Mon BILLET DE BLOG, 25 FÉVR. 2016, Médiapart
Sur la polémique autour de Kamel Daoud et les viols de Cologne
Kamel Daoud se piège lui-même, tel Narcisse succombant aux narcotiques que dissimule son image dans le miroir de son piège culturel.
YOUCEF BENZATAT
Abonné·e de Mediapart
Le combat pour la liberté n’est pas du ressort exclusif des intellectuels et des politiques. Il appartient à tout citoyen d’y contribuer, par tout moyen. Par le débat d’abord. Ensuite l’éprouver dans sa propre existence et le traduire dans la conduite de sa propre vie. La liberté n’est pas une affaire de désir, elle est le souffle qui conditionne notre bonheur. A la question qu’est-ce que le bonheur, le poète répond : c’est se sentir libre. Libre d’organiser son rapport au monde, aux autres et à l’absolu, sans devoir se sentir obligé de rendre compte à quiconque, aux parents, à la société, ainsi qu’ à toute autorité liberticide ou tout autre tutelle. Notre société souffre de son aliénation dans les structures mentales patriarcales et l’imaginaire mythologique religieux. Notre combat à tous, devrait être leur déstructuration et leur déconstruction dans tout ce que nous entreprenons. Le chemin est long, très long, tellement les embuches sont nombreuses et difficiles à surmonter. En définitif, notre combat pour la liberté devrait nous amener à construire une société ou la femme puisse disposer de toute sa souveraineté sur son corps et son esprit. Avoir des rapports sexuels avant le mariage. Choisir librement ses partenaires sexuels, qu’ils soient noirs, blancs, juifs, ou toute autre personne qu’elle désirerait. L’enfant respecté en tant qu’être à part entière. L’athée et le croyant respectés dans leur rapport à l’absolu. Le choix personnel de la sexualité, hétérosexualité, homosexualité, transsexualité, devrait être protégé par la loi, sans crainte de discrimination, à l’école, au travail, dans l’espace public, ainsi que dans sa propre famille. Ceci dit, le combat pour la liberté ne devrait pas être amalgamé par de faux alibis, tels les viols de Cologne la nuit de la Saint Sylvestre, dont les enjeux se situent ailleurs, même si les faits interpellent notre condition patriarcale et religieuse. L’honnêteté intelectuelle consiste dans ce cas à convoquer tous les arguments en notre possession pour faire la lumières sur cet événement dramatique. Non pas faire une analyse sélective et occulter des facteurs déterminants, pour en rendre compte de manière pragmatique. C’est ce à quoi je me suis aventuré dans cette analyse.
Kamel Daoud est un squatteur à l’image du réfugié dans la jungle de Calais
Le premier squattant le vide dans la pensée, l’autre, le trop-plein de la luxuriance. Tous les deux, poussés par la déchéance de leur désir de souveraineté sur le réel, débarquent dans une intrusion fracassante dans l’espace de l’autre, celui qui s’est bâti sur cinq siècles de destruction, de meurtre de masse et de pillage, prenant tour à tour les noms de découvertes, de colonisation, de néo colonisation, pour se cristalliser in fine dans une globalisation immorale, plus destructrice encore, plus génocidaire et prédatrice au paroxysme. Un espace fantasme, dont les fondations plongent leurs racines dans un océan de sang que recouvre un leurre d’humanisme, comme la neige recouvre la terre de son manteau de mensonges.
La désertion des intellectuels orientaux vers l’occident et leur silence acheté au prix de leur insertion dans cet espace d’élection, donnera l’opportunité à des Kamel Daoud, Boualem Sansal, et tant d’autres, de venir monnayer à leur tour leur adoption dans la lâcheté qui caractérise la servitude, en assumant le rôle de caisse de résonance à un silence qui en dit long sur l’avilissement de leur peuple. Les réfugiés, par milliers, par dizaines de milliers et bientôt par millions, abandonnés de tous, n’auront plus d’autre choix que de venir irriguer des flots ininterrompus d’envahissement de cet espace d’élection circonstancié. Un espace de conjure, se substituant dans leur imaginaire pollué par tant de frustrations et de promesses non tenues et tant de trahisons de la part de ceux qui se sont autoproclamés dépositaires de leur destin, leur léguant des pays en faillite dans les bras et les plongeant dans le vacillement d’une interminable gueule de bois, dont le squat résonne comme une vengeance sur leur néantisation. Tel un big passage à l’acte, annonciateur de fin des temps, avec son lot de violence et d’incompréhension. Ceux de Cologne en sont la parfaite illustration.
