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Eric Hobsbawm : Lecture et souvenirs.




Une lecture importante :


6 janvier 2006


J’ai rencontré Eric Hobsbawm au milieu des années 80. Nous étions tous les deux invités par le cercle Gramsci à Rome, le colloque a fini en soirée dans une magnifique villa romaine. Là les intellectuels du PCI et certains dirigeants préparaient la fin du communisme et le ralliement à la social démocratie...

Nous sommes partis par hasard ensemble, Eric hosbawm et moi, et nous avons erré dans la nuit sur les ruines du forum en nous moquant beaucoup de nous-mêmes et de la période. Nous sommes lui et moi des "juifs de circonstance", mais nous avons pratiqué ce soir là cet humour du désespoir que l’on pense nous caractériser, et qui dans le fond relève d’autre chose, le "combat contre Dieu", l’engagement et la distance avec tout ce pour quoi nous sommes prêts à donner notre vie. Ainsi il m’a expliqué que les réformes de madame Tatcher, néo-libérales, n’avaient que deux types d’opposants en Grande-Bretagne, les mineurs et les universitaires, les autres étaient pour... Insuffisant a-t-il noté...

Nous savions tous les deux que le PCI avait mesuré l’ampleur du désastre et ses dirigeants s’estimaient suffisamment fort pour négocier leur survie dans le jeu politique italien en devenant sociaux-démocrates. Mais Eric Hobsbawm (et moi de surcroît) s’estimait déjà trop vieux ou trop attaché à nos idéaux pour une telle négociation. Il ne nous restait plus qu’à prendre de la distance, en restant aux côtés des mineurs et de cette classe ouvrière attaquée de toute part.
Insuffisant pour l’emporter.Mais pas assez attachés ou trop attachés à nous mêmes pour renoncer.

J’ai retrouvé cette personnalité dans son autobiographie et je me contenterai de vous en citer ce passage :

"Tard dans les années quatre-vingt, presque à la fin, un dramartuge est-allemand écrivit une pièce intitulée Les chevaliers de la Table ronde. Quel est leur avenir ? se demande lancelot. " Le peuple dehors ne veut plus entendre parler du graal et de la table ronde. Il ne veut plus croire en notre justice et en nos rêves. Pour le peuple, les chevaliers de la Table ronde sont un groupe de fous, d’idiots et de criminels." Croît-il encore au Graal, lui ? "Je ne sais pas dit lancelot, je ne peux pas répondre à cette question. Je ne peux dire ni oui, ni non..." Il est possible qu’ils ne trouvent jamais le Graal. Mais le roi Arthur n’a-t-il pas raison quand il dit que ce qui est essentiel, ce n’est pas le Graal, mais sa quête ? "Si nous renonçons au Graal, nous renonçons à Nous même."
Seulement à nous-mêmes ? L’ humanité peut-elle vivre sans les idéaux de liberté et de justice, ou sans ceux qui leur vouent leur vie ? Ou peut-être même sans le souvenir de ceux qui le firent au XXème siècle ? "
(P.183)


Cette quête du Graal au moins de la mémoire de ceux qui s’y vouèrent au 20 ème siècle, ce refus de négocier le ralliement pour préserver quelques avantages mineurs, pouvait paraître un suicide. Il l’a été dans une certaine mesure mais pas plus que la "négociation" tant pour les partis que pour les intellectuels, les places étaient chères. Le politico-médiatique n’attendait ni les marxistes en déshérence, ni les dirigeants du PCF devenus membres du PS. Le citron pressé, ils étaient rejetés. Un intellectuel marxiste était un dinosaure, un has been, voué à rejoindre dans les profondeurs de la censure médiatique cette classe ouvrière qui n’existait plus.

Les partis qui tentaient de négocier leur survie, de se rendre acceptables préféraient ouvrir leurs colonnes à Bernard Henry Levy qu’à des gens qui refusaient de se battre la coulpe. Ils étaient taxés de "stalinisme", ce qui évitait une véritable analyse. Les débats sur Marx parlaient de Marx vu par Raymond Aron ou par jacques Attali. Du moins sous l’égide d’un PCF en pleine débâcle théorique et politique.

Ceux qui un jour contempleront cette période, s’étonneront.Et pourtant...

L’oeuvre d’Eric Hobsbawn a somme toute survécu, mieux sans doute que ne survivra celle de jacques Attali. Les autres, les petits, les sans grade comme moi et d’autres, ont continué à faire ce qu’ils pouvaient, interdits de presse et calomniés.

Mais au bout de vingt ans de ce régime, honnêtement je pense que nous n’avons pas fait une si mauvaise affaire que ça. Nous avons fait concrètement l’expérience du véritable stalinisme, du légitimisme, des habitudes de censure, qui survivent y compris à l’abandon de la quête du Graal. Et, comme nous avons continué la quête, nous avons trouvé sous d’autres cieux ceux qui poursuivent inlassablement, inventent d’autres voies. Eux ce qui avaient négocié, ils étaient si abimés qu’ils n’ont même pas vu l’aube se lever.

Les temps nouveaux sont là . Salut Eric Hobsbawm, le 21 ème siècle sera encore une autre histoire...

Danielle Bleitrach

Eric Hobsbawm. Franc tireur. Autobiographie. Ramsay. 2005.


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