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Des cochons, Monsieur Poutine ?

Vladimir Poutine s’est plié à l’exercice de l’adresse annuelle, son « état de la Fédération », pour la quinzième fois déjà en tant que président. Comme d’habitude, c’est le silence radio chez nous, ou alors les cris d’orfraie. Pourtant, comparé à l’état de l’Union de Trump, ce discours d’une heure et demie a été bien plus construit et riche d’enseignements. Puisque la presse française refuse de s’y coller, passons-la en revue. En direct de Moscou.

L’année dernière à la même époque, on lui avait reproché, surtout en Russie, de trop parler international, crises géopolitiques et armements, et pas assez des « problèmes des vraies gens ». Cette année, il réservera moins d’un quart d’heure à son sujet de prédilection, à la fin de son intervention, sans d’ailleurs mentionner la Syrie ni même l’Ukraine.

L’année presque écoulée depuis sa réélection ayant été consacrée à une réforme des retraites plutôt mal accueillie, il s’est attaché à se montrer sous son jour le plus social, mêlant dans un demi-satisfecit un peu osé constatations indiscutables, promesses datées et annonces douteuses. Du moins a-t-il passé en revue, sans se dérober, tous les points où le bât blesse ses compatriotes, et exigé de son cabinet « des résultats rapides, sensibles, durables ».

La constatation indiscutable, c’est le problème démographique. La Russie a la démographie malmenée : entre la guerre mondiale, les purges staliniennes, l’émigration et la surmortalité des années 90 et la dénatalité post-soviétique, la population vieillit et se réduit. Ç’a été l’un des arguments, fallacieux, de la réforme des retraites. Alors que la Russie présente l’une des espérances de vie les moins élevées d’Europe, elle vient de repousser assez brutalement les âges de départ à la retraite (60 ans pour les femmes, 65 pour les hommes, soit +5 ans). Les vagues promesses de revalorisations de 1000 roubles (13 euros) étalées sur plusieurs années n’adoucissent pas vraiment la pilule. Ni les promesses de centres de soins accessibles « dans chaque commune » de Russie. Au-delà de la promesse peu réalisable, le problème, surtout dans les campagnes reculées, est celui de la pauvreté encore plus que de l’accès aux soins. Un état de fait que s’empressent de souligner les politologues Nikita Isaev et Nikolay Platochkine. « Une pitoyable tentative de se justifier » affirme ce dernier au sujet de l’adresse, soulignant que les aides proposées aux familles nombreuses, aux handicapés et aux retraités, qui s’échelonnent de 5 à 10 000 roubles par mois, ne sont qu’une « aumône du tsar aux mendiants », surtout après la hausse des impôts qu’il a fait passer.

Sur le chapitre des impôts, justement, le président russe s’est fendu d’un très sarkozyen « Plus d’enfants, moins d’impôts », proposant de mettre la nouvelle politique fiscale au service de ses ambitions natalistes déjà anciennes. Des aides qu’il annonce en outre rétroactives, c’est à dire avec effet au 1er janvier 2019. Même si l’intention est bonne, on ne peut pas dire qu’elle fasse rêver, ni que les sarcasmes soient entièrement hors de propos.

Enfin, il a voulu aussi promettre une relance de la croissance économique, plus que molle ces dernières années. On peut se demander si sa promesse d’aider les familles nombreuses à rembourser leur emprunt immobilier, à hauteur de 450 000 roubles (6 000 euros) permettra de relancer l’économie. Ni la revalorisation (de quelques euros à peine) du minimum vital pour les retraités qui passe désormais au-dessus de 12 000 roubles par mois (160 euros) à Moscou, moins encore dans les régions. Une mesure qui s’attire les quolibets pas entièrement immérités d’Alexei Navalny. Le contempteur attitré des hauts fonctionnaires commence par se gausser de l’auditoire du président dans l’amphithéâtre où il officiait : « Ça m’a fait l’effet de revoir d’anciens amis... presque tout le beau monde qu’on a vu à la télévision pour applaudir le chef a fait l’objet d’un dossier ou d’une enquête de notre fonds de lutte contre la corruption ». Effectivement, après avoir lui-même connu quelques déboires avec la justice, Alexei s’est mis en devoir de documenter les datchas dignes de Versailles, les études à l’étranger des rejetons et autres signes de luxe ostentatoire qu’arboraient des hauts fonctionnaires pourtant chichement rétribués selon la grille de salaires officielle. Il a raison de le constater, les politiciens russes sonnent aussi mal que leurs collègues français lorsqu’ils exhortent leurs compatriotes à se serrer la ceinture et à se montrer patients lorsqu’eux-mêmes vivent sur un grand pied et partagent le quotidien des milliardaires.

