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Présidentielles et crise de régime. La fonction de ces élections pour le capital.








La Lettre de Liaisons, mars 2007 (A paraitre)


Les élections présidentielles, dans la V° République, ont pour fonction la mise au pas : créer les conditions d’un nouveau départ pour les offensives obligées du capital contre les droits sociaux et la démocratie. Il s’agit, en l’occurence, de faire élire Sarkozy ou Bayrou, ou à défaut de faire en sorte que l’élection de Royal se produise dans les conditions les moins favorables à la résistance et à la contre-offensive ouvrières. Certes, c’est bien parti, puisque grace aux manoeuvres et contre-manoeuvres de tous les appareils politiques de la gauche, l’ "offre politique", comme disent les sociologues et autres sondologues, est pour l’électorat ouvrier, pour la jeunesse, pour l’électorat de gauche normalement constitué, la pire qu’on ait jamais vu dans une élection présidentielle (et pourtant on en a vu ! ). Résultat : le salariat ne se reconnaît pas dans cette "offre", moins encore qu’à l’accoutumé, et donne aux sondeurs des réponses qui situent l’ensemble de la "gauche" à un niveau historiquement bas.

Ce niveau ne correspond pas aux rapports de forces sociaux réels construits ces dernières années par les grèves de 2003, les élections de 2004, le Non à Chirac et au traité constitutionnel européen en 2005, le mouvement contre le CPE en 2006. Ou plutôt, il correspond à la contradiction qui oppose cette réalité sociale et sa non-représentation politique dans ces élections.

Soyons clairs et nets : si ce niveau se concrétisait, le 22 avril, par un vote total aussi bas pour les candidats des partis issus du mouvement ouvrier (PS et PCF, LCR, LO, PT, Collectifs antilibéraux ...), alors ce serait une vraie défaite sociale car ce niveau trés bas serait immédiatement utilisé par le patronat et par son Etat pour aggraver l’exploitation et la situation des salariés et pour les démoraliser.

Mais ce risque n’est pas irréversible et la chose n’est pas faite. Il est possible aussi -et tel est notre objectif- que malgré cette "offre politique" délibéremment lamentable, le total Royal-Buffet-Besancenot-Bové-Laguiller-Schivardi soit beaucoup plus élevé que ne le disent les sondages et serve de point d’appui pour défaire Sarkozy ou Bayrou au second tour et imposer une majorité PS-PCF à l’Assemblée nationale mandatée et pressionnée pour abroger les lois de la droite et toutes les lois antisociales qui leur ont ouvert la voie : lois Fillon, Sarkozy, Douste-Blazy, décentralisation ...

Les sondages actuels contiennent le risque d’une défaite ouvrière partielle le 22 avril, mais ils contiennent aussi l’état de révolte contre sa propre représentation politique officielle de la majorité des salariés de ce pays.

C’est pourquoi les sommets du régime sont conscients du potentiel explosif que contiennent, en creux, de tels sondages et une telle "volatilité", pour reprendre un autre terme de sociologues et de sondologues.


La V° République, régime bâtard et inachevé.

La V° République est un cadre autoritaire qui est resté inachevé, aux dires de son fondateur De Gaulle lui-même.

Le cadre autoritaire central (le présidentialisme) devait en effet être complété par ce qui s’appelait alors la "participation", désignée depuis de diverses expressions dont celle de "démocratie participative" : intégration des syndicats, du sommet jusqu’à la base surtout, aux mécanismes de prise des décisions de l’Etat et des entreprises, encadrement rapproché, tout à la fois idéologique et policier, de la population à tous les niveaux économiques et territoriaux.

Le risque pour le bonapartisme en France, c’est son antithèse, la Commune : que la classe des salariés et l’Etat se retrouvent face à face, en un affrontement central, et que l’Etat réduit à son sommet exécutif se transforme en fétu de paille lors de cet affrontement.

Ceci n’est en rien une vue de l’esprit, c’est la réalité qui hante la vie politique française depuis 1968 et qui fut renouvelée, avec la même portée, par les mouvements de 1995, 2003, 2006. Cela s’est donc déjà produit, ou n’est pas passé loin, et pourrait se reproduire, malgré la volonté des directions politiques de la gauche et des directions syndicales que ça ne se reproduise plus : c’est dire la force de cette réalité profonde.

Parachever la V° République, pour lui donner la capacité d’enveloppement qui lui manque, les moyens d’un encadrement rapproché du corps social, les moyens de l’intégration des syndicats de la base au sommet et du sommet à la base, est un objectif récurrent des "réformateurs" et des cours donnés à l’ENA et vulgarisés dans les stages pour fonctionnaires d’autorité depuis maintenant 30 ans.


