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(In)suffisance journalistique

* Le 23/09/2022, un journaliste-vedette de la RTBF affirme sur les ondes de « La Première » que « plusieurs millions de Ouïghours sont actuellement enfermés dans des camps dans le Xinjiang. » * Je m’empresse de lui signaler qu’il s’agit d’un chiffre que n’oserait même plus avancer l’ineffable Adrian Zenz. * Réaction de l’intéressé, tardive en raison d’un égarement d’email : « Nous ne pouvons (…) partager votre point de vue sur une éventuelle exagération quant aux millions de personnes concernées puisqu’aussi bien les sources publiques consultables suite au rapport ONU font état de au moins un million de personnes ouïghoures en camps sans compter le personnes kazakhes enfermées et les surveillances intrusives dans l’espace public et privé dans tout le Xinjiang qui fait considérer l’ensemble de la zone par les observateurs comme un prison ou camps à ciel ouvert. Voir e.a. à ce sujet https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/06/10/pekin-a-enferme-de-facon-arbitraire-au-moins-un-million-de-ouighours-Y756OVLNUNCHRLADPXSO5BHTSM/. »


1) Ma réaction

Un article trompeur

Pour justifier ce que vous appelez pudiquement votre « éventuelle exagération », vous vous référez au « rapport ONU », tel que commenté par l’article publié dans La Libre (1), cosigné par une quarantaine d’universitaires.

« Il est (...) rare, écrivent-ils, que le monde académique arrive à un tel niveau de consensus. » Il s’agit là d’une affirmation pour le moins contestable, comme en atteste, en queue des notes, la liste non exhaustive d’une cinquantaine d’auteurs (universitaires, chercheurs, analystes, journalistes) − certains prestigieux, d’autres plus modestes − qui ne partagent nullement l’avis des signataires de l’article. (*)

Faisant preuve d’une rigueur scientifique toute relative, les auteurs de l’article en question parlent à cinq reprises de « camps d’internement » alors que, dans le texte onusien qu’ils sont censés recenser, on ne parle jamais de camps, mais bien de VETC (Vocational Education and Training Centers), c’est-à-dire des Centres d’enseignement et de formation professionnels.

Mais là où l’article publié dans La Libre et dans Le Monde – Hubert Beuve-Méry doit se retourner dans sa tombe ! – dérape complètement, c’est quand il fait état d’un « agenda génocidaire », ce qui en dit long sur la mauvaise foi de leurs auteurs : s’il est une accusation que les « rapporteurs » de l’ONU évitent soigneusement d’accréditer, c’est précisément l’intention génocidaire.

Des intellectuels faussaires

Comment expliquer une telle forfaiture intellectuelle sinon par l’entêtement à imposer une fake news caractérisée ? Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose. Pour cette quarantaine d’universitaires, il fallait coûte que coûte cautionner les mensonges mainstream, qu’ils proviennent du monde académique (2), de think-tanks (3), du monde politique (4) ou du monde médiatique (5).

À vrai dire, je ne suis nullement étonné d’une telle mauvaise foi. À défaut de les passer tous et toutes en revue, il suffit de jeter un coup d’œil sur les orientations clairement anticommunistes sinon antichinoises de certain(e)s signataires de l’article :

* « June Teufel Dreyer, Professor of Political Science, University of Miami, Florida », travaille aussi pour The Jameston Foundation, un think-tank étatsunien anticommuniste dont les liens avec la CIA n’ont jamais été démentis ;

* « Vanessa Frangville, Senior Lecturer, Université libre de Bruxelles », ne cache même pas sa sinophobie primaire (voir https://www.legrandsoir.info/china-bashing-universitaire.htmlnégationnist), allant jusqu’à inventer le concept de terrorisme anecdotique propos des séparatistes ouïghours ayant sur les mains le sang de plusieurs centaines d’innocents et étant allés grossir les rangs de Daech (voir https://www.legrandsoir.info/le-terrorisme-anecdotique-nouveau-concept-universitaire.html) ;

* « James Leibold, Professor, La Trobe University », collaborateur de l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute), un think-tank australien, financé per le NED (National Endowment for Democracy), rejeton de la CIA, financé aussi par le Département d’État des États-Unis, par des gouvernements occidentaux et même par l’industrie de l’armement ;

* « Dilnur Reyhan, French National Institute for Oriental Studies/European Uyghur Institute », très appréciée des plateaux de télévision français, un peu moins par moi : à propos de ma lettre ouverte à Marie Arena, Présidente de la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen, Dilnur Reyhan a préféré l’injure à la discussion (6) ;

