Daniel Ortega affirme que son gouvernement sandiniste vient de contrer un coup d’Etat soutenu par les Etats-Unis. Lors d’une discussion franche et longue avec moi à Managua, il a discuté des troubles violents et des facteurs qui les sous-tendent.
Depuis l’éclatement soudain des protestations et de la violence en avril dernier, le Nicaragua a connu un calme précaire. Le président Daniel Ortega et son gouvernement sandiniste ont revendiqué la victoire sur ce qu’ils appellent une tentative de coup d’État, mais ils sont maintenant condamnés par les États-Unis et leurs alliés, qui les accusent de déclencher une violence meurtrière contre les manifestants pacifiques.
J’ai passé une grande partie du mois de juillet au Nicaragua, parlant avec les partisans du gouvernement et leurs opposants. J’ai appris que le récit de Washington d’un dictateur méprisé fauchant des manifestants non armés n’était pas tout à fait exact. Dans tout le pays, j’ai observé un large soutien pour Ortega et le mouvement sandiniste. Il est également devenu évident dès mon arrivée que les médias occidentaux avaient censuré la brutalité de l’opposition, ainsi que son programme antidémocratique.
Au milieu de ce qui semblait être une campagne de désinformation renforcée par des membres de droite du Congrès et de l’Organisation des États américains, j’ai approché le gouvernement nicaraguayen pour avoir la chance d’entendre la version d’Ortega. Il a accepté, m’accordant une de ses premières interviews depuis onze ans.
Voici 13 points à retenir de notre longue discussion du 25 juillet à Managua :
1. Ortega et son gouvernement ont été choqués par l’explosion de violence coordonnée qui a frappé le pays le 19 avril. Il a dit qu’il n’avait pas d’avertissement préalable des services de renseignement et qu’ils ’agissait d’une opération « bien organisée ». Ortega a blâmé les groupes armés qui avaient commencé à se former depuis son inauguration en 2007 et qui étaient liés à des réseaux criminels à Miami et au Costa Rica, ainsi qu’aux services de renseignement américains. Il les a comparés aux Contras, détaillant leur campagne de violence létale contre les maires sandinistes, les secrétaires politiques, les fonctionnaires de police et les citoyens moyens. "Ils sont présentés comme des patriotes" dans les médias occidentaux, déplore Ortega.
2. Pour la première fois peut-être, Ortega a reconnu la présence de paramilitaires pro-sandinistes. Il a expliqué qu’il avait ordonné à sa police nationale de rester dans ses casernes dans le cadre du dialogue national qu’il avait entamé avec l’opposition. Il avait espéré que les évêques catholiques et ses opposants prendraient l’ordre comme un signal de bonne foi et réduiraient l’intensité des attaques de l’opposition, mais au lieu de cela, ils ont exploité le vide sécuritaire pour augmenter la violence. Cela signifiait que pendant 55 jours, alors que la police était confinée dans ses locaux, où elle se trouvait assiégée, l’opposition s’est lancée dans une campagne de vengeance sanglante contre les Sandinistes. "Il s’agissait vraiment de défendre leur vie", a dit Ortega au sujet des paramilitaires pro-sandinistes, " parce que les éléments armés qui ont organisé le coup d’Etat étaient en train de chasser les Sandinistes, d’entrer dans leurs maisons, de piller... Les familles sandinistes ont été victimes de ces attaques, les citoyens ont le droit de défendre leur vie lorsqu’ils sont attaqués".
3. Le gouvernement d’Ortega a été submergé par le blitz des médias sociaux qui a déclenché les protestations en avril et a finalement mobilisé une campagne à grande échelle en faveur d’un changement de régime. Il a rappelé comment le problème de sécurité sociale qu’il a hérité de son prédécesseur, le président néolibéral Enrique Bolanos, est devenu le prétexte d’une campagne en ligne qu’il a décrite comme un terrain d’essai pour la tentative de coup d’Etat de cette année. En 2010, suite à la diffusion soudaine d’une campagne de hashtag #OccupyINNS (se référant au système de sécurité sociale du Nicaragua), les étudiants sont descendus sur le bâtiment de la sécurité sociale aux côtés des prêtres catholiques, réclamant des réformes tout en s’opposant au régime sandiniste. "Nous avons incorporé les changements qu’ils exigeaient, mais cela a affaibli encore plus le système", a dit M. Ortega. "C’était la première attaque des médias sociaux." La deuxième attaque s’est produite autour de l’incendie qui a fait rage dans la réserve d’Indio Maiz, que l’opposition a accusé les Sandinistes d’avoir déclenché. "Ils ont internationalisé la question de ce feu de forêt, affirmant que nous avons mis le feu", a dit M. Ortega. "On pouvait voir que cela s’articulait avec d’autres mouvements ici dans les villes. Ils pensaient en termes plus larges. Mais il ne nous est pas venu à l’esprit qu’il s’agissait d’une tentative de coup d’État. Nous pensions que ce n’était qu’une bataille pour faire tomber le gouvernement. Les pompiers nous ont dit qu’il faudrait des mois pour l’éteindre puis il s’est mis à pleuvoir." Même si l’incendie a été éteint, la tempête politique s’est transformée en une opération de changement de régime à grande échelle.
