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Inutile élection : Le peuple afghan pris au piège

« La guerre en Afghanistan ne réduit pas le risque terroriste et, loin d’améliorer la vie des Afghans, sème la mort et la désolation dans tout le pays. La Grande-Bretagne n’a rien à faire dans ce pays. »
Joe Glenton, un jeune déserteur britannique

Ce jeudi l’Afghanistan, nous dit-on, a rendez vous avec l’histoire. Elle va élire « démocratiquement » à la magistrature suprême le candidat désigné par Les Etats-Unis, en l’occurrence l’inamovible Karzaï. Hamid Karzaï, né le 24 décembre 1957 à Kandahar. Depuis décembre 2001, il est président de la République islamique d’Afghanistan. Il fait ses études en Inde. Il fait partie d’un petit mouvement de résistance afghan pro-royaliste, et est nommé vice-ministre des Affaires étrangères lorsque les moudjahidins prennent Kaboul en 1992. Il collabore ensuite avec les talibans mais, après la prise de Kaboul en 1996, il refuse le poste de représentant des talibans à l’ONU proposé par le mollah Omar. Hamid Karzaï est repéré dans les années 1990 par Zalmay Khalilzad, un afghan naturalisé aux États-Unis à l’époque ambassadeur des États-Unis en Afghanistan. Le Département d’État décide de le promouvoir comme futur président. Le 13 juin 2002, il est élu président pour deux ans par la Loya Jirga (assemblée coutumière des chefs de clans). Le 9 octobre 2004, soutenu par les États-Unis, il remporte le scrutin. Son autorité se limite à la capitale Kaboul.

« Malgré le foisonnement de candidatures à la présidentielle (41), écrit Zafar Hilaly, la compétition devrait vraisemblablement se résumer à un duel entre le président sortant et l’ancien ministre des Affaires étrangères Abdullah. (…) Voilà pourquoi le Pachtoune Hamid Karzai, issu de la plus importante communauté ethnique afghane (40 % de la population), les poches garnies de billets qu’il peut distribuer à loisir et flanqué d’une administration locale à ses ordres, est le favori incontestable.(…) Pour les Pakistanais, Hamid Karzai est une vieille connaissance. Son parti pris contre le Pakistan, d’abord contenu, s’est épanoui sous l’influence des Tadjiks de l’Alliance du Nord, qui vouent au voisin la même haine que les extrémistes hindous. Son rapprochement avec l’Inde en témoigne.(…) L’actuel chef de l’Etat afghan a forgé une alliance militaire avec l’Inde qui, selon certains, représente une menace non négligeable pour la sécurité du Pakistan. Intelligent, habile, corrompu et capable de tirer profit de toutes les situations, Hamid Karzai n’en est pas moins un dirigeant faible, un homme flexible comme un roseau, doté, pour reprendre les mots d’un président américain [Theodore Roosevelt], de "la colonne vertébrale d’un éclair au chocolat" - ce qui explique probablement pourquoi Washington l’a choisi pour en faire son représentant en Afghanistan. Le Pakistan et l’Afghanistan sont pourtant condamnés à coopérer. Le président pakistanais Asif Ali Zardari a eu, semble-t-il, raison de traiter Hamid Karzai en ami ». (1)

« Tout le monde s’accorde à penser que les Américains ne tiendront en Afghanistan guère plus de deux ou trois ans. Et, à moins qu’il ne parte avec eux, comme le président Thieu du Vietnam [en 1975], c’est l’homme que les Afghans se choisiront comme chef de l’Etat, le 20 août, qui présidera aux destinées du pays après leur départ. (…) A Washington non plus, personne ne retient son souffle : l’identité du vainqueur importe peu, car ce sont les Etats-Unis qui mèneront la barque afghane dans le futur proche ». (1)

