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Quand les microbes contaminent l’histoire

Ce texte est le premier d’une série : Les armes biochimiques, en passant par les nazis, l’ex-URSS et les États-Unis ; Les armes biochimiques aux États-Unis et au Canada ; Les guerres biochimiques et les armes écoresponsables.

Des biologistes immunisent les envahisseurs

En procédant à des analyses moléculaires, sur des dépouilles d’individus d’Amérique précolombienne, des généticiens découvrirent des corps infectés par la tuberculose. Les sites étant antérieurs à l’arrivée des Espagnols et Portugais, certains minimisent les ravages causés par la transmission de maladies par les conquérants. Peu importe si les populations aient affronté des microbes, avant la venue des Européens : ça ne change rien au fait que des chefs d’expéditions aient distribué des vêtements contaminés, avec l’intention de décimer les habitants. Environ 90 % de la population, présente en 1492, mourut d’infections, mauvais traitements ou faim, dans les années qui suivirent. ¹

Après les conquistadores, les Anglais

En 1713, Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse se trouvaient sous contrôle anglais. En 1755, devant le refus des francophones de prêter allégeance aux nouveaux maîtres, le gouverneur Lawrence mit fin à l’insubordination. Il chargea le colonel Winslow d’exécuter la sale besogne. Les Acadiens subirent plus qu’un « grand dérangement » : la déportation des familles, dans différentes zones de l’Est de ce qui deviendra les États-Unis. On confisqua les maisons, les terres et le bétail, au profit de la couronne. Lawrence proposa de réduire à la famine les Acadiens cachés dans les bois, de tuer les femmes et les enfants des hommes qui ne se constituaient pas prisonniers. Des maisons furent incendiées, mais on prit soin de réquisitionner les récoltes et le bétail auparavant. En 1755, en digne successeur de Lawrence, Robert Monckton sera décoré pour la déportation de milliers d’Acadiens. Des 15 000 habitants francophones des zones maritimes, en 1755, plus du tiers étaient morts en 1762. Quoiqu’on n’ait pas de confirmation d’infestation volontaire de la variole, parmi les Acadiens, il est certain que les rares familles qui échappèrent aux autorités, pour se rendre à Québec, furent contaminées par des soldats malades. Les réfugiés succombèrent par centaines. Entre 1757 et 1758, une épidémie sévit dans la région de Québec. Lors de la Guerre de Sept ans, entre l’Angleterre et la France, la famine, la variole et le typhus régnaient. En 1757, sur les 472 décès, notés dans les registres de la paroisse, 306 correspondaient à des Acadiens. En 1758, selon le maréchal Desandrouins, la petite vérole ravagea un cinquième de la population. Et tout particulièrement les autochtones. ²

L’immunité diplomatique des oppresseurs

Jeffrey Amherst, commandant en chef des troupes anglaises en Amérique du Nord, n’est considéré tolérant que dans les manuels scolaires et les dictionnaires... Il s’opposait aux vues du commissaire aux Affaires Indiennes, William Johnson. Étant marié à une femme Mohawk, celui-ci voulait maintenir les ententes, établies par les Français, avec les autochtones. En vain ! Amherst cessa de distribuer ce que les Français donnait. Il haussa le prix des marchandises venant d’Europe. Pire : il octroya des sites, appartenant aux Sénécas, à des officiers de sa trempe. Dans la vallée de l’Ohio, les autochtones s’attendaient à ce que les colons de Nouvelle-Angleterre franchissent les Appalaches et volent leurs terres. En 1763, cette éventualité décida Pontiac, le chef des Outaouais, à chasser les Anglais. À l’instar d’une dizaine de tribus autochtones, trois cents canadiens suivirent Zachary Chicot et participèrent au soulèvement de Pontiac. Bien que de nombreux Canadiens-Français aient approvisionné les autochtones, les timorés obéissaient au père Potier. Pas question de risquer sa peau : comme d’autres religieux du haut de leur chaire, il menaçait d’excommunier les rebelles qui trahiraient l’allégeance à la royauté anglaise. Ayant rassemblé la majorité des nations voisines, Pontiac et ses alliés prirent d’assaut les places fortes de la région. Ils assiégèrent le fort Détroit, pendant six mois. Amherst demanda au militaire d’origine suisse Henry Bouquet s’il était possible de se débarrasser de cette « exécrable race », en les contaminant. Les sceptiques, qui nient la responsabilité du gouverneur, peuvent consulter les lettres échangées entre les deux hommes. Ce fut effectivement le bouquet, lorsque le subalterne lui répondit : « Je vais essayer d’inoculer les Indiens par le moyen de couvertures pouvant tomber entre leurs mains, de manière à ne pas attraper moi-même la maladie. » ³

