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Temime, l’avocat qui crache sur la tombe de Jacques Vergès.

Le "Nouveau monde" est là : dans un tribunal où l'on juge Tapie son avocat a diffamé la mémoire d'un confrère mort, le Résistant Jacques Vergès. Et personne ne bronche. Heureusement, bientôt le vieux Maître, une fois de plus, va réapparaitre, revenir de chez Mao pour rire des honteux.

Pascale Robert-Diard, critique du théâtre judiciaire pour « Le Monde », n’échappe pas à la jouissance quand elle monte. Celle qui habite aussi ses équivalents qui opèrent à Bastille quand le ténor entame son solo. Le 4 avril en salle d’audience du TGI de Paris, nous venons d’assister au dernier acte du procès Bernard Tapie. Encore envahie par l’émotion, celle que provoque la voix pur stradivarius de Maître Hervé Temime, la plume bouillante, la journaliste transmet à ses lecteurs le bonheur de la musique entendue. Pascal Robert-Diard est subjugué. Et c’est dommage que les robes noires n’aient pas droit aux rappels et au salut avant que le rideau ne tombe. Sous le titre « Au procès Bernard Tapie, son avocat met en pièce le dossier d’accusation », la dame de presse donne à lire à ses lecteurs un papier publié en mots de dithyrambe. Tapie est innocent et Temime est son prophète. C’est le droit le plus sacré, pour madame Robert-Diard ou pour Cyrile Hanouna, d’écrire ce qu’ils veulent. Et nous saurons le 9 juillet, jour du verdict, en quelles « pièces » l’accusation a été « taillée » : drame ou vaudeville...

Ce qui nous intéresse dans ce feuilleton Tapie, ce n’est pas la prévarication qui lui sert de trame, mais une phrase prononcée par ce Temime. La ravie Robert-Diard écrit dans son quotidien de révérence -jadis de « référence »- : « Me Temime s’offre le plaisir d’une digression cruelle : « Je me souviens d’un dessin du Monde dans lequel Georges Ibrahim Abdallah et Klaus Barbie se croisaient en prison. “Toi aussi tu as eu Jacques Vergès comme avocat ?, demandait le premier. Oui, il est mauvais et en plus il est cher”, répondait le second... » ». Voilà le moche, le honteux, le dégueulasse, le lâche : un avocat qui s’en va cracher sur la tombe d’un confrère mort. Une telle allusion à ce dessin, qui aurait donc décrit la nullité et la cupidité de celui qui fut un compagnon de De Gaulle, à Londres, alors qu’il n’avait que 17 ans, est un déshonneur pour celui qui la profère. Bien sûr, personne n’a moufeté. Pensez-donc, Maître Temime, c’est mieux que du mètre cinquante, c’est du géant. Chaque mot coûte cher dans sa bouche diamantée, coupante. Le Conseil de l’Ordre a continué de dormir et le tribunal caché ses nez dans le pupitre. S’en prendre à un mort est donc une valeur du Nouveau monde. Et du nouveau « Monde » qui n’a pas protesté.

Passons l’insulte, elle aurait fait rire un Vergès rompu à la fréquentation des hommes de petite taille. D’ailleurs, disparu depuis six ans, il ne va pas tarder à revenir, ces moments d’absence sont dans ses habitudes. Mais attachons nous aux faits. Au risque pris par l’immense avocat d’avoir propagé une « fake news » en nous affirmant avoir vu ce dessin : Barbie et Abdallah étrillant Vergès dans « Le Monde ». En ce qui me concerne, après des heures de recherche, jusqu’à la documentation du « Monde », je n’ai pas retrouvé ce graffiti. Temime aidez-nous !

Vergès, le résistant de juin 40, le soldat de la France Libre, n’a pas voulu, en le défendant, exonérer Barbie de ses crimes. Sa présence à la défense n’était qu’une occasion historique de dire à l’humanité : « Comment voulez-vous juger Barbie sans jamais avoir condamné Bousquet et Papon, Aussaresses et ses semblables ? ». Serein, l’avocat expert en « rupture », n’avait aucune leçon à recevoir sur le thème d’une tendresse nazie ou d’antisémitisme. En février 1983, c’est donc en toute logique que notre fumeur de cigares a défendu le barbare des Gaules, extradé de Bolivie, dès qu’il a posé un pied à Lyon. Enfermé au Fort Montluc, la prison où il avait torturé Jean Moulin, Barbie est détenu en quartier de haute sécurité, isolé de tout contact.