4. Ortega a attaqué la Maison Blanche et les réseaux internationaux comme CNN pour lui avoir reproché, ainsi qu’à son gouvernement, d’être à l’origine de 100% des plus de trois cents décès survenus au Nicaragua depuis le mois d’avril. Il a souligné que les victimes de crimes de droit commun, d’accidents et de violence de l’opposition étaient associées à la mort des manifestants dans les rapports des groupes locaux de défense des droits de l’homme. Il a également fait référence aux dizaines de Sandinistes assassinés par des éléments armés de l’opposition, dont un bébé de 25 mois, l’enfant de Gabriella Maria Aguirre, décédé le 13 juillet à Masatepe de bronchoaspiration lorsque son ambulance a été retenue à un barrage routier de l’opposition. (L’analyse par Ortega du nombre de morts manipulés est généralement étayée par une étude méticuleusement détaillée réalisée par le chercheur indépendant Enrique Hendrix).
5. En réponse à ma question sur l’ingérence du National Endowment for Democracy (NED), l’appareil de financement du changement de régime du gouvernement américain, Ortega a dit que son gouvernement prévoyait des mesures pour limiter l’influence du groupe, mais il s’est abstenu de promettre une interdiction absolue. Il a souligné le rôle de Felix Maradiaga, la principale canal de distribution de l’argent du NED au Nicaragua, et le meilleur formateur du groupe, en rappelant comment Maradiaga a été filmé en train de comploter avec des voyous armés à l’UPOLI, la première université publique occupée par l’opposition en avril. Notant que Maradiaga est actuellement à Washington pour obtenir plus de financement pour les activités anti-sandinistes, Ortega a averti qu’il pourrait faire face à des conséquences juridiques s’il retourne au Nicaragua. Il a également décrit un nouveau groupe de travail du gouvernement, l’UAF, qui enquêtera sur l’utilisation de l’argent étranger pour financer le "terrorisme" : « Les États-Unis se protègent contre les attaques terroristes et ont des lois [pour se protéger].... Les États-Unis veillent à ce que cela ne se produise pas, et nous avons le droit de d’en faire autant ».
6. Interrogé sur le rôle des sanctions dans la conduite de l’opposition à son régime et la préparation d’une attaque américaine plus profonde contre l’économie nicaraguayenne, Ortega a placé l’hostilité de Washington dans un contexte historique. "La politique américaine est la même qu’avant, a-t-il dit. "Ils veulent des gouvernements entièrement soumis à leurs décisions. Ils ont toujours rejeté la possibilité d’un retour au pouvoir. Colin Powell est venu ici pour dire aux Nicaraguayens de ne pas voter pour nous, de sorte qu’avant chaque élection, un gros bonnet américain venait nous dire de ne pas voter pour nous. Lorsque nous avons gagné en 2006, nous savions que les États-Unis feraient tout ce qu’ils pouvaient pour décrier et saper notre gouvernement". Ortega a expliqué que Barack Obama a imposé les premières sanctions à son gouvernement, l’accusant de céder aux pressions du lobby de Miami des exilés cubains, vénézuéliens et nicaraguayens de droite.
7. Les sanctions ont perturbé l’alliance tripartite que le gouvernement d’Ortega a forgée avec les syndicats et les milieux d’affaires du Nicaragua. "Il ne s’agissait pas d’un accord idéologique, mais d’un accord visant à renforcer l’économie et à combattre la pauvreté", a-t-il expliqué. "Cette alliance a commencé à être torpillée à Washington, avec les partis politiques et les ONG impliqués dans le lobbying du coup d’Etat à Washington pour critiquer le secteur des affaires pour s’être allié aux Sandinistes. C’est là qu’est née la loi Nica. C’était un élément très important pour créer la déstabilisation pour leur tentative de coup d’Etat." Il a dit qu’une autre série de sanctions, la Global Magnitsky Act, visait les entreprises qui travaillaient avec son gouvernement, ce qui a créé une fracture dans l’accord tripartite. Les grandes entreprises "ont été menacées par l’Acte Magnitsky, et la loi a créé les conditions pour la tentative de coup d’Etat en attaquant l’alliance. Nous savons qu’une telle loi affecterait d’abord et avant tout les pauvres, les paysand, les familles, et que des lois comme celle-ci violent les accords et les normes appliquées par les organisations internationales".
8. M. Ortega a souligné le rôle du Nicaragua en tant que "frein" aux migrations massives et au trafic de drogue vers le Nord et a averti que la campagne de déstabilisation soutenue par les Etats-Unis, dont son pays a été témoin, changera tout cela. "Ces activités terroristes ont non seulement causé des pertes de vie, mais de nombreuses personnes ont perdu leur emploi. La croissance économique du Nicaragua, qui était durable et qui a eu un impact sur la lutte contre la pauvreté, a créé des conditions dans lesquelles il y avait moins d’immigrants aux États-Unis. Maintenant, avec le chômage causé par cette crise, les gens vont s’enfuir au Costa Rica et aux Etats-Unis". Ortega a averti que si les Etats-Unis continuent à saper la sécurité du Nicaragua, "alors ils auront ouvert les frontières et cela signifiera aussi que les frontières sont ouvertes au crime organisé, au trafic de drogue.... Si cela est brisé, alors le crime organisé, les gangs de jeunes qui pénètrent déjà au Costa Rica finiront par avoir une influence sur le canal de Panama".
9. Interrogé sur les allégations de corruption et de népotisme, Ortega a rejeté les accusations. Il a souligné les progrès économiques que son gouvernement a réalisés grâce à l’alliance ALBA de coopération économique avec le Venezuela, en mettant l’accent sur des programmes de réduction de la pauvreté comme Zero Usure, qui accorde des crédits aux petites entreprises avec un taux d’intérêt nul, et l’initiative Zero Faim, qui a donné gratuitement aux pauvres des petites parcelles rurales de terres agricoles et d’animaux pour en faire des sujets économiques productifs. La plupart des participants à ces programmes étaient des femmes, a souligné Ortega. "Les gens comprennent pas ces programmes, alors ils les raillent", a-t-il dit avant de d’énumérer d’autres réalisations comme la construction de routes et de parcs publics avec des fonds des mairies et du programme de l’ALBA.
10. Bien qu’il ait été condamné par 21 membres de l’Organisation des États américains, un organisme international actuellement dominé par des gouvernements de droite alliés aux États-Unis, Ortega ne mettra pas fin à l’adhésion du Nicaragua. "Nous devons poursuivre la bataille et défendre notre point de vue. » Il a accusé les États-Unis d’affaiblir des institutions comme l’OEA en prêchant les droits de l’homme tout en refusant de signer des accords contraignants en matière de droits de l’homme. "Ce qui l’affaiblit le plus, c’est l’attitude revanchiste des gouvernements de droite qui sont maintenant majoritaires en Amérique latine et qui ont uni leurs forces à celles des États-Unis et sont guidés par les États-Unis ou le lobby de Miami pour combattre les pays qui favorisent les relations de respect de la souveraineté, de non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays ", a-t-il dit. Ortega a ajouté que plusieurs des gouvernements qui l’avaient condamné étaient responsables de violations des droits de l’homme qui sont à peine discutées à l’OEA : "Si la pratique de l’OEA était de juger tous les pays qui ont des problèmes, des morts, des disparitions, des soulèvements réprimés, ils parleraient de tous les pays d’Amérique latine. Mais cela n’arrive pas. Les pays de ces groupes commettent des crimes terribles et il n’y a pas de surveillance de la part de l’OEA ou des États-Unis".
11. La relation avec l’Église catholique, dont les évêques ont participé directement à l’effort pour évincer les Sandinistes cette année, demeure une source d’amertume. "Ils disaient qu’ils n’avaient pas d’expérience en tant que médiateurs ", se souvient Ortega. "Et finalement, l’influence de l’opposition et la pression de l’opposition et des médias ont rendu impossible de travailler [avec les évêques] dans le dialogue ». Il a déploré que "dès le premier jour, ils ont pris la parole et clairement fait et cause pour l’opposition. Ce faisant, ils ont sapé l’autorité de la Conférence épiscopale." Ortega a pointé du doigt Silvio Baez, l’évêque auxiliaire de Managua, comme un participant particulièrement mauvais, le critiquant pour « [envoyer des tweets] depuis son téléphone portable, au milieu de ce dialogue sérieux, en faveur de l’opposition et contre le gouvernement. »
12. Ortega n’a pas l’intention de lancer son propre compte Twitter. "Ça me rendrait dingue", a-t-il dit.
13. Interrogé sur les liens de solidarité qui s’effilochent entre la gauche occidentale et le mouvement sandiniste, Ortega a remercié les alliés du Nicaragua aux Etats-Unis et en Europe pour "s’en tenir à leurs principes". "S’il vous plaît, regardez attentivement comment vos autorités se comportent", a-t-il exhorté les Américains et les Européens. "De quel droit vos autorités punissent un pays sans avoir puni d’autres pays et imposent des sanctions, en mettant en pratique des mesures qui interfèrent dans leurs affaires intérieures ? »
Traduction "on aurait pu croire que les médias s’en fassent l’écho, mais non..." VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.