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Ingrid Betancourt : le monologue du Président Sarkozy.

Le Président français Sarkozy est apparu en deux occasions au centre des médias de masse pour faire part de sa détermination à faire libérer la franco-combienne Ingrid Betancourt retenue en captivité par le mouvement de la guérilla colombienne des Forces Armées Révolutionnaires de l’Armée Populaire de Colombie (FARC-EP). Suite au succès des négociations menées par Hugo Chávez entre décembre et janvier derniers, lesquelles avaient permis la libération de quatre otages par les FARC, Sarkozy a déclaré être déterminé à obtenir la libération d’Ingrid, et être même prêt à s’impliquer directement, quitte à se rendre lui-même dans la jungle colombienne et à escalader ses montagnes.

Une fois loin des feux des caméras, Sarkozy a chargé son Ministre des Affaires Extérieures, Bernard Kouchner, d’aller négocier avec les FARC, un téléphone portable de longue portée en main.

De par ses antécedents de partisan enthousiaste de la guerre d’Irak (c’est ce pays qu’il avait choisi comme destination pour son premier voyage officiel en tant que ministre des Affaires Etrangères, manifestant du même coup son soutien aux troupes états-uniennes), de soutien inconditionnel depuis toujours de la guerre que mène Israël contre les palestiniens (y compris la guerre-génocide menée contre Gaza), et de par le rôle qu’il avait joué en tant que haut représentant des Nations-Unies au Kosovo dans les années 90 (lors de l’épuration ethnique de 200 000 serbes), il n’avait pas vraiment le profil d’un interlocuteur fiable pour négocier avec les FARC. Kouchner s’est néanmoins mis en contact par téléphone avec l’un des principaux dirigeants et négociateurs des FARC, Raul Reyes, en coordination avec le Président du Vénézuéla, Chávez, et le Président de l’Equateur, Correa. La CIA et les agents de l’Intelligence colombienne sont alors parvenues à mettre sur écoute les conversations téléphoniques de Reyes et Kouchner, avec ou sans l’assentiment de ce dernier.

Reyes (qui n’avait sans doute pas la moindre idée du rôle d’inermédiaire impérialiste que pouvait éventuellement être en train de jouer Kouchner) est donc entré en négociation plein de bonne volonté et a promis de libérer Ingrid ainsi que d’autres prisonniers en l’échange de la promesse d’obtenir réciproquement de la part du gouvernement colombien la libération de 500 prisonniers membres ou sympathisants des FARC. Pendant ce temps, le gouvernement combien continuait de mener des rafles massives et brutales dans les zones rurales, et une centaine de paysans suspectés de sympathiser avec les FARC étaient massacrés. Le président colombien Uribe continuait quant à lui d’affirmer que son objectif était la "libération" militaire des prisonniers. L’honteux échec de la tentative de Sarkozy de convaincre Uribe de négocier et le peu de volonté que Kouchner mettait à exercer la moindre pression sur ce dernier signèrent l’arrêt de mort de la mission humanitaire.

Un mois plus tard, Sarkozy convoquait à nouveau les médias et lisait une lettre adressée au chef des FARC, Manuel Marulanda, dans laquelle il exigeait de lui la libération immédiate d’Ingrid, sans quoi il devrait affronter l’opprobe de toute la communauté internationale et sa condamnation indéfectible pour crime contre l’humanité. Une fois de plus, les médias de masses allaient couvrir avec grand faste son discours, photos à l’appui, partout dans le monde. Il va sans dire qu’en tant que chef d’orchestre de tout ce rafus « humanitaire », Sarkozy n’a jugé utile ni de faire mention des demandes des FARC concernant la libération réciproque de prisonniers, ni de celles concernant la mise en place d’une zone démilitarisée pour y mener à bien les négociations. La silence du Maestro Sarkozy sur la campagne de bombardements menée alors par le Président colombien Uribe (et par son homologue George Bush) dans les zones rurales colombiennes, son refus de négocier avec les FARC n’ont pas été relevé ni pendant ni après son extravaganza médiatique. Ignoré par les FARc autant que par Uribe et Bush, Sarkozy s’est finalement tourné vers Chavez, lui demandant d’exiger des FARC des preuves de vie récentes, avec photos inclues, des prisonniers des FARC.