Des viols, attouchements et vols de Cologne la nuit de la Saint Sylvestre on ne retiendra qu’une meute de réfugiés musulmans pervers, endoctrinés par leur religion pour commettre les pires actes de barbarie sur terre contre les infidèles. Tel est le verdict sans appel de Kamel Daoud, qu’il ne faudra en aucun cas contredire ou nuancer sous peine d’être accablé de jalousie ou de quelque bigotisme obscurantiste. Telle une parole prophétique, que les lobbys en campagne contre le réveil de ces peuples en ébullition révolutionnaire permanente, par djihadistes interposés, voudraient hisser comme ultime vérité sur l’énigme de cette orgie sexuelle sur la place publique d’un pays non musulman. Dans cette logique islamophobe, après que l’enquête ayant révélé que la majorité de ces violeurs étaient d’origine nord-africaine, dont beaucoup sont Algériens, établis en Allemagne bien avant « l’invasion » des réfugiés incriminés dans cette affaire, on peut s’autoriser d’émettre l’hypothèse que ceux-ci venaient d’accomplir collectivement la salat el icha (prière du soir) dans une mosquée environnante avant de passer à l’accomplissement de leur forfait dans une concertation collective. Telle une milice en campagne ! Un acte criminel à connotation raciste, prémédité, conclura de ce fait une justice aveugle.
Un comportement inconscient, peine à renchérir Kamel Daoud, dû aux frustrations d’une éducation sexuelle religieuse dépravée. Un passage à l’acte qui retournera Sigmund Freud autant de fois dans sa tombe jusqu’à l’abdication pour sa théorie sur le refoulement sexuel ! Laissant croire que le monde musulman serait le théâtre de toutes sortes d’actes pervers de cette nature à longueur d’année, rendant la vie des femmes quasi impossibles dans l’espace public, sous peine d’être violées à longueur de journée par les males qu’elles croiseraient sur leur chemin ! Bien que la religion musulmane, plus que ses paires chrétienne et judaïque, qui confinent la femme à un statu inférieur à l’homme et considèrent le rapport sexuel hors mariage comme sacrilège, générant frustrations et perversions chez ses sujets, ne suffit pas à expliquer un tel comportement obscène par cette causalité à elle seule. Pour dépasser cette contradiction, Kamel Daoud insinue, en le justifiant, qu’un tel passage à l’acte sélectif n’aurait été possible que par l’autorisation du viol des femmes non musulmanes que leur religion cautionne !
Pourtant, l’histoire est truffée de ce genre d’orgies crapuleuses, anéantissant la quiétude et l’équilibre psychologique de tant de femmes innocentes, victimes de ce genre de barbarie. En temps de guerre, le vainqueur à de tout temps usé et abusé d’orgies similaires contre les femmes des vaincus. Sans pour autant que ces viols collectifs ne soient dictés exclusivement par le sentiment d’appartenance religieuse. A l’image du viol colonial en tant que viol symbolique, celui d’une nation belliqueuse sur une autre nation souveraine et son lot de viol des femmes. Alors que c’est sous la bannière des lumières, de la modernité et de la civilisation que le viol colonial s’était accompli et que les conquérants sur le terrain commettaient les pires viols de femmes et même d’enfants. Pas d’amalgame donc ! Ni les lumières, ni la pensée moderne, encore moins les religions n’ont professé de tels barbarismes ! Servir les clichés islamophobes les plus éculés dans un pot-pourri ne peut être d’aucune utilité à la condition de la femme et a son émancipation. Bien au contraire, il ne fait que durcir la résistance des bigots de tout bord à l’ouverture de la société aux valeurs de modernité et de contemporanéité du monde. Se greffer sur les pots-pourris en prétendant servir la cause de la femme relève de la malhonnêteté intellectuelle. Si violence il y a, toutes les religions se valent. Il n’y a pas de religion plus violente qu’une autre. Il suffit de se rappeler la justification par François Mitterrand de la mise à sac de l’Irak, la qualifiant de « guerre juste », en référence à la chrétienté guerrière. Une guerre juste qui ouvrira les portes à l’occident judéo chrétien pour semer le chaos dans le monde musulman pour l’asservir. Le peuple, contrairement à l’intellectuel de service, ne se trompe jamais dans son jugement, étant celui qui a les pieds sur la braise. Aux moments forts de la barbarie coloniale française en Algérie, le peuple algérien n’allait pas par trente-six chemins pour qualifier ses bourreaux par frança bent el kelb (la France fille de chien).
