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Régimes spéciaux de retraite : Sarkozy a gagné une manche ... pour le moment, par Vincent Présumey.










Goût amer pour la classe ouvrière ...


Il y a une chose que les travailleurs ne supportent pas, c’est le boniment. Quand une grève n’a pas arraché satisfaction, faire passer pour l’amorce de la satisfaction des revendications les quelques gains et les authentiques arnaques contenues dans les promesses faites et dans les discussions ouvertes, c’est du boniment. Il vaut bien mieux dans ces cas là reprendre le travail en disant franchement qu’on n’a pas gagné ou même qu’on a perdu, et en reconnaissant la nécessité de reprendre des forces pour un prochain combat.

Les cheminots et les traminots ont repris le travail dans leurs assemblées générales du jeudi 22 et du vendredi 23 novembre non parce que leur force et leur détermination étaient entamées, mais parce qu’ils n’avaient pas le choix dans les conditions qui leur étaient faites : ouverture de "négociations" avec participation de toutes leurs fédérations, devant durer au moins un mois ! Ces "négociations" portent sur tous les sujets possibles hormis les trois points qui, selon ce que disait le dirigeant de la fédération CGT des cheminots Didier Le Reste avant la grève, formaient ce fameux "cadre de la réforme" non négociable et qu’il fallait donc faire bouger : le nombre d’annuités (passage des 37,5 aux quarante), la décote, et la désindexation des pensions par rapport aux salaires. Ce ne sont donc pas là les négociations que réclamaient les cheminots, permettant de rediscuter de l’ensemble de la contre-réforme Sarkozy sur la base d’un rapport de force.

Parce que prolonger la grève et perdre son salaire pendant des semaines encore était absurde et impossible dans ces conditions et qu’il était impossible, en particulier, de continuer seuls, les cheminots et les traminots ont donc repris le travail en marquant fortement leur mécontentement envers ces "négociations". Voila la vérité.

Ils ont donc, pour l’heure, perdu, car les dites "négociations", répétons-le, ne mettent pas en cause le "cadre de la réforme" mais se situent clairement dans ce cadre !

Même si un syndicat y va en clamant son opposition à la dite "réforme", il va ce faisant à des "négociations" qui n’ont d’autre fonction, affichée et explicite d’ailleurs, que de la mettre en oeuvre.

A la SNCF il y a 5 "tables rondes" qui vont durer "au moins un mois" (d’après le communiqué de la fédération CGT du 21 novembre), respectivement sur les "mesures salariales", le "niveau des pensions", l’ "adaptation des règles du régime spécial" (adaptation à quoi ? à la réforme Sarkozy, pardi !), les avantages familiaux et les situations de handicap, et l’aménagement des postes en fin de carrière (on aura reconnu là la trouvaille de Mme Idrac dans sa lettre aux cheminots d’avant la grève : faire faire la formation par les vieux en emploi prolongé). Des mesures salariales représentant en l’état actuel environ 2,5% d’augmentation en fin de carrière, avec répercussion sur les pensions, sont promises par la direction. Selon plusieurs fédérations, notamment CGT et FO, les représentants du gouvernement auraient lâché le mot "évoqué", disant que les principes fondamentaux de la réforme pourraient être "évoqués", lors de ces "tables rondes". Evocation ...

Les cheminots savent lire et comprennent très bien qu’ "évocation" n’est pas négociation, et ils savent compter et comprennent très bien que ces quelques gains sont certes dus à leur grève, mais ne répondent en rien à leur revendication et ne compensent pas le recul social qu’ils risquent de subir, préface d’un recul plus grave encore pour tous les salariés dés 2008.

Cheminots et traminots ont dû reprendre le travail après avoir perdu 8 à 10 jours de salaire, alors que la grève, notamment dans l’enseignement, et les manifestations du mardi 20 novembre, puissantes et très nombreuses dans les villes de provinces, regroupant largement les 700 000 participants annoncés par la CGT, avaient commencé à montrer que la majorité du salariat était prête à s’opposer, dans l’unité, dans le Tous ensemble qui seul peut gagner, aux contre-réformes de Sarkozy.

