La presse française a un sérieux problème. Il s’appelle distribution. Les bureaux de presse ferment à tour de bras et personne ne semble s’en inquiéter. Dans le 5é arrondissement à Paris, le quartier latin quoi, trois bureaux de presse ont fermé en une année. Deux d’entre eux ont quasiment fait faillite et le troisième a été transformé en entrepôt par un supermarché. Bilan : des centaines de personnes tous les jours n’ont plus le choix qu’entre Metro, A nous paris et Direct soir. Des journaux gratuits. En soi ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Par ces temps de disette, les gens sont moins tenté de dépenser le peu d’argent qui leur reste dans leur poche ; mais si on y réfléchit c’est tout de même inquiétant. En tous cas c’est l’opinion du patron d’un bureau de presse du vingtième (un des 20 meilleurs points de vente de Paris sur la rue de Bagnolet). Lui aussi pense revendre son affaire et avec un peu de chance on y trouvera bientôt un distributeur de billets de banques. A l’écouter (cela m’est d’autant plus facile que c’est souvent chez lui que j’achète mes journaux) la presse française n’en a plus pour très longtemps à Paris avant de n’être plus distribuée que par des kiosquiers subventionnés par la mairie, vivant avec le smic et ouvrant quand ils le veulent.
C’est vrai que le métier est contraignant. Il faut ouvrir à six heures du matin au plus tard, accepter des marges si infimes qu’on en pleurerait à moins de faire ce travail par pure abnégation, et surtout se faire à l’idée totalement anti-capitalistique qu’il faut abandonner la maîtrise de son stock et la gestion de sa trésorerie courante aux organismes qui distribuent les journaux (les NMPP notamment). Dans le cinquième, le patron d’un bureau de presse rue Geoffroy St Hilaire, un canadien, était si écoeuré qu’il s’en est retourné chez lui au Canada. Pour une fois qu’un Quebecquois décidait de revenir aux sources !
Bien sûr, il y a la responsabilité personnelle et les compétences du chef d’entreprise, mais s’il se ferme autant de bureaux de presse par an et si le métier est à ce point sinistré, je ne suis pas sur qu’on puisse dire que c’est parce que tous ces gens là sont incompétents. Alors où est le problème ? « la maîtrise du stock et le contrôle de la trésorerie courante » répètent les buralistes. Je ne vais pas essayer d’expliquer ça. Vous vous arrêtez auprès de n’importe lequel à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et il sera trop heureux de le faire. Soyez toutefois un peu patient, ils ont tellement de rancoeur à déverser que vous finirez par vous reprocher de n’avoir pas dépensé chez eux tout le contenu de votre porte-monnaie. Et croyez bien que ce n’est jamais personnel.
Alors la solution ? je ne sais pas ou alors c’est trop compliqué. L’état mettra comme d’habitude une rustine (c’est un synonyme pour subvention qui est un mot un peu trop galvaudé à mon goût -voir par exemple la toute récente déductibilité des dons aux entreprises de presse récemment instaurée par le ministre de la communication, 15 éme congrès de la Fédération nationale de la presse Française). Peut être ira-t-elle aux journaux, peut être touchera-t-elle aussi (pure grâce de D.ieu parce que ces derniers comme tous les miskin sont toujours les derniers servis ) les comptes bancaires des buralistes. Mais qu’ils se rassurent. ils n’en ont pas pour longtemps. Depuis que j’ai commencé à m’intéresser à ce problème, soit depuis qu’il m’est devenu impossible d’acheter le journal à la sortie de mon métro, j’ai tendance à voir les buralistes comme une espèce en voie de disparition. (j’ai promis à l’un d’entre eux que j’écrirai l’épitaphe de son métier, ce que je fais ici avec résignation -Ainsi appris je triste le résignement, aucune chose ne soit où le mot faillit" (georg Trakl) ). Pour tout dire, chaque fois que je franchis leurs porte j’ai conscience d’entrer dans l’antre d’un dinosaure peu avant la chute de la comète, ou à Rome la veille de l’arrivée des Vandales, c’est selon. Ce n’est bien sur pas facile et cela me rend un peu nostalgique. Après ma baguette et mon café, le buraliste est tout de même le saint esprit de mon matin, un père qui êtes au cieux en quelque sorte sur lequel je bâtis mes credo de la journée. Ma trinité je m’en rends compte est chaque jour plus fragile. Elle a du mal à résister aux assauts de la rationalisation des logistiques de distribution de la presse. Bientôt, c’est à disnezwoourd seulement que je pourrai trouver un buraliste entre un bistro et une boulangerie. Le journal sera bien sûr en plastique comme le pain, et le café du jus de chaussette.
