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Les excuses de George Monbiot pour ne pas avoir suffisamment défendu Assange ne sont pas acceptables

Cet article s’applique parfaitement aux journalistes mainstream français.

Confronté à un flux de critiques de la part de certains de ses disciples, George Monbiot, le chroniqueur de gauche du Guardian, supposé intrépide, a présenté cette semaine deux excuses extraordinairement faibles pour ne pas avoir apporté plus qu’un soutien superficiel à Julian Assange au cours du mois dernier, alors que le fondateur de Wikileaks a subi des audiences d’extradition dans un tribunal de Londres.

L’administration Trump veut qu’Assange soit amené aux États-Unis pour faire face à des accusations d’espionnage qui pourraient le voir enfermé dans une prison supermax en vertu de "mesures administratives spéciales", l’empêchant d’avoir de véritables contacts avec tout autre être humain pour le reste de sa vie. Et ce sort ne l’attend que parce qu’il a embarrassé les États-Unis en exposant leurs crimes de guerre en Afghanistan et en Irak dans les pages de journaux comme le New York Times et le Guardian - et parce que Washington craint qu’Assange, s’il est laissé libre, ne publie des vérités plus troublantes sur les actions américaines dans le monde entier.

Mais il y a bien plus en jeu que le simple fait que les droits d’Assange soient bafoués. Il n’est pas simplement l’équivalent occidental d’Ai Weiwei, l’artiste et dissident chinois qui a notamment offert son propre soutien à Assange lors des audiences. Weiwei s’est couvert la bouche devant la salle d’audience de l’Old Bailey pour protester contre le silence général des médias sur les crimes perpétrés contre Assange.

Assange est confronté à un nouveau type d’extradition terrifiant, une restitution qui n’est pas effectuée secrètement par les services de sécurité américains mais en pleine lumière et, si le tribunal de Londres l’approuve, avec le consentement du pouvoir judiciaire britannique. Si l’extradition est autorisée, un précédent sera créé qui permettra aux États-Unis de saisir et d’emprisonner tout journaliste qui expose ses crimes. Inévitablement, cela aura un effet paralysant sur tous les journalistes qui enquêtent sur la seule superpuissance du monde. Ce sera non seulement la mort du rôle déjà affaibli du journalisme en tant que chien de garde du pouvoir, mais aussi un coup mortel porté à l’engagement de nos sociétés envers les principes de liberté et d’ouverture.

Le strict minimum :

Cela devrait être une raison suffisante pour que tout le monde s’inquiète de l’audience d’extradition d’Assange, et plus particulièrement les journalistes. Et plus encore un journaliste comme Monbiot, dont le travail consiste à enquêter sur le pouvoir discrétionnaire et ses effets corrosifs. Si un journaliste britannique doit crier sur tous les toits contre l’extradition d’Assange, c’est bien Monbiot.

Et pourtant, il n’a pas écrit une seule colonne dans le Guardian sur Assange, et en réponse aux critiques croissantes de ses partisans, il a fait état de trois retweets soutenant Assange au cours des quatre dernières semaines d’audiences d’extradition. Il faut noter que ces trois retweets sont des articles publiés dans son propre journal, le Guardian, qui rompent avec sa couverture hostile et peuvent être considérés comme vaguement sympathiques à Assange.

C’était le minimum que Monbiot pouvait se permettre de faire. Après tout, en tant que conscience de gauche du Guardian, il aurait été étrange qu’il ne retweete pas les rares cas, dans une mer d’articles du Guardian ridiculisant et vilipendant Assange, où le journal faisait un clin d’oeil à ses lecteurs les plus à gauche.

Mais notamment, Monbiot n’a pas retweeté les articles quotidiens postés par l’ancien ambassadeur britannique Craig Murray qui décrivaient les horribles abus de procédure judiciaire contre Assange pendant les audiences d’extradition, ainsi que les témoignages d’experts qui ont démoli les principales revendications de l’affaire américaine. Monbiot n’a retweeté aucun des articles ou commentaires [en VOSTFR ci-dessous] du célèbre journaliste d’investigation John Pilger, qui a été un fervent défenseur d’Assange.