Les FARC ont alors fait savoir à Chavez et à Sarkozy qu’ils leur enverraient deux émissaires chargés de leur remettre les preuves demandées. Les deux émissaires seraient bien vite arrêtés par l’armée colombienne, torturés et mis en prison. Selon toute évidence, les communications Kouchner-Chavez étaient activement contrôlées. Durant tout le soi-disant « processus de négociation », les Etats-Unis soutenaient le gouvernement colombien qui alléguait du fait qu’il n’avait jamais reçu la moindre demande publique (pas plus bien sûr que d’exigence) de Sarkozy lui intimant de répondre par un acte positif aux gestes de bonne volonté des FARC en libérant un certain nombre de leurs prisonniers politiques.

Dans la nuit du 1 Mars 2008, un satellite de l’Intelligence états-unienne signalait avec précision le lieu où se trouvait Reyes, tout juste de l’autre côté de la frontière équatorienne, et Uribe donnait l’ordre aux forces colombiennes de bombarder le campement des négociateurs des FARC. Cette attaque menée en dehors des frontières colombiennes tuerait Reyes (le chef des négociateurs des FARC), 18 autres guerilleros, quatre universitaires mexicains et un civil équatorien. Cette opération, en plus de constituer, une violation flagrante de la souveraineté équatorienne, a brutalement fait avorté le processus de négociations. Uribe a ainsi délibérément assassiné le principal négociateur des FARC, celui-là même qui travaillait avec Sarkozy, Chavez et Correa. C’est une évidence que de dire que cette tentative de concession humanitaire a été extrèmement coûteuse pour les FARC, en termes de vies et de perte de dirigeants clés. Cela les a évidemment rendu beaucoup plus vulnérables aux possibles détections et aux attaques du gouvernement colombien.

A aucun moment Sarkozy ou Kouchner n’ont critiqué l’action d’Uribe. De fait, Kouchner a même vanté les attaques antiterroristes menées par Uribe.

Sarkozy, à la façon de ces acteurs dont les vieilles blagues ne font plus rire personne à part quand ils feignent le tragi-solemnel, a alors convoqué, une fois de plus, les médias de masse pour informer les FARC que la Croix Rouge Internationale avait la permission de rencontrer Ingrid. Il a annoncé l’envoi d’un avion vers la Colombie avec du personnel médical français à son bord et a demandé aux FARC de préparer un contingent pour accompagner la malade (Ingrid) jusqu’à la délégation française afin qu’elle puisse être soignée. Reléguant les FARC au rang de second rôle, le chef d’orchestre Sarkozy a affirmé que ceux-ci n’avaient pas d’autre choix que celui de suivre sa baguette car, selon lui, dans le cas contraire, ils révèleraient leur « inhumanité » en interdisant à « une prisonnière malade, pratiquement en phase terminale » de recevoir des soins qui lui sont vitaux.

Comme tout maître-chanteur qui se respecte, Sarkozy a pratiquer la technique du "toujours plus" après le premier paiement. Une fois les « preuves » de vie mises en sécurité, il a exigé de nouvelles concessions unilatérales. Début Avril, Sarkozy il organisa sa petite mise en scène à la suite d’une manifestation à Paris pour « Libérer Ingrid ». L’avion rempli de personnel médical a ensuite atterri en Colombie et, comme à son habitude, Sarkozy ébaucha une mise en scène grandiose, offrant de se rendre lui-même en Colombie si c’était nécessaire, tout en sachant pertinemment que ce n’était qu’un tour de passe-passe médiatique bon marché.

Il est cependant intéressant de noter qu’à cette occasion aucun latinoaméricain n’est venu lui offrir son soutien. La Présidente argentine, Cristina Kirchner, qui était en visite officielle à Paris, a rappelé aux médias que la libération de Betancourt devait particper d’un échange réciproque de prisonnier, un couac dans le concert de Sarkozy. Le Président Chávez a été plus direct, lui : il a dit à Sarkozy qu’il ferait mieux d’adresser son message humanitaire aux Présidents Bush et Uribe, principaux obstacles à tout échange réciproque de prisonniers.

L’avion de Sarkozy s’est donc posé sur une piste colombienne, où le contingent français a attendu, s’ennuyant de plus en plus au fil des jours, et ne souhaitant plus pour terminer qu’une chose : rentrer à Paris. La Croix Rouge ne recevrait pas le moindre message des FARC. Les FARC ne répondraient pas, trop conscients du fait que toute communication ou toute mission humanitaire permettrait à l’armée de mener de nouvelles attaques contre leurs négociateurs.

Les exigences et les ordres faits aux FARC resteraient donc sans réponse. Le spectacle mis en place ne retiendrait pas l’attention des médias.

