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Sondages et trucages : Opinion Way…

par Alain Garrigou, professeur de science politique à l’université Paris X-Nanterre, auteur de L’ivresse des sondages, Paris, La Découverte, 2002.

A l’approche des Européennes, les sondages se multiplient. Mais, au vrai, ces dernières années, journalistes sans idées, professionnels de la politique et experts auto-proclamés en « plans médias » en commandent toujours plus. Pire : ils s’en recommandent pour bâtir communications, programmes et stratégies. Faut-il croire les sondages ? On sait depuis Pierre Bourdieu que « l’opinion publique n’existe pas », indépendamment de sa fabrication par les sondeurs. Opinion Way va plus loin, mais constitue un cas d’école. Se reporter au site neuf mais d’utilité publique : http://www.observatoire-des-sondages.org.

L’entreprise de sondages en ligne Opinion Way remplace TNS-Sofres comme partenaire de TF1 pour les élections européennes de juin 2008. Au-delà de l’événement commercial, c’est un tournant dans l’histoire des sondages politiques. Opinion Way réalise en effet des sondages en ligne et non par téléphone ou en face-à -face comme les anciens instituts. Dans son rapport sur l’élection présidentielle de 2007, la commission des sondages avait exclu ce type de sondages de son contrôle. Malgré une visite d’explication de la méthodologie effectuée par les responsables de l’entreprise. A plusieurs reprises cependant, les enquêtes d’Opinion Way faisaient état de la mention légale « fiche détaillée disponible à la commission des sondages ». On pouvait deviner une effort de longue haleine pour obtenir la reconnaissance officielle. Alors que ces notices sont légalement accessibles aux citoyens, nos demandes réitérées d’éclaircissement sont demeurées sans réponse. La reconnaissance a donc été enfin accordée en catimini.

Ce dénouement était prévisible pour une raison économique de coûts : les sondages en ligne sont moins coûteux et l’on sait que les enquêteurs téléphoniques ont de plus en plus de mal à trouver des sondés. L’évolution était donc inscrite dans l’évolution économique de cette activité. D’autre part, les liens politiques existant entre les dirigeants d’Opinion Way et l’UMP et donc l’Elysée aujourd’hui, sont bien connus. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que TF1, chaîne de télévision proche de Nicolas Sarkozy, choisisse ce nouveau partenaire pour couvrir les élections européennes comme un banc d’essai pour les futures élections présidentielles.

La reconnaissance par la commission des sondages, organe officiel de contrôle composé de hauts fonctionnaires, est autrement problématique. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour deviner les pressions du pouvoir. La question de la rigueur méthodologique des sondages en ligne aurait-elle été résolue pour justifier son revirement ? La réponse est bien évidemment négative. Selon une étude effectuée en 2006 par Esomar, organisme européen regroupant les instituts de marketing et donc peu suspecte de critique excessive, les sondages en ligne ne sont guère fiables puisque 57 % des internautes admettent mentir. Mais plutôt que les graves questions méthodologiques sur la représentativité des échantillons d’internautes et autres problèmes de questionnement, l’usage d’internet introduit un changement capital dans ce qu’on pourrait appeler l’économie morale des sondages. Les internautes ne sont en effet plus sollicités au nom d’une expression citoyenne et gratuite mais en se voyant offrir la chance de gagner à un jeu de loterie des biens de consommation (appareils photos, bons d’achat, etc.). En d’autres termes, les nouveaux sondages sur les opinions politiques ou les intentions de vote sont donc payés aux sondés. Est-il besoin d’insister sur la révolution de principe introduite par ces sondages quand on sait par ailleurs la place croissante que les sondages ont prise dans la politique des régimes démocratiques.

Comment Opinion Way truque un sondage

Aux ordres de l’Elysée, l’officine de sondage Opinion Way - Opinion ElyseWay - est tellement aux ordres de l’Elysée qu’elle vient de se livrer à un trucage. Le Figaro du 30 mai 2009 publie un sondage en ligne sur la confiance à l’égard des dirigeants européens dans plusieurs pays. A la une, il n’est question que de Nicolas Sarkozy. On apprend en page 3 que la chancelière Angela Merkel le devance. Qu’importe puisque seul Nicolas Sarkozy importe. Cela est d’ailleurs inscrit dans la fiche technique du sondage. L’échantillon de plus de 4000 internautes « couvre » quatre pays : Allemagne, Grande Bretagne, Espagne et Italie. Nous passerons sur la méthodologie revendiquée du sondeur en ligne, qui sont une insulte à la méthodologie scientifique, pour nous arrêter à un vice caché.

