos destins entre leurs mains.

Le livre s’ouvre sur un chapitre introductif de Claire-Akiko Brisset : " La guerre de l’intelligence m’a tuer " . L’auteur montre à quel point les éminences politiques de notre pays, relayées par la grande majorité des principaux médias (exceptions notables : Libération, L’Humanité) ont menti, soit franchement, soit par omission, soit en obscurcissant la vue des citoyens par de misérables nuages de fumée. Exemple : François Fillon, le 22 avril 2009 qui déclare que le projet relatif au statut des enseignants-chercheurs est « parfaitement conforme aux aspirations des universitaires » alors que 95% de la profession le rejette, de droite comme de gauche.

Brisset cite des chiffres accablants qui montrent que l’Université française est dans une situation de grande pénurie : « La dépense moyenne par étudiant en 2007 est de 10150 € par an, la France se situant en dessous de la moyenne de l’OCDE, de 13890 € pour un étudiant de classe préparatoire à 8970 € pour un étudiant à l’université. »

Pourquoi changer le statut des universitaires ? « Il s’agit de faire des enseignants-chercheurs des employés de leur établissement - jusqu’à présent ils étaient fonctionnaires d’État - statut qui affirmait symboliquement leur indépendance vis-à -vis de toutes les pressions locales potentielles ; et de les assujettir à la culture du résultat. » Il s’agit également de « remettre en cause l’égalité de traitement des fonctionnaires, d’introduire le nouveau Management public et ses logiques gestionnaires infantilisantes à l’Université. » Il convient en outre de briser une fois pour toutes le type de relations professionnelles qu’entretenaient les universitaires : « substituer une hiérarchie à un mode de fonctionnement foncièrement collégial. Car, chose étrange, il n’y a sans doute pas de milieu plus démocratique que l’institution universitaire : toutes les décisions y sont prises de façon collective, par des acteurs élus par leurs pairs pour un mandat de quelques années (quatre ans pour un président d’université, par exemple) et qui ne tirent donc leur légitimité temporaire que de leur représentativité élective. » En se taisant face à cette mise à sac de la démocratie, la majorité des présidents d’université ayant cautionné les nouveaux textes ont donc commis une faute gravissime. Pour Sarkozy, il fallait enfin balayer la liberté de l’universitaire, pourtant inscrite dans le Code de l’éducation :

Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique.

Cet article du Code est désormais caduc.

Cela fait des années que les universitaires sont anesthésiés, épuisés par des réformes à répétition (une tous les deux ans), par l’obligation de l’urgence (monter des dossiers avant même d’avoir reçu les consignes ministérielles), par l’érosion de l’esprit critique, par le sentiment de crise permanente (sentiment impulsé de l’extérieur par les politiques), la gestionnite à tous les étages, la « servitude volontaire » qu’avait repéré La Boétie, ou encore la « fabrication du consentement » théorisée par Noam Chomsky.

Le drame est que les " réformes " sarkozystes sont encore en deçà des exigences du capitalisme international, telles qu’elles sont relayées par l’OCDE, comme, par exemple, la « Suppression du mécanisme d’ajustement automatique du Smic [de nombreux personnels de service et techniciens dans les universités gagnent moins que le Smic : les travailleurs pauvres n’émeuvent guère les conseils d’administration], assouplissement des procédures de licenciement ou augmentation des droits de scolarité dans l’enseignement supérieur figurent parmi les réformes prônées par l’OCDE pour élever le niveau de vie en France [si, si…]. »

Sarkozy et Pécresse, qui ont un torticolis à force de regarder vers les États-Unis, feignent de ne pas savoir que la plus riche des universités de la planète (Harvard, des dotations qui dégagent 570 millions de dollars d’intérêts par an, quatrième bibliothèque au monde, juste après la BNF) a été amenée à supprimer 275 postes et à en geler 9000 autres à cause de la crise financière, que Yale a annoncé la suppression de 600 postes en février 2009. Où est le problème ? Le monde continue de tourner car Sarkozy, comme Bush, a prêté des sommes délirantes aux banques qui s’en sont servi pour rémunérer leurs traders.

Depuis de nombreuses années (quand Bayrou était ministre, si je me souviens bien), on bassine les universitaires avec la notion et la pratique de l’évaluation. Le soupçon a été installé selon lequel un universitaire pouvait faire une carrière entière sans que jamais son travail ne soit contrôlé. C’est une ineptie, et nous y reviendrons. Ce qu’il faut savoir, car l’idéologie capitaliste se niche partout, c’est que l’évaluation est un concept inventé, il y a une bonne quarantaine d’années, par de grandes entreprises privées étatsuniennes. L’idée était - déjà - non pas d’aider les individus mais de les enfoncer en les opposant les uns aux autres et à eux-mêmes. Brisset a raison : l’évaluation est un mode « de contrôle et de domination ». A titre personnel, j’ai été très surpris lorsque, il y a plus de dix ans, un syndicat de gauche comme le Snesup ne vit rien à redire à cette pratique. Le problème est que pour évaluer il faut un paradigme, un curseur, un modèle. En l’occurrence, la plupart des gouvernants du monde ont choisi le tristement célèbre (nous y reviendrons également) classement de Shanghai, « crime scientifique presque parfait, agité comme un hochet au nez de l’Université française, sommée de se plier aux remèdes les plus libéraux censés stimuler ses talents. »

Changer les structures, c’est aussi (la relation dialectique est très étroite) bouleverser les superstructures. Pour ce qui intéresse les enseignants en général, il s’agit de la connaissance, « qui n’est plus considérée comme une fin en soi, mais comme un instrument mis au service de l’économie ». Les laboratoires de recherche vont donc être pressés comme des citrons, au détriment de la recherche fondamentale afin de favoriser une « recherche téléguidée » qui sera gratifiée de sommes d’argent considérables. Il aurait « fallu être fou », nous dit Brisset, pour mettre au point un nouveau système de recherche « et laisser les scientifiques s’en occuper avec élections, collégialité, mandats et tout le tintouin. Pour que ce système puisse fonctionner, il était impératif d’" assainir " la " gouvernance " [autre concept qui nous vient de l’entreprise privée étatsunnienne] et donc de se passer de représentation démocratique. » D’où la création, en amont des chercheurs, de l’Agence nationale pour la recherche, dont les membres sont nommés par le gouvernement. En aval, l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) « qui engloutit des sommes considérables dans ses expertises (parfois davantage pour une visite que le budget annuel du laboratoire qu’elle est chargée d’évaluer). »

A suivre…

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