On distribua des couvertures infectées par la variole. L’alliance entre différentes nations se désagrégea comme de la peau morte. Le siège prit fin et le lieu que l’on appelait « la pointe de Montréal du détroit » devint... Windsor. La même année, un compatriote de Bouquet, Simon L’Écuyer, répandit la variole à fort Pitt, parmi les tribus Delaware, Shawnee et Mingo qui assiégeaient les lieux.

Entre le typhus et le froid

À Vilnius, en Lituanie, à l’hiver 2001, des ouvriers creusèrent des tranchées pour enfouir des lignes téléphoniques. Il leur fallut démolir de vieux baraquements soviétiques, érigés quelques décennies plus tôt. On imagine leur stupéfaction, lorsqu’ils virent des crânes humains. Deux mille corps furent exhumés. On récupéra des boucles de ceinture, arborant des numéros de régiment, ainsi que de la monnaie datant du début des années 1800. Les vestiges furent identifiés comme étant ceux de la grande armée de Napoléon Bonaparte.

Après avoir analysé la pulpe de 72 dents, prélevées sur les corps de 35 soldats, Didier Raoult, de l’Université de la Méditerranée à Marseille, vit qu’elle contenait de l’ADN de Bartonella quintana, un micro-organisme responsable de « la fièvre des tranchées », une maladie transmise par les poux. À partir de cette découverte, certains journalistes s’empressent de proclamer que ce n’est ni l’hiver ni l’armée russes qui obligèrent Napoléon à rebrousser chemin, en laissant un million de morts de part et d’autres, en toute inutilité. Le vainqueur ne serait nul autre que la fièvre, le typhus et la dysenterie. Quoiqu’on ait prévu qu’une file de 7 848 véhicules approvisionnerait « la grande armée », les dépôts étant situés dans la vallée de la Vistule, en Pologne, cette solution finit dans les choux, étant donné l’état piteux des routes. ⁴

Parmi les 615 000 militaires, on recensait 302 000 Français. Les autres recrues provenaient de zones occupées par la France, souvent contraints à se joindre à l’armée. Soit, 190 000 Allemands, 90 000 Polonais et Lituaniens, auxquels s’ajoutaient 32 000 Néerlandais, Suisses, Italiens, Espagnols et Portugais. Seuls les Polonais avaient intérêt à y adhérer, en espérant mettre fin aux gains de territoires par la Russie tsariste.

Voyons donc si les statistiques de la guerre franco-russe donnent la palme au typhus ou aux combats. Les 23 et 24 juin 1812, Napoléon franchit le Niémen. En juillet, un affrontement d’envergure eut lieu à Saltanovka. En août, vint la première bataille de Krasnoï, puis celle de Smolensk. En septembre, le combat de Borodino ne dura que 12 heures, mais impliqua 300 000 hommes. Le 14 septembre, Napoléon entra dans la ville de Moscou... déserte. On avait évacué les habitants et fait disparaître les dépôts de nourriture en les incendiant. Devenu incontrôlable, le feu détruisit les trois-quarts de la ville. En octobre, le mégalomane français perdit l’espoir d’une entente avec le tsar et ordonna la retraite. Après la bataille de Maloïaroslavets, l’armée prit la route à rebours. En novembre, les températures atteignirent -30 degrés Celsius... De nombreux soldats perdirent leur chemin ou moururent sur place. L’armée arriva à Smolensk le 9 novembre, réduite à 60 000 hommes. Ils durent encore une fois engager la lutte à Krasnoï. La moitié des hommes y furent tués. Il y eut d’autres combats à Borisov en fin novembre. De nombreux civils qui entretenaient le camp périrent. Le 5 décembre, Napoléon rentra à Paris pour y donner sa version tronquée de la défaite, laissant Murat à la tête de l’armée.

