Dans la création d’une rose, l’accent est mis dans le film sur le processus, presque magique, de l’hybridation, qui fait de l’horticulteur un véritable Pygmalion. Le réalisateur, Pierre Pineau, a aussi pratiqué cette technique : prenant le sujet de départ de La Mule, ajoutant un zeste de La Potiche (pour le féminisme, le personnage de la femme chef d’entreprise), il a suivi le schéma de La part des anges. Le résultat est une comédie agréable, mais qui manque de parfum.
Horticulteur, Duke (Clint Eastwood) crée des lys, qu’il présente à des concours ; dans La fine fleur, Eve (Catherine Frot) fait de même avec ses roses. Duke a refusé le tournant de l’informatique ; Eve n’arrive pas à lutter avec les grosses entreprises horticoles. Le premier fait faillite, la deuxième est au bord du dépôt de bilan ; pour se refaire, tous deux vont avoir recours à des moyens illégaux.
Pourquoi cet intérêt pour le thème de l’horticulture ? Dans les deux cas, la culture des fleurs va déboucher sur des interrogations familiales : pour créer une belle fleur, on lui cherche le meilleur « père » et la meilleure « mère » possibles, qu’on va hybrider ; après, l’horticulteur devra donner tous ses soins au rejeton obtenu. Or, Duke a été un mari et père aussi négligent qu’il est un horticulteur attentionné. De même, les parents de Fred, le nouvel aide d’Eve, l’ont abandonné et repoussent ses tentatives pour les revoir. Une fois retiré de l’horticulture, Duke va s’attacher à retisser les liens avec sa femme, sa fille et sa petite-fille. Fred, lui, grâce à son nouveau rôle de père à l’égard de ses fleurs, va dépasser son manque affectif filial, comprenant que ses parents sont des parents indignes, et, dans le cadre de son travail, va nouer une nouvelle relation materno-filiale avec Eve (on peut noter que la famille choisie préférée à la famille biologique, cela va tout à fait dans le sens du politiquement correct).
Mais la malice de Clint Eastwood cède ici la place aux bons sentiments ; car c’est en utilisant avec un cynisme tranquille l’argent des narco-trafiquants que Duke va se racheter en tant que mari et grand-père, finançant les études de sa petite-fille. En fait, peu lui importe la morale sociale, seule compte pour ce libertarien sa réalisation en tant qu’individu, qu’elle soit horticole ou familiale. Dans La fine fleur, le recours à l’illégalité n’a aucun caractère provocateur et n’entraîne guère de prises de position idéologiques, Eve s’affirmant elle-même victime de comportements illégaux.
Mais l’hybridation fait aussi appel à La part des anges : ne pouvant plus payer d’ouvriers, Eve a recours à un stage de réinsertion et se retrouve face à trois hurluberlus qui ne connaissent rien aux fleurs. Elle n’hésite pas à utiliser les talents de délinquant de Fred, mais en même temps, elle découvre chez lui un don, un « nez », qui lui permet, comme à Robbie, d’analyser, non le goût des whiskies, mais le parfum des roses et va lui ouvrir de brillantes perspectives professionnelles.
Pierre Pineau dit s’être intéressé au thème de la sélection, commun à l’horticulture et à la société, et au paradoxe entre la sélection positive des fleurs, et la sélection négative subie par sa bande de chômeurs et délinquants. Mais l’analyse sociale de Ken Loach fait ici défaut : dans une sorte de prologue, Loach, dans La part des anges, faisait défiler une série d’accusés lors d’une séance au tribunal : tout particulièrement significatif est le cas d’une mère au chômage qui, pour nourrir ses enfants, fait des ménages au noir, et est condamnée pour fraude aux allocations sociales. On pense aussi au cas Lady Bird, une mère de famille qui travaille comme chanteuse, ce qui provoque une négligence pour laquelle les services sociaux lui enlèvent ses enfants. Chez Pineau, par contre, la mère est entièrement responsable : elle abandonne son fils à l’assistance publique parce que, nouvelle Thénardier, elle ne l’aime pas. Le thème de la sélection ne mène donc à aucune remise en cause sociale, et il n’y a aucune tentative de mise en contexte des candidats à l’insertion : la société est absente, nous ne voyons que des individus.
Le seul cas ici étudié, c’est celui de la lutte entre petite entreprise familiale et grande entreprise (la société Lamarzelle, qui veut racheter les roses Eve Vernet), et les seules issues proposées dans le film sont la réussite individuelle (pour Fred) ou l’identification aux intérêts de la petite entreprise (les deux autres chômeurs, après avoir, au début, regimbé pour la forme, restent travailler pour Eve – certes avec maintenant un CDI). On reste donc dans un cadre capitaliste, même si on peut y sentir un relent de poujadisme, et on nous encourage, contre toute vraisemblance, à considérer avec optimisme l’initiative privée et la petite entreprise (on est bien loin de la démonstration de Ken Loach dans A free world : la logique de la liberté d’entreprise, c’est les gros poissons qui mangent les petits poissons).
La fine fleur, comparée à La Mule et La part des anges, esquive donc les problèmes sociaux et idéologiques et apparaît comme une ode au savoir-faire et à l’artisanat français (le réalisateur souligne que le concours de roses le plus ancien est celui de Bagatelle – depuis1907 – et que la moitié des créateurs de roses sont français ) – on penserait presque aux JT du regretté Jean-Pierre Pernaut ! Une comédie à la française, donc, plaisante, sympathique, séduisante même (on y découvre un beau garçon, Melan Omerta, rappeur de son état), mais très sage, qui prône simplement la réussite individuelle, tout en respectant le politiquement correct : Eve, dans son discours, rend hommage à la belle équipe qui s’est constituée autour d’elle (élément de langage on ne peut plus managérial).