Lundi 18 septembre 2006.
Le mouvement des Non Alignés né de la Conférence de 1955 à Bandung en Indonésie, a été fondé à Belgrade en 1961. Regroupant essentiellement des pays du Sud, il marquait l’indépendance face un monde divisé en deux blocs. A la chute de l’Union Soviétique et des pays satellites européens, il avait connu une certaine mise en sommeil et beaucoup doutaient désormais de son utilité. Cuba, au contraire, estimait que ce mouvement était plus utile que jamais, parce que la situation des pays du Sud allait s’aggraver tant sur le plan du développement que sur celui des guerres et de l’insécurité mondiale.
Le MNA constitue aujourd’hui le plus grand bloc international après les Nations Unies. Les Nations Unies regroupent 192 Etats, le MNA en compte 118 [1], dont tous étaient représentés au sommet de la Havane ainsi que 56 chefs d’Etat et 90 ministres des affaires étrangères. La conférence, en l’absence de Fidel Castro alité, a été présidée par Raoul Castro, président par intérim de Cuba. Si le secrétaire des Nations Unies était présent et a été reçu personnellement par Fidel Castro, les puissances occidentales à commencer par les Etats-Unis ne s’y étaient pas rendues. Les Etats-Unis ont même voulu voir dans ce sommet une machine de guerre contre eux, et la presse occidentale a bien sûr emboîté le pas, en hésitant entre le silence sur l’importance réelle de l’événement et la déformation de ses objectifs, la caricature des participants.
En fait on peut considérer que la tenue de la conférence à la Havane du 14 au 16 septembre 2006, sa large audience autant que le contenu des documents issus de cette conférence, représente une avancée décisive de la position défendue par Cuba : la nécessaire revitalisation des non alignés. Ce thème a été le sujet principal de la conférence. Fidel Castro a été élu pour trois ans jusqu’à la prochaine conférence prévue en Egypte en 2009, Président des Non Alignés. [2]
On peut également considérer que l’on a assisté à l’approbation d’une méthode de travail en commun qui a toujours été celle préconisée par Fidel Castro et Cuba. Il existe en effet à l’intérieur des Non alignés des approches très différentes de la situation des pays du sud et des ripostes nécessaires. Tenir compte de cette diversité et du droit à l’autodétermination de chaque Etat, ne contester la représentativité d’aucun chef d’Etat, aboutir à un consensus sur quelques problèmes essentiels de l’heure tel a été le fil conducteur de cette conférence. Cette méthode est aussi celle qui souhaitée unanimement par tous les pays du Sud pour l’organisation des Nations Unies, avec le strict respect de la Charte des Nations Unies. Elle a permis à partir de cette base de défense de la souveraineté et de la démocratie internationale une unanimité autour des menaces que faisaient peser les Etats-Unis sur la Bolivie, Cuba et le Venezuela, autant que sur le droit de l’Iran à développer l’énergie nucléaire.
Kofi Annan, le secrétaire général sortant de l’ONU, que l’on a connu parfois plus pusillanime, s’est présenté en « fier héritier de Nkrumah », l’un des fondateurs du non-alignement. Il a parlé d’un Sud « nouveau et puissant, moteur de croissance et de développement, pont entre les cultures et les inégalités »(...) « Le commerce Sud-Sud croît deux fois plus vite que le commerce mondial, un dixième des investissements étrangers directs venait l’an dernier de pays pauvres, les institutions globales doivent s’adaptent à cette réalité nouvelle. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit être réformé. Le déficit démocratique mine son autorité et sa légitimité », a-t-il expliqué. Des paroles que Fidel Castro prononce depuis toujours dans toutes les relations internationales et un discours que tient avec fermeté Evo Morales, et Hugo Chavez.
A ce sommet, le mouvement des non alignés a été d’abord revitalisé autour de cette conception du droit international bafoué par la pratique actuelle des grandes puissances, les Etats-Unis et leurs alliés stratégiques comme l’Union européenne, tant par la pratique du conseil de sécurité que par l’unilatéralisme [3]. Comme le manifeste le rapport le mouvement des non-alignés a pu être revitalisé face « à une situation de plus en plus complexe », mais dont chaque Etat des pays du Sud mesure bien que l’unité est nécessaire dans le strict respect des orientations politiques, économiques, sociales de chacun.
A partir de ce strict respect des Etats composant le Sommet des Non Alignés ont pu être abordés effectivement des questions essentielles comme la pauvreté, le développement, la solidarité entre les membres, la collaboration Sud-Sud, l’injustice, le terrorisme, l’agression.