Que devient le peuple afghan dans cette tragédie qui dure depuis plus de trente ans avec l’invasion de l’URSS ? On sait que les talibans avaient jusqu’ici appelé au boycott de ces élections, invitant les Afghans à prendre les armes contre les « envahisseurs » étrangers, les troupes internationales qui ont renversé le régime taliban fin 2001. Aujourd’hui, fortes de 100 000 hommes, les troupes de la coalition de l’Otan sont chargées avec les forces afghanes de veiller à la sécurité des élections. Les Afghans oseront-ils défier ces menaces directes pour aller soutenir des politiciens souvent discrédités ou corrompus ? Risqueront-ils leur vie pour voter pour le président Hamid Karzaï, dont la réélection semble déjà garantie de toute façon mais dont l’autorité s’affaiblit ? Un chiffre : en mars 2008, après plus de six ans de combat, selon les données de l’Afghanistan Conflict Monitor se référant au total de ceux qui ont péri dans cette guerre, il dépasse les 8000 personnes en 2007. Nous aurions un total estimé entre 20.000 et 25.000 morts entre octobre 2001 et juin 2008. (2)

Ajoutons à cela les bavures appelées pudiquement « dommages collatéraux » par drones interposés. D’ailleurs, obnubilé par la doctrine « zéro américain mort » on apprend que dans un article paru dans le Washington Post, que le Pentagone avait publié une proposition pour embaucher des « agents de sécurité », c’est-à -dire des mercenaires, pour accomplir certaines tâches pour lesquelles l’armée américaine ne dispose pas de personnel suffisant. Comme si cela ne suffisait pas, l’armée américaine réfléchit, en plus des drones qui font des ravages, au développement de robots sophistiqués pour être déployés sur les terres de conflits à la place des hommes. Pour les questions éthiques on verra plus tard… « A la prison de Bagram, écrit Mireille Delamarre, sont enfermés de nombreux détenus afghans, souvent pendant des mois voire des années, sans qu’ils puissent bénéficier de l’aide d’un avocat ou sans même savoir le motif de leur incarcération. Bagram est l’équivalent de Guantanamo en Afghanistan ». (3)

Dans la première année de guerre en Afghanistan, le coût financier de la guerre s’élèverait à $1 milliard par mois. Les États-Unis ont déjà envoyé 6000 missiles et bombes sur le sol afghan. Le coût de certains missiles s’élève à $1 million pièce. L’argent coule à flot et le peuple n’en voit pas la couleur. Une nouvelle faune détourne les ressources provenant principalement des Etats Unis. Cette nouvelle élite est en fait constituée des personnels d’agences d’aide étrangères gouvernementales ou non gouvernementales. « Cela pose une nouvelle fois, écrit Patrick Cockburn, la question de la complicité active à une guerre coloniale de ces agences et de leur personnel, dans un pays touché par une pauvreté extrême et ravagé par des années de conflits armés. Le mode de vie style "cage dorée" dévoile la vérité dans toute sa laideur concernant l’aide étrangère en Afghanistan. De vastes sommes d’argent sont gaspillées par des agences d’aide occidentales pour leur propre personnel en Afghanistan alors que l’extrême pauvreté poussent de jeunes afghans à combattre pour les Talibans. Actuellement les Talibans paient 4$ pour une attaque contre un barrage de police dans l’ouest du pays, mais les consultants étrangers à Kaboul, dont les salaires sont payés avec les budgets des aides pour l’étranger, peuvent bénéficier de salaires compris entre 250000$ et 500000$ par an.

