Stendhal nous a prévenu, l’amour ne va pas sans fiasco. Le fiasco ? C’est la débandade. C’est l’expérience au goût de cigüe que sont en train de vivre quelques magistrats du Parquet National Financier, le PNF. Alors que depuis plusieurs années ces implacables justiciers sont lancés à la chasse au Djouhri, voilà qu’ils doivent lever le pouce. Bien proches de capituler sans hallali. Pour passer le lasso au cou de l’Alexandre, tous les coups furent pourtant permis. Le droit ayant même parfois une allure de tordu. Dans cette poursuite impitoyable le ministère de la Justice a dépensé un « pognon de dingue » afin de fournir le statut de délinquant à cet homme d’affaires pas comme les autres. Un Alexandre dont les journalistes – antiracistes bien sûr, aiment à nous préciser méthodiquement que son « vrai » prénom est Ahmed. Un Djouhri qui navigue dans le noyau de la macro économie alors qu’il est plus près du Certificat d’Etudes que d’HEC. Finalement on découvre aujourd’hui que, comme le leurre qui fait courir le lévrier, le mandat d’arrêt lancé contre Djouhri en décembre 2017, et qui le cloue depuis un an à Londres, prend la réalité d’un postiche en peau de lapin.
Posons le scénario. Le « pitch » de l’affaire Djouhri qui n’est plus un scandale politico financier mais l’histoire d’une bavure judiciaire. Depuis plus de vingt ans nous avons d’un côté une équipe de prédateurs accrochée sur le dos du CAC 40, comme une tique sur le chien. Les grands patrons ont leurs faiblesses, leurs non-dits, des secrets pas toujours jolis. Mais aussi des projets, des marchés auxquels il serait juteux de s’associer. De force s’il le faut. Si la société Dupont veut acheter ou s’associer à la société Durand, et que les prédateurs le savent, ils se placent immédiatement en situation de « facilitateurs ». Autrement dit de maîtres chanteurs. « Si vous ne faites pas appel à nous, nos amis de la presse, et pourquoi pas nos amis juges, ceux du fisc, vont mettre le nez dans votre transaction ». Ainsi ce groupe, celui des parasites, obtient des contrats bidons et ça fait beaucoup de sous. Cette triste équipe que nous allons baptiser « La Firme », regroupent des francs-maçons professionnels, des policiers égarés, des magistrats aveugles et, bien sûr, des « journalistes » dits « investigateurs ». En réalité ces derniers, dans leurs ordinateurs, reçoivent directement tous les PV et actes de justice produits par les frères magistrats.
Arrivés à ce point vous me direz avec raison : mais que vient faire Djouhri là-dedans ? Il faut donc expliquer un peu. Et constater que, s’il a ses propres amis dans l’enfer des affaires, et son agenda à lui, Djouhri, qui connait le CAC 40 comme un guide les sentiers de randonnée, est très souvent en situation de conseiller aux patrons de ne pas céder au chantage de « La Firme ». En écrivant ces lignes j’ai l’impression d’être un entomologiste, observateur de bestioles monstrueuses et qui se mangent entre elles. Vu que ma doctrine personnelle, ma philosophie est de pendre le capitalisme à la lanterne... Bref, vous imaginez que ce « Ahmed », venu sans ENA et par le Métro depuis son 9-3, n’est pas le bienvenu. D’ailleurs, entre eux, pour identifier Djouhri un nom de code, bien pratique, est utilisé : « Le Bougnoule ». Et « Le Bougnoule » faut le dégager.
« La Firme » est comme un couteau suisse, elle peut tout faire, elle est pluridisciplinaire. Outre de puissants francs-maçons, étrangement on trouve là un fasciste français qui attend un nouveau Maréchal, un publiciste qui se revendique de gauche, une officine de propagande dont le métier est, contre argent, de véhiculer de fausses images et des informations tout aussi fabriquées. Cet équipage a ses relais, une vraie toile de puissants.
Il est évident que, grisé par la proximité du pouvoir et sa proximité avec des gens aussi méprisables de Sarkozy ou Guéant, Djouhri a pris des risques. Cet idiot de Benalla le sait, on ne peut entrer dans le bureau du Président sans sonner et ne pas se faire d’ennemis. C’est la règle.
Sarko parti – il est vrai remplacé par peut être pire, Hollande – la schlague tombe sur la tête d’Ahmed le Kabyle. Ce moment correspond à la Création par Manuel Valls du Parquet National Financier, un instrument de justice de circonstance. Après la calamiteuse affaire Cahuzac, celle du ministre socialiste qui a juré en regardant la France au fond des yeux qu’il « n’avait pas un centime hors de France », l’idée est venu à Alain Bauer, ancien Grand maître du Grand Orient et meilleur ami de Manuel Valls, de créer le fameux PNF, une machine du genre l’Eliott Ness à la française. Né du monstre Cahuzac, le PNF a donc pour mission de traquer les fraudeurs du fisc. Les voleurs à milliards. Observons que ce PNF, si peu politique, en chassant le Sarko puis en guillotinant le Fillon (qui avait tout fait pour) va par-là ouvrir la voie à un nouveau venu de la politique, Emmanuel Macron.
Au fil des mois, dans les journaux « tenus » par la « Firme », Djouhri proclamé « ami de Sarkozy », devient un héros de feuilleton. Hors la pédophilie, le rôle qu’il aurait pu jouer dans le mystère de la longue vie de Jeanne Calment et celui du réchauffement climatique, il est accusé tout azimut. En 2015 des policiers et magistrats s’en va faire une perquisition en Suisse. Ce serait idiot de ne pas profiter d’être là – puisque Djouhri réside au bord du Léman – et de ne pas faire un tour chez lui. Des papiers sont saisis, sans intérêt, et un RIB de Claude Guéant qui, le compte étant analysé, ne fait l’objet d’aucun mouvement. Le financement de la campagne de Sarkozy est un alibi commode, il plait à tout le monde et permet de frapper large. Puis le temps passe.
En 2017 par la grâce d’un SMS, Djouhri reçoit un signe : il aurait à se rendre devant la police, à Nanterre. Le mode de convocation est illégal. Suivant le conseil de ses avocats le Berbère esquive et file à son business, essentiellement en Algérie. Si la justice le cherche, nous enseignent les « investigateurs » c’est que, deux ans après l’élection de Sarko, Djouhri aurait vendu sa villa de Mougins à un fonds libyen. Ce qui nous prouverait qu’il s’agit là du remboursement retardé d’une avance faite à la campagne de Sarkozy 48 mois plus tôt. Honnêtement, l’incrimination sonne comme une blague, pire le dossier ne laisse aucune preuve tangible pour coincer Djouhri.
Le 22 décembre 2017 « Ahmed », depuis Alger, rentre chez lui à Genève pour y fêter Noël. Le 8 janvier il quitte sa maison du Léman pour se rendre à Londres. A l’aéroport de Genève, lors de l’embarquement, tout passe au rouge. Djouhri est recherché, son nom est couché sur un mandat d’arrêt européen. Que les suisses se sont gardés d’exécuter. Les calvinistes ne comprennent pas ce mandat du PNF. Puisque selon la loi, Djouhri étant résident en Suisse, il faut d’abord que les magistrats français demandent la coopération des collègues helvétiques pour entendre le Kabyle. A Berne on a fait le sourd et l’aveugle. Tout faire pour éviter d’être mêlés à une embrouille politico-judiciaire française, ce dont les Suisses ont horreur. On a oublié le mandat comme non approprié.
C’est donc en homme libre, et non en « fugitif », que Djouhri débarque à Londres.
Sur la Tamise la musique n’est plus celle des bords du Lac. Visiblement activé depuis Paris, un réseau maçon se tient en alerte. Motivé par qui ? L’enquête reste à faire. Toujours est-il que l’Alexandre a droit à un traitement refusé à Pablo Escobar comme contraire aux Droits de l’Homme. Il est ficelé au bout d’une chaine de trois mètres. Surveillé en permanence, claquemuré dans la pire cellule de la plus atroce prison. Il peut seulement constater ce que de l’habeas corpus fait subir, non seulement à lui, mais à des centaines de compagnons de chaîne. C’est le cas de la dire.
Pour les soldats de « La Firme », qui jubilent depuis Paris, cette souffrance, celle d’un Djouhri qui se plaint maintenant du cœur, n’est que comédie. Jusqu’à l’instant où le prisonnier doit être « réanimé » à coups d’électrochocs. Ce qui oblige les gardiens qui tiennent sa laisse métallique jusqu’au bloc opératoire, à la lâcher. Pour éviter la poignée de châtaigne. Finalement le malade, après sept heures de billard, sera sauvé par les chirurgiens de la Reine.
La convalescence achevée, commence une partie de saute-mouton entre la France et l’Angleterre. Mollement, face à ce prisonnier décrit par le PNF comme un bandit du siècle, une magistrate peu motivée semble gagner du temps, tourner autour du pot. Service minimum, mais elle est contrainte de demander au PNF la communication de son dossier si lourd de preuves. Quelques pages arrivent. Jamais rien de complet, d’implacable. Ce non-fugitif fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen alors qu’il n’a jamais été, au préalable, entendu par un juge français. A fortiori pas mis en examen. Ça ne fait rien. Le PNF a déjà aménagé un avenir à Djouhri, inculpé par anticipation. Le vice procureur français, un homme d’humour, écrit à ses collègues britanniques : « une fois revenu en France, Monsieur Djouhri sera incarcéré dans l’hôpital où Lady Diana a été traitée ». Un détail, Lady Di y est morte.
Libéré de sa prison depuis neuf mois, Djouhri passe ses heures à râler « contre un traquenard judiciaire », à s’occuper de sa famille et à manger des sushis. Et non à jouer au cricket avec Benalla, comme rêvaient de le faire croire le clan des « investigateurs ». Avec aussi deux millions de livres sterling bloqués comme caution.
Les mois passent et toujours aucun dossier d’accusation ne débarque sur les rayons de la justice du Royaume Uni. Bien lourd et capable d’emporter la conviction des Anglais. Alors que le lundi, 21 janvier 2019, la « Hight Court » a examiné, une fois encore, le sort du prisonnier de Londres.
Frexit pour le PNF ? Peut-être. La clôture de cette interminable et extravagante chasse à l’homme peut aujourd’hui avoir un avantage. Permettre aux magistrats du PNF, qui jouissent maintenant d’une plus grande liberté de temps, de se pencher enfin sur un dossier qui prend la poussière sur leurs rayons depuis 2014 : les cas de messieurs Alain Bauer et Augustin de Romanet. Signalés par Pierre-René Lemas, alors directeur de la Caisse des dépôts, pour avoir peut être bien jonglé avec de l’argent public.
Alors qu’il était lui-même en poste à la tête de la Caisse, Romanet versait 200 000 euros par an à un expert en sécurité : Alain Bauer. Le tout sans que des tonnes de rapports ne viennent remplir les armoires fortes de la Caisse. Mieux, dans la cave de la noble institution, les enquêteurs ont découvert des milliers d’exemplaires du guide gastronomique « Champérard » dont le directeur est alors le même Alain Bauer. Espérons que ni Romanet ni Bauer ne voyagent, pour eux ce serait s’exposer à la malédiction d’un mandat d’arrêt européen. Comme Ahmed.
Jacques-Marie BOURGET