Donc quelles solutions autres que les rustines ?
Il y en a déjà quelques unes. D’abord il y a Internet. Mais là la concurrence est rude, et l’état providence n’y est d’aucun secours. (c’est tout de même curieux que les prophètes du capital lorsqu’il s’agit de presse n’oublient jamais de réclamer des aides publiques). Sur Internet, c’est le contenu qui fonde la marque, pas le marketing, ou en tout cas, pour des raisons que je ne comprends pas très bien, c’est souvent comme ça que ça se passe. Peut être parce que Internet n’est pas tout à fait le monde réel, les règles y sont, disons plus virtuelles. Un journal sérieux, le Wall street journal par exemple, peut gagner de l’argent sans difficultés. Les non-sérieux s’abstenir. (c’est quoi être sérieux pour un journal au fait ?)
Ensuite, pour ceux qui veulent éviter cet environnement par trop rude, où les choses se passent somme elles doivent se passer, il y a cette curieuse invention qu’est le papier électronique. Si vous n’en avez pas encore entendu parler, ne vous en inquiétez pas pour autant. Dés que le produit sera au point les campagnes marketing tomberont à pic. Soyez patients sans plus. Ce truc c’est ce que je connais de plus vicieux. L’idée est simple. Vous avez une feuille de plastique vous y téléchargez le journal de votre choix. (Ah si on pouvait aussi faire ça avec le pain et le café !). les caractéristiques techniques de l’objet ne m’intéressent pas vraiment. Ce que par contre je trouve intéressant, c’est qu’on retrouve là dedans une déclinaison du principe du rasoir à double, triple voire quadruple lame. En d’autres termes, vous achetez le rasoir à un endroit et les lames à un autre. Ca ne veut pas dire qu’on vous rase gratis bien sur, c’est juste que vous payez deux fois.
Pourquoi c’est vivieux ? (je conserve la coquille) parce que c’est simple. Vous avez d’un côté le fabricant de la feuille et de l’autre le fabricant de contenu. On le sait, la presse est une industrie, mais le rappeler ne peut faire de mal à personne. Avec le papier c’était la même chose. La seule différence maintenant c’est que l’investissement scientifique, technique, capitalistique et logistique n’est plus le même. Avant il suffisait de planter une forêt, de couper un peu de bois, transformer ça en cellulose, acheter des rotatives, payer des ouvriers (mal bien sur) et imprimer. Maintenant, il suffira d’un logiciel et d’une connexion internet. (plus quelques milliards pour les droits et brevets des concepteurs et fabricants du produit).
Qu’est ce qu’on a gagné au change ? pour ce qui nous concerne nous les lecteurs rien. Pour ce qui concerne les journaux beaucoup. Le capital comme on le sait (béni soit son messager Marx et ses apôtres Lenine, trotsky et bien sur Staline) n’aime se développer que dans des environnements fermés. Le capital n’aime pas les imprévus. La vie réelle quoi. Il lui faut donc des marchés captifs (ils appellent ça stables) et des clients du même ordre. (c’est la théorie de l’aliénation ça). Une fois que vous aurez en main votre papier électronique, pourquoi iriez vous chercher votre information sur internet ou dans une feuille de choux, c’est le cas de le dire puisqu’il est question de cellulose, en papier ? ce serait débile, voire mieux irrationnel. La rationalité économique, grande prêtresse comme chacun le sait du Nouvel Ordre Mondial (c’est son nom), veut que l’information, produit comme un autre, subisse les règles du marché. En d’autre terme, suivant la loi de l’offre et de la demande, ce qui compte c’est le prix certes, mais aussi l’accessibilité, la disponibilité etc. Si la feuille de papier électronique n’est pas chère voire donnée, que le prix de l’abonnement au journal est raisonnable (donc rentable) et qu’en plus vous n’avez aucun mouvement à faire (ô tempora ô mores, ô siècle de paresseux) alors pourquoi iriez vous pianoter sur internet pour chercher une information disponible gratuitement, voire pire mettre les pieds chez un buraliste, qu’il faut payer de surcroît ?