Il n’a pas retweeté le témoignage de Noam Chomsky, le célèbre linguiste et analyste politique, selon lequel les accusations américaines contre Assange sont de nature entièrement politique et annulent donc la demande d’extradition américaine. De même, Monbiot a ignoré les commentaires de Nils Melzer, l’expert des Nations Unies en matière de torture, selon lequel Assange est déjà psychologiquement torturé par les actions combinées du Royaume-Uni et des États-Unis pour le maintenir enfermé dans un isolement extrême et dans un état prolongé de peur chronique pour son avenir.

Monbiot n’a pas non plus retweeté la semaine dernière le témoignage stupéfiant d’un ancien employé de la société espagnole qui assurait la sécurité à l’ambassade équatorienne, où Assange a passé sept ans en asile politique. Il a déclaré que, sous la direction de la CIA, la société a enfreint la loi en surveillant Assange, jusque dans les toilettes, et a écouté ses conversations privilégiées avec ses avocats. Ce seul fait aurait dû suffire à forcer la présidente du tribunal, Vanessa Baraitser, à se prononcer contre la demande d’extradition des États-Unis.

Des excuses lâches

Non, Monbiot n’a parlé à ses partisans d’aucun de ces développements ou de beaucoup d’autres qui sont apparus au cours des quatre dernières semaines. Au lieu de cela, il a présenté deux excuses lâches pour expliquer pourquoi il est resté aussi silencieux face à la pire atteinte à la liberté de la presse de mémoire d’homme.

La première est que l’audience d’extradition d’Assange n’est apparemment pas assez importante. Il s’agit simplement "d’une parmi des centaines de questions cruciales" et "comparé à la perte de sol, par exemple, c’est tout en bas de ma liste".

Personne ne peut douter que Monbiot prend à juste titre les questions environnementales extrêmement au sérieux. Mais il ne se contente pas de tweeter et d’écrire sur l’environnement. Il y a beaucoup d’autres questions, sans aucun lien avec l’environnement et dont il semble ne rien savoir, sur lesquelles il écrit régulièrement. […] 

Ces deux dernières années, Monbiot a consacré beaucoup de temps et d’énergie - temps et énergie qu’il a refusé de consacrer à la défense d’Assange et de la liberté de la presse - à attaquer ceux qui ont mis en doute les affirmations des services de renseignement américains et britanniques selon lesquelles le gouvernement syrien de Bachar Assad aurait mené une attaque à l’arme chimique à Douma en avril 2018. Cette prétendue attaque a servi de prétexte aux États-Unis pour lancer un bombardement sur la Syrie - un exemple de crime international suprême, selon les principes de Nuremberg.

Monbiot a tenté d’intimider et de réduire au silence ceux, y compris les dénonciateurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), qui ont laissé entendre que les preuves indiquent en fait que les groupes djihadistes sont responsables de ce qui s’est passé à Douma.[…] Néanmoins, Monbiot a sali toute personne sceptique quant à la version officielle occidentale de Douma en la qualifiant d’"apologiste d’Assad", y compris, par conséquence, l’éminent journaliste du Moyen-Orient Robert Fisk, qui, contrairement à Monbiot, a effectivement visité Douma.

Monbiot n’a aucune expertise sur le Moyen-Orient, et a probablement tiré ses conclusions en lisant les couvertures du Guardian sur la Syrie (Mobiot reprenant les mêmes positions que le Guardian). Il est déjà assez malheureux qu’il ait utilisé sa plateforme pour passer à l’offensive contre ceux qui prennent une position critique sur les événements de Douma. Mais pire encore, il a balayé dans sa campagne de diffamation les dénonciateurs de l’OIAC, l’organe de surveillance des armes chimiques des Nations unies, qui ont averti que l’OIAC n’est plus indépendante mais est devenue un organe profondément politisé qui a trafiqué les conclusions des inspecteurs dans l’affaire Douma pour soutenir l’agenda égoïste de Washington en Syrie.