Tous les dirigeants ne sont pas traités de la même manière : les internautes sont interrogés sur leur dirigeant national… sauf Nicolas Sarkozy. Comme la fiche technique l’indique, il n’y a pas d’échantillon français. Or, la symétrie exigerait que les Allemands ne soient pas interrogés sur Angela Merkel comme les Français sur Nicolas Sarkozy, et que par contre, les Français soient interrogés sur Angela Merkel comme les Allemands l’on été sur Nicolas Sarkozy. Et ainsi de suite. A quoi bon ? Cette « erreur » est éclairante : il ne s’agissait que de Nicolas Sarkozy. Les autres dirigeants ne sont que des faire-valoir. En outre, les Français auraient fait baisser son taux de confiance. Ainsi un sondage truqué peut-il être mis sur la place publique à des fins de propagande en pleine campagne pour les élections européennes.

Le trucage est-il délibéré ou involontaire ? Probablement, les truqueurs n’ont-ils pas eu pleinement conscience de ce qu’ils faisaient. Ils étaient en effet occupés par leur objectif de fournir un bon sondage pour Nicolas Sarkozy et les listes UMP. C’est en effet moins la tricherie qui est grave que le système qu’elle révèle un peu plus. Le pouvoir politique contrôle un institut de sondage en ligne, économique et rapide, qui répond à ses demandes. Aux mains des amis du Président, la presse gouvernementale favorable à ce pouvoir publie les résultats. Quant aux sondeurs concurrents, ils ne protesteront pas publiquement tant ils sont eux-mêmes dépendants des commandes d’Etat. L’Elysée et ses alliés expérimentent le dispositif qui doit les faire gagner en 2012. Cela ressemble de plus en plus à un dispositif totalitaire.

Quand le client commande jusqu’aux réponses…

Un sondage Opinion Way sur les opinions de quatre pays européens à l’égard de quelques chefs de gouvernements a servi de prétexte à l’éloge de Nicolas Sarkozy. C’était une contribution du Figaro (30-31 mai 2009) à la campagne de l’UMP pour les élections européennes. L’éloge reposait sur un trucage du sondage. Sans doute pas totalement sûrs d’eux, les sondeurs en ligne ajoutaient un autre trucage que l’observatoire des sondages gardait pour la bonne bouche. Les bonnes opinions en faveur de Nicolas Sarkozy atteignent en effet le taux étonnant de 51%. Juste de quoi passer la barre de la majorité qui faisait le titre du Figaro. Comme on l’a vu, cela était permis par l’absence d’un panel d’internautes français contrairement aux autres dirigeants européens. Il restait néanmoins à savoir comment était obtenue cette courte majorité. En se reportant aux chiffres détaillés du sondage, on obtient la réponse.

Nicolas Sarkozy obtient 31 % de bonnes opinions en Grande Bretagne, 49 % en Allemagne, 63 % en Italie et 59 % en Espagne. Cela fait exactement une moyenne de 50,5% arrondis par Opinion Way à 51%. Or, les populations de ces pays ne sont pas les mêmes. Si on effectuait les mêmes opérations de représentativité qui sont revendiquées par la fiche technique du sondage et qui prévalent en outre dans le nombre de sièges au parlement européen, il faudrait pondérer par la taille des populations. Pour comprendre la supercherie, il suffit d’imaginer que l’un des pays soit le Luxembourg avec ses 500 000habitants et qu’il compte autant que l’Allemagne avec 82,4 millions d’habitants. Bien entendu, il ne viendrait pas à l’esprit de faire comme si ces pays étaient équivalents. Sans être aussi différents, la population de l’Allemagne est néanmoins presque deux fois plus nombreuse que celle de l’Espagne (43,2). Or ce sont les pays les plus peuplés qui donnent les plus mauvais scores à Nicolas Sarkozy. En tenant compte de l’importance relative des populations, selon le principe habituel de représentativité dont se réclament les sondeurs, on obtient 49,5 % de bonnes opinions sur Nicolas Sarkozy. Opinion Way dispose donc de bons manieurs de calculette. On comprend mieux aussi le succès de cet institut de sondages en ligne qui est le partenaire et le pourvoyeur de TF1, LCI ou Le Figaro : le client ne commande pas seulement les questions mais les réponses.

A suivre…

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