29 octobre 2007.
L’économie du Venezuela a connu un rythme de croissance assez rapide - 10,3% en 2006 - après avoir touché le fond au cours de la récession de 2003. L’opinion la plus répandue sur cette expansion actuelle du pays se résume à évoquer la « manne pétrolière », stimulée comme par le passé par les prix élevés du baril, et à prédire une inévitable « banqueroute » résultant d’une chute à venir de ces prix ou d’une mauvaise gestion du gouvernement en matière de politique économique.
Il existe pourtant une grande quantité de données qui vont à l’encontre de ces prévisions. La croissance économique du Venezuela a connu un grave effondrement dans les années 80 et 90 après un pic du Produit Intérieur Brut (PIB) réel en 1977. Sa situation est similaire à celle de la région dans son ensemble, qui, depuis 1980, a réalisé les pires performances en matière de croissance économique depuis plus d’un siècle.
Hugo Chavez Frias a été élu président en 1998 et est entré en fonction en 1999. Les quatre premières années de son administration ont été marquées par une grande instabilité politique qui a eu un effet négatif sur l’économie du pays. Cette situation culmina avec le coup d’Etat qui chassa provisoirement le gouvernement constitutionnel en avril 2002 et avec la désastreuse « grève » pétrolière de décembre 2002 à février 2003. Celle-ci plongea le pays dans une grave récession économique au cours de laquelle le Venezuela vit son PIB chuter de 24%.
Mais cette situation politique a commencé à se stabiliser à partir du second semestre de 2003 jusqu’à aujourd’hui, favorisant une reprise puis une accélération de l’expansion économique. Le PIB réel (c’est à dire corrigé par les effets de l’inflation) a crû de 76% depuis son niveau le plus bas lors de la récession de 2003. Il est probable que les politiques fiscales et monétaires expansionnistes, ainsi que le contrôle des changes mis en oeuvre par le gouvernement, ont contribué à cet essor spectaculaire. Les dépenses du gouvernement ont augmenté de 21,4% du PIB en 1998 à 30% en 2006. Les taux réels d’intérêts à court terme ont été négatifs pendant pratiquement toute la période de récupération économique.
Au cours de cette période, les revenus du gouvernement ont augmenté encore plus vite que les dépenses, passant de 17,4% du PIB à 30%, ce qui lui a permis de boucler un budget en équilibre pour 2006. Le gouvernement a planifié ses dépenses sur base de prévisions prudentes par rapport au prix du pétrole. Pour 2007 par exemple, le plan budgétaire prévoyait un prix de 29 dollars le baril, soit un chiffre inférieur de 52% à la moyenne du prix de vente du baril vénézuélien au cours de l’année précédente. Autrement dit, le gouvernement a toujours maîtrisé ses dépenses vu que les prix pétroliers ont toujours été plus élevés que ce qui avait été prévu dans le budget. Mais, évidemment, si les prix du pétrole chutent, les dépensent publiques devront être revues à la baisse.
Toutefois, le Venezuela dispose de réserves monétaires confortables auxquelles il peut avoir recours en cas de chute des prix. Une baisse de 20% ou plus pourrait être absorbée par les réserves internationales officielles qui atteignent aujourd’hui quelque 25 milliards de dollars, une somme d’ailleurs amplement suffisante pour annuler toute la dette extérieure du pays. De plus, ce montant ne reprend pas d’autres comptes de l’Etat vénézuélien à l’étranger dont le total est estimé entre 14 et 19 milliards de dollars. Avec une dette extérieure relativement faible (14,6% du PIB), le gouvernement pourrait en outre accéder aux marchés de crédit internationaux en cas de chute des prix pétroliers.
D’autre part, il est peu probable que les prix pétroliers connaissent un effondrement dans un futur proche. Le pronostic à court terme publié le 10 juillet dernier par l’Agence d’information sur l’énergie des Etats-Unis (US Energy Information Agency) prévoit des prix pétroliers tournant autour de 65,56 dollars le baril pour 2007 et de 66,92 dollars pour 2008. Apparemment, le risque le plus réel est celui de changements brutaux et imprévus dans l’offre de pétrole - particulièrement au vu de la situation instable au Moyen Orient. Dans un tel scénario, une diminution de l’offre provoquerait une nouvelle flambée des prix et non leur chute.
Le gouvernement de Chavez a augmenté très significativement les dépenses sociales, tant dans le domaine de la santé que dans ceux de l’éducation ou de l’alimentation.
Le contraste le plus frappant avec le passé concerne la santé. En 1998, par exemple, il y avait 1 628 médecins prodiguant des soins de première ligne à 23,4 millions d’habitants. Aujourd’hui, ils sont 19 571 pour une population de 27 millions de personnes. De 1998 à aujourd’hui, le nombre de salles d’urgences est passé de 417 à 721, celui des centres de rééducation, de 74 à 445 et celui des centres d’attention médicale primaire, de 1 628 à 8 621, dont 6 500 sont situés dans les quartiers pauvres. Depuis 2004 jusqu’à aujourd’hui, 399 662 personnes ont été opérées des yeux et ont recouvré la vue. En 1999, 335 personnes infectées par le virus du sida bénéficiaient d’un traitement anti-rétroviral dans les services de santé publique. En 2006, ils étaient au nombre de 18 538.