Vous comprenez pourquoi je prétends écrire l’épitaphe de mes amis buralistes (qui, soit dit en passant me vendent parfois du bon tabac prometteur de cancers du poumon virulents) ? c’est donc ça ce que j’appelle une idée vivieuse. Or je n’aime pas le vice. Donc je la dénonce. C’est aussi simple que ça. Et puis où trouverai-je du bon tabac ? en pharmacie et sur ordonnance ?
Evidemment et comme d’habitude, il reste une troisième option. Pour les nostalgiques du papiers, dénués de tout denier sonnant et trébuchant, il y a les journaux gratuits dans les rues ou dans les métro. Ceux là disent les buralistes, c’est les sept plaies d’Egypte. Ce en quoi ils ont à mon avis raison. Mais rentabiliser les sept plaies d’Egypte est un art que ne maîtrisent que quelques rares capitaines d’industrie. il faut donc les saluer, les estimer, les louer et bien entendu s’en méfier comme de la peste.
Pourquoi ? l’info gratuite dit un sondage récent suffirait à 53 pour cent des français. Ca veut dire que ces 53 pour cents sont prêts à se contenter d’internet ou des journaux gratuits. Internet nous l’avons compris est un espace ouvert, donc dangereux, non censurable, inquiétant, effrayant, le triangle des Bermudes de la langue de bois ; un endroit où on n’envoie ses enfant que pour tchacher (je voulais écrire tchater) et au pitre (je voulais dire pire) que pour jouer en ligne (les adultes ont des casinos et des sites pornos pour cela) ce qui fait quand même beaucoup de bande passante. Les journaux gratuits et en papier eux par contre ne dérangent personne. Ils ont la neutralité de tous les bons vendeurs de cacahuètes. Ils ne font pas de vague (on ne vend pas une mahine -machine vous avez compris, à laver en faisant des vagues c’est connu) ; n’embêtent personne (les ennemis sont aussi des clients, sauf ceux qui ne peuvent pas se défendre bien sûr) ; et ne font peur à personne (la peur est toujours mauvaise conseillère, elle parasite les processus de décision, donc l’achat) .
Bien entendu un journal peut se couvrir en s’investissant dans les trois options. Se mettre sur internet gratuitement (ou presque), se faire distribuer par papier électronique et investir dans un gratuit. Je ne vous dirai pas à quel journal je pense mais vous avez compris tout de suite. Qu’est ce qui arrive dans ces cas là ? Première option, c’est le jackpot. Ce que vous perdez là vous le gagnez ailleurs. Vos comptes consolidés sont lisses, vous avez même quelques cacahuetes à distribuer à vos actionnaires à la fin des dividendes (c’est une mesure du temps comme une autre) . Deuxième option (et là il n’y en aura pas trois) : vous êtes assis entre trois chaises. Ce génial professeur Emile Chartier (Alain pour les intimes), quelqu’un dont le bon sens m’a toujours frappé, avait coutume deux dire que « quand on est assis entre deux chaises on n’est jamais assis que sur son cul » (j’ai toujours trouvé ce l délicieux, je me demande pourquoi il est passé à la trappe). Le problème, au sens mathématique du terme, est donc posé : sachant que etc, qu’arrive-t-il à celui qui est assis sur trois chaises ? Elementaire mon cher Watson. Une autre forme de Jackpot. Mais dans celui là il n’y a pas que jack.
Pour en revenir à mon ami buraliste, que doit-il faire ? je ne vous l’ai pas dit, je suis un peu cachottier, mais il a déjà trouvé la solution. Il fait 30 pour cent presse, trente pour cent édition, 10 pour cent stylos, 10 pour cents papier, 10 pour cent chewinggum, 10 pour cent photocopies, et avec un employé de moins il retrouve son compte. De toutes les manières il prend sa retraite l’année prochaine.