Les dernières années.

Le score de Chirac du 5 mai 2002, de type plébiscitaire bien que biaisé, fut la base pour la dernière tentative de grande ampleur de réaliser ce programme de "réforme de l’Etat" ou de "réforme des institutions". Cette tentative et le fait de casser les régimes de retraites par répartition, le Code du travail, le statut des fonctionnaires, l’égalité devant la loi, la laïcité, l’école publique, vont ensemble : le thatchérisme à la française, c’est la restauration, l’achévement, de la V° République, cette esquisse de dictature totalitaire mais inachevée et empétrée dans ses contradictions, ce régime du "coup d’Etat permanent" comme l’écrivait un certain François Mitterrand en 1963, ou encore cette "machine à trahir" comme le répétait encore un certain Arnaud Montebourg en 2000.

Cette tentative a échoué, ils ne nous ont pas battus, mais les pièces qu’elle a mises en place -de la décentralisation de Raffarin à la contre-réforme des retraites- sont toujours là et, comme nous le disions, les présentes élections sont l’occasion, à cause des dirigeants de la gauche et de l’extrême-gauche officielles, de tenter à nouveau de la mener à bien.

L’affaiblissement, et plus que cela le déshonneur et les casserolles judiciaires, du président Chirac, concentrent cet échec. Mais son maintien en place jusqu’au bout, qui est en soi un scandale, concentre les effets de l’absence de représentation politique nationale fidèle du salariat.


Sarkozy et Bayrou.

Quelles formes ce projet prend-il pour la bourgeoisie française et son Etat dans ces élections ?

La forme la plus simple, la plus nette, c’est la "rupture" préconisée par Sarkozy. Chacun a compris, que la "rupture" soit ou non "tranquille", qu’il s’agit de mener à bien la thatchérisation de la France, dans un esprit de provocation et de guerre civile dont ce ministre de l’Intérieur a déjà donné l’exemple.

L’axe de cette "rupture", en matière institutionnelle, est donné d’une part par la volonté affichée par Nicolas Sarkozy de restaurer et de renforcer la fonction présidentielle dans la V° République, d’autre part par la volonté de remettre sur les rails, d’une façon ou d’une autre, le traité constitutionnel capitaliste européen rejeté majoritairement en 2005.

Mais la crise du régime, crise de faiblesse de la bourgeoisie française, atteint aussi la candidature Sarkozy.

Certes, celle-ci représente un danger -son accession à la présidence est évidemment le principal danger de cette élection. Elle pourrait, par exemple, avoir immédiatement des conséquences dramatiques pour les plus faibles, les plus persécutés et les plus exposés de nos frères de classe : les sans-papiers, leurs familles et leurs enfants.

Mais le patronat, la bourgeoisie française elles-mêmes ne sont pas rassurées a priori par une victoire de Sarkozy, car ils savent que ce ne serait que la première manche de la bataille, de l’affrontement social qui s’engagerait alors.

Ils ne sont pas rassurés d’autant plus que leurs difficultés économiques et internationales se sont fortement aggravées dans les derniers mois, comme en témoigne de manière spectaculaire l’affaire Airbus.

La crise de crédibilité de Sarkozy est une véritable crise de représentation politique à droite.

Elle n’est rien d’autre, certes, que le dernier épisode d’une lutte intestine à la classe dominante et à l’Etat qui la ronge depuis des années, qui remonte à l’inachévement originel de la V° République elle-même, lorsque des franges de notables préférérent s’organiser en dehors du parti-Etat unique gaulliste qu’aurait dû être, déjà , l’UNR (Union pour une Nouvelle République, ancêtre de l’UDR puis du RPR puis de l’UMP) et soutenir en 65 la candidature du démocrate-chrétien Lecanuet, celle de Poher en 69, celle de Giscard, vainqueur en 74, vaincu en 81, celle de Barre puis, divisant le parti néo-gaulliste lui-même, celle de Balladur.

Le conflit Sarkozy-Chirac a prolongé le conflit Balladur-Chirac : Sarkozy, via l’UMP, voulait faire la synthèse de la tradition des notables démocrates-chrétiens et du pouvoir fort gaulliste, développer sans complexe une orientation atlantiste et européiste pour la bourgeoisie française tout en restaurant à l’intérieur un Etat fort comme les aiment les nationalistes, bonapartistes et autres gaulliens. La candidature, réellement gaulliste, de Dupon-Aignan fut étouffée.