Le gouvernement vénézuélien a également énormément élargi l’accès aux aliments subsidiés. En 2006, il y avait dans tout le pays 15 726 établissement commercialisant des aliments à prix subsidiés (permettant une économie moyenne de 27% et 39% en comparaison avec les prix du marché, respectivement, de 2005 et de 2006), bénéficiant ainsi à 67% de la population en 2005 et à 47% en 2006. En outre, les programmes spéciaux destinés aux personnes vivant dans une extrême pauvreté ont été étendus : les maisons d’alimentation et le programme de distribution gratuite par exemple. En 2006, 1,8 million d’enfants ont bénéficié du programme d’alimentation scolaire, contre 252 000 en 1999.
L’accès à l’éducation a également été considérablement augmenté. Par exemple, le nombre d’élèves dans les écoles bolivariennes de l’enseignement primaire est passé de 271 593 pendant l’année scolaire 1999/2000 à 1 098 489 en 2005/2006. En outre, plus d’un million de personnes ont participé aux programmes d’alphabétisation pour adultes.
Les dépenses sociales du gouvernement central ont connu une croissance exponentielle, passant de 8,2% du PIB à 13,6% en 2006. En termes réels (corrigés par l’inflation), les dépenses sociales par personne ont augmenté de 170% dans la période 1998-2006. Notons que celles réalisées par l’entreprise pétrolière nationale PDVSA ne sont pas prises en compte par ces chiffres. Or, ces dépenses se sont élevées à 7,3% du PIB en 2006. Si nous ajoutons cette donnée, les dépenses sociales totales ont représenté 20,9% du PIB en 2006, ce qui constitue une croissance d’au moins 314% par rapport à 1998 (en termes de dépenses sociales réelles par personne).
Le taux de pauvreté a rapidement diminué, passant de 55,1% en 2003, le chiffre le plus haut, à 30,4% en 2006 - comme on aurait pu le prévoir au vu de la forte croissance économique des trois dernières années-, soit une diminution de 31%. Cependant, ce taux ne prend pas en compte l’augmentation de l’accès à la santé et à l’éducation pour les plus pauvres. Les conditions de vie de la population pauvre se sont ainsi significativement améliorées, bien plus que ce que n’indique la réduction substantielle de la pauvreté dans les chiffres officiels qui ne mesurent que les revenus monétaires que les gens reçoivent en poche . Le taux de chômage a également connu une diminution substantielle, atteignant 8,3% en juin 2007, soit le niveau le plus bas de la décennie, à comparer avec le taux de 15% en juin 1999 et de 18,4% en juin 2003 (à la fin de la récession). Le taux d’emploi dans le secteur formel a connu quant à lui une hausse significative depuis 1998, passant de 44,5% à 49,4% de la population économiquement active.
Les défis principaux qu’affronte l’économie du pays concernent le taux de change et l’inflation. La monnaie vénézuélienne est assez surévaluée. Le gouvernement est réticent à la dévaluer, car cela augmenterait l’inflation - dont le niveau actuel est de 19,4%. Du fait du contrôle gouvernemental sur le taux de change et d’un excédent budgétaire important (8% du PIB), il n’y rien qui peut obliger le gouvernement à dévaluer dans un proche avenir. Mais cela représente tout de même un problème à moyen terme car malgré la stabilisation de l’inflation, cette dernière détermine le taux de change réel de la monnaie vénézuélienne (le « Bolivar »). De ce fait, les importations sont rendues artificiellement bon marché tandis que les exportations en produits non pétroliers sont beaucoup trop chères sur le marché mondial, affectant ainsi le secteur commercial et créant une situation intenable à terme. Cela rend en outre beaucoup plus difficile la diversification de l’économie et la possibilité de rompre la dépendance au pétrole.
L’inflation, qui atteint donc aujourd’hui 19,4%, est, en soi, un problème. Il faut toutefois signaler qu’une situation d’inflation à deux chiffres dans un pays en développement n’est pas comparable à un même phénomène dans un pays européen ou aux Etats-Unis. L’inflation au Venezuela était beaucoup plus élevée dans les années antérieures au gouvernement Chavez, atteignant un taux de 36% en 1998 et même 100% en 1996. Elle a connu une diminution continue au cours de la phase actuelle de récupération ; de 40% en février 2003, elle a diminué de 10,4% par an depuis lors avant de remonter au taux actuel et de se stabiliser.
Du fait de son excédent budgétaire important, de ses grandes réserves en monnaie étrangère et de sa relativement faible dette extérieure, le gouvernement dispose de différents instruments pour stabiliser et réduire l’inflation - ou pour éventuellement ajuster sa monnaie - sans devoir sacrifier la croissance de l’économie. Tout semble indiquer que le gouvernement est décidé à maintenir un taux de croissance élevé. Ainsi, aujourd’hui, il n’y a pas de signaux indiquant que l’expansion économique actuelle arrive à son terme dans un futur proche.
Pour terminer, notons que les mesures du gouvernement vénézuélien tendant à augmenter la participation de l’Etat dans l’économie n’ont pas donné lieu à des nationalisations à grande échelle, ni à des politiques publiques de planification et elles ont évité d’obliger l’État à assumer des fonctions administratives de l’économie qui dépassent ses capacités actuelles. Le gouvernement n’a même pas augmenté significativement la part du secteur public dans l’économie. Les dépenses gouvernementales tournent autour de 30% du PIB, ce qui reste très en deçà des pays capitalistes européens tel que la France (49%) ou la Suède (52%).
Luis Sandoval et Mark Weisbrot
– Ce texte est un résumé du rapport qui est téléchargeable dans son intégralité en espagnol et en anglais.
- Source : Center for Economic and Policy Research (www.cepr.net), juillet 2007.
- Traduction : Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR - www.lcr-lagauche.be) - Belgique. Traduction révisée par l’équipe du RISAL (http://risal.collectifs.net).
– Source en français : RISAL http://risal.collectifs.net
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