« Le tsar est bon, les boyards sont méchants »... un vieux classique de tous les pays, souvent évoqué aussi en Russie. Sans dévoiler ses batteries trop directement, Vladimir Poutine a pourtant distillé, à la fin de son intervention sociale, une menace voilée de remaniement ministériel. Concluant que le gouvernement avait du pain sur la planche et que le travail urgeait, il a usé d’une métaphore guerrière, ou plutôt d’un fameux proverbe militaire russe : « Si tu ne te sens pas sûr, n’approche pas de l’obus ». Sous-entendu, « ceux qui y vont à reculons, qui hésitent, qui temporisent, seront remplacés ».

C’était la transition nécessaire pour parler un peu géopolitique. Quinze minutes, moins même, lui ont suffi pour mettre les points sur les i. Il a répété, en soulignant bien qu’il se répétait exprès, pour empêcher les interprétations tendancieuses de « nos amis et partenaires étrangers », que la Russie excluait tout recours en premier à l’arme atomique (ce que refusent d’exclure pour eux-mêmes les Américains), et que sa doctrine est par conséquent entièrement défensive. Il a aussi rappelé que la mise au rencart de l’accord sur les missiles à moyenne et courte portée (1987) par les Américains n’avait pas pour cause une violation par les Russes comme cela a été affirmé sur toutes les chaînes occidentales. Si effectivement cet accord est obsolète, c’est parce qu’il avait été signé entre l’URSS et les USA, et que depuis de nombreux pays avaient progressé dans ce domaine, laissant les deux grands à découvert. Cela dit, il a mis en garde les Américains contre la tentation (affichée par eux) de se cacher derrière leurs alliés européens pour bombarder la Russie à partir de silos situés en Europe de l’Est « d’où la durée de vol se réduit à 10 ou 15 minutes jusqu’à Moscou ». « La Russie ripostera, et pas seulement sur les pays en question, mais aussi sur les centres de prise de décision », comprenez les États-Unis, a précisé le président russe.

Cette remarque a été l’occasion pour lui de glisser une petite fantaisie qui a donné du fil à retordre aux traducteurs. Évoquant les menaces et les mensonges des Américains en matière d’armements nucléaires stationnés en Europe, il a évoqué les « discrets grognements d’approbation » qu’émettaient leurs alliés européens, provoquant le sourire de son auditoire sur un thème pourtant préoccupant.

C’est une petite phrase qui entrera peut-être dans l’histoire, aux côtés du « Kouzkinou mat’ * » de Khrouchtchev à l’ONU. Vladimir Poutine a-t-il traité les Européens de cochons ? Le grognement en question - подхрюкивать - suggérait nettement une origine porcine. Aurait-il dû employer le terme plus neutre de поддакивать, c’est à dire « approuver sans réserve et sans examen avec un enthousiasme excessif » ? Sans me lancer dans une exégèse exagérément approfondie, je propose l’interprétation suivante : les Européens qui suivent aveuglément l’Oncle Sam dans cette nouvelle course aux armements se rendent-ils compte qu’en accueillant des missiles atomiques sur leur territoire, ils suivent celui-ci vers une possible boucherie atomique ? Qu’ils acceptent, en échange de quelques friandises, d’effectuer quelques pas extrêmement risqués ? Qu’ils sont donc comme des cochons que l’on mène à l’abattoir ?

* « Мы вам покажем Кузькину мать » avait lancé Khrouchtchev en martelant le pupitre de sa chaussure. Une exclamation qui avait été traduite par « We will bury you » (on vous enterrera). Coup de chapeau aux traducteurs ! Selon ma version personnelle (mais il n’y a pas vraiment de traduction officielle) l’expression « Vous montrer la mère de Kouskine » signifie effectivement vous expédier dans l’au-delà, rendre visite à la mère décédée de l’hypothétique Kouskine. « La mère Kouzkine » fut d’ailleurs le surnom de la bombe de 58 mégatonnes qui devait exploser en Nouvelle Zemble quelque temps plus tard.

Christophe TRONTIN

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Roger Faligot. La rose et l’edelweiss. Ces ados qui combattaient le nazisme, 1933-1945. Paris : La Découverte, 2009.
Bernard GENSANE
Les guerres exacerbent, révèlent. La Deuxième Guerre mondiale fut, à bien des égards, un ensemble de guerres civiles. Les guerres civiles exacerbent et révèlent atrocement. Ceux qui militent, qui défendent des causes, tombent toujours du côté où ils penchent. Ainsi, le 11 novembre 1940, des lycées parisiens font le coup de poing avec des jeunes fascistes et saccagent les locaux de leur mouvement, Jeune Front et la Garde française. Quelques mois plus tôt, les nervis de Jeune Front avaient (…)
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