La journée du 8 novembre a vu l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Sur les médias que je suis (France Inter, France 2 et France 3), les journalistes n’ont pu cacher à la fois leur effroi, leur incompréhension de ce vote et leur mépris à la fois du candidat Trump mais aussi de son électorat – en tant que cet électorat était formé d’une bonne partie de “petits Blancs”, c’est-à-dire de gens (pas forcément “Blancs”, d’ailleurs) ayant peu fait d’études, travaillant dur, et ne rechignant pas à la peine – pour des salaires à peine décents – et qui, d’un point de vue “sociétal” (rapports hommes/femmes, sexualité, autorité, police, justice, traitement de la délinquance, modalités de l’enseignement, conception de l’art, etc.) sont plutôt traditionnels, si ce n’est traditionalistes. Cet électorat est aussi, pour une part, en France, celui du Front national.
Remarque 1. Contrairement à ce qu’on imagine, une partie de cet électorat ne hait pas les très riches (représentés, aux États-Unis, par Donald Trump ou Bill Gates, en France par Bernard Arnault ou Vincent Bolloré). Elle a plutôt, pour eux, un mélange de répulsion/fascination : elle les sent très loin d’elle, elle les voit redoutables, d’une autre espèce que la sienne, vaguement dédaigneux, mais elle les admire, elle les envie, elle voudrait avoir leur vie, enfin la partie de leur vie la plus spectaculaire : une maison de 30 pièces avec piscine, un yacht, des voitures de luxe, des repas dans des “Trois étoiles”, etc.
Remarque 2. En revanche, ce que déteste, ce que hait cette classe (et d’une haine viscérale, comme j’en témoignerai ci-après), c’est la classe moyenne instruite (incomparablement plus proche d’elle, financièrement, que cette dernière ne l’est des très riche), la classe des enseignants, des cadres de la fonction publique, des journalistes, des avocats, des journalistes et lecteurs de L’Obs, de Libération, de Télérama (et notamment des pages culture de ces magazines) et des journalistes et lecteurs du Monde diplomatique. En gros ce qu’on appelle les “intellos”.
J’avais eu un aperçu de cette animosité à l’issue d’une réunion sur les retraites, il y a une dizaine d’années, à la mairie de Saint-Cyr-sur-Loire, où avait été invité un conférencier qui plaidait, à l’époque, pour la “réforme” des retraites. A la fin de sa conférence, je lui avais dit tout le mal que je pensais de cette réforme en général et des fonds de pension en particulier. Et un spectateur m’avait, à la fin, interpellé en me disant : « Vous, les enseignants, vous critiquez toujours tout ! ». A quoi je lui avais rétorqué : « Je ne suis pas enseignant ! ». Passant alors d’emblée au tutoiement, il m’avait lancé : « Tu pues le prof... ».
Remarque 3. Cette hostilité à fleur de peau, cette antipathie est liée, parfois, à de mauvais souvenirs scolaires, à des humiliations, en classe, au moment du rendu des compositions, des interrogations orales, des rencontres parents-professeurs, des “orientations” (le problème de l’orientation ne se pose jamais pour les “bons” élèves...). Elle est liée, aussi à la condescendance, au mépris (d’autant plus douloureusement ressenti qu’il est enveloppé dans des bons sentiments) avec lequel les “intellectuels” parlent à cette catégorie sociale ou parlent d’elle.
Elle est liée aussi à ce que le genre de vie, les valeurs, les loisirs, les distractions de cette classe intellectuelle ne font pas rêver les classes populaires. Celles-ci ne vibrent pas pour les dernières sculptures de Damien Hirst ou de Jeff Koons, et ont vaguement l’impression qu’on se moque d’elles lorsque des “intellos” se pâment à la lecture de Télérama. Elles veulