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Le Rapport Anti-Empire

Prendre la torture au sérieux, ou pas.

Au Cambodge ils sont de nouveau en train d’organiser le procès d’un ancien haut-dirigeant des Khmers Rouges pour ses crimes de guerre commis entre 1975-1979 et pour crimes contre l’humanité. L’actuel accusé de ce procès organisé sous l’égide des Nations Unies, Kaing Guek Eav, qui dirigeait un centre de torture Khmer Rouge, a avoué les atrocités commises mais insiste qu’il ne faisait qu’obéir aux ordres. (1)

Comme chacun le sait, le Tribunal de Nuremberg a rejeté cette ligne de défense pour les accusés nazis. Tout le monde le sait, non ? Personne n’accorde plus le moindre crédit à une telle excuse, pas vrai ? On fait même des blagues sur les Nazis en les faisant dire « je ne faisais qu’obéir aux ordres ! » ("Ich habe nur den Befehlen gehorcht !")

Le problème est que c’est ce même argument qui a été avancé sous les deux administrations, Bush et Obama. Comme le nouveau chef de la CIA, Leon Panetta : « j’ai dit, ainsi que le président, que ceux qui ont agi selon le réglement établi par le Ministre de la Justice sur l’interprétation de la loi (sur la torture) ne seront pas poursuivis. Il est évident que je ne soutiendrai pas une enquête contre eux. Je pense qu’ils ont simplement fait leur travail. » (2) « Agir selon le réglement »… « faire son travail »… sont, bien-sûr, synonymes d’« obéir aux ordres ».

La Convention des Nations Unies contre la Torture (adoptée initialement en 1984), ratifiée par les Etats-Unis, stipule clairement : « aucun ordre d’un officier supérieur ou d’une autorité publique ne pourra être invoqué pour justifier la torture. » La Convention sur la Torture établit l’interdiction de la torture comme un des piliers du droit international, au même titre que l’interdiction de l’esclavage et du génocide.

Bien-sûr, ceux qui « donnent » ces ordres ne sont pas moins coupables. Le jour même de l’investiture d’Obama, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture a invoqué la Convention en demandant aux Etats-Unis d’inculper l’ancien président George W. Bush ainsi que le Ministre de la Défense Donald Rumsfeld, pour torture et mauvais traitements infligés aux prisonniers de Guantanamo. (3)

A plusieurs reprises, le Président Obama a exprimé ses réticences quant à faire poursuivre les officiels de Bush pour crimes de guerre, en des termes tels que : « Je crois que personne n’est au-dessus des lois. D’un autre côté, je crois aussi que nous devons aller de l’avant au lieu de ressasser le passé. » Le premier Ministre Cambodgien, Hun Sen, avance le même excuse pour ne pas punir les dirigeants Khmers Rouges. En décembre 1998, il affirmait : « Nous devrions creuser un grand trou et enterrer le passé et regarder vers le 21eme siècle et remettre les compteurs à zéro. » (4) Hun Sen est au pouvoir depuis toutes ces années et aucun dirigeant Khmer Rouge n’a été condamné pour ce massacre d’une ampleur historique.

En s’abstenant d’enquêter sur les officiels de l’administration Bush, Obama les place de fait au-dessus des lois. Comme les officiels Khmers Rouges. Michael Ratner, professeur de droit à l’université de Colombia et président du Centre pour les Droits Constitutionnels, a déclaré qu’une inculpation des officiels était indispensable pour définir les politiques futures. « La seule manière d’empêcher qu’une telle chose ne se reproduise est de faire en sorte que les responsables soient punis. Je ne vois pas comment nous pourrions retrouver notre autorité morale si nous permettons à ceux qui étaient étroitement impliqués dans le programme de torture de s’en aller comme s’il ne s’était rien passé, pour mener leurs petites vies tranquilles. » (5)

Une des raisons qui expliquerait ces réticences à engager des poursuites pourrait être qu’un procès révélerait différentes formes de complaisance ou de collaboration de la part du Parti Démocrate.

Il faut aussi souligner que les Etats-Unis ont soutenu Pol Pot (mort en avril 1998) et les Khmers Rouges pendant plusieurs années après leur renversement par les Vietnamiens en 1979. Ce soutien a commencé sous la présidence de Jimmy Carter et du Conseiller à la Sécurité Nationale, Zbigniew Brzezinski, et s’est poursuivi sous Ronald Reagan. (6) Les seules explications possibles pour une telle politique semblent être le ressentiment des autorités US à l’égard du Vietnam (un petit pays que la puissance monumentale US n’a pas réussi à vaincre) et ses liens d’amitié avec l’Union Soviétique. L’Humiliation peut vous ronger lorsque vous êtes une superpuissance.