* « Sabine Trebinjac, Directrice de recherche, Centre National de la recherche scientifique, France », autrice d’un article de 15 pages dont les insuffisances ne seraient pas tolérées chez un élève de l’enseignement secondaire (voir http://tibetdoc.org/index.php/politique/ouighours-et-tibetains/625-sabine-trebinjac-et-les-ouighours-un-requisitoire-antichinois-sous-vernis-scientifique) ;

* last but non least : « Adrian Zenz, Senior Fellow in China Studies, Victims of Communism Memorial Foundation », est un born again Christian investi de la mission divine de défaire le communisme (7). Son manque de crédibilité a été pour la première fois mis en lumière par le journaliste allemand Jens Berger (voir https://www.nachdenkseiten.de/?p=56639, 25/11/2019).

Il ne fallait donc pas attendre de tout ce beau monde qu’il reconnaisse s’être trompé : ce n’est pas le genre de la maison. Mais les faits sont têtus : il n’y a pas plus de génocide au Xinjiang qu’il n’y en a au Tibet (8).

Encore une baudruche qui se dégonfle : d’une accusation de génocide, on est passé, comme, au Parlement européen et au Parlement belge, à une accusation de risque de génocide et de crimes contre l’humanité, jusqu’à ce que le « rapport ONU » nuance encore le propos en déclarant, p. 44, article 148, que certaines pratiques peuvent constituer des crimes contre l’humanité (« may constitute international crimes, in particular crime against humanity. »

On peut d’ailleurs se demander pourquoi des abus qui peuvent constituer des crimes contre l’humanité font l’objet de tant de sollicitude alors qu’il existe de par le monde et sur tous les continents des dizaines de crimes contre l’humanité qui se produisent effectivement sans provoquer une forte émotion, voire en étant systématiquement passés sous silence. Poser la question, c’est sans doute y répondre : ce n’est pas Julian Assange qui me démentira...

Le « rapport » onusien

C’est à dessein que j’ai mis des guillemets à rapport, puisque le document publié le 31 août 2022 en anglais ne s’intitule pas Report (avec sa connotation de document faisant autorité), mais Assessment = évaluation ou estimation (avec une connotation plus floue, voire subjective).

Cette évaluation, par ailleurs, n’est pas signée par l’ONU mais par son Haut-commissariat aux droits de l’Homme. À ce jour, l’ONU (193 pays) ne l’a pas validée.

Et surtout que signifie la discordance entre les propos tenus par Michelle Bachelet lors de sa conférence de presse du 15 mai (9) et la publication du 31 août ? Bizarrement, l’évaluation a été publiée 13 minutes avant la fin du mandat de quatre ans de Michelle Bachelet. Tiens, pourquoi ? Pourquoi Michelle Bachelet n’a-t-elle pas présenté en personne « son » « rapport » ? Où est-elle passée ? Comment se fait-il que la grande presse ne se soit posé aucune question à propos de cet étrange hiatus ? Les propos de Michelle Bachelet du 15 mai n’étaient-ils trop favorables à la Chine ?

Elle avait pourtant laissé entendre, et Pékin en était d’accord, que la situation des droits de l’homme au Xinjiang n’était pas parfaite : « No one can claim to be perfect in human rights protection ; there is always room for improvement. » Mais ce jugement nuancé n’était pas acceptable pour la « communauté internationale » à qui on avait fait croire que les Ouïghours étaient victimes de génocide.

M’étant « infligé » la lecture des 46 pages du OHCHR Assessment of human rights concerns in the Xinjiang Uyghur Autonomous Region, People’s Republic of China, j’avais commencé à mettre par écrit mon évaluation de l’évaluation onusienne quand je suis tombé sur cette excellente analyse publiée sur le site « Le Grand Soir » sous la plume d’un auteur qui a notamment le mérite de manier la langue chinoise (10) : j’espère que vous trouverez le temps de lire ces dix-huit pages brillamment écrites et constituant un modèle de perspicacité : son auteur y passe au crible d’une critique interne impitoyable les différentes accusations formulées contre la Chine, pour en arriver à cette conclusion avec laquelle tout honnête homme devait, me semble-t-il, être d’accord :