Les affirmations des dénonciateurs ne sont guère en contradiction avec le tableau d’ensemble de l’OIAC. L’organisation est sous la coupe de Washington depuis près de deux décennies. Le précédent chef de l’OIAC, José Bustani, a été chassé par l’administration Bush après avoir cherché à négocier de nouvelles inspections d’armes en Irak pour priver les États-Unis d’un prétexte pour lancer leur invasion illégale en 2003. Furieux que les plans américains de changement de régime puissent être perturbés, John Bolton, l’ambassadeur américain belliciste auprès de l’ONU, a même menacé Bustani : "Nous savons où vivent vos enfants."

Au moins trois membres de l’équipe de l’OIAC qui ont enquêté sur les événements de Douma ont tenté d’avertir que les preuves accusant Assad avaient été trafiquées par les responsables de l’organisation et que leurs propres recherches montraient que les coupables les plus probables étaient des groupes djihadistes - qui espéraient probablement trouver un prétexte pour une intervention occidentale plus directe en Syrie afin de les aider à faire tomber le gouvernement syrien.

La désinformation autour des événements de Douma a pris une telle ampleur que Bustani lui-même a récemment tenté d’intervenir […] au Conseil de sécurité. Il a noté dans des témoignages bloqués par les États-Unis et le Royaume-Uni : "Au péril de leur vie, ils [les dénonciateurs] ont osé dénoncer un éventuel comportement irrégulier au sein de votre organisation [l’OIAC]". Il a ajouté : "Entendre ce que vos propres inspecteurs ont à dire serait un premier pas important pour réparer la réputation de l’Organisation qui a été ternie".

Un argument absurde

Il y a donc de nombreuses raisons de critiquer Monbiot pour sa diffamation des sceptiques de Douma et des dénonciateurs de l’OIAC. Mais je n’ai pas l’intention de revenir sur l’épisode de Douma. Ce que je veux dire concerne Assange.

En affirmant qu’il n’a pas le temps de défendre Assange, Monbiot soutient implicitement que s’opposer à la guerre totale menée actuellement par les États-Unis contre le journalisme est une priorité moindre que sa diffamation des dénonciateurs de l’OIAC ; que l’intimidation et la réduction au silence des sceptiques de Douma est l’une de ces "centaines de questions cruciales" plus importantes que d’empêcher Assange de passer le reste de sa vie en prison, et plus importante que de sauver le journalisme d’investigation de cette grave agression des États-Unis.

Pour comprendre à quel point l’argument de Monbiot est absurde, notons que la seule façon de régler correctement l’affaire Douma - sans régurgiter les revendications des services de renseignements américains et britanniques, comme l’a fait Monbiot - est que quelqu’un parvienne à divulguer les communications classifiées sur Douma entre l’administration américaine et la direction de l’OIAC. Cela nous permettrait de savoir si ce sont les dénonciateurs de l’OIAC qui disent la vérité ou non. Les dénonciateurs ont déjà déclaré que des fonctionnaires américains se sont présentés à une réunion de l’OIAC sans avoir été annoncés et en violation du statut indépendant de l’organisme, dans le but de faire pression sur le personnel.

La seule façon d’apprendre la vérité avec certitude est de savoir s’il y a eu une fuite de documents - vers une organisation comme le groupe Wikileaks d’Assange.

La guerre contre Assange n’a pas seulement été une guerre contre le journalisme. C’est aussi une guerre contre les lanceurs d’alerte qui ont aidé les journalistes et Wikileaks à découvrir la vérité. L’issue de l’affaire Assange ne dépend pas seulement de son sort personnel, mais aussi de la capacité même du journalisme à puiser dans des sources proches des centres de pouvoir. En abandonnant Assange, nous abandonnons tout espoir de découvrir la vérité sur toute une série de questions parmi les plus urgentes auxquelles nous sommes confrontés.

Si Monbiot espère pouvoir faire campagne plus efficacement sur des "centaines de questions cruciales" comme la perte des sols et d’autres préoccupations environnementales, il a besoin d’Assange et de Wikileaks, aussi vigoureux que possible, et non pas d’un Assange enfermé dans une cellule sombre et d’un Wikileaks qui est devenu l’ombre de l’organisation qu’elle était autrefois.

Monbiot, bien sûr, n’a pas besoin de moi pour lui dire tout cela. Il le comprend déjà. C’est pourquoi son comportement doit être expliqué, ce dont nous parlerons dans une minute.

Mais avant cela, intéressons-nous à sa deuxième excuse, extraordinaire, pour ne pas avoir élevé la voix au-délà d’une murmure sur le sort d’Assange.

Monbiot prétend qu’il ne peut rien ajouter d’"original" à ce qui a déjà été dit sur l’affaire Assange et que "il ne s’agit pas de cocher des cases" mais d’"élargir le champ".

Mettons de côté la lacune évidente de cet argument : que Monbiot a coché toutes les cases imaginables sur l’incident de Douma. Il n’a précisément rien ajouté au débat, si ce n’est ses propres calomnies sur les dénonciateurs. Tout ce qu’il a fait, c’est se faire l’écho des points de discussion des services de renseignement, qui avaient déjà fait l’objet d’une large diffusion non critique dans le Guardian.
Il est donc évident que Monbiot peut se montrer très peu original quand il le souhaite.

Mais il y a, bien sûr, beaucoup de choses originales que Monbiot pourrait apporter à la couverture de l’affaire Assange dans son propre journal, le Guardian, étant donné que les seules personnes qui ont pris la parole pour Assange - à part un article de Patrick Cockburn dans l’Independent - ont été en dehors des médias mainstram.

Monbiot aurait pu servir de contrepoids à l’implacable calomnie sur Assange dans les pages du Guardian en soulignant que ces calomnies étaient infondées. Au lieu de cela, il s’est fait l’écho de ces calomnies, ou bien il a tergiversé à leur sujet, ou bien il est resté silencieux. Il aurait pu, par exemple, faire remarquer qu’il y avait de très bonnes raisons pour qu’Assange demande l’asile politique à l’ambassade équatorienne, comme l’ont confirmé les audiences d’extradition, contrairement aux affirmations constantes du Guardian selon lesquelles Assange "fuyait les accusations de viol" - accusations qui n’existaient que dans l’imagination des rédacteurs de journaux - ou qu’il était paranoïaque et arrogant.

Ou bien Monbiot aurait pu souligner que le Guardian avait inventé une histoire diffamatoire facilement réfutée selon laquelle un assistant de Trump, Paul Manafort, et des "Russes" non nommés auraient rendu visite à Assange à l’ambassade équatorienne en secret à trois reprises - sans laisser aucune preuve, même si l’ambassade était le bâtiment le plus surveillé de Londres, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

L’histoire, vraisemblablement fournie au Guardian par une source anonyme d’un des services de renseignement concernés, a été publiée pour piéger Assange dans des revendications de russiagate sans preuves et ainsi s’aliéner les libéraux afin qu’ils ne s’opposent pas au cas d’extradition américain. Monbiot aurait pu ajouter que le Guardian avait tort de ne pas s’excuser pour le rapport trompeur et malveillant et aurait dû se rétracter.

Ou bien Monbiot pourrait dire à ses lecteurs que le Guardian ne déclare pas un conflit d’intérêt flagrant dans sa couverture des audiences d’Assange. Plutôt que d’être un observateur neutre des développements, le journal est en fait profondément impliqué dans les accusations mêmes portées par les États-Unis contre Assange. C’est son ancien directeur de l’investigation, David Leigh, qui a publié de manière irresponsable le mot de passe d’une importante collection de documents secrets détenus par Wikileaks, donnant ainsi l’accès à tous les services de sécurité du monde. Finalement, dans le cadre d’une opération de limitation des dégâts, Wikileaks a été contraint de publier les fichiers sans les censurer pour faire savoir à toute personne nommée qu’elle était en danger.

Si quelqu’un doit être jugé pour avoir mis en danger des informateurs américains - personne ne devrait l’être et aucun informateur n’a été blessé - ce n’est pas Assange mais Leigh et d’autres rédacteurs en chef du Guardian.

Toutes ces choses seraient très "originales" pour Monbiot et cela "élargirait sans aucun doute le champ d’action". Mais je ne suggère pas vraiment qu’il aille jusqu’à être honnête sur le rôle vil que son employeur a joué en vendant Assange. J’ai assez d’expérience pour savoir comment les choses fonctionnent. Il a accès à un média mainstream qui publie ses articles chaque semaine - et il ne veut pas compromettre cela en critiquant son propre journal.

Mais bien sûr, Monbiot n’a pas besoin de critiquer le Guardian pour soutenir Assange. Il y a beaucoup d’autres choses importantes à écrire s’il le souhaite. Le fait est qu’il choisit de ne pas le faire. La vraie question, une fois qu’on lui aura retiré ses pathétiques excuses, est de savoir pourquoi.

Propos recueillis par le Guardian

Et cela, malheureusement, parce que Monbiot n’est pas le libre penseur, l’enquêteur intrépide des vérités difficiles, la conscience de gauche qu’il prétend être. Ce n’est pas vraiment sa faute. C’est dans la nature de la fonction qu’il exerce au Guardian - et que je ne connais que trop bien moi-même pour y avoir travaillé pendant des années.

Le Guardian est le principal média du groupe Guardian, qui dépend de la publicité pour survivre. Il s’agit d’une entreprise qui vise à croitre au maximum les part de marché du Guardian, tout comme le Daily Mail, le Sun et le Times le font également. À cet égard, les journaux ne sont pas différents des supermarchés. S’ils ne parviennent pas à accaparer leur part de marché, une autre société plus apte à le faire interviendra et la leur saisira.

M. Assange ne l’a que trop bien compris, comme il l’a expliqué dans une interview en 2011 après avoir appris que le Guardian avait rompu ses accords avec Wikileaks et partagé des fichiers confidentiels avec d’autres. Il a observé :

"Ce qui motive un journal comme le Guardian ou le New York Times, ce ne sont pas leurs valeurs morales intérieures. C’est simplement qu’ils ont un marché. Au Royaume-Uni, il existe un marché appelé "libéraux éduqués". Les libéraux éduqués veulent acheter un journal comme le Guardian et, par conséquent, une institution se crée pour répondre à ce marché".

La plupart des rédacteurs du Guardian s’intéressent de près au marché général des "libéraux éduqués". Mais certains, comme Monbiot, sont là dans un but plus précis : faire en sorte que des segments de la population ne s’éloigne pas du giron du Guardian.

Owen Jones est là pour ratisser les partisans de gauche du parti travailliste afin de les persuader que le Guardian est leur ami, comme il a continué à le faire alors même que le journal contribuait à détruire le leader élu du parti, Jeremy Corbyn. Jonathan Freedland est là, en partie, pour rassurer les juifs libéraux sur le fait que le Guardian est de leur côté, ce qu’il a fait en faisant croire que le Parti travailliste avait un problème d’antisémitisme particulier sous Corbyn. Hadley Freeman est là, comme d’autres comme Suzanne Moore, pour représenter les femmes libérales profondément investies dans la politique identitaire et pour s’assurer qu’elles les tiennent à l’écart de la politique de classe.

Le fait est que le Guardian est une entreprise qui veille à ce que ses chroniqueurs couvrent autant de champs de la gauche libérale que possible sans permettre à des voix vraiment subversives de s’exprimer, voix qui contesteraient ou perturberaient le statu quo néolibéral.

Monbiot, par conséquent, est le meilleur de tous les chroniqueurs du Guardian. Sa position est la plus absurde, celle qui présente la plus grande contradiction interne : il doit vendre l’extrême préoccupation environnementale depuis l’intérieur d’un journal qui est entièrement intégré dans la logique économique du système néolibéral même qui détruit la planète.

