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Le « dictateur » cubain Fidel Castro vient de passer les rênes de l’Etat à son frère Raúl. C’est bien la première fois qu’un chef d’État abandonne ses fonctions motu proprio. Un certain nombre d’hommes politiques n’ont pas, eux, daigné se démettre de leur fonction avant de mourir. Souvenons-nous par exemple des longues agonies des entubés Georges Pompidou, François Mitterrand, ou Jean-Paul II, lesquels à la fin de leur vie n’avaient plus que deux ou trois heures de lucidité par jour. Ces hommes-là étaient des « démocrates ». Mais ce fut aussi la façon de faire des moins fréquentables Franco, Salazar ou Brejnev.
Comme de ce côté-là , Castro est inattaquable, on le critique ailleurs. Et on l’accuse de népotisme : « certes, il a abandonné le pouvoir, mais il l’a passé à … son frère ! »
Pour moi, sa démarche n’est pas déplacée. Puisque Raúl Castro a la trajectoire, plus le mérite - lié à son histoire -, requis pour assumer ces fonctions.
En effet, dans nombre d’événements qui ont jalonné la Révolution cubaine, Raoul était présent. Le jour de l’assaut de la caserne Moncada (le 26 juillet 1953), Raul était là . Lors voyage et du débarquement avec le Granma, Raúl était là , avec Che Guevara. Et pendant la guerre révolutionnaire ? Alors qu’il ne restait que douze survivants de la première défaite après le débarquement, Raul était aux côtés du Che et de Camilo Cienfuegos.
On dira que les méritants ne manquent pas, que Fidel Castro aurait pu choisir un autre grand leader de la Révolution pour le remplacer. Mais de ceux qui sont encore en vie, il ne reste que Fidel et Raúl Castro.
On dira encore que, dans son népotisme, il aurait pu choisir un autre membre de sa famille, il a d’autres frères et soeurs. Mais Raúl, on le voit, a cette légitimité que les autres n’ont pas.
Légitimité peu ou prou acceptée par les « démocrates » quand ils interprètent à leur manière ses projets de réformes. Comme le nouveau président cubain a envisagé quelques mesures qui vont dans le sens de « l’ouverture », la presse capitaliste prend ses désirs pour des réalités. Et s’interroge : Cuba serait-elle déjà en transition ? Parce que pour la « grande » presse et les dirigeants étatsuniens, le mot transition signifie : effondrement du régime, accès à une démocratie parlementaire, économie de marché, etc.
Plus qu’une transition à l’américaine ou à l’espagnole, je pense qu’il va s’agir ici d’une translation telle que prévue par la Constitution cubaine. Mais on en n’est pas là . D’abord, parce qu’il y a des forces sociales majoritaires à l’intérieur de l’Ile (pas unanimes pour autant) qui adhèrent à l’actuel système. Ensuite parce que dans le même temps, des groupes critiques de l’extérieur ne sont pas disposés à liquider les acquis de la Révolution. Tous, du système en place ou de l’opposition, ont tiré des leçons de ce qui s’est passé à l’Est après l’effondrement de l’Union Soviétique. Et de ce que la nouvelle situation politico-économique a engendré comme souffrances en Russie, en Roumanie et en Bulgarie, avec la disparition des services, la diminution de l’espérance de vie, la mortalité galopante, l’irruption des mafiosi, etc.
Je propose une contre-interrogation à celle assénée dans les « grands » médias. L’avenir de Cuba ne sera-t-il pas le prolongement d’un système qui sans doute sera amené à évoluer puisque Fidel Castro n’est plus aux commandes ?
De fait, le véritable héritier de Fidel Castro est le Parti communiste. Ce gros parti politique : contrairement à d’autres régimes communistes, où l’on a un parti central plus d’autres petits partis qui gravitent autour - c’est le cas en Chine et ce fut, par exemple le cas en Pologne -, à Cuba, il y a un parti, unique.
Quand en 2006 Marjorie, Antoine, Wozniak et moi nous sommes promenés dans l’Ile, nous avons constaté que les responsables politiques, hommes et femmes, avaient une quarantaine d’années.
Il convient donc d’analyser l’avenir de Cuba en partant du principe (rappelé à maintes reprises par Fidel Castro lui-même), que le vieux Raúl n’est pas la solution. Parce que Raúl Castro appartient à la même génération que son frère (il n’a que cinq ans de moins que lui) ; et ce n’est pas cette génération, des soixante-dix - quatre-vingts ans, qui portera le futur de Cuba.
Mais la nouvelle génération est-elle assez solide pour assumer ces fonctions ? Avant de passer vraiment à l’étape suivante, dans un premier temps, les générations se mélangent. Des personnalités comme Felipe Pérez Roque, ministre des Relations extérieures alors qu’il avait trente quatre ans ; Carlos Lage, économiste et vice-président du Conseil d’État - l’équivalent d’un premier ministre - ; un peu plus âgé, Ricardo Alarcón, président du Parlement ; et d’autres, aux caractères affirmés, et respectés pour avoir exercé des fonctions importantes dans cette période délicate, pourront très bien prendre la relève. Pour le moment, il y a un mélange de générations, celle de Raúl, celle d’Alarcón et celle des quadragénaires. Ces personnes ne sont pas des marxistes-léninistes classiques, comme les nord-coréens, mais sont enracinés dans une histoire et dans une expérience.
Comment cette génération peut-elle in fine parvenir au pouvoir ? D’abord par le biais du parti communiste, puisqu’il repose sur le principe du mérite acquis par l’investissement personnel dans une activité sociale. Ce sont les habitants du quartier qui désignent la personne considérée comme la plus méritante, c’est-à -dire celle qui, selon eux, s’est le plus occupée des vieillards, des enfants, des malades, ou qui s’est distinguée par ses études, etc. L’élection se déroule en deux tours ; et aucun candidat n’est tenu d’appartenir au Parti communiste dans un premier temps.
Nous avons constaté qu’à Cuba, il n’y a pas de portraits des dirigeants dans les rues. Même les figures de Marx et de Lénine ont disparu du paysage. De même, les références à ces patriarches du socialisme scientifique ont sensiblement diminué. Mais les citations de José Martà, grand poète et politique cubain du XIXe siècle qui s’était engagé pour l’indépendance du peuple cubain, se sont intensifiées. Pourtant, Cuba regarde l’avenir avec les yeux de Castro et fixe son attention sur ses paroles ; on peut être communiste, catholique ou indifférent, mais tout le monde [à Cuba] est fidéliste.
Ramon Chao