"La Chine est-elle coupable de ce dont on l’accuse ? Vraisemblablement plus de génocide ni d’esclavagisme, c’est déjà ça. Mais qui se soucie que ce soit vrai ou faux ? La trace de ce qui est dit est indélébile. Oui, la Chine est imparfaite, mais comme le sont toutes les nations, et on ne peut pas prouver non plus que dans sa lutte contre l’extrémisme religieux et dans sa volonté de circonscrire les fantasmes d’indépendance d’une diaspora manipulée, elle ne soit jamais en défaut. Pour rassurer les esprits chagrins ainsi que ceux qui ont la comprenette au sous-sol et surtout pour éviter de tomber dans l’angélisme, il faut le dire tout net : la Chine n’est pas un modèle à suivre en matière de police et de justice, pas plus qu’en un tas d’autres aspects, et elle n’a pas vocation à l’être. La police chinoise est composée d’êtres humains, et comme tous les êtres humains dépositaires de l’autorité publique, ceux-ci commettent des abus, font des erreurs voire des bavures, arrêtent des innocents, les emprisonnent, usent de la force pour avoir un renseignement, corrompent et sont corrompus.

La vérité est plus là que dans les vieilles casseroles de la cuisine onusienne."

Au plaisir de poursuivre les échanges si vous le jugez bon, je vous assure, cher Monsieur, de ma meilleure considération.


2) Réponse du journaliste

Bonjour

J’ai bien reçu votre mail.

Le travail journalistique que nous menons à la rédaction nous amène d’autres informations, éloignées des conclusions que vous tirez. Nous n’en ferons pas un échange permanent, vous laissant à vos convictions.

Bien à vous

3) Ma réaction

Cher Monsieur,

Je suis passablement déçu par votre dernier courriel. J’aurais pu espérer qu’un journaliste chevronné comme vous respecte la Charte de Munich, qui est un peu pour les journalistes ce que le Serment d’Hippocrate est aux médecins. Parmi les dix devoirs du journaliste, cette charte impose (art. 6) de « rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte », en l’occurrence votre affirmation selon laquelle plusieurs millions de Ouïghours sont actuellement enfermés dans des camps dans le Xinjiang. Tout le monde peut se tromper. Encore faut-il savoir reconnaître ses erreurs. Vous vous seriez grandi en reconnaissant vous être trompé.

Au lieu de ça, vous tentez de décrédibiliser ma note critique en la rangeant dans le domaine des convictions que vous opposez aux informations, fruit du « travail journalistique ».

Parmi les synonymes ou quasi-synonymes de information, on peut citer : enquête, investigation, instruction, interrogation, examen, etc. C’est du sérieux.

Quant aux synonymes ou quasi-synonymes de conviction, on trouve – c’est moins sérieux – : croyance, certitude, persuasion, foi, avis, adhésion, assurance, confiance.

Beaucoup de gens ont la conviction que la terre est plate ou que Dieu a créé la terre en sept jours. Je trouve plutôt injurieux de votre part d’assimiler mon analyse à ce type de croyance, tandis que vous auriez, vous, le privilège de détenir des ... « informations, éloignées de [mes] conclusions ».

Quelles sont donc ces « autres informations » qui vous permettent de me contredire ? N’auriez-vous pas, par hasard, des convictions vous faisant avaler, fût-ce inconsciemment, des fake news véhiculées par la presse mainstream ?

Et n’est-ce pas la noblesse du travail journalistique que de se livrer à un travail d’investigation et d’enquête sur différentes informations, notamment celles qui sont précisément « autres » que les dépêches officielles ?

Je reste, quant à moi, ouvert à la discussion, n’ayant aucune prétention à détenir le monopole de la vérité.

Bien à vous.


(1) https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/06/10/pekin-a-enferme-de-facon-arbitraire-au-moins-un-million-de-ouighours-Y756OVLNUNCHRLADPXSO5BHTSM/.

(2) comme les sinologues
 Eleanor Hart (https://aoc.media/analyse/2022/07/20/genocide-ouighour-lemergence-dun-consensus-scientifique/) ou
 Marie Holzman (https://www.philomag.com/articles/marie-holzman-les-ouighours-et-les-kazakhs-sont-designes-par-pekin-comme-les-peuples).

(3) comme le Newlines Institute for Strategy and Policy, en collaboration avec le Centre Raoul Wallenberg pour les droits de l’homme (https://www.investigaction.net/fr/un-rapport-independant-faisant-etat-dun-genocide-ouighour-vous-est-presente-par-une-universite-frauduleuse-et-des-ideologues-neoconservateurs-qui-font-pression-pour-punir/).