« Les dépenses élevées pour payer, protéger et loger dans des conditions luxueuses les responsables occidentaux gérant les aides permet de comprendre pourquoi l’Afghanistan occupe la 174 ème place sur 178 sur une liste de l’ONU classant les pays selon leur richesse. En 2006, Jean Mazurelle, le directeur de la Banque Mondiale de l’époque, a calculé qu’entre 35 et 40% des aides ont été "mal dépensées". Il y a eu de nombreuses attaques contre des étrangers à Kaboul et des attentats suicide ont été selon les Talibans efficaces pour concentrer la plupart des expatriés dans des quartiers sécurisés où les conditions de vie peuvent être luxurieuses mais où on mène une vie aussi confinée que dans une prison. "J’étais dans la province du Badhakshan dans le nord de l’Afghanistan où vivent 830 000 Afghans, la plupart dépendant pour leur subsistance de l’agriculture," a dit Matt Waldman, directeur politique et conseil d’Oxfam à Kaboul. "La totalité du budget du bureau local de l’agriculture, irrigation et bétail, qui est extrêmement important pour les paysans au Badakhstan, est juste de 40 000$. C’est le salaire d’un consultant expatrié à Kaboul pendant quelques mois." (…) « Le programme d’aide international est plus important en Afghanistan car le gouvernement a peu de sources de revenus. Les dons des gouvernements étrangers constituent 90% des dépenses publiques. L’aide est bien plus importante qu’en Irak, où le gouvernement a des revenus pétroliers. En Afghanistan, le salaire mensuel d’un policier est seulement de 70$ ce qui n’est pas suffisant pour vivre sans toucher des pots de vin ». (4)

Alors qu’un attentat-suicide a frappé samedi 15 août le centre de Kaboul, les rebelles islamistes harcèlent les forces de sécurité afghanes et les troupes de l’Otan pour terroriser la population et empêcher les élections de jeudi Le spectaculaire attentat-suicide commis à Kaboul samedi 15 août révèle en tout cas de sérieuses brèches dans la sécurité de la capitale afghane. L’Otan et les Américains se rendent compte que la partie ne sera pas facile. Les Talibans se battent bien et occasionnent des pertes sérieuses. Dans une interview au quotidien de Wall Street, le 11 aout 2009, le général Stanley McChrystal, commandant des forces américaines en Afghanistan, estime que les talibans ont pris le dessus sur les troupes de la coalition.

Dans un entretien à CNN dimanche 9 aout, Susan Rice, l’Ambassadrice états-unienne à l’ONU, a confirmé pleinement cette perspective : « Je m’attends à dix années supplémentaires d’engagement des Etats-Unis, et je prévois que le coût de [cet engagement] sera bien plus grand que celui de la guerre d’Irak. Nous voulons investir ce qui sera nécessaire pour atteindre cet objectif ». D’ailleurs le président Obama a encore répété que la guerre ne sera ni facile ni rapide. Il a annoncé vouloir « gagner les coeurs et les esprits » des Afghans afin de retourner la population contre les insurgés. En clair, réduire les frappes aériennes, notamment dans les zones peuplées. Une stratégie qui n’a pas échappé aux talibans. Ils ont remis en circulation leur petit guide de conduite du combattant islamiste, datant du mois de mai, dans lequel il est recommandé de préserver les civils pour gagner leurs coeurs. Depuis Bruxelles, le 28 juillet, David Miliband, le ministre des Affaires étrangères britannique, a envoyé au président afghan un message "sans équivoque", narre le quotidien anglais Times. Alors que des élections générales doivent avoir lieu le 20 août en Afghanistan, il a appelé Hamid Karzai pour lancer le dialogue avec les talibans modérés. Réponse du berger à la bergère : « Nous ne parlerons jamais au gouvernement de marionnettes de Karzai », a déclaré le porte-parole des talibans, Yousuf Ahmadi, cité par l’AFP.

Quel serait en définitive la raison de cette guerre ? Ecoutons ce plaidoyer : « Motif principal de la guerre en Afghanistan en 2001, la guerre au terrorisme en Afghanistan est devenu un objectif secondaire mais préalable à la réalisation des enjeux militaro-pétrolier de la région. Il en est de même pour la démocratisation, la sécurisation et la stabilisation du pays. Ces objectifs secondaires auxquels s’ajoutent la reconstruction et l’aide humanitaire forment la base de la propagande de justification de l’intervention militaire occidentale en Afghanistan. (…) La majorité des gens normaux dans le monde sont sincèrement préoccupés par le sort fait aux femmes en Afghanistan mais il serait naïf de penser que l’administration Bush et les généraux de l’OTAN en ait fait un enjeu stratégique. C’est le dernier de leurs soucis sauf que c’est un motif vertueux très commode pour manipuler l’opinion publique. Donc la démocratie et la libération des femmes afghanes sont des motifs très secondaires, mais des arguments vertueux utiles pour la propagande de guerre ». (5)

