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Journal de bord de Gaza 73

Samedi, c’était le deuxième échange de prisonniers entre Israël et le Hamas : 200 Palestiniens contre quatre soldates israéliennes, des militaires affectées à la surveillance de la bande de Gaza, capturées le 7 octobre 2023. Les brigades Ezzedine El-Qassam ont remis les soldates à un représentant du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au cours d’un show spectaculaire. Cette mise en scène était principalement destinée à faire passer plusieurs messages au pouvoir et au public israéliens. Il y a eu d’abord la vidéo tournée juste avant la cérémonie, où on voyait les prisonnières remercier, en arabe, les brigades Al-Qassam pour les avoir protégées des bombardements de leur propre armée ; manière d’affirmer que les Israéliens ne se soucient pas de la vie de leurs ressortissants. Certes, on connaît les limites de la crédibilité de déclarations faites par des prisonniers sous contrainte. Toujours est-il que les images montraient des militaires vivantes, et apparemment en bonne santé. Ensuite, le choix de faire ça sur la place de la Palestine, au centre de la ville de Gaza, est symbolique ne serait-ce que par le nom du lieu. Le Hamas y avait installé une large estrade, avec des logos des brigades Al-Qassam et des slogans en hébreu, qui disaient par exemple que le sionisme n’allait pas gagner, agrémentés de portraits des chefs militaires israéliens.

La place était sécurisée par des haies compactes de combattants des brigades, le visage dissimulé sous une cagoule noire et le front ceint d’un bandeau vert. Le Hamas montrait ainsi qu’il entendait garder le pouvoir à Gaza. Montées sur scène, les soldates israéliennes ont été encadrées par ces combattants, armés chacun d’un Tavor, le modèle le plus récent de fusil d’assaut israélien, équipant les troupes d’élite, et probablement saisis lors de l’attaque des postes militaires le 7 octobre 2023.
Le Hamas revendique la victoire

Le message, c’était : nous sommes toujours là, bien plus forts que ce qu’on voulait vous faire croire ; nous avons vos armes, et nous avons vos soldates. Clin d’œil supplémentaire, chacune de ces dernières était vêtue d’un uniforme flambant neuf, évoquant celui de l’armée israélienne, et sans doute fabriqué dans les ateliers de couture souterrains du Hamas. Traduction : nous avons même les moyens de nous préoccuper de vous rendre vos captives vêtues dignement, contrairement à votre traitement des prisonniers palestiniens. L’uniforme avait toutefois quelques accessoires locaux : un pendentif représentant la carte de la Palestine tout entière, et un bracelet aux couleurs du drapeau palestinien. Des médias israéliens ont falsifié ces images en remplaçant les drapeaux palestiniens par des drapeaux israéliens.

Le Hamas revendique donc la victoire. Mais qui a gagné cette guerre ? Du point de vue israélien, on ne peut pas parler de succès. Nétanyahou n’a pas atteint ses objectifs : libérer tous les prisonniers israéliens et éradiquer le Hamas. Ce dernier est apparu au grand jour dès les premières heures du cessez-le-feu, avec ses combattants en uniformes kaki et ses policiers en bleu. Le gouvernement et l’administration ont annoncé dans un communiqué qu’ils reprenaient le travail. La branche militaire est toujours active, malgré la mort d’un grand nombre de ses chefs. De nombreux jeunes militants ont été formés pour intégrer les brigades Ezzedine El-Qassam en remplacement des combattants tués.

Les prisonniers ? Dès le premier jour, le chef du Hamas à Gaza, Khalil Al-Hayya, avait déclaré qu’Il n’y aurait pas de libération de prisonniers sans un accord de cessez-le-feu et un échange avec des prisonniers palestiniens. Et c’est ce qui s’est passé. Nétanyahou a donc perdu, et je crois que, politiquement, c’est bientôt sa fin. Il est comme un vampire qui doit se nourrir de sang. Si le sang cesse de couler, sa vie politique est terminée.

Mais les Israéliens avaient aussi un but non déclaré : poursuivre ce qu’ils n’avaient pu terminer en 1948. Ils n’ont pas encore pu expulser les 2,3 millions d’habitants de la bande de Gaza, mais ils ont fait en sorte qu’elle ne soit plus habitable. De fait, 85 % de la population est sans abri. Il n’y a plus de vie à Gaza. Plus d’universités, plus d’écoles, plus de jardins d’enfants, plus d’hôpitaux, plus d’infrastructures, plus de routes, plus d’eau potable, plus d’égouts plus d’électricité. Même si la reconstruction se fait de façon souple et rapide, elle prendra des années et des années. Nous sommes dans une période de non-vie. Et je crois que le prix de la libération des prisonniers palestiniens était très élevé. Chacun considère qu’il a gagné. Mais moi je peux vous dire que le grand perdant, c’est la population de Gaza, et la Palestine en général.

Ils ont vendu tous leurs biens pour entreprendre ce voyage

Un million et demi de Gazaouis veulent rentrer chez eux. Ils ont passé quinze mois dans des conditions terribles, sous des tentes ou de simples bâches, dans le froid ou la chaleur ou sous la pluie, souffrant de malnutrition, bombardés régulièrement. La route pour rentrer chez eux, dans la partie nord, devait s’ouvrir samedi. Des centaines de milliers de personnes s’étaient dirigées vers l’axe de Netzarim, le no man’s land qui coupe la bande de Gaza en deux. Beaucoup d’entre eux avaient vendu tous leurs biens pour entreprendre ce voyage. Ils avaient démonté leurs tentes et leurs bâches. Ils n’avaient plus d’endroit où revenir. Ils ont passé la nuit dans la rue, dans le froid, tout sur la route côtière. D’autres, sur la route Salaheddine, ont dormi dans leurs voitures. Des milliers de voitures formaient un gigantesque embouteillage. Les Israéliens ont tiré. Il y a eu deux morts. Chacun voulait faire partie des premiers à arriver. Parce que tout le monde sait qu’il n’y aura pas beaucoup de place pour planter des tentes, au milieu des ruines.

Cela a duré deux jours et deux nuits. Et puis, dans la nuit de dimanche à lundi, un accord a enfin été trouvé entre Israël et le Hamas pour le retour des déplacés. Le passage serait autorisé à 7 heures du matin pour les piétons, et à 9 heures pour les véhicules, sur la route Salaheddine. Cette troisième nuit a été une nuit blanche pour la foule qui attendait. Et ce fut une fête. Des milliers de gens chantaient. À 6 heures et demie, une marée humaine a commencé à traverser les sept kilomètres de large de l’axe de Netzarim. Des hommes, des femmes, des enfants, des personnes âgées, des malades, des gens sur des béquilles et des chaises roulantes. La majorité ont fait entre 25 et 30 kilomètres à pied de Rafah, Khan Younès ou Deir el-Balah.

Il y avait des sourires sur les visages fatigués, mais de la tristesse dans les cœurs. Rentrer chez soi, c’est une petite victoire, mais pour eux c’en était une grande. Ils savaient pourtant qu’une vie très difficile les attendait. Une non-vie. Et la mort en perspective. Beaucoup de ceux qui rentraient espéraient retrouver leurs morts sous les décombres de leurs maisons. Chacun de ces visages cachait une histoire particulière.
Une vie normale, rien de plus

Au même moment, Trump déclarait qu’il demanderait à l’Égypte et à la Jordanie d’accueillir deux millions de Palestiniens, pour « faire le ménage » à Gaza afin de « l’améliorer ». Pour les Israéliens, bien sûr, pas pour les Palestiniens. Ou plus précisément, pour les colons israéliens qui prendront notre place. Voilà le vrai but de guerre des Israéliens. Trump a commencé par l’Égypte et la Jordanie, mais il va certainement faire pression sur d’autres pays. Il veut régler la question palestinienne à sa façon, non par la guerre, mais grâce à une solution « humanitaire ».

Surtout, malheureusement, les habitants de Gaza sont tellement épuisés, tellement dans la misère et dans l’humiliation, qu’une grande majorité d’entre eux, surtout les jeunes, veulent partir de Gaza pour avoir une meilleure vie, un meilleur avenir pour leurs études, pour leurs enfants, pour leurs familles, pour bénéficier des conditions d’une vie simple qui n’est plus possible à Gaza. Je ne parle ni de prospérité ni d’opportunités de carrière professionnelle, mais d’avoir de l’électricité quand on appuie sur un interrupteur, de l’eau chaude quand on ouvre un robinet, de manger à sa faim. Juste une vie normale, rien de plus. Cependant, il y aura toujours des gens qui voudront rester à Gaza, parce qu’ils sont conscients que l’avenir se trouve en Palestine. En espérant que nos enfants auront une vie meilleure, mais en Palestine. Je ne sais pas combien de temps les gens vont supporter cette non-vie et résister à la tentation de l’émigration. Mais je crois que nous sommes nombreux à rester attachés à notre terre.

https://www.editionslibertalia.com/catalogue/orient-xxi/rami-abou-jamous-journal-de-bord-de-gaza https://youtu.be/qi8_MEf_1GQ

»» https://orientxxi.info/dossiers-et-series/et-ce-fut-une-fete,7958
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Christophe OBERLIN
L’auteur : Christophe OBERLIN est né en 1952. Chirurgien des hôpitaux et professeur à la faculté Denis Diderot à Paris, il enseigne l’anatomie, la chirurgie de la main et la microchirurgie en France et à l’étranger. Parallèlement à son travail hospitalier et universitaire, il participe depuis 30 ans à des activités de chirurgie humanitaire et d’enseignement en Afrique sub-saharienne, notamment dans le domaine de la chirurgie de la lèpre, au Maghreb et en Asie. Depuis 2001, il dirige (…)
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