RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Manning, Assange : Lettre ouverte à Kumi Naidoo, Secrétaire général d’Amnesty International

Cher M. Naidoo, Nous vous écrivons pour exhorter Amnesty International à publier une déclaration sur la position de l’organisation concernant la situation de Julian Assange.

Comme vous vous en souvenez peut-être, en février 2013, le Forum économique mondial a publié une vidéo intitulée "Les ONG en tant que nouveaux modèles pour le XXIe siècle " (i).

Lors du forum, plusieurs représentants de diverses organisations ont discuté des responsabilités et des obligations des ONG. Vous étiez également parmi les invités, alors, comme directeur exécutif de Greenpeace.

Trente minutes après le début de la discussion (ii), le modérateur a fait un commentaire dédaigneux à propos de Julian Assange et de son organisation WikiLeaks, et la seule personne qui semblait avoir le courage ou la vigilance d’intervenir, était vous.

En disant qu’il serait inapproprié de ne pas répondre, vous avez poursuivi : "le but de WikiLeaks est un but que nous devons défendre, ...le fait que nos gouvernements opèrent avec un certain manque de transparence et s’en tirent avec la torture, le meurtre et le terrorisme dans le monde entier, n’est pas acceptable" et vous avez ajouté.. :

"Regardez la façon dont le jeune soldat qui a divulgué l’information est traité. Je veux dire, c’est abominable, c’est absolument abominable."

Merci pour votre intervention M. Naidoo.

Vous avez clairement perçu le danger de laisser passer une remarque apparemment insignifiante et de comprendre ce qui se passe vraiment ici : la diffamation d’un être humain – et possiblement l’exécution - pour avoir informé le public des crimes commis par certaines des personnes les plus puissantes de la planète.

Malheureusement, votre brève intervention montre à quel point, même au sein d’un groupe de supposés experts sur les responsabilités des ONG, prendre la responsabilité de simplement prendre la parole est déjà exceptionnel. Et c’est précisément ce silence des autres qui nous ramène à la situation difficile d’Assange et à votre rôle en tant qu’organisation de défense des droits humains.

Parce que, pour être honnête, M. Naidoo, bien qu’Amnesty ait fait un travail vraiment fantastique dans le monde, nous sommes perplexes quant à la position exacte d’Amnistie sur Julian Assange. Après tout, en juin 2009, Amnesty UK a décerné à Assange le Prix des médias d’Amnesty UK et, en septembre 2012, a clôturé un communiqué de presse avec :

"Amnesty International estime que le transfert forcé de Julian Assange aux États-Unis dans les circonstances actuelles l’exposerait à un risque réel de violations graves des droits humains, notamment de violations de son droit à la liberté d’expression et du risque qu’il soit détenu dans des conditions qui violent l’interdiction de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants". Cela signifie, à moins que nous ne nous trompions, que depuis six ans, Amnesty UK n’a pris aucune position publique claire sur ce que l’ONU a jugé être un cas de détention illégale et arbitraire assimilable à la torture. (iii)

Le manque d’engagement d’Amnesty International est d’autant plus alarmant si l’on tient compte du fait que Julian Assange, craignant d’être extradé aux États-Unis par le Royaume-Uni pour avoir publié des informations véridiques d’intérêt public, se trouve reclus dans l’ambassade d’Équateur depuis plus de 3 000 jours, à quelques kilomètres seulement de votre propre siège. Le fait que d’autres branches d’Amnesty International soient également restées remarquablement silencieuses laisse supposer que la position d’Amnesty n’est pas le fruit du hasard. Ceci est confirmé par la réponse suivante à un courriel envoyé récemment à AI soulevant le même problème :

« L’affaire de Julian Assange est une affaire que nous suivons de près mais sur laquelle nous ne travaillons pas activement. L’abandon de l’enquête suédoise sur les allégations de viol à l’encontre de Julian Assange ne modifie pas sensiblement notre position sur les autres aspects de l’affaire Julian Assange, à savoir qu’Amnesty International (AI) ne considère pas Julian Assange comme un prisonnier d’opinion. Amnesty International continue toutefois de penser qu’il ne devrait pas être extradé vers les États-Unis, où il court un risque réel de graves violations des droits de l’homme, y compris en ce qui concerne les conditions probables de sa détention, en raison de son travail avec WikiLeaks (bien que, pour l’instant, il n’existe à notre connaissance aucune demande d’extradition officielle). »

Une phrase en particulier mérite d’être relevée : « Amnesty International ne considère pas Julian Assange comme un « prisonnier de conscience » [« prisonnier d’opinion » ou « prisonner politique » - NdT] ».

C’est une déclaration pour le moins étonnante. Si ce n’est pas la conscience de Julian Assange, d’après Amnesty International, quel autre facteur aurait pu le conduire dans cette situation ? Le manque de conscience des autres, peut-être ?