Que dire en conclusion ? L’Otan, dit-on, est désarmée face à l4emprise talibane. L’analyse suivante nous parait pertinente : « (…) La vraie question est : quelle histoire l’Afghanistan est-elle en train d’écrire ? Il suffit de parcourir les rues de Kaboul, la capitale, et d’interroger les habitants sur la signification que le mot démocratie a pour eux. Les plus âgés disent qu’ils n’en savent rien, que ce mot n’évoque rien pour eux. D’autres, plus jeunes, observent que cette démocratie correspond à une augmentation de l’insécurité, et à une licence des moeurs qui, s’ils ne la réprouvent pas ouvertement, les gêne, car elle ne colle pas avec leurs traditions, même celles qui sont antérieures à l’époque talibane. En réalité, le problème le plus important de l’Afghanistan réside dans la méthode. On a voulu plaquer sur ce pays aux traditions, spécificités et fonctionnement très particulier, des recettes types, éprouvées mais adaptées à nos sociétés occidentales. Un fait tout simple : l’organisation de l’Afghanistan repose sur un système tribal et de pouvoirs locaux, villageois même. Il ne s’agit pas là des fameux chefs de guerre, mais de chefs de village, de tribus… Pas forcément talibans, ou fondamentalistes. Comment, alors, un président élu, même démocratiquement pourrait-il avoir une légitimité ? Mixer le respect de ces traditions avec une dose de démocratie peut permettre aux Afghans d’écrire leur propre histoire, tout en donnant un rôle d’acteur aux Occidentaux » (6)

Les Afghans forment une vieille civilisation. Ils sont harassés et fatigués de mourir tous les jours pour un pouvoir aussi pourri que les précédents. A Florence Aubenas qui les a côtoyés, ils avouent : « On ne touche que la poussière des 4x4, pas les milliards. » Sept ans après la chute des talibans, ni la communauté internationale ni le gouvernement afghan n4ont été à la hauteur des espoirs qu4ils avaient suscités. Et les Afghans souffrent toujours autant des rivalités claniques, de l4incompétence de leurs dirigeants, et surtout de la corruption. « Ils regrettent le temps des talibans. C4est tout dire »( 7)

A n’en point douter, ces élections ne changeront rien à la donne. On aurait cru que la grandeur des Etats-Unis sous l’ère Obama aurait permis l’avènement de la paix. Il ne faut pas oublier que les talibans, quand ils étaient en odeur de sainteté, avaient un bureau de recrutement à New York pour drainer l’internationale islamique contre « el kouffar » - les soviétiques - et disposaient des fameux lance-roquettes Stinger qui avaient fait des ravages dans les chars russes.

C.E. Chitour

1. Zafar Hilaly : Hamid Karzai prêt pour un second mandat The News18.08.2009

2. C.E. Chitour : Afghanistan La mort d4enfants au nom des valeurs de l4Occident 1 09 2008

3. Mireille Delamarre Les US ont de plus en plus recours aux sociétés sous traitantes http://www.planetenonviolence.org 18 Septembre 2008

4. Patrick Cockburn Profiteurs : De Guerre A Kaboul .The Independent 01/05/09

5. http://objection_votre_honneur.monblogue.branchez-vous.com 16 09 2007

6. Storytelling : Quelle histoire pour l’Afghanistan ? http://storytelling.over-blog.fr/

7. Florence Aubenas. Voyage dans un pays en miettes : Le Nouvel Observateur N° 31 07 2008

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Les éditocrates - Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle, Aude Langelin
Vous les connaissez bien. Leur visage et leur voix vous sont familiers. Ils signent tous les jours un éditorial dans la presse écrite ; ils livrent une chronique chaque matin sur une antenne de radio ; ils occupent les plateaux des grandes - et des petites - chaînes de télévision ; chaque année, voire plusieurs fois par an, leur nouveau livre envahit les tables des librairies. « Ils », ce sont les « éditocrates ». Ils ne sont experts de rien mais ils ont des choses à dire sur (presque) (…)
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