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Élection présidentielle en Russie : des débats tantôt arides, tantôt humides

L’élection présidentielle russe est pratiquement passée sous silence par la presse mondiale. D’une part en raison de sa russophobie qui ne veut en aucun cas reconnaître la très forte popularité d’un personnage qu’elle fait profession de diaboliser. Cette élection est en réalité une sorte de plébiscite sur le bilan du président sortant, et celui-ci a toutes les chances de le gagner, avec ou sans trucage. D’autre part parce que peu de journalistes occidentaux, y compris parmi les correspondants sur place, maîtrisent le russe suffisamment pour réellement suivre et comprendre les discussions, les talk-shows, les interviews et les commentaires qui envahissent depuis le début de l’année la télé et l’internet russes. La plupart du temps, ils doivent se contenter de reprendre ce qu’y ont vu les spécialistes de CNN ou d’autres médias anglophones, eux aussi violemment anti-russes. Aux lecteurs du Grand Soir, je propose ce petit panorama en direct de Moscou.

Jusqu’à trois jours du premier tour, les débats se sont succédé sur les principales chaînes du pays : ORT, Rossia24, Rossia1, Première chaîne, TV Centre. Un soin scrupuleux est mis à observer à la seconde près l’égalité des temps de parole suivant les directives extrêmement précises du Tsik (la commission électorale centrale) qui ignore bien entendu jusqu’à l’existence d’internet où les meilleurs (et les pires) moments de ces débats sont repris et partagés par les observateurs, les commentateurs et les usagers.

Les modérateurs sont chargés de l’encadrement des débats, et il leur faut parfois jouer du micro et des ciseaux du monteur pour couper court aux invectives, aux interruptions, aux cris et aux disputes qui éclatent sur le plateau, même si heureusement personne n’en est venu aux mains.

Comme toujours, la Russie singe facilement les aspects les plus sombres de l’Occident mais peine à en imiter les côtés raffinés. On a le cirque télévisé, les professions de foi ennuyeuses des candidats vétérans, les rêves irréalisables des candidats mono-projet, les promesses intenables... On ne peut pas dire que les débats aient été d’une grande tenue, mais il serait injuste de les qualifier d’inintéressants. Au moins on aura entendu sept candidats sur huit exposer leurs programmes et énoncer leurs arguments.

Le grand absent des débats aura bien sûr été le président en exercice et grand favori du scrutin. Vladimir Poutine, tout occupé à se montrer présidentiel, se souciait évidemment peu de paraître dans l’arène et de s’exposer aux critiques de ses opposants. Une absence fréquemment dénoncée par Ksenia Sobtchak qui allait répétant : « ce n’est pas avec ces candidats sans espoir que je veux débattre, mais avec le principal candidat, qui n’est pas là avec nous ! » Son absence planait alors qu’on parlait de son bilan, des erreurs et des faux pas qu’on lui attribuait ou au contraire des lauriers que certains lui tressaient au détour de leur exposé.

Des exposés extrêmement formels, en vertu des consignes strictes du Tsik qui, en plus d’un temps de parole réglementé à la seconde près, interdisait les débats et les interactions entre candidats et réduisait leurs interventions à un exercice un peu scolaire. Chacun des candidats, debout derrière un pupitre, était invité, dans l’ordre alphabétique des noms de famille, à un mot d’introduction d’une minute, puis disposait, chacun son tour à nouveau, de deux minutes cinq secondes pour répondre à une question du modérateur, avant de s’adresser au public sur le thème du jour (la défense, l’éducation, la culture, l’idée russe, etc.). A la fin de l’émission, chaque candidat disposait de trente secondes pour un mot de conclusion. Malgré ce formalisme, les débats relativement mornes ont donné lieu à quelques éclats de voix.

Trois scandales principaux sont venus troubler un peu ces grands-messes organisées. Est-ce par hasard ? Les trois fois, c’est sur Rossia1 dans l’émission de Vladimir Soloviev, modérateur pourtant chevronné, qu’ils se sont produits.

Les deux premiers impliquent les deux candidats les plus flamboyants de cette élection : la cadette Kseniya Sobtchak et le doyen Vladimir Jirinovski. Ces deux-là sont chien et chat, pôles complémentaires, extrêmes qui se rejoignent dans l’invective, tout les oppose au point qu’ils sont faits pour s’entendre, ou plus exactement se détester de la manière la plus théâtrale : on sent bien que chacun d’eux est parfaitement conscient du potentiel de l’autre en tant que faire-valoir. Kseniya Sobtchak se livre à des piques sur son âge, sur son rôle de clown, sur le fait qu’il vit sans doute sa dernière campagne (alors qu’elle-même n’en est qu’à la première d’une longue série, faut-il comprendre). Dans une interview sur sa chaîne Dojd, elle s’était même permise quelques allusions à la vie sexuelle sans doute un peu morne du patriarche qui ne s’en était pas formalisé et avait répondu avec une surprenante franchise. Vladimir ne cesse évidemment de comparer sa longue expérience de parlementaire, son rang de colonel de réserve dans les forces spéciales russes, sa compréhension de la géopolitique qu’il enseigne à l’université, au manque flagrant de compétence et d’expérience de la jeune femme, la renvoyant sans cesse à son passé de vedette de la télé-réalité, à ses frasques et à ses scandales. Par moments, le jeu du dénigrement tourne au vinaigre, et c’est à ces occasions que Vladimir Soloviev offre à ses téléspectateurs de grands moments de télévision. Comme ce 28 février où, lasse d’essuyer des insultes de plus en plus grossières de Jirinovski, Kseniya Sobtchak profite de la pagaille sur le plateau pour asperger celui-ci d’une bouteille d’eau qu’elle avait sous la main. Lui-même ne s’en formalise pas plus que cela, poursuit ses invectives et ses jurons, ajoutant « vous voyez bien qu’elle est folle, il faut l’enfermer ».