Mais l’échec de ces manoeuvres est pourtant patent, illustré par la place prise maintenant par François Bayrou, qui a récupéré à son profit toute la filiation et la tradition allant de Lecanuet à Balladur et qui assume les mêmes orientations de politique extérieures que Sarkozy, mais sans le discours sur la "rupture" et les odeurs de la guerre civile le précédant chaque fois qu’il pointe son nez quelque part.

F.Bayrou flirte avec les mots "VI° République", car il est conscient de la crise du régime et estime que l’offensive anti-sociale que tout le patronat, dont il est un des principaux candidats, réclame, ne sera possible qu’aprés une opération de restauration institutionnelle, comportant vraisemblablement un référendum. En attendant, il a précisé, à l’encontre de Sarkozy, que "la France n’a pas besoin d’être thatchérisée". Rappelons ici que c’est l’un des dirigeants de l’UDF et proche de M.Bayrou, Hervé Morin, qui expliquait aprés le 5 mai 2002 qu’il fallait provoquer un nouveau mai 68 pour le battre : l’UDF était à l’unisson des thatchériens. Mais comme ils ont en effet provoqué un affrontement social mais n’en sont pas venus à bout, les voila plus prudents ... avec le même but final !

Quelle que soit la suite des évènements, la montée de Bayrou par rapport à Sarkozy, et Le Pen étant toujours présent, est à la fois la manifestation principale aujourd’hui, et un facteur d’aggravation, de la crise politique de la bourgeoisie. Le soutien officiel de Chirac à Sarkozy, annoncé enfin et le plus tard possible ce mercredi 21 mars, ne modifie pas ces données. Il contredit même l’orientation politique de "rupture" que celui-ci veut afficher, en en faisant le candidat de la continuité, et par la justification choisie par Chirac : je le soutients parce que le parti que j’ai fondé, l’UMP, en a fait son candidat ...

Mais voyez cela : le principal symptôme de crise à droite, la montée de Bayrou par rapport à Sarkozy, est présenté et passe pour le signe du désarroi à gauche !

Ce paradoxe ne s’explique que par l’orientation des représentants poltiques officiels de la gauche ...


Analysons la campagne Royal.

... et notamment, bien sûr, de la principale d’entre eux qui est depuis son investiture par le PS, Ségolène Royal.

Les mêmes forces sociales, financières et médiatiques qui ont tout fait pour que le PS l’investisse, l’ont ensuite "dégommée" par rapport à Sarkozy et ont construit depuis quelques semaines la soi-disant irrésistible ascension de celui qui il y a peu était leur soi-disant victime maltraitée, Bayrou.

Il y a deux lectures rigoureusement inverses l’une de l’autre des aléas qu’a déjà connue la campagne présidentielle de S.Royal. Entre ces deux lectures, il faut choisir.

La lecture qu’elle en fait probablement elle-même, et que font les médias, grands journalistes et éminents sondologues, est qu’elle s’est "construite" par un "lien direct avec le peuple" -l’essence même, notons-le, du président-Bonaparte- et contre l’appareil du PS (qui l’a pourtant soutenue ! ), appareil désigné, dans le langage pas toujours élégant de ces gens-là , du terme suivant : "les éléphants".

Donc, selon cette lecture, "Ségolène", puisque c’est ainsi qu’on l’appelle dans ce contexte là (revenant ainsi à la pratique monarchique de dénomination du chef de l’Etat par son prénom ! ) aurait reculé devant Bayrou parce qu’elle avait été rattrapée par "les éléphants".

Par conséquent, il convient de se pâmer de satisfaction, de friser l’épectase et de froler l’orgasme devant sa prestation sur France 2 jeudi dernier, par laquellle "Ségolène" aurait "repris sa liberté" à l’ égard des "éléphants" et ainsi retrouvé le chemin du "contact direct avec le peuple".

Cette lecture n’est pas conforme aux faits.

En effet, c’est pendant sa "phase d’écoute" faite de "forums participatifs", que S.Royal a décroché selon les sondages. S’il est vrai que certains de ces forums, au delà de leur fonction réelle, on réuni parfois des travailleurs peu habitués à prendre la parole, ils ont essentiellement servi à faire illusion sur ce qui se passait réellement : le coeur de l’électorat socialiste était en train de se demander où était la campagne socialiste, la campagne de gauche, la campagne contre Sarkozy, et constatait qu’on l’amusait avec des gadgets.

Et c’est lorsqu’elle a semblé sortir de cette situation et opérer un relatif, trés relatif, mais réel, virage à gauche, que cet électorat et au delà de lui de larges couches populaires qui ne demandent que d’adhérer à une campagne réellement sociale et anti-patronale, a nourri à nouveau un certain espoir et un certain intérêt.

Cela s’est manifesté y compris dans les sondages. Ce "tournant" a été annoncé -mais non pas effectuté- à Villepinte et réellement mené à bien ensuite, au moyen de quelques déclarations symboliques comme celles contre les portes-avions et en faveur des ouvertures de classe. Le "retour des éléphants" a été orchestré au même moment, mais il n’est pas la cause de la remontée de S.Royal dans l’électorat. Il lui est cependant lié, car il traduit la tentative de faire de sa campagne celle du PS.

La montée de Bayrou commence peu aprés, d’abord et avant tout comme manifestation de la crise à droite, comme on l’a dit. Mais l’intox sur "les socialistes, les profs, les antilibéraux qui votent Bayrou" a commencé de suite, et la réponse moralisatrice des bonnes âmes de gôche n’a rien arrangé : répétons-le car certains ne veulent pas l’entendre : il est inutile d’expliquer à un prof que Bayrou a attaqué l’enseignement public, il le sait, mais il sait aussi qu’Allègre, nommé par Jospin, fut pire. Les faits sont les faits.

S.Royal n’avait pas l’intention de confirmer et d’élargir son esquisse de discours "gauche". Si, dés ce moment là , elle s’était clairement prononcée pour le retrait du décret De Robien contre les statuts des professeurs, par exemple, ou encore si elle s’était prononcée non pas "contre les 35 heures" comme elle l’a déjà fait en prenant l’exemple des Hôpitaux (cas le plus notoire où le sabotage des 35 heures par la loi Aubry a aggravé les conditions et l’intensité du travail), mais pour les vraies 35 heures sans flexibilité, alors sa remontée se confirmait, s’amplifiait et devenait un ras-de-marée pour arraser Sarkozy, Bayrou et Le Pen.

Si ... Si ... mais S.Royal est S.Royal, propulsée pour faire une campagne néo-gaulliste, au dessus des classes et des partis, et détachée des "éléphants" [1] c’est-à -dire du PS et surtout de la base sociale et électorale réelle du PS, le salariat.


La valse de ces derniers jours.

Elle a donc décidé de remettre les pendules à l’heure : une telle constance politique est en l’occurence contre-productive sur le plan électoral !

Certes, nous nous méfions des sondages, mais connaissant le parti pris des instituts de sondage, forces sociales et politiques agissantes, pour la lecture de la campagne Royal critiquée ci-dessus, il est d’autant plus significatif que malgré tout ils aient montré une baisse du vote Royal suite à sa prestation sur France 2 du 15 mars : il se trouve donc que même la courbe des sondages confirme non pas la lecture dominante et convenue selon laquelle plus "Ségolène" va contre "les éléphants" plus elle monte, mais bien au contraire la vraie lecture des faits tels qu’ils sont, selon laquelle plus elle tente de s’élever au dessus des classes et des partis, plus elle se fait, en un mot, "droitière", plus elle baisse.


France 2 : au dessus des classes et des partis !

Donc, le 15 mars au soir, S.Royal nous a expliqué d’un ton délibéremment martial et gaullien qu’elle avait retrouvé sa liberté, que c’est elle qui "fixe la ligne", qu’elle ferait bien ce qu’elle voudrait, que tout ne dépend "que de moi" et que le PS n’a aucune prise sur elle. Pour bien enfoncer le clou, elle a expliqué que puisqu’elle n’avait rien négocié avec le PS, elle ne négocierait rien non plus avec Bayrou ; on aurait préféré qu’elle dise que toute alliance avec Bayrou à l’issue du premier ou du second tour était exclue, mais ça, elle ne l’a pas dit.

Celle qui a construit sa victoire interne dans le PS en partie en se servant comme repoussoir de la campagne Jospin de 2002 et de la phrase mortelle de celui-ci, Mon programme n’est pas socialiste, a fait ce soir là plus fort et est allée plus loin. Elle a annoncé un ordre nouveau, "juste" comme il se doit, dans lequel elle aura un "lien direct" avec chaque française et chaque français.

Cerise sur le gâteau, elle a précisé qu’envers le futur président retraité Chirac, elle n’aurait pas d’esprit de vengeance ni d’acharnement, entendez : pas de poursuites judiciaires pour ses nombreux exploits qui les exigeraient ...

Coup de barre à droite dont la coïncidence avec le dépot des parrainages auprés du Conseil constitutionnel n’en était pas une. Au moment où tout retour en arrière devient légalement impossible, S.Royal annonce en somme qu’elle n’est pas la candidate du PS, mais une "personne libre" engagée dans un dialogue direct avec chaque Française et chaque Français. Nous revoila en pleine mystification néo-gaullienne !

Mystification qu’il est toutefois plus facile de proclamer à corps et à cri que de mettre réellement en oeuvre. Car la prestation sur France 2 n’était que le premier épisode d’un feuilleton dans la narration duquel il est possible que nous soyions en retard quand paraîtra cet article, tant son rythme s’est accéléré depuis quelques jours.

France 2, c’était donc le 1° épisode. Sa lecture comme coup de barre "à droite" n’est pas difficile.


Mieux que le mystère de la Trinité : 6 = 5 !!!

Second épisode : le rassemblement des élus PS le dimanche suivant, 18 mars. Selon les journalistes, S.Royal s’y livre à une séance de calinothérapie envers ceux-ci -les conseillers régionaux notamment sont sa première "base sociale" personnelle- et rappelle "tout ce qu’elle doit" au PS. Ensuite, scoop : elle annonce qu’on va passer de la V° à la VI° République. Rien que ça.

Elle en dessine le contenu :

1°) un parlement selon elle renforcé, mais dans le cadre du maintien de la présidence et de sa "relation directe" avec les Français,

2°) une "démocratie sociale" associant les syndicats mais aussi les associations (les églises ? ...) au fonctionnement de l’Etat et à la prise de ses décisions, et

3°) une "démocratie territoriale" consistant dans l’amplification de la décentralisation, avec l’accélération de la marche vers la dévolution d’un pouvoir législatif aux Régions, dans le droit fil de la réforme constitutionnelle de Raffarin de 2003 que le PS puis S.Royal ne veulent pas abroger malgré un vote oublié du congrés socialiste de Dijon en mai 2003 ...

Soyons nets, soyons clairs. Cette VI° République là , quels que soient les sauts de cabris d’A.Montebourg à ce sujet, c’est la Cinquième ! Ce programme, c’est le programme d’achévement, de renforcement, de modernisation, de la V° République : préserver et restaurer la fonction présidentielle en la modernisant, intégrer les syndicats à l’Etat, démanteler l’égalité devant la loi, le service public, l’impôt, la laïcité, par la régionalisation à outrance.

Plus précisément, c’est là l’esquisse d’un tel programme.

Une telle restauration de la V° République, qui tenterait de réaliser une union nationale plébiscitaire pour regonfler l’Etat bourgeois français, se situerait non seulement aux antipodes de la République sociale véritable, reposant sur la vraie souveraineté populaire exercée par des assemblées responsables, mandatées et actives, mais aussi à l’opposé de la simple république parlementaire préconisée par une partie des courants de gauche du PS et par d’autres courants à gauche.

Mais ce n’est qu’une esquisse : l’exercice consistant à marcher vers la restauration de la V° République tout en faisant croire -condition indispensable pour avoir des voix- qu’il s’agit de l’avènement de la démocratie et du passage à un autre régime, est pour le moins périlleux. Les contradictions du "ségolène-royalisme" ne trouvent pas ici leur issue, encore moins leur débouché à gauche comme les partisans d’A. Montebourg tentent de le faire croire, mais entrent dans leur phase critique.

Dans l’immédiat, comptaient avant tout les symboles. Faire monter les élus et les "éléphants" sur une estrade pour chanter une Marseillaise agressive était et reste un rituel du parti de la V° République, l’UNR-UDR-RPR-UMP. C’est donc un symbole qui compte, qui fixe une direction, qui donne un contenu à l’esquisse incertaine et fragile d’une pseudo-VI° République qui venait d’être dessinée. Et c’est l’image que retiendront les médias. Tout le monde fut donc convié à monter chanter l’hymne national pour marquer symboliquement l’alignement des élus, de l’appareil et des "éléphants" sur la cheftaine charismatique au regard fixé sur la ligne bleu horizon. Tous montèrent, sauf Laurent Fabius qui eut soudain un rendez-vous urgent (et L.Jospin, non présent).


Sur le fil du rasoir.

Troisième épisode, le lundi 19 mars. S.Royal détaille pour l’AFP le contenu de la "VI° République".

Pour l’essentiel, elle reprend les trois composantes de la sauce présentées la veille : rééquilibrage supposé en faveur du parlement, "démocratie sociale" et "démocratie territoriale".

