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Pour les peuples autochtones des Amériques, Standing Rock illustre des siècles de conflits (Counterpunch)

L’annonce récente de l’armée des États-Unis selon laquelle elle ne laissera pas le Dakota Access Pipeline mettre en péril le territoire et les sources d’eau de la tribu Sioux de Standing Rock marque un tournant remarquable dans les luttes indigènes aux Amériques. Bien que la victoire puisse ne pas être définitive, il faut s’en féliciter. Cependant, il est essentiel de ne pas perdre de vue les nombreuses luttes similaires auxquelles sont confrontés les peuples indigènes et tribaux du monde entier. Des maquis de la Patagonie aux régions glacées de l’Arctique, les images des manifestations de Standing Rock diffusées en boucle dans les médias américains peuvent devenir non seulement une source d’inspiration, mais changer en profondeur le cours des choses.

Parmi les centaines de photos impressionnantes qui ont circulé en ligne sur le face-à-face extraordinaire entre les manifestants Sioux et la police du Dakota du Nord, une d’entre elles est peut-être particulièrement marquante. Elle montre un jeune Américain natif portant des jeans, des bottes de cow-boy et ce qui semble être un masque à gaz improvisé, qui regarde, à cheval, une barricade de la police. Derrière un mur improvisé de pneus abandonnés et de morceaux de bois il y a une unité de policiers, en uniforme et casques, qui tiennent des bâtons. Ils sont flanqués de véhicules blindés qui n’auraient pas été déplacés dans les guerres irakiennes ou afghanes.

L’image évoque les récentes luttes pour les droits civils. Les policiers avec leurs chemises beiges et leurs postures machistes ressemblent tout à fait aux hommes qui, dans l’Alabama des années 1960, utilisaient des canons à eau et des chiens contre les manifestants afro-américains. En ce qui concerne les peuples indigènes des Amériques, toutefois, l’histoire est encore plus ancienne. Ces policiers, qui protégeaient les intérêts commerciaux d’une importante compagnie pétrolière, ne sont que les derniers représentants des puissances coloniales qui se sont approprié les terres et les ressources indigènes et écrasent brutalement leur résistance depuis 1492.

Si le combat contre le Dakota Access Pipeline était le seul de ce genre dans l’hémisphère américain en 2016, on pourrait concentrer les efforts sur la lutte pour les droits humains et la protection de l’environnement. Malheureusement, il s’agit seulement de l’exemple le plus connu et le plus largement diffusé d’un conflit plus large concernant la terre et les ressources, qu’on ne peut ignorer, et qui se déroule au moment où nous parlons.

Dans les plantations agricoles du centre du Brésil, sur une terre rouge fertile qui était autrefois couverte de forêt, les Guarani-Kaiowa se battent tous les jours pour sauver leurs terres. La lutte dure depuis des dizaines d’années et ils ont remporté très peu de victoires. Bien qu’ils mènent une résistance acharnée contre les éleveurs qui volent leur terre et les hommes armés que ces derniers embauchent pour harceler leurs communautés, beaucoup de Guaranis ont perdu espoir. Le groupe Kaiowa de la tribu souffre du taux de suicide le plus élevé du monde, et il est disproportionnellement élevé chez les jeunes et les adolescents. Beaucoup sont réduits à vivre sur le bord des routes, à boire de l’eau contaminée par les pesticides utilisés pour cultiver des cultures de rapport sur ce qui est leur terre – selon le droit brésilien et international.

Dans l’Amazonie péruvienne, au cœur de ce que Survival International définit comme la Frontière de Non-contact d’Amazonie, les montagnes et la forêt tropicale abritent des dizaines de groupes qui n’ont que peu ou pas du tout de contact avec la société dominante. Ils vivent de manière soutenable, sans épuiser la nature, principalement comme des chasseurs-cueilleurs nomades, qui tirent leur subsistance de la terre comme ils l’ont fait depuis des générations. Ils savent qui « nous » sommes mais ont choisi de ne pas avoir de contact avec nous : ils barrent les chemins de la forêt avec des lances ou pointent leurs arcs sur les avions qui passent pour montrer qu’ils veulent qu’on les laisse tranquilles. Les maladies infectieuses comme la grippe et la rougeole contre lesquelles ils ne sont pas immunisés peuvent être mortelles pour eux, sans compter la violence que trop de gens sont prêts à utiliser pour s’approprier leurs terres et leurs ressources.

Malheureusement, il y a des projets de faire exactement cela à l’échelle industrielle. Le gouvernement de « développement » de Pedro Pablo Kuczynski vient d’approuver un « plan directeur » pour l’exploration pétrolière dans le parc national de Sierra Divisor - une partie lointaine de la région frontalière qui abrite une biodiversité spécifique et précieuse et de nombreux autochtones non contactés, isolés. Le plan a transformé certaines « zones protégées » en zones de recherche autorisée, ce qui implique souvent des explosions sous-terraines massives. Il est évident que cela perturbera les zones de chasse isolées, supprimera les sources de nourriture et augmentera massivement le risque d’affrontements mortels entre les tribus et le personnel des compagnies pétrolières.

De l’autre côté de l’Amazonie, au nord-est du Brésil, les peuples autochtones s’accrochent à la petite forêt qui leur reste. Dans le territoire indigène d’Arariboia, qui abrite les peuples Guajajara et Awá, la déforestation à grande échelle a laissé très peu de l’environnement dont les tribus dépendent et qu’elles ont géré pendant des millénaires. Des camions chargés de bois abattu illégalement roulent sur les routes de terre qui traversent leur territoire en toute impunité. Les peuples tribaux, dont certains sont non-contactés, fuient les tronçonneuses et se réfugient dans de petites parcelles de forêt où ils peuvent chasser et chercher de la nourriture en paix.

Il est remarquable que certains des Indiens contactés dans la région aient décidé de défendre leurs voisins tribaux non contactés. Un groupe de la tribu Guajajara, connu sous le nom de « The Guardians », a décidé de protéger sa terre. Le chef du groupe, Olimpio, a dit simplement : « Nous défendons notre territoire pour que les Awá non contactés puissent survivre. Nous voulons juste qu’ils soient laissés en paix. »

Il y a une immense hostilité dans la région envers des groupes comme les Gardiens. Entre septembre et novembre de cette année, six hommes Guajajara ont été assassinés puis horriblement démembrés par des gens qui envahissaient leur territoire. Les autorités locales qui profitent du commerce du bois illégal ferment les yeux sur ces brutalités. Les Guajajara et les Awá ont peu d’alliés, et Survival travaille depuis des années à essayer de protéger leur droit de défendre leurs terres et leur vie, et de décider de leur avenir.

Il existe d’innombrables autres exemples. Au centre de l’Amazonie, un petit groupe d’Indiens non contactés, connus sous le nom de Kawahiva, fuit depuis des années ; ils sont obligés de se déplacer constamment pour échapper aux envahisseurs et à la menace qu’ils représentent pour eux. Si leur terre était protégée contre les éleveurs et les bûcherons qui cherchent constamment à l’exploiter, ils pourraient très bien vivre. Au Paraguay, de petites bandes d’Indiens Ayoreo vivent une vie tout aussi menacée dans le Chaco, une forêt sèche et broussailleuse qu’on est en train d’abattre plus rapidement que n’importe quelle autre sur terre. Les bulldozers, que les Ayoreo appellent des « bêtes à la peau de métal », arrachent les arbres et les habitations et forcent la tribu à fuir. Les Ayoreo qui ont déjà été contactés sont tombés malades et ont fini misérablement en marge de la société paraguayenne. Pour survivre, les hommes s’engagent comme manœuvres et beaucoup de femmes se prostituent. Ils sont harcelés par les missionnaires et des gens sans scrupules qui cherchent à les exploiter. Le contact avec la société traditionnelle et le déplacement hors de la forêt n’a pas été un « progrès » pour eux, mais plutôt, une condamnation à mort. Le vol de la terre est le plus grand problème que rencontrent les peuples tribaux. Partout dans le monde, la société industrialisée vole les terres tribales pour faire du profit. C’est la continuation de l’invasion et du génocide qui ont caractérisé la colonisation européenne des Amériques et de l’Australie. Mais pour les peuples tribaux, la terre, c’est la vie. Elle remplit tous leurs besoins matériels et spirituels. La terre fournit la nourriture, le logement et les vêtements. C’est aussi le fondement de l’identité et du sentiment d’appartenance des peuples tribaux. Le vol des terres tribales détruit les peuples autonomes et leurs divers modes de vie. Il engendre la maladie, le dénuement et le suicide. Le fait est incontestable. Il est temps de le reconnaître et de lutter pour le droit fondamental des peuples autochtones et tribaux à l’autodétermination sur la terre qui leur appartient. Standing Rock a montré le pouvoir des gens qui défendent leur vie, leurs terres et leurs droits humains, et à Survival, nous luttons pour obtenir des victoires semblables ailleurs dans le monde.

Lewis Evans
militant de Survival International.

Traduction : Dominique Muselet

»» http://www.counterpunch.org/2016/12...
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