Ces 700 000 répondaient notamment, mieux que tout sondage, aux quelques milliers de dames des beaux quartiers et jeunes marchant au pas défilant le dimanche contre les grèves et se présentant comme des "otages". Il est remarquable que dans les conditions de matraquage qui ont prévalu une aussi grande partie de "’l’opinion" ait résisté au bourrage des crânes tentant de faire retomber sur les cheminots les désagréments provoqués par leur grève. Il n’est pas vrai que "la France" et "l’opinion" soient radicalement autres que ce qu’elles étaient en 1995. Ce qui est vrai, c’est que le rapport de force est sur un fil  : il s’agit pour Sarkozy de transformer l’essai de son élection à la présidentielle, mais ce n’est pas fait.

Les conditions d’un arrêt de la grève sans avoir obtenu ni le retrait, ni la discussion, du principe même de la réforme des régimes dits spéciaux, et donc du passage au 40 annuités, de la décote et de la désindexation, ont été réunies juste à la veille du lancement de la grève, quand Bernard Thibault annonçait que des négociations étaient possibles immédiatement dans chaque entreprise concernée, sans que le gouvernement ait reculé sur l’objet des dites "négociations". La masse des cheminots, et en particulier la masse des cheminots CGT, l’ont compris d’emblée. Mais ils ont malgré tout poussé la grève jusqu’au regroupement avec les fonctionnaires et les étudiants le mardi 20. Honneur à eux.

Ce n’est pas attaquer la CGT que de critiquer le rôle particulier joué par sa direction confédérale et son secrétaire général dans la situation politique présente, au contraire c’est défendre l’indépendance et la place centrale d’une organisation syndicale essentielle. Nous ignorons si les actes de sabotages commis sur des lignes SNCF dans la journée de mercredi ont été le fait de cheminots désespérés ou préjugeant de leurs seules forces, ou s’il s’agit, ce qui est très possible, de provocations organisées par le pouvoir. Mais la condamnation à 4 mois de prison avec sursis et la menace de révocation sur un cheminot de Thionville qualifié de saboteur et presque de terroriste pour avoir cassé les vitres d’un poste d’aiguillage, au moment où l’on vole deux années et demi de leur vie aux cheminots en violant leur contrat de travail et où le chef de l’exécutif s’octroie plus de 200% d’augmentation, dénote de la part des tribunaux une haine sociale qui s’exerçait déjà contre les jeunes ratonnés dans les manifs anti-Sarko ce printemps. Le devoir des organisations ouvrières devrait être de soutenir ces travailleurs victimes d’une situation dont ils ne sont pas responsables.

Une certaine presse commence à assimiler délinquance, "sabotage" et opposition aux "négociations". Bernard Thibault aurait reçu des menaces et découvert son chat égorgé, actes inqualifiables qui ne sont pas ceux de militants ouvriers, mais ceux de la réaction qui veut détruire les syndicats. Le journal France Soir, le 23 novembre, sous le titre Qui veut la peau de Bernard Thibault ?, insinue que ce sont des opposants à l’intérieur de la CGT, voire même des ouvriers des usines Lu-Danone, qui auraient pu commettre de tels actes ! On aurait aimé que le communiqué confédéral du 23 novembre protestant énergiquement contre les propos de France Soir ne proteste pas que contre les attaques envers Bernard Thibault, mais envers celles visant tous les syndiqués même "opposants" et envers les ouvriers de Lu-Danone ...

Répétons-le : il est totalement faux de dire que "Le gouvernement a été obligé d’ouvrir des négociations sans préalable". Ces "négociations" se font avec un préalable : l’application de la réforme Sarkozy contre les régimes de retraite dits spéciaux. Donc la mobilisation des cheminots n’a pas "contraint le gouvernement à s’asseoir à la table des négociations", c’est au contraire la décision des fédérations d’aller s’asseoir avec le gouvernement sur son programme de contre-réforme, annoncée dés le début de la mobilisation, qui a finalement suspendu la mobilisation. Ce n’est pas la faiblesse de leur grève, qui était au contraire forte, ce n’est pas non plus le manque de soutien des autres salariés, qui était réel et qui ne demandait qu’à s’exprimer, ce n’est pas la supposée hostilité des travailleurs dans les entreprises envers "ceux du public" -les cheminots et les traminots sont des ouvriers comme eux- qui les ont contraints à suspendre la grève, c’est l’acceptation de ce préalable là  par les directions des syndicats.