Sur le premier point, certains aspects, introduits dans le programme du PS suite aux contradictions que ce parti a subi ces dernières années, comme l’abrogation de l’article 49-3, vont effectivement dans le sens d’un affaiblissement du présidentialisme et d’un renforcement du parlementarisme, ce qui ne change d’ailleurs en rien la nature de l’Etat. Mais ces quelques ingrédients issus des programmes et projets successifs du PS sont ici inserrés par S.Royal dans un cadre et une méthodologie d’ensemble qui procèdent entièrement du président. L’institution présidentielle est en fait réaffirmée comme clef de voûte de l’Etat capitaliste français.

Sur le second point, au delà d’une sortie du système aberrant de "présomption irréfragable de représentatitivé" qui fait que des organisations comme la CFTC et la CGC peuvent imposer des accords de branche et sont plus reconnues que, par exemple, la FSU ou l’Union-Solidaire dont la réalité sociale et militante de même que les résultats électoraux sont autrement substantiels, au delà de cela donc, il s’agit de "réconcilier les Français avec leurs entreprises" au nom de l’idéologie du "gagnant-gagnant" : c’est l’association capital-travail, et son institutionnalisation, qui sont appelées de ses voeux par S.Royal.

Le troisième aspect repose sur la mise en oeuvre de la décentralisation de Raffarin par les exécutifs PS de la plupart des Régions de France, et sur son amplification : il est totalement réactionnaire, totalement menaçant pour l’égalité devant la loi, devant le service public, devant l’impôt, pour la laïcité et pour le caractère national des conventions collectives, des grilles de qualification et des diplômes.

Le tout dans le cadre d’une Union Européenne dont la candidate a rappelé voici quelques semaines qu’il faudrait bien lui donner une constitution qui ne vexe pas "l’Allemagne" ...


Nous appelons tous les militants à ne pas être dupes, à ne pas prendre des vessies pour des lanternes et à raisonner avec leurs têtes.

Cela est d’autant plus nécessaire que pour autant, S.Royal joue ici avec le feu en abordant le fait qu’il faut, d’une certaine façon, en finir avec la V° République. Son discours du dimanche et plus encore ses explications du lundi procèdent de sa volonté de donner une issue politique à la crise du régime, du point de vue bourgeois et bonapartiste, mais ils procèdent aussi du fait qu’elle est la candidate investie par le PS, par la volonté d’une majorité d’adhérents de ce parti qui l’ont choisie pour battre la droite et Sarkozy, et surtout que pour être élue il lui faut les voix des couches sociales qui veulent battre la droite et Sarkozy, traduisant de manière déformée, mais réelle, la poussée sociale de ces dernières années contre Chirac, Sarkozy et leur régime.

A l’intersection de ces lignes de forces opposées, dans un exercice risqué de "je me mets au dessus et je fait des propositions qui résolvent les contradictions par le haut", Ségolène Royal a affolé, lundi, les Lang et les Strauss-Kahn en prononçant quelques mots supplémentaires aux mots "VI° République" déjà prononcés dimanche : elle a envisagé le fait que l’assemblée élue en juin pourrait être une assemblée constituante.


De notre point de vue, du point de vue des travailleurs, il faut d’abord battre Sarkozy, Bayrou, Le Pen, par une majorité aux candidats des partis issus du mouvement ouvrier au premier tour -le contraire de la peur du "21 avril" ! - et par l’élection de Royal au second. Sur ces bases, il faut imposer une Assemblée nationale qui, quelle que soit la volonté de la présidence, devra abroger et dont il faudra exiger l’abrogation des lois de la droite et de toutes les lois anti-sociales. Ces mesures d’urgences sociales passent forcément par le non-respect, donc par la rupture, avec les institutions de la V° République ainsi qu’avec l’Union Européenne. Alors, oui, il faut une assemblée constituante et souveraine avec une majorité d’élus des partis issus du mouvement ouvrier, et c’est aux travailleurs s’organisant de définir les institutions qu’ils veulent.

Dans la constitution de la V° République, une révision constitutionnelle est possible avec un vote commun de l’Assemblée nationale et du Sénat suivi d’un référendum, ou une réunion des deux assemblées en Congrés adoptant la révision à la majorité des deux tiers -ce qui s’est produit récemment encore à la demande de Chirac ...

Par ailleurs, l’article 11 permet au président de faire des référendums entre autres choses sur "l’organisationdes pouvoirs publics".

La confrontation des articles89et11 est techniquement claire : le président ne peut pas, en principe, soumettre une modification constitutionnelle sans l’accord des députés et des sénateurs. Toutefois, en jouant sur l’ambigüité des termes "organisation des pouvoirs publics" dans l’article 11, De Gaulle s’était passé de leur accord (car il les savait hostiles) pour soumettre à référendum l’élection du président au suffrage universel, en 1962. Le radical Gaston Monnerville alors président du Sénat avait parlé de "forfaiture" ...