Et nous ne sommes pas seuls. Notre sentiment qu’Amnesty ne parvient pas à défendre correctement des gens comme Assange ou Manning est également partagé, entre autres, par le célèbre journaliste John Pilger dans une récente interview sur KPFA (iv).

Nous espérons que vous comprenez, M. Naidoo, surtout au vu des récents développements dans l’affaire Manning (v) (emprisonnée une fois de plus, cette fois pour avoir refusé de se soumettre à un grand jury – c’est-à-dire un jury secret - qui essaie probablement de faire témoigner Manning contre Assange pour poursuivre son action "légale" contre Assange) (vi), que nous sommes extrêmement préoccupés par le développement de la situation que, par notre silence, nous encourageons.

Une situation où ce ne sont pas ceux qui commettent les crimes qui sont poursuivis, mais ceux qui les révèlent.

Amnesty est une organisation de renommée mondiale et très respectée dans le domaine des droits de la personne. Il nous paraît donc incompréhensible qu’elle n’oeuvre pas activement sur ces cas extrêmement importants. D’autant plus que le travail d’Amnesty International est inextricablement lié à celui des journalistes, des éditeurs et des lanceurs d’alerte.

Manning et Assange sont après tout, tout comme vous, des défenseurs acharnés des droits humains, dont les révélations continuent d’être cruciales pour les missions d’organisations telles qu’Amnesty. Leur courage permet souvent d’aller au fond de certaines violations des droits de l’homme ou de présenter des preuves cruciales devant des tribunaux, comme en témoignent les dossiers de Guantanamo. (vii)

Il ne fait aucun doute qu’Amnesty est submergée de causes méritoires, mais étant donné l’impact mondial et historique que WikiLeaks, Assange et Manning (entre autres) continuent d’avoir sur nos libertés les plus fondamentales, nous devons insister sur le fait que ne pas prendre ouvertement et résolument position, crée non seulement l’impression que AI évite délibérément une situation politiquement très lourde sur son propre territoire, mais, par son silence contribue à compromettre la vie et le travail de tout journaliste sérieux, éditeur et lanceur d’alerte à venir.

Urgence

Non seulement Chelsea Manning est enfermée à l’isolement depuis le 8 mars, selon WikiLeaks [elle vient de sortir d’isolement - NdT], mais Julian Assange pourrait être sur le point d’être expulsé de l’ambassade de l’Équateur dans les heures ou les jours qui viennent, et risque fort probablement l’extradition vers les États-Unis.

Nous vous demandons donc, Monsieur Naidoo, en tant que président d’Amnesty International, de sonder votre conscience et de vous exprimer avec courage, comme vous l’avez fait lors de la réunion de Davos en 2013, et de poursuivre votre engagement en faveur de la liberté de la presse et de la liberté de l’information, en portant les cas Manning et Julian et ceux qui y sont liés, à l’attention du public de manière la plus urgente et déterminée possible.

Cela montrerait à vos partisans et au monde entier que ce qui se passe en ce moment est, pour reprendre vos propres termes, inacceptable. Merci.

Sincèrement vôtre,

Des citoyens engagés
4 avril 2019

P.S. Le 13 mars 2019, nous sommes passés à votre bureau de Londres (voir photo) et vous avons remis un dépliant et une carte postale avec plus d’informations sur l’affaire Assange. Merci de nous avoir rencontrés spontanément

Traduction "faut leur apprendre leur métier maintenant ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

(i) https://www.youtube.com/watch?v=O-hWdiAm4LQ

(ii) https://youtu.be/O-hWdiAm4LQ?t=1800

(iii) https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=17012

(iv) https://kpfa.org/episode/flashpoints-march-11-2019/

(v) Hedges, Chris. “Chelsea Manning and the New Inquisition.”, https://www.truthdig.com/articles/chelsea-manning-and-the-silencing-of... en français « Chelsea Manning et la nouvelle Inquisition » https://www.legrandsoir.info/chelsea-manning-et-la-nouvelle-inquisitio...

(vi) Cromwell, David. “The Destruction of Freedom, Chelsea Manning, Julian Assange and the Corporate Media.”,http://www.medialens.org/index.php/alerts/alert-archive/2019/898-the-d...

(vii) https://www.amnestyusa.org/doubling-down-on-failure-at-guantanamo/

URL de cet article 34782
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
L’affaire WikiLeaks - Médias indépendants, censure et crime d’État
Stefania MAURIZI
Dès 2008, deux ans après le lancement de la plateforme WikiLeaks, Stefania Maurizi commence à s’intéresser au travail de l’équipe qui entoure Julian Assange. Elle a passé plus d’une décennie à enquêter les crimes d’État, sur la répression journalistique, sur les bavures militaires, et sur la destruction méthodique d’une organisation qui se bat pour la transparence et la liberté de l’information. Une liberté mise à mal après la diffusion de centaines de milliers de documents classifiés. Les "Wars logs", ces (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au VietNam une tête coupée et un oeil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées. de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. [...]

Aimé Césaire

Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.