(4) comme
 l’Assemblé nationale française, à l’unanimité moins la France Insoumise (https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/19/l-assemblee-nationale-francaise-se-penche-sur-le-genocide-ouigour_6110134_3210.html),
- l’Administration Biden (https://information.tv5monde.com/info/etats-unis-l-administration-biden-denonce-aussi-un-genocide-des-ouighours-par-la-chine-392865),
 le Parlement canadien (https://www.aa.com.tr/fr/monde/le-parlement-canadien-reconna%C3%AEt-le-g%C3%A9nocide-des-ou%C3%AFghours-en-chine/2595817),
 le Parlement britannique (https://www.google.com/search?q=parlements+du+royaume-uni+et+de+l%27irlande+%3A+g%C3%A9nocides+ou%C3%AFghours&oq=&aqs=chrome.0.69i59i450l8.550157586j0j15&sourceid=chrome&ie=UTF-8),
 le Parlement néerlandais (https://www.latribune.fr/depeches/reuters/KBN2AP2QY/le-traitement-des-ouighours-en-chine-est-un-genocide-dit-le-parlement-neerlandais.html),
 le Député Raphaël Glucksmann (https://www.charentelibre.fr/2021/01/27/ouighours-l-eurodepute-glucksmann-s-attaque-aux-complices-du-genocide,3701036.php?nic).

(5) comme
 L’Obs (https://www.nouvelobs.com/monde/20210305.OBS41012/ouigours-un-genocide-cache-cinq-lanceurs-d-alerte.html),
  Le Monde (https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/10/la-chine-est-responsable-d-un-genocide-des-ouigours-selon-des-experts-reunis-a-londres_6105455_3210.html ne dément pas ces « experts »),
 Libé (https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/ensemble-contre-le-genocide-ouighour-20220119_5MFTW7WUPNCATAWINZ73GQQFOI/),
 Arte (https://www.legrandsoir.info/calunnia-del-arte.html), et même
 Esprit (https://esprit.presse.fr/article/dilnur-reyhan/le-genocide-des-ouigours-43459).

(6) Quelle audace de m’envoyer cette poubelle de torchon chinois ! En même temps connaissant parfaitement les méthodes et l"éthique" du PCC, des soldats Francophones de longues dates comme André machin qui passent leur vie à mendier auprès de leurs maîtres chinois pour deux sous, cette méthode de Zéro honte, zéro humanité ne m’étonne guère. Pourtant j’avais déjà signalé ce torchon à l’argument inexistant, pour ne pas recevoir ses pourriels.
Il faut une enquête sérieuse sur ces criminels qui effectuent un travail criminel acharné au service d’un régime génocidaire.
J’offre ce proverbe ouïghour à ces individus d’André machin qui sont nés après honte : "L’épaisseur de ma peau du visage est le confort de ma vie."
(courriel du 17/09/2020 de Mme Dilnur Reyhan à André Lacroix)

(7) Pour d’autres informations sur les fantasmes de Zenz, voir, par exemple, ce qu’en dit le journaliste étasunien Dan Cohen in http://tibetdoc.org/index.php/politique/ouighours-et-tibetains/628-la-chine-commet-elle-un-genocide-au-xinjiang%20notamment.

(8) Voir http://tibetdoc.org/index.php/politique/ouighours-et-tibetains/617-tibetains-degoutes-tibetains-deboutes-le-vent-tourne-mais-quid-des-ouighours.

(9) https://www.globaltimes.cn/page/202205/1266511.shtml.

(10) https://www.legrandsoir.info/rapport-de-l-onu-sur-les-droits-de-l-homme-au-xinjiang-du-31-aout-2022-c-est-dans-les-vieux-pots-qu-on-fait-l-meilleur-ragout-38246.html.

(*) liste disponible sur simple demande à andre.lacroix@lacroix-deruyt.be.

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Journaliste, écrivain, professeur d’université, médecin, essayiste, économiste, énarque, chercheur en philosophie, membre du CNRS, ancien ambassadeur, collaborateur de l’ONU, ex-responsable du département international de la CGT, ancien référent littéraire d’ATTAC, directeur adjoint d’un Institut de recherche sur le développement mondial, attaché à un ministère des Affaires étrangères, animateur d’une émission de radio, animateur d’une chaîne de télévision, ils sont dix-sept intellectuels, (…)
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