En clair, un changement de constitution n’est pas possible à partir du cadre institutionnel de la V° République lui-même, sauf bien entendu s’il ne s’agit que d’aménager la V° avec ou sans changement de numéro. L’initiative présidentielle et l’accord non seulement de l’Assemblée, mais du Sénat, élu selon des modalités spéciales pour avoir toujours une majorité de notables attachés au régime et à leurs prérogatives, sont les deux volets de toute révision constitutionnelle dans ce régime. En 1962 De Gaulle s’était passé du second volet, en piétinnant la lettre de sa propre constitution, mais en en accomplissant l’esprit : c’était, au plus haut point, le fait du prince.

Traduite dans le langage du texte constitutionnel, l’évocation ce lundi 19 mars par S.Royal d’une assemblée "constituante" signiferait en fait que la présidente lancerait son "paquet-cadeau" dans lequel l’abrogation du 49-3 serait largement compensée par le maintien de l’institution présidentielle et par les "démocraties" "sociale" et "territoriale", et donnerait mission à "son" assemblée de le mettre en forme, afin qu’ensuite celui-ci soit adopté par référendum, soit avec l’accord du Sénat de droite -accord d’ailleurs possible et ne dépendant certainement pas de considérations de principes ! -, soit sans cet accord par un recours "gaullien" à l’article 11 déjà utilisé en 1962.

Cette démarche ne serait pas démocratique, mais hyper-bonapartiste : la présidente dispose et décide, mandate son assemblée, et au final le peuple approuve ... la restauration pleine et entière du régime présidentiel sous le nom de "VI° République" !

Mais un terme est contradictoire à une telle démarche : c’est "constituante". Si l’assemblée élue en juin est réellement constituante, alors elle doit être souveraine.

Constituante ? BANCO !

ABROGATION des lois de la droite et de toutes les lois anti-sociales !

RUPTURE avec la V° République, et avec l’Union Européenne !

RUPTURE avec le capitalisme !

Une assemblée constituante ne doit pas être constituante que de nom. Le mandat de ses députés doit être donné non pas par la présidence, mais par les électeurs -on serait presque tenté de dire : les électeurs réunis en assemblées primaires, comme en 1792, ou en tous cas les électeurs informés, s’organisant par eux-mêmes, prenant leurs affaires en main.

Alors cette assemblée ne saurait être bridée par aucun réglement de la V° République, article 11 ou article 89, et l’initiative doit venir d’elle, comme doit venir d’elle l’initiative d’abroger les lois Fillon contre les retraites et contre l’école ou de rétablir immédiatement les milliers de postes supprimés dans les services publics !

Voila pourquoi Ségolène Royal a joué avec le feu en prononçant le mot "constituante", et nous nous en félicitons, car ce débat est notre débat, ces enjeux sont notre affaire, car, oui, il faut un autre régime, il faut un autre Etat, pour répondre à l’urgence sociale et démocratique !

* * *


Cela dit, si un débat est nécessaire à propos de ces déclarations et des brèches qu’elles peuvent aider à ouvrir, à une échelle de masse, l’électorat socialiste n’a à l’évidence pas été convaincu et plutôt rendu à nouveau sceptique par les dernières oscillations de la campagne Royal. Malgré les irruptions de mots comme "VI° République" et "Constituante", ce qui domine, c’est la volonté d’être au dessus des classes et des partis, dans un prétendu dialogue direct avec le peuple que dénonce à juste titre le député socialiste de Douai Marc Dolez, dans une importante déclaration que nous reproduisons ci-desous.

Quelles voix veut S.Royal pour gagner la présidentielle ?

Elle insiste à nouveau sur la nécessité du "vote utile", craignant la "dispersion" au profit des nombreux candidats qui sont à sa gauche. Mais le plein des voix de gauche ce n’est pas un total gauche à 31%, c’est un total dépassant les 50% et cela n’est possible qu’avec tous les candidats !

D’ailleurs, le passage soudain de la candidate du parti des Verts, Voynet, de 300 à 600 signatures ne peut pas s’expliquer sans une décision du PS ou de secteurs du PS qui ont donc aggravé encore cet émiettement qu’ils déplorent officiellement, sans doute pour avoir sur leur supposée "gauche" une représentante d’un parti susceptible de participer à des majorités d’ "ouverture" ...