Le silence des FARC était prévisible. Ils savaient que toute communication avec Bernard Kouchner serait mise sur écoute par ses amis de la CIA. Pas d’échanges, pas de consultations, pas de sécurité, pas de réponse. Les Présidents latinos qui avaient montré de l’intérêt pour les précédentes mises en scènes humanitaires médiatiques n’enverraient pas le moindre petit fonctionnaire pour accompagner l’ennui des personnel médical et médias français dans un aéroport infesté de moustiques. Au bout de plusieurs jours, les FARC envoyaient par e-mail un communiqué (daté du 4 Avril 2008 ) à Sarkozy et à l’opinion publique, dans lequel ils expliquaient clairement pourquoi le « Monologue » de Sarkozy ne pouvait qu’échouer.

Le communiqué des FARC insistait sur 4 points. Tout d’abord, il rappelait que la libération préalable de six prisonniers était une « décision souveraine » des FARC et non la conséquence que quelque faiblesse ou de quelque pression que ce soit, rappelant du même coup qu’on ne pourrait pas les forcer à faire de nouvelles concessions.

Ensuite, ils insistaient sur le fait que leur priorité, dans le cadre d’un accord réciproque, était la libération de leurs 500 camarades guerilleros détenus dans des prisons colombiennes et états-uniennes. Ils rappelaient qu’Uribe n’avait respecté aucune des conditions nécessaires à la poursuite des négociations, à savoir, l’établissement d’une zone démilitarisée dans laquelle l’échange humanitaire pourrait avoir lieu. Il s’agissait là de rappeler à Sarkozy que sa plaidoirie partiale et difforme pour une libération unilatérale des prisonniers détenus par les FARC était parfaitement inconcevable. Les FARC rappelaient aussi à Sarkozy et à l’opinion publique que la militarisation des zones rurales mise en oeuvre par Bush et Uribe constituait une menace mortelle pour toute équipe négociatrice des FARC.

Un troisième point du communiqué faisait directement allusion à Sarkozy dans le cadre de l’assassinat de Reyes et de toute l’ancienne équipe négociatrice qui avai été perpétré par le gouvernement colombien et avait rendu impossible tout échange humanitaire. En passant totalement sous silence l’assassinat de Reyes et de ses collègues, en ne condamnant pas la politique délibérée d’Uribe de tuer les négociateurs, il avait « liquidé » toute possibilité de poursuivre la mise en place de la mission humanitaire.

Le dernier point expliquait clairement que vu les conditions dans lesquelles s’étaient déroulées les précédentes tentatives, ils ne coopéreraient pas avec la mission médicale. Et, faisant une référence appuyée à l’arrogance unilatérale (bien qu’impuissante) de Sarkozy, aux pressions qu’il avait exercé et à ses prétentions de s’ériger en leader humanitaire mondial, les FARC ont affirmé très clairement : Nous n’agissons en réponse à aucun chantage ni à aucune campagne médiatique. Si le président Uribe avait démilitarisé Pradera et Florida (deux communes) durant 45 jours au début de l’année, aussi bien Ingrid Betancourt que les prisionniers de l’armée et ceux de la guerilla auraient retrouvé la liberté et ç’eut été une victoirecommune ».

Tombée de rideau.

L’avion s’en est retourné à Paris avec sa suite médicale et son cortège de médias. Aucun journaliste ne l’attendait sur la piste vide et sombre. Une fois de plus, Sarkozy, metteur en scène et unique acteur de son propre monologue avait fait preuve de sa virtuosité en tant qu’interprète à la dérive et en tant que politicien médiocre.

Epilogue.

Deux mois plus tard, Bernard Kouchner célébrait la mort du leader historique des FARC Manuel Marulanda et l’assassinat d’autres dirigeants des FARC, en disant que ces disparitions ouvraient la voie vers la libération de Betancourt, et se faisant ainsi le parfait écho de la ligne du régime d’Uribe. Cet acte mit fin, avec une redoutable efficacité, à tout rôle joué pour la France dans le processus de négociations, ce qui est cohérent avec la longue affinité qu’entretient Kouchner avec les régimes de gangsters.

James Petras

El "monólogo’ del Presidente Sarkozy : Una representación de escaso alcance.

 Traduit de l’anglais pour Rebelión par Sinfo Fernández
http://www.rebelion.org/noticia.php?id=69090

 Traduit de l’espagnol pour Changement de société http://socio13.wordpress.com/ par Céline Meneses

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