30 mars 2006
Le soleil se lève sur une nouvelle jeunesse. Ces jeunes qu’on disait angoissés, égoïstes et désenchantés, on les croyait même dépolitisés : comme s’ils n’avaient plus goût à la chose publique, ni au bien commun, repliés sur leur ego adolescent et leur rêves staracadémisés, transformés par la télévision en « cerveaux disponibles » à ingurgiter les pires sottises.
La jeunesse française est angoissée : c’est indéniable. Qui peut rester serein dans une société intoxiquée à la libéraline, à la régression sociale, à la mise en concurrence effrénée des individus ? Qui peut rester impassible quand le seul visage que la politique donne de l’avenir est une « modernité » vieille de plusieurs siècles, ce fameux libéralisme économique dont la théorie et les échecs sont plus vieux que le communisme, le socialisme et l’anarchisme ? Qui peut garder son calme dans un pays où le Pouvoir prend le masque sordide d’un Chirac, d’un Raffarien, d’un Galouzeau de Villepin, ou d’un Sarkopitre ? Qui peut supporter les agressions répétées et continues de radios et de télévisions serinant à longueur de journée le b-a-ba capitaliste, célébrant la hausse du CAC 40, la nécessité des plans de licenciement collectifs, l’archaïsme de l’Etat-Providence, les profits colossaux des multinationales et la « modernité » du Medef ? Qui peut regarder sans horreur la propagande vieillie de Christine Ockrent, d’Arlette Chabot, de Serge July, d’Alain Duhamel et de tous les chiens de garde de l’ordre établi, du chacun pour soi et du défaitisme politique ? Qui peut écouter sans vomir Sarkoguignol surfer sur les idées lepénistes, prôner la fin du CDI et moquer le « droit-de-l’hommisme » ?
Les jeunes sont égoïstes, c’est vrai : ils considèrent qu’ils méritent une vie au moins aussi belle que celle de leurs parents. Ils ont l’audace de croire que la société ne devrait pas être une jungle, que la politique ne doit pas s’exercer au profit de quelques uns, mais de tous. Ils ne voient pas pourquoi ils devraient subir une éducation au rabais, travailler dans la plus grande précarité, dépenser la moitié de leur salaire uniquement pour se loger, s’inquiéter pour leurs dépenses de santé, partir à la retraite à 70 ans. Ils ont le front de vouloir parler, la témérité de vouloir être écoutés, la folie de croire qu’ils ne se battent pas seulement pour eux-mêmes, mais pour la société tout entière.
Les jeunes sont désenchantés : c’est sûr. Désenchantés par un Pouvoir cynique qui les caresse d’une main pour leur imposer de l’autre un contrat d’esclavage en bonne et due forme, et les transformer en prolétaires, bien évidemment « modernes ». Qui ne serait pas désenchanté à force de s’entendre dire qu’il n’a pas d’espoir, qu’il devra se contenter d’une vie au rabais, instable et besogneuse ?
La jeunesse a donc raison d’être angoissée, égoïste et désenchantée. Elle a raison de vomir ce vieux monde terne et plat, cette société anxiogène et délabrée - ce bateau piloté par des fous, qui part à la dérive, en prenant l’eau de toutes parts. La jeunesse a raison de cracher sur la propagande qu’on veut lui faire avaler : elle a raison de refuser un discours qui lui dit en substance « Dans un monde qui bouge, il faut tout changer ». Avec la lucidité troublante qui la caractérise, la jeunesse a compris cette évidence que dans un monde qui bouge, il faut s’obstiner à tenir bon. Elle a raison de pouffer lorsque Galouzeau de Villepin veut lui faire croire que dans un monde en mouvement vers la précarité et l’inégalité, il faudrait encore savonner la planche et accélérer la chute, en instaurant le Contrat Pauvreté Exclusion.
La jeunesse a compris que le Capitaine Galouzeau de Villepin navigue à vue et qu’il n’a pas de plan, sinon la triste feuille de route jaunie que lui a donnée le Medef. Elle a compris que Galouzeau de Villepin dirige un vaisseau-fantôme, hanté par les spectres moribonds du travail sans règles, du patron-seigneur et du profit-roi.
La jeunesse redécouvre la politique dans l’action : elle s’organise démocratiquement, elle résiste, elle imagine, elle propose. Elle découvre les joies du militantisme, le bonheur de penser et de vivre ensemble, de refuser tous les fatalismes et les défaitismes, d’envisager pour elle-même et pour la société un autre avenir. En ce sens, quoi qu’il arrive, et même si le gouvernement s’obstine lamentablement à maintenir le CPE, elle a déjà gagné, en fixant le cap de l’antilibéralisme à notre pays déboussolé.
Antonio Molfese
A LIRE : Retrait du CPE/CNE = défense du CDI et reconquête d’un droit protecteur des salariés, par CGT - Inspecteurs du Travail.
Témoignages Contrat Nouvelle Embauche.
Galouzeau de Villepin, profession : Social Killer, par Antonio Molfese.
CPE : Dix arguments de M. de Villepin et dix réponses, par Gérard Filoche.
CPE : L’enfermement et les impasses de M. de Villepin face à la France entière, par Gérard Filoche.