Et même, selon le Canard Enchaîné, le dernier paquet de signatures arrivées directement vendredi au Conseil constitutionnel et qui a sauvé la candidature Bové -ce dont nous nous félicitons car il avait entièrement le droit démocratique de se présenter- viendrait d’élus PS. Au passage, nous pouvons déplorer que Bové ou Besancenot ait plus recourru à la dénonciation du méchant "PS" dans la période où ils craignaient de ne pas avoir leurs parrainages, qu’à celle du système politique qui est en cause dans cette affaire : l’élection présidentielle elle-même, et la V° République !


Mais revenons à la question : quelles voix veut S.Royal pour gagner ?

Elle n’a qu’à dire qu’elle abrogera les lois de la droite, que contrairement aux conseils de M.Chérèque elle abrogera la loi Fillon contre les retraites et le statuts des intermittents, par exemple, et elle gagnera. Mais il faut que le message soit clair et dégagé du grand numéro sur le thème "je serai la présidente de tous les Français, je gouvernerai au dessus des partis, je ne prétendrai pas que c’est le PS ou la gauche qui ont gagné", etc., etc. Et cela, elle ne veut pas le faire car elle persiste à vouloir disputer à Bayrou les voix d’un électorat du centre-droit qui l’avait appuyée, certes, à fond, dans les sondages, quand il fallait que le PS soit convaincu de l’investir ...

Elle vient -enfin ! - le jour de la grève appelée par le SNES-FSU dans les lycées et les collèges, de dire qu’elle allait abroger le décret De Robien contre les statuts des professeurs. Dommage que cette déclaration soit tombée quelques heures aprés celle, identique, de ... Bayrou. Le lendemain, dans une lettre aux enseignants, elle s’engage à rétablir pour la rentrée 2007 les postes dont la suppression a été programmée par le gouvernement de M.M. Chirac, Sarkozy et De Robien (l’UDF De Robien ! ). Fort bien. Mais même cela ne suffit plus à gagner, car le coeur de l’électorat socialiste -et les enseignants sont au coeur de cet électorat- sait que c’est bien son orientation politique fondamentale qui est en cause, et ils s’opposent instinctivement à cette orientation.

Ils voteront pour elle au premier tour à condition qu’elle n’en fasse pas plus dans ce sens, et sous réserve qu’ils soient vraiment convaincus que le danger qu’elle ne passe pas le premier tour est réel. Or, plus les candidats Besancenot, Bové, Laguiller, Schivardi, Buffet, monteront, plus ce risque diminuera, car plus le total des voix des candidats des partis issus du mouvement ouvrier montera ! Voila la vérité : nous ne sommes pas en 2002, mais bien en 2007.

La voie de la victoire, c’est le combat indépendant pour battre Sarkozy, Bayrou, Le Pen, pour une assemblée souveraine abrogeant les lois anti-sociales, pour un gouvernement qui nous représente réellement, rompant avec le capitalisme.

Vincent Présumey

[ Le samedi 21 avril, veille du premier tour, le Club Liaisons Socialisme Révolution Démocratie, le Militant, la Commune, le Comite Communiste Internationaliste (Trotskyste) vous appellent à venir débattre, faire le bilan de la bataille du premier tour et préparer les combats prochains, dans l’unité et la confrontation des points de vue. Paris 18°, AGECA, 14h-18h.]


 La Lettre de Liaisons, mars 2007 (A paraitre)




Ce que coûterait aux salariés la victoire de Sarkozy, par Jean-Jacques Chavigné.

Sarkozy, son fan-club helvétique et le danger occulté de Bayrou, C. A. Udry / La formule Sarkozy, A. Bihr.


Ils ont peur ! par Vincent Présumey.

Le clivage droite/gauche est-il dépassé ? D.Collin / Battre la droite pour mieux refonder la gauche, M. Dollez.






 Photo : Anti - CPE,
émeute place de la Sorbonne, jeudi 16 mars 2006, rue de Vaugirard.
.
Auteur : Gabriel Laurent.

 Source : Photothèque du mouvement social
© Copyright 2004


[1Il existe une opposition éléphantesque de droite à S.Royal, opposition qui qu’elle le veuille ou non roule pour Bayrou ou pour Sarkozy, ce qui ne l’empèche pas de décocher des flèches au contenu édifiant quand par exemple un Eric Besson revient sur le fonctionnement "charismatique" du staff ségoléniste. Mais loin de traduire une quelconque résistance des "fondamentaux" envers l’orientation de Royal, Allègre ou Besson, qui ont apporté leur pierre à l’histoire dont le fruit est Royal, ne sont plus que des repoussoirs ...


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