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1917-2017 (II). L’étincelle d’Octobre

En 1916, Lénine publia ses fameuses Thèses sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, sans doute l’un de ses textes les plus féconds. La lutte pour l’émancipation nationale distrait le prolétariat de la révolution socialiste, lui disent ses camarades. Lénine leur répond que le socialisme signifie la lutte contre toute forme d’oppression, y compris l’oppression nationale. A rebours de l’orthodoxie socialiste, il prend au sérieux la question de l’autodétermination nationale, récusant un internationalisme abstrait.

Là où ses camarades voyaient un combat d’arrière-garde, Lénine, en effet, perçut un enjeu révolutionnaire. L’affirmation du droit à l’autodétermination a pour vertu d’éduquer la classe ouvrière de la nation dominante, elle l’immunise contre la tentation du chauvinisme, elle préserve les chances de l’union entre les nations de l’ex-Empire russe. Cette clairvoyance valut au bolchevisme l’adhésion des mouvements nationaux et lui conféra une aura sans précédent dans l’Empire des Tsars, cette « prison des peuples ».

On ne comprend pas la révolution d’Octobre si l’on oublie ce défi lancé par Lénine à la domination coloniale, cet appel à la révolte contre des puissances soi-disant civilisées qui « déchaînaient des guerres qu’on ne considérait pas comme telles parce qu’elles n’étaient souvent que des carnages, à une époque où les armées impérialistes d’Europe et d’Amérique, pourvues des moyens d’extermination les plus perfectionnés, massacraient les habitants sans armes et sans défense des pays coloniaux ».

Les ennemis du bolchevisme ne s’y sont pas trompé. Le publiciste américain Lothrop Stoddard l’accuse de « stimuler la marée montante des peuples de couleur » en s’alliant avec eux contre l’Occident. Pour lui, le bolchevique est « le renégat, le traître à l’intérieur de notre camp, prêt à vendre la citadelle », il est « l’ennemi mortel de la civilisation et de la race ». L’essayiste allemand Oswald Spengler dénonce à son tour « la haine enflammée contre l’Europe et l’humanité blanche » qui animerait le bolchevisme, accusation recyclée, plus tard, dans les diatribes nazies contre la « barbarie asiatique » des Slaves, ces « races inférieures » qui seraient vouées à céder la place à la « race aryenne ».

Ces idéologues racistes et réactionnaires ont vu juste : le bolchevisme veut régler son compte à la domination coloniale. Après le coup d’envoi de 1917, l’offensive principale du prolétariat devait se dérouler à l’Ouest. L’agonie de la révolution allemande ayant dissipé cette illusion, Lénine en déplace l’axe géographique et prophétise son irruption au Sud. « On continue à considérer le mouvement dans les pays coloniaux, comme un mouvement national insignifiant et parfaitement pacifique. Il n’en est rien. Dès le début du XXème siècle, de profonds changements se sont produits, des centaines de millions d’hommes, en fait l’immense majorité de la population du globe, agissent à présent comme des facteurs révolutionnaires actifs et indépendants »

A peine créée, l’Internationale communiste appelle à la révolte les peuples colonisés. En 1919, elle réunit à Bakou le « congrès des peuples de l’Orient ». Turcs, Iraniens, Géorgiens, Arméniens, Indiens, Chinois, Kurdes et Arabes s’y retrouvent. Le cataclysme de la guerre a sorti les peuples de leur torpeur séculaire, il a mis à nu les sordides rivalités entre puissances occidentales. Bakou inaugure un processus de libération qui connaîtra bien des péripéties mais sera irrésistible. A défaut d’un embrasement européen dont la perspective s’est évanouie, le communisme privilégie, dans la propagation de l’incendie révolutionnaire, la combustion lente des immensités asiatiques.

Revanche d’une révolution assiégée, l’onde de choc planétaire d’Octobre 17 a balayé bien des citadelles qui se croyaient imprenables. Prise en étau par quatorze puissances étrangères jusqu’en 1921, la Russie soviétique a triomphé des armées blanches. L’URSS a vaincu le nazisme au prix de 25 millions de morts, l’Armée rouge causant 90% des pertes allemandes de la Seconde Guerre mondiale. Les communistes chinois de Mao Ze Dong rétablirent l’unité et l’indépendance du pays le plus peuplé de la planète. Les communistes vietnamiens infligèrent à la puissance coloniale française et à l’envahisseur impérialiste une humiliation sans précédent. En les aidant, l’URSS joua un rôle décisif dans la décolonisation de l’Asie.

Condamnant la diplomatie secrète et les tractations menées dans le dos des peuples, la jeune république des soviets dénonça en 1917 les accords Sykes-Picot et révéla le scandale de la « Déclaration Balfour ». On le souligne rarement, mais c’est grâce à Lénine que les Arabes découvrirent que l’Empire britannique livra la Palestine aux sionistes. Bien qu’elle reconnût l’Etat d’Israël en 1948, l’URSS appuya les nationalistes arabes face à l’agresseur en 1956, 1967 et 1973. Elle soutint la lutte pour les indépendances africaines, apporta son aide à Cuba face à l’agression US et donna le coup de grâce au régime d’apartheid en fournissant un appui décisif à l’ANC.

A l’intérieur de ses frontières, l’URSS était tout sauf un « empire colonial ». C’est Lénine qui choisit le nom d’« URSS » pour désigner le nouvel Etat multi-ethnique fondé en 1922. Se méfiant du « chauvinisme grand-russien », il fit appel à des géographes et à des linguistes pour établir la liste des peuples concernés. On recensa 172 nationalités sur une base linguistique, et certaines furent dotées d’une écriture. Aucune discrimination légale ne frappa les populations des anciennes colonies, favorisées au contraire par la promotion d’élites nationales. Exaltant l’unité du « peuple soviétique », l’idéologie officielle fournissait à la fois un antidote au chauvinisme russe et un stimulant aux identités nationales.

Loin d’être « impérialiste », le système soviétique organisa un transfert de richesses du centre vers la périphérie. Cette politique eut un résultat paradoxal : malgré l’extrême dureté de la période stalinienne, et en dépit du bureaucratisme qui gangrenait le système, l’URSS a joué le rôle d’un incubateur d’Etats-nations. Le soviétisme a favorisé l’émergence - ou la réémergence - de nations oubliées, il a créé les conditions d’une renaissance culturelle impossible sous le régime tsariste. Les circonstances de la dissolution de l’URSS en témoignent. Sonnant le glas d’un système à bout de souffle - et exténué par la course aux armements -, cette dissolution eut lieu sans effusion de sang. Chaque peuple a repris sa liberté, conformément à un droit à l’autodétermination proclamé par Lénine en 1916.

Bruno GUIGUE

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