Quant aux questionnements sur d’éventuels circonstances élargies ayant abouti à cet acte barbare, que Kamel Daoud et la meute de chiens de garde affectée au chevet de son délire névrotique considèrent comme l’exclusive des conséquences éducatives de l’immoralité religieuse musulmane et unique source d’interrogation pour faire toute la lumière sur cette affaire, il n’est nul doute que les auteurs de ces questionnements hors des sentiers battus se verrons taxés d’apologie de viol et autre bigotisme aveugle, voire de triviale jalousie, pour dissimuler un déficit d’arguments qui traduit une mauvaise foi complice.
Que d’énergie protubérante gaspillée dans une forme en mal d’harmonie d’avec son fond. Kamel Daoud se piège lui-même, tel Narcisse succombant aux narcotiques que dissimule son image dans le miroir de son piège culturel. Le style c’est l’homme, lorsque celui-ci entre en conflit ouvert contre le piège culturel qui le conditionne et le détermine, en en faisant la forme de ses souffrances, de ses désirs et de leur dépassement. Tout le fond. Non pas un fond sélectif, à travers lequel il se fraye un chemin privilégié vers des raccourcis qui mènent droit au reniement de soi et à la compromission, pour venir alimenter encore plus le leurre des satrapes.
Encore une fois, j’apporte des explications aux lecteurs qui n’ont pas compris certaines nuances du texte. A aucun moment il était question de défendre ces actes criminels, ni leurs auteurs. Mais d’analyser les circonstances ayant amené à cette situation. Toutes les circonstances et non pas seulement l’effet de causalité de la religion musulmane, comme le fait Kamel Daoud, en occultant, volontairement ou non, tout le reste : le viol colonial et sa poursuite aujourd’hui dans l’offensive de destruction du monde musulman et leurs conséquences sur l’imaginaire collectif. Nos mères, nos grand-mères et mêmes des enfants n’ont pas été épargnés par ce genre de viols collectifs durant toute la colonisation. Les effets sont désastreux sur leur descendance et en pareille circonstance, celle de Cologne, il y a la potentialité d’un retour du refoulé, qui peut être le déclencheur de ce passage à l’acte, inconsciemment. Car on ne peut vivre avec une mémoire discontinue. On ne peut pas faire table rase avec l’histoire, comme avec la mémoire. Elles sont parties prenantes de nos conditions contemporaines et les déterminent. Alors que ce viol, symbolique et même physique, se poursuit aujourd’hui sous nos yeux (Il suffit de se rappeler la prison d’Aboughraib en Irak ou le viol d’enfants par des militaires français en Centrafrique), et qui continue à alimenter fortement le processus du viol colonial dans l’imaginaire collectif. Par ailleurs, depuis l’invasion de l’Irak, des millions de morts musulmans ont été causé par ce processus colonial et des pays entiers détruits, alors que le nôtre est constamment menacé ! Sans oublier le deux poids, deux mesures dans le conflit israélo-palestinien. Ce sont là des sources de ressentiments qui peuvent provoquer ce genre de passage à l’acte dans de telles circonstances, sans pour autant que leurs auteurs ne soient de véritables croyants ou pratiquants. C’est en cela que la justification par la seule causalité religieuse est une malhonnêteté intellectuelle. Puisque Kamel Daoud a choisi de lier le viol de Cologne à la religion des réfugiés ou migrants mis en cause dans cette affaire, il fallait avoir le courage de recourir à tous les arguments qui lient ces deux espaces et mener son enquête jusqu’au bout.