Pour en revenir à « ce dessin du « Monde » », le juste sort fait au bourreau des enfants d’Izieu exclut qu’il ait jamais échangé un mot avec un autre prisonnier. Même avec un militant révolutionnaire qui va devenir célèbre, Georges Ibrahim Abdallah (« GIA »). C’est à Lyon, le 24 octobre 1984, où se croyant pourchassé par des agents du Mossad, qu’Abdallah se réfugie dans un commissariat. Examinant son passeport, les fonctionnaires l’accusent de leur mettre sous le nez un faux document algérien. Un délit jugé en correctionnelle le 10 juillet 1986, un cas pas très peu pendable, et même banal, à la hauteur de compétence d’un avocat débutant et commis d’office. Mais c’est Vergès, qui défend celui qui se présente comme un « révolutionnaire libanais » qui reçoit le tarif habituel en ce cas d’espèce : quatre ans de prison. Avec la « préventive » et les remises de peine, Abdallah devrait être bientôt dehors. En quoi dans cet épisode, pour revenir aux propos de Temime, Vergès a-t-il été « mauvais et cher » ? Lui qui n’a jamais exigé un centime d’un client totalement engagé dans la défense de la Palestine, un combat qu’il partage. Mais Abdallah ne sera pas libéré. Magie des services secrets, voilà que, dans un studio parisien, on découvre une valise. Elle contient plusieurs armes, dont une utilisée pour tuer un agent israélien à Paris. Mieux, la mallette recèle aussi une bouteille de « Corrector » portant les empreintes du marxiste venu du Liban. Voilà la preuve irréfutable : Abdallah est un criminel. Pour ne pas embrumer les raisons d’états, en l’occurrence la France, Israël et les USA (un agent de la CIA a été lui aussi abattu), la justice oublie de prendre en compte que la prodigieuse valise contient aussi un quotidien. Un journal daté d’une période où « GIA » est déjà en prison. Donc impossibilité qu’il ait stocké ces armes dans cette providentielle valise.

Mais l’Elysée de Mitterrand s’en moque, avant tout défendons « l’Occident » plutôt que la justice. Abdallah quitte la prison de Lyon pour Paris. En février 1987, il comparait devant une « Cour Spéciale » qui le condamne à la perpétuité. Vergès a fait son travail puisqu’il a convaincu le procureur qui n’a réclamé qu’une peine de moins de dix années de prison...Parallèlement, honoraires-honoraires, l’avocat demeure « pas cher », il reste gratuit comme il l’est pour Barbie. Humour, Vergès aurait-il été « mauvais » que ces deux clients n’auraient pu en juger. L’un et l’autre ont refusé d’assister aux audiences de leurs procès ! Dans sa saillie haineuse, Hervé Temime a oublié de signaler le rôle d’un confrère, jugé sans doute exemplaire. Dans le dossier Abdallah, pour enrayer le travail de Vergès qui l’inquiète, le saboter, la DGSE a réussi à engager un autre avocat, Jean-Paul Mazurier l’un de ses agents, une barbouze. Et l’avocat de Tapie oublie de nous préciser le coût de celui-ci. Cher ou pas cher ? Bon ou mauvais ?

Mais Temime a raison, il faut être vigilant quand on parle d’argent, lui qui ne prend pas un kopek à ses clients et gagne toutes ses causes. Sous le titre « Hervé Temime, l’avocat des puissants », article signé dans « Les Echos » par Valérie de Senneville, j’ai trouvé un portrait du ténor dont le contre ut enchante Pascale :

« Son cabinet affiche l’un des plus beaux tableaux de chasse du barreau de Paris. On ne compte plus les chefs d’entreprise (Alain Afflelou, Jacques Servier, Guy Wildenstein...) et les stars (Gérard Depardieu, Roman Polanski, Nathalie Baye, Laura Smet...) qui ont fait appel à lui. Un soupçon de finance, une pincée de people, la recette pour briller à Paris. L’avocat est bon, et on le sait. Il le sait. Hervé Temime n’a plus rien à prouver, mais a toujours peur de perdre ses dossiers :

« Quand vous défendez des hommes d’affaires, politiques, médecins, artistes pour lesquels l’irruption de la justice est totalement inattendue, la relation humaine, la prise en charge psychologique de cet évènement souvent traumatisant est déterminante », explique-t-il. »

Vous avez compris que ce petit frère des riches a toutes les bonnes raisons de s’occuper des deniers du révolutionnaire Abdallah, c’est sa cause. Alors qu’en défendant Abdallah Vergès, « Le salaud lumineux » a retrouvé une ancienne vaillance, quand il défendait ces condamnés à la guillotine (celle de Mitterrand), des héros du FLN. Juste pour l’honneur de la justice. Une vertu et un courage qui étaient absents le 4 avril au TGI de Paris, où, sous le crachat, on jugeait un héros en euros, Bernard Tapie.

Jacques-Marie BOURGET

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