En résumé : sur les 615 000 soldats partis en juin 1812, environ 10 000 sont revenus mal en point, souffrant d’infections, d’engelures, affamés ou estropiés. Très tôt, 80 000 soldats moururent de maladies, dysenterie, typhus ou autre infection. Mais si on prend les 120 000 soldats faits prisonniers, les 200 000 décédés au combat, nous comptons 320 000 macchabées. Si on y ajoute 100 000 déserteurs, puis des milliers d’individus morts de froid en novembre, au commencement de la retraite, il est impudent d’écrire que ce n’est ni les canons ni l’hiver russes qui forcèrent l’armée à se retirer. Les négligés de l’histoire, les pauvres chevaux, près de 200 000 en partance d’Europe, n’étaient plus que neuf au retour... Des milliers d’éclopés, un million de morts, du côté russe et des troupes de Bonaparte, voilà le bilan de 175 jours de déboires militaires.

Les responsables microscopiques

En Europe, il fallut plus d’un siècle, après la curée franco-russe, pour que les scientifiques admettent l’existence des micro-organismes, alors que les Chinois connaissaient déjà le principe des vaccins. La variole est causée par l’orthopoxvirus et s’attrape par l’inhalation de gouttes de salive expectorée par un individu contaminé. De la fièvre, le gonflement des ganglions lymphatiques et des éruptions cutanées apparaissent, pendant deux à quatre semaines, laissant parfois des cicatrices. La fièvre des tranchées émerge de la bactérie Bartonella quintana, qui induit des maux de tête et des douleurs aux jambes. Le typhus provient de la bactérie Rickettsia prowazekii, génère de la fièvre, des douleurs aux articulations, au dos, au ventre, des frissons et des céphalées. Une fois les habits et la peau contaminés par les excréments de poux, la plus petite égratignure suffit pour que la bactérie pénètre dans un corps.

Pourquoi évoquer le passé ? Parce qu’il augure l’avenir...

La stupidité humaine surpasse les micro-organismes. Et elle se perpétue et ne s’affaiblit pas avec le temps. Les recrues d’armée continuent de se soumettre aux visées cupides de politiciens idiots. On appelle ça défendre nos valeurs et les nations civilisées ! Malheureusement, on n’est plus au Moyen-Âge : à cette époque, on ne pouvait pas s’anéantir totalement ! À présent on peut tout éradiquer, grâce à une technologie jamais égalée, dont on est si fier. Des milliards de dollars, d’euros, de roubles, qui partent en fumée avec chaque avion bombardé, pendant que des populations manquent d’eau et d’aliments. Avec l’informatique, moins de soldats décèdent et plus de civils meurent.
Si on remet le service militaire obligatoire ou la conscription dans votre pays, dépêchez-vous de vous marier. Il vaut mieux se mettre symboliquement la corde au cou que servir de chair à missiles.

Références :
1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Actes_de_génocide_en_Amérique
L’Amérique du Sud englobe tant de pays qu’il s’avérerait complexe d’en relater les évènements. L’ouvrage d’Eduardo Galeano : Las venas abiertas de America latina (Les veines ouvertes de l’Amérique latine) y parviendra mieux que moi.
2.1 Les mémoires de l’Europe, tome III, 1600 à 1763, Rivalités anglo-françaises à travers le monde, Éditions Robert Laffont, 1971.
2.2 https://www.histoirecanada.ca/consulter/colonisation-et-immigration/les-refugies-acadiens-au-canada-1755-1763
par André-Carl Vachon. Cet article parut dans la revue Traces, volume 61 numéro 3, été 2023, p. 22-27, publiée par la Société des professeurs d’histoire. Mis en ligne le 8 janvier 2024.
3.1 Le livre noir du Canada anglais, de Normand Lester, tome I, chapitre Pay back time, Éditions les Intouchables, 2001. Notez que dans son livre, l’auteur confond virus et bactérie.
Lettre du 13 juillet 1763 d’Henry Bouquet à Jeffrey Amherst : «  I will try to inoculate the Indians by means of blankets that may fall in their hands taking care however not to get the disease myself. »
3.2 Les lettres sont disponibles sur le site de l’avocat en droit autochtone Peter d’Errico, à l’Université de Pennsylvanie : www.nativeweborg/pages/legal/amherst/lord-jeff.html
3.3. Vivre la conquête, tome I, sous la direction de Gaston Deschênes et Denis Vaugeois, Éditions du Septentrion, 2013.
4.1 https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-22111/campagne-de-russie/
4.2 https://www.slate.fr/story/66541/napoleon-defaite-typhus-pous-hiver-russe

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Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse :
renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

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