... Mais Sarkozy n’est pas si fort.

Raymond Soubie [1], conseiller "social" de l’Elysée, François Fillon, Nicolas Sarkozy lui-même : la tentation de la danse du scalp les étreint. Fillon salue "le tournant historique important" dans une déclaration faite vendredi lors d’un déplacement en Suède. Il y va un peu fort car il explique lui-même ensuite que le plus dur reste à faire. Selon l’agence Reuters :

Le prochain défi, pour l’exécutif, est la réforme du contrat de travail, pour laquelle les négociations entre partenaires sociaux piétinent. "La flexicurité scandinave, c’est un concept sur lequel nous travaillons", a précisé François Fillon.

S’y ajoute le rendez-vous de 2008 sur le régime général de retraite.

De l’avis du gouvernement, les organisations syndicales se réserveraient pour ces futurs combats après le galop d’essai des régimes spéciaux, qui ont démontré la radicalité de la base face à des dirigeants plus conciliants convertis à la nécessité de l’harmonisation.

Pour l’essentiel, cette bataille préliminaire a été gagnée par le capital et son gouvernement. Elle a eu lieu au moment choisi par eux bien qu’elle ait duré un peu plus longtemps que prévu et manifesté une détermination inentamée, cette fameuse "radicalité". Sarkozy n’est pas du tout dans les conditions de Thatcher sortant de la grève des mineurs anglais début 1985 : tout ce qu’il fait, tout ce que fait son gouvernement, repose d’une part sur la décision des directions syndicales de ne pas aller à un affrontement d’ensemble et donc de se laisser saucissonner branches par branches, et d’autre part sur ce soit disant "vide à gauche" qui est pire qu’un vide, car il s’agit du soutien ouvert de la direction du PS à Sarkozy sur les aspects essentiels de sa politique : sur le traité européen "simplifié" comme sur les régimes spéciaux, elle est avec lui, contre sa propre base et son propre électorat.

La victoire de Sarkozy sur les cheminots est limitée et précaire précisément en cela qu’elle manifeste que Sarkozy n’est pas fort de ses propres forces.

Pendant la grève des cheminots s’est d’ailleurs tenu le congrès des maires de France, où l’on a pu voir le président menacer les grévistes à la tribune, entre MM. Michel Charasse et Bertrand Delanoë aussi affables l’un que l’autre à son égard. Sarkozy a annoncé une réforme de plus, celle de la fiscalité locale. Les trois associations des maires, des départements et des régions (AMF, ADF et ARF) préconisent toutes des "avancées" vers ... l’autonomie financière des collectivités locales, en clair le droit local de fixer les impôts, bref l’achèvement de la décentralisation dans le cadre de la V° République, détruisant ce qui reste d’égalité devant la loi et devant l’impôt. Voila un terrain fort important, bien qu’on en parle peu, de collaboration entre Sarkozy et sa supposée opposition, dans la mise en oeuvre d’une politique qui menace notamment les services publics, en tant que tels.



Préparer la prochaine étape.

Ils pensent qu’ils ont gagné une bataille dans la guerre qu’ils nous font, mais ils savent que ce gain est précaire.

Le mouvement étudiant et lycéen est allé de l’avant jusqu’à jeudi dernier. Contrairement à ce que l’on croit en beaucoup d’endroits, parfois de bonne foi, ce mouvement 1° n’est pas minoritaire dans la masse des facs de province, 2°) est en butte à une répression d’une nature nouvelle (voir la précédente MLL sur le rôle de ces messieurs les présidents d’universités).

