Politis, 7 septembre 2006.
Tous les clignotants sont au vert, triomphe le gouvernement, qui se voit déjà porté par une nouvelle vague conjoncturelle. Mais de quoi dépend au juste la conjoncture ? Voilà une vraie question d’économie politique qui n’admet pas de réponse simple. D’abord, parce qu’une économie capitaliste est essentiellement cyclique : la dynamique de l’accumulation du capital conduit à une succession de phases de reprise et de récession. Marx avait le premier proposé une analyse de ce mécanisme, que l’on retrouve sans grand changement dans les modélisations modernes : les cycles sont engendrés par la concurrence entre capitaux et sont donc largement indépendants de l’intervention publique.
Ensuite, il y a la conjoncture internationale : quand la demande baisse sur le marché mondial, ce ralentissement est transmis à l’ensemble de l’économie française, et vice versa. L’intervention publique se situe en aval : l’Etat dispose d’instruments puissants (politiques budgétaire et monétaire) et il peut aussi actionner des leviers tels que la fixation du Smic, l’organisation du marché du travail, etc. Tout cela interagit : la politique budgétaire peut être pro- ou contra-cyclique et tendra à accentuer ou lisser les cycles. Les orientations au niveau européen vont elles aussi accentuer ou non la transmission internationale des cycles et, le cas échéant, le taux de change de l’euro peut être utilisé pour limiter l’effet sur la compétitivité des fluctuations du marché mondial.
Cette complexité n’empêche pas les gouvernements de dire que, si ça va mieux, c’est grâce à leur politique ; et quand ça se gâte, ils s’abritent derrière la conjoncture mondiale ou invoquent l’héritage laissé par leurs prédécesseurs. Ces deux assertions sont fausses, parce que les situations concrètes mélangent les différents facteurs dans une proportion qu’il faut savoir démêler. Si on braque le microscope sur le 2ème trimestre, on s’aperçoit que le PIB a augmenté de 4,5 % par rapport au trimestre précédent (en rythme annuel) : c’est mieux que la moyenne des trois trimestres précédents qui s’établit à 1,9 %. Or, ce résultat ne s’explique ni par le commerce extérieur qui se dégrade, ni par la consommation, mais par l’investissement en bâtiment, et par les stocks. Difficile donc d’y trouver une trace de l’action gouvernementale, ou le signe d’une inflexion durable. Il s’agit plutôt d’un petit mouvement cyclique et l’Insee pense d’ailleurs qu’il est « peu probable que la demande des entreprises se renforce dans les mois à venir ».
Et sur le front de l’emploi ? On semble sortir de la « croissance sans emplois » de 2003 et 2004, qui s’expliquait en grande partie par le rattrapage forcené des patrons, encouragés à prendre leurs revanche sur les 35 heures. On peut donc s’attendre à une augmentation des effectifs plus soutenue. Dans le secteur non marchand, en revanche, les effets des diverses mesures Borloo devraient saturer. Au total, la baisse du taux de chômage devrait continuer à en raison de ces créations d’emplois, mais il ne devrait pas descendre beaucoup en dessous des 8,9 % actuels - son niveau quand la droite est revenu aux affaires. L’amélioration sera donc sans commune mesure avec la période Jospin, au cours de laquelle le taux de chômage avait baissé de 12,2 % à 8,9 % grâce à la création de 1,8 million d’emplois.
On sait ce qu’il en a été pour Jospin. La droite aurait tort de penser qu’elle va tirer les marrons du feu, notamment parce que les fruits de cette petite croissance sont très inégalement répartis, comme l’illustre la controverse actuelle sur le pouvoir d’achat. Elle révèle en effet la dimension de classe de l’indice des prix : il y en a qui baissent, mais ce ne sont pas ceux des biens et services qui constituent l’essentiel de la consommation populaire. L’amélioration moyenne du pouvoir d’achat est alors un concept comptable qui masque des inégalités profondes que toute la politique du gouvernement, notamment en matière fiscale, a contribué à creuser.
Ni les frémissements de l’emploi, ni les mesures électoralistes annoncées récemment par de Villepin ne suffiront pas (surtout s’il les accompagnait d’une nouvelle baisse des droits de succession !) à modifier la perception majoritaire quant au véritable bilan de la droite : il est de plus en plus difficile de vivre décemment dans ce pays. Et la question de savoir s’il existera une offre électorale capable d’exprimer ce sentiment dépend assez peu de la conjoncture.
Michel Husson, pour Politis n°916, 7 septembre 2006.
Michel Husson, administrateur de l’ INSEE, chercheur à l’ IRES ( Institut de recherches économiques et sociales).
Auteur entre autres, de "Les casseurs de l’ Etat social"La Découverte.
-Ouvrages en lignes ICI.
– Source : Hussonet http://hussonet.free.fr
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