Les 5 documents qui ont été approuvés sont :
-Déclaration sur les buts et les principes et le rôle du mouvement des non-alignés dans la conjoncture actuelle.
- Document sur la méthodologie des non alignés.
-Document final.
-Déclaration sur la Palestine.
-Déclaration sur la question du nucléaire iranien.
On mesure en lisant ces documents à quel point le retour à une conception des relations internationales qui est celle de la charte des Nations Unies, à une véritable démocratie internationale, permet de faire entendre la voix de l’immense majorité de la planète. Conception tout à fait contraire à la pseudo-démocratie des puissances occidentales qui consiste à imposer les errances d’un président élu par moins de 100 millions d’électeurs aux milliards d’êtres humainset à leur imposer pillage, massacres, destruction des êtres humains et de l’environnement sous couvert de valeurs occidentales violées dans la pratique.
Quelle que soit l’hétérogénéité du mouvement des Non-alignés, il reflète cette exigence qu’il faudra bien apprendre à respecter.
On peut faire le parallèle entre la méthode adoptée au Sommet des non-alignés de La havane, et celle adoptée il y a quelques mois au Sommet des chefs d’Etats du MERCOSUR en juillet 2006 pour l’Amérique latine : non seulement la présence au sein des relations internationales d’un bloc dit des « durs », qui selon la presse occidentale « choisiraient » l’affrontement avec les Etats-Unis, ne nuit pas à l’unité des pays du Sud, mais elle renforce cette unité en dégageant une perspective dans le strict respect de Chaque Etat et en fournissant une aide effective. Parce que les « durs » ne sont pas des « durs » par idéologie mais parce qu’ils tentent de répondre à quelques questions essentielles auxquels tous les pays du sud sont confrontés : la maîtrise de leurs ressources nationales, comment en diriger le produit vers un développement endogène, comment répondre aux besoins criants des populations et enfin comment faire face à l’agression économique, politique, militaire dont ils sont victimes à partir de ce choix ?
A ceux qui s’interrogent sur la tâche de Fidel Castro quand il sortira de sa convalescence, on peut également répondre en soulignant à quel point Cuba est apparu dirigé par une équipe cohérente et compétente. Raúl Castro a mené avec brio ce sommet avec toute une équipe comme le ministre des Affaires étrangères, Perez Roque, les vice-présidents du Conseil d’État, Carlos Lage Davila et Esteban Lazo Hernandez .
Mais on mesure à quel point la Présidence pendant trois ans des Non-Alignés a besoin d’un homme politique de cette taille, jouissant d’un respect universel. Ce sera un atout pour les Non-Alignés et pour Fidel Castro l’occasion d’accomplir ce qui a été aussi la grande oeuvre de sa vie : l’émancipation et l’unité des peuples du Sud. Après et pendant le sommet, de son lit de convalescent Fidel Castro a entamé sa présidence. Il a rencontré après le sommet le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, samedi, sur "les droits de l’Iran à l’usage pacifique de l’énergie nucléaire", a rapporté Juventud Rebelde l’hebdomadaire Cubain. Il a rencontré également le Premier ministre indien Manmohan Singh samedi, les deux responsables ont discuté des résultats du sommet du MNA, des questions internationales importantes et des relations bilatérales. Et d’autres responsables. [4]
Mais c’est son ami Hugo Chavez qui a tiré la conclusion de ces rencontres :
« Qui vous dit que Fidel se retire ? Je l’ai rencontré hier encore, et il se porte à merveille », a dit Hugo Chavez, assiégé dans les couloirs par les médias. Un journaliste de la BBC a demandé si le chef d’État vénézuélien « se sentait comme l’héritier de Fidel, qui s’en va ». « Fidel est président du MNA, il est mon président, je suis un loyal soldat. Mais je peux vous dire que son apparence m’a rappelé Don Quichotte, un Don Quichotte sans folie, un Don Quichotte de la raison, le Don Quichotte de La Havane », a ajouté Chavez.
A une autre question, il a affirmé que le MNA n’était dirigé contre personne. « Les pays en développement resserrent leurs liens pour gérer leurs ressources dans l’intérêt de leur peuple. Il n’y a là rien de négatif ni d’irrationnel. Et ils veulent régler les conflits par le dialogue. C’est de l’anti-américanisme, ça ? »
Danielle Bleitrach
Sommet des Non Alignés de la Havane : De la rhétorique à l’action, par Angel Guerra Cabrera.