Sans oublier non plus que les Khmers Rouges n’auraient probablement jamais pris le pouvoir, ou n’auraient jamais tenté sérieusement de le prendre, si les Etats-Unis n’avaient pas méthodiquement bombardé le Cambodge entre 1969 et 1970 et soutenu le renversement du prince Sihanouk en 1970 pour le remplacer par un homme de paille. (7) Merci à Richard Nixon et Henry Kissinger. Bon travail, les gars.

Au fait, ceux qui ne sont pas encore dégoutés par les nominations d’Obama, voici comment James Jones a débuté son intervention à la Conférence sur la Sécurité à Munich, le 8 février (2009) : « Merci pour ce magnifique hommage à Henry Kissinger, hier. Félicitations. Comme Conseiller à la Sécurité Nationale des Etats-Unis, je vais chaque jour chercher mes instructions auprès du Dr Kissinger. » (8)

Enfin, la Cour Suprême espagnole a annoncé qu’une enquête pour crimes de guerre serait lancée contre l’ancien ministre de la défense israélien et six autres hauts officiels pour l’attaque en 2002 qui couté la vie à un dirigeant du Hamas et 14 civils, à Gaza. (9) L’Espagne, depuis quelques temps, est le pays le plus actif sur le plan de la « juridiction universelle » relative aux violations des droits de l’homme, comme pour l’inculpation du dictateur chilien Augusto Pinochet, il y a 10 ans. Dans le cas des Israéliens, une bombe avait été larguée sur la maison du dirigeant du Hamas ; la plupart des victimes étaient des enfants. Les Etats-Unis font exactement la même chose tous les jours en Afghanistan ou au Pakistan. Etant donné que les présidents américains refusent d’invoquer ne serait-ce que leur propre « juridiction nationale » pour poursuivre des officiels américains pour (toux gêné) crimes de guerres, notre seul espoir est que quelqu’un rappelle aux autorités espagnoles quelques noms, comme "Bush", "Cheney", "Rumsfeld", "Powell", "Rice", "Feith", "Perle", "Yoo" et quelques autres à qui il manque une case, une case en forme de conscience.

Mais nous n’avons pas besoin de faire appel au droit international, car il existe une loi américaine contre les crimes de guerre, une loi votée par un Congrès à majorité républicaine, en 1996. (10)

Le commentateur israélien Uri Avnery a tenté de saisir l’état d’esprit de cette société israélienne qui produit de tels crimes de guerre et de tels criminels de guerre. Il a écrit : « ce système inculque à ses enfants un violent culte tribal, totalement ethnocentrique, qui interprète toute l’histoire du monde comme une répression sans fin des juifs. C’est la religion d’un Peuple Elu, indifférent aux autres, une religion sans compassion pour le non-juif, qui glorifie un génocide décrété par Dieu et décrit dans le livre de Joshua. » (11)

Il ne faut pas grand chose pour adapter cette affirmation aux Etats-Unis. Remplacez « juif » par « américain » et « peuple élu » par « exception américaine ».

[...]

William Blum

traduction partielle VD pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info

Texte original et complet en anglais :
http://www.killinghope.org/bblum6/aer67.html

Notes

(1) Associated Press, August 1, 2007
(2) Press conference, February 25, 2009, transcript by Federal News Service
(3) Agence France Presse (AFP), January 20, 2009
(4) New York Times, December 29, 1998
(5) Associated Press, November 17, 2008
(6) See William Blum, "Rogue State", chapter 10 ("Supporting Pol Pot")
(7) See William Blum, "Killing Hope", chapter 20 ("Cambodia, 1955-1973")
(8) http://www.realclearpolitics.com/articles/2009/02/jones_munich_conference.html
(9) Reuters news agency, January 30, 2009
(10) The War Crimes Act (18 U.S.C. 2441)
(11) Haaretz, leading Israeli newspaper, January 30, 2009

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Je n’ai aucune idée à quoi pourrait ressembler une information de masse et de qualité, plus ou moins objective, plus ou moins professionnelle, plus ou moins intelligente. Je n’en ai jamais connue, sinon à de très faibles doses. D’ailleurs, je pense que nous en avons tellement perdu l’habitude que nous réagirions comme un aveugle qui retrouverait soudainement la vue : notre premier réflexe serait probablement de fermer les yeux de douleur, tant cela nous paraîtrait insupportable.

Viktor Dedaj

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