La Coordination étudiante nationale ne se réduit pas, comme voudrait le faire croire Libération (article du lundi 19 novembre, L’UNEF -qui pour Libé semble se résumer à Julliard- rafle la mise) à un champ clos d’affrontement entre "ultra-gauchistes" et direction de l’UNEF. En fait les étudiants syndicalistes, partisans depuis son adoption du combat pour l’abrogation de la loi Pécresse, y jouent un rôle essentiel ; ils lui ont permis de rechercher l’élargissement du mouvement et la jonction avec les salariés sans compromissions ni ultimatums, et d’évoluer peu à peu vers un véritable comité national de grève formé de délégués élus et mandatés, intégrant les syndicats et notamment l’UNEF, sur la base de la revendication claire : abrogation de la loi Pécresse. (Lire : Désinformation contre la Coordination étudiante.)

Expérience politique essentielle, qui ne sera pas perdue. Comment le mouvement étudiant et lycéen ressentira-t-il les effets de l’arrêt de la grève des cheminots ? On le saura mardi, prochaine journée appelée par la Coordination étudiante nationale, ainsi que par l’UNL dans les lycées. Maintenir la revendication centrale, concentrer le mouvement contre l’ennemi, le ministère, l’exécutif, la présidence, avec la perspective d’une manifestation nationale, pourrait être la prochaine étape nous semble-t-il.

De nombreux militants et organisations, se rappelant de 2005, sont en outre en train de se mobiliser pour exiger un référendum sur le projet de traité "simplifié" de Sarkozy, qui n’est rien d’autre que ce qui a été rejeté en 2005.

C’est une mobilisation démocratique, sur une exigence démocratique qui, en théorie, peut être partagée par les courants les plus divers : un référendum.

Mais cette exigence heurte de front la politique de Sarkozy. Elle met en relief contre tous ceux qui, de droite mais aussi de gauche, nous serinent que Sarkozy est "légitime" puisqu’il a été élu, que ce président de la V° République "légitime" est le premier qui ne veut pas, parce qu’il ne le peut pas, se servir de l’arme plébiscitaire du référendum, une arme qui se retournerait contre lui. Ces messieurs nous disent que la contre-réforme des régimes de retraite dits spéciaux, et les contre-réformes à venir, doivent être acceptées parce que Sarkozy a été élu "démocratiquement". On pourrait argumenter sur le caractère prétendument "démocratique" de l’élection présidentielle dans la V°République, certes, mais là , une chose saute aux yeux de tout le monde : ce président "démocratiquement" élu s’apprête à marcher sur un vote tout aussi prétendument "démocratique" et, au départ, tout aussi plébiscitaire qu’une élection présidentielle : le vote populaire de juin 2005. Les militants de gauche, socialistes, communistes, syndicalistes, écologistes, laïques, qui commencent à nouveau à se coordonner pour porter cette exigence démocratique tapent donc de front contre Sarkozy.

Ils tapent aussi de front contre le soutien apporté à Sarkozy par la direction du Parti socialiste depuis que celle-ci a mis en avant son soutien au traité "simplifié" comme à la contre-réforme contre les régimes spéciaux.

La direction générale des prochains affrontements est tracée. Comme au jeu d’échec, c’est la tête de l’Etat qui doit être visée. Centraliser les luttes, multiplier les débats, s’organiser, tirer le bilan de la période écoulée : le Militant, avec les autres groupes et camarades qui le souhaitent, entend y contribuer.

Vincent Présumey
La Lettre de Liaisons, Militant




Aprés les régimes spéciaux ... Sarkozy continue : le dernier rapport du COR prépare pour 2008 l’offensive contre TOUTES les retraites, par J.J Chavigné et G. Filoche.






Régimes spéciaux de retraite : François Fillon veut capitaliser sur "un tournant historique", par Sophie Louet.



Casse régimes spéciaux de retraite SNCF, RATP, EDF = début de l’offensive de Sarkozy contre l’ensemble du salariat, par Jean-Jacques Chavigné.

Régimes spéciaux : une bataille décisive « c’est la plus difficile des réformes, puisqu’elle concerne ceux qui ont le pouvoir de blocage le plus fort. Si elle réussit, le reste suivra. », La Riposte.






[1N.d.l.r - Raymond Soubie : « c’est la plus difficile des réformes, puisqu’elle concerne ceux qui ont le pouvoir de blocage le plus fort. Si elle réussit, le reste suivra. » Les Echos, 1er novembre 2007..


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Nicolás Gómez Dávila
philosophe colombien

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