Le Guardian comprend lui aussi l’urgence de son greenwash. Son marché, les libéraux éduqués, sont de plus en plus effrayés par les multiples menaces environnementales auxquelles nous sommes confrontés, c’est pourquoi très tardivement - des décennies plus tard, en fait - le journal a donné la priorité à cette question avant toutes les autres.

Mais bien sûr, étant donné la logique de son programme axé sur les entreprises, l’argent et la publicité, le Guardian ne se contente pas de mettre en avant la menace pour l’environnement pour gagner l’adhésion de libéraux plus éduqués. Il monétise également cette menace pour lui-même aussi agressivement qu’il le peut. Il l’a encore fait cette semaine, puisque sa rédactrice en chef, Kath Viner, a lancé un appel aux libéraux éduqués pour qu’ils fassent un don d’abonnement au journal en affirmant qu’il fera campagne pour protéger l’environnement mieux que tout autre journal britannique […] 

Une ligne fine

Monbiot est prisonnier de cette même logique : faire campagne pour l’environnement au sein d’une organisation dont les impératifs économiques visent à détruire la planète.

Il franchit cette ligne très fine en s’écartant aussi peu que nécessaire du programme étroit du Guardian, qui consiste à s’accrocher au statut de la planète. Il jouit de la liberté de s’exprimer haut et fort sur les dangers de la destruction de l’environnement, mais cette liberté a un prix : il adhère étroitement au consensus technocratique et libéral sur d’autres questions. Le paradoxe est qu’en matière de politique étrangère, nous avons Monbiot qui est effectivement de connivence avec la propagande des industries de guerre occidentales - les plus polluantes de la planète - alors qu’il professe ses références environnementales aux lecteurs libéraux du Guardian.

Cette position ne lui est pas imposée. Il ne reçoit pas d’ordre des rédacteurs du Guardian de diffamer les dénonciateurs de l’OIAC ou de s’abstenir de tweeter un soutien direct à Assange. Au contraire, il s’est imprégné de la culture d’entreprise du Guardian - comme je l’ai fait autrefois, comme la plupart d’entre nous le faisons dans notre vie quotidienne - comme stratégie de survie de la santé mentale, comme moyen d’apaiser la dissonance cognitive qui le submergerait s’il ne le faisait pas.

Paradoxalement, les deux excuses qu’il a présentées pour justifier son manque de soutien à Assange faisaient suite à un tweet dans lequel il venait de fustiger la gauche - comme il a coutume de le faire lorsqu’il est confronté à des preuves qu’il préférerait ne pas entendre - pour avoir préféré le conformisme à la solidarité.

Je ne suis pas psychologue, mais pour moi cela ressemble étrangement à une projection. Monbiot a été immédiatement et à juste titre interpellé par ses partisans qui ont souligné que, en abandonnant Assange, il avait une fois de plus fait preuve d’un haut degré de conformité aux récits officiels des services de renseignement, ainsi qu’à ceux de son employeur, le Guardian. Il avait également fait preuve d’un très faible degré de solidarité avec un homme qui a presque seul fait face à l’establishment du pouvoir occidental dans l’espoir de nous aider à lui demander des comptes.

En fin de compte, le problème ne se situe pas chez Monbiot. Il ne fait que servir le marché, attirer des libéraux socialement responsables au Guardian, rendre rationnel le programme réformiste du journal dans une économie néolibérale, mondiale et suicidaire, et empêcher les gauchistes de s’égarer trop loin, au point d’envisager une forme de politique plus révolutionnaire.

Le problème ne se situe pas au niveau de Monbiot. C’est à nous qu’il revient. Nous continuons à ignorer le fait que le système se joue de nous, que nous sommes apaisés par de pâles offrandes comme celles de Monbiot, que notre consentement est nécessaire […] Ni Monbiot ni le Guardian ne vont libérer nos esprits. Nous sommes les seuls à pouvoir le faire.

Jonathan COOKE

Traduit par Douma Djib

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