Le retour du match intervient, à nouveau chez Soloviev, le 14 mars. Jirinovski en rajoute une fois de plus sur l’incompétence, la naïveté, l’impudence de la candidate, et elle exige plusieurs fois, en vain, des excuses. Le modérateur peine à faire respecter l’ordre, les autres candidats s’en mêlent, Jirinovski en rajoute et, à la surprise générale, on voit Kseniya Sobtchak, habituellement souveraine voire sarcastique, fendre l’armure. Alors qu’elle semblait s’amuser comme une folle deux semaines plus tôt, provoquant comme à plaisir les grossièretés de son concurrent, elle paraît cette fois beaucoup moins à l’aise. Ses reproches se font suppliques, on la voit perdre contenance, et, le modérateur n’ayant pas réussi à contenir le flot d’injures toujours plus affreuses de Jirinovski à son encontre, elle se tait et verse en direct quelques larmes de dépit avant de quitter le plateau.

Fatigue consécutive à la pression de la campagne ? Coup de théâtre destiné à humaniser la candidate largement détestée pour son aisance qui confinait à la suffisance ? En tout cas, c’est un tournant surprenant pour une personne qui jusqu’ici semblait absolument impavide sous la critique, sûre de son fait, convaincue d’évoluer à mille pieds au-dessus des autres candidats.

Ce petit accès de vulnérabilité peut-il profiter à Kseniya Sobtchak ou au contraire réduire encore ses chances de faire un score honorable ? Même si elle a su conserver sa dignité en quittant le plateau, l’incident va conforter les nombreuses personnes qui considèrent que la fonction présidentielle n’est « pas faite pour une femme ».

Le troisième scandale opposait, lors du dernier débat télévisé du 15 mars, deux demi-communistes : Pavel Groudinine et Maxime Souraïkine. Demi-communistes, parce que le premier est candidat officiellement investi par le PC sans en être membre, tandis que le second, membre du PC, n’a pas été investi et se présente à la tête d’une formation ad hoc appelée « Communistes de Russie ». Arrivant en retard à l’émission de Vladimir Soloviev, Maxime Souraïkine en expose les raisons : la femme qu’il veut présenter sur le plateau est en conflit avec Pavel Groudinine mais le vigile à la sécurité ne la laisse pas entrer. Après quelques tractations en coulisse et une prise de contact avec le Tsik pour savoir si cela est légal, la femme appelée à témoigner est finalement amenée sur le plateau. L’histoire qu’elle déballe n’est pas des plus réjouissantes, et fera sûrement des dégâts parmi les supporters de Groudinine, qui a d’ailleurs préféré se défiler plutôt que de faire face à son accusatrice. A en croire cette dernière, elle aurait trimé ainsi que son mari pendant huit années sur les dix prévues en échange d’un logement que Pavel Groudinine leur aurait fait miroiter, avant d’annuler unilatéralement l’accord. « Vous qui vous dites défenseur des gens simples, pourquoi vous acharnez-vous ainsi sur nous ? C’est injuste, c’est cruel, c’est monstrueux ! » Cris, invectives, l’échauffourée menace un instant entre le représentant de Pavel Groudinine et son contradicteur Souraïkine, heureusement prévenue par les vigiles du plateau. Kseniya Sobtchak, qu’on avait vue méprisante envers les « sans dents » qui lui gâchaient ses vacances à Monaco, en rajoutait pour prendre sous son aile protectrice la plaignante mal à l’aise sous le feu des projecteurs et sans doute un peu inquiète du tollé qu’elle venait de provoquer...

Et les électeurs dans tout ça ? Qu’en disent-ils ? Suivent-ils les débats ? Ont-ils décidé pour qui voter ? D’après les derniers sondages, ils sont près de deux tiers à soutenir Vladimir Poutine, tandis que MM. Jirinovski et Groudinine obtiendraient chacun entre 7 et 8% des voix. Les autres candidats se partagent les miettes (1% ou moins des intentions de vote), tandis qu’un cinquième environ des électeurs n’est pas décidé ou ne se prononce pas. Comme la plupart des commentateurs l’ont déjà souligné, l’enjeu de cette campagne n’est pas la victoire qui est d’avance acquise au président sortant, mais plutôt la participation qui vaudra ou non la consécration au chef de l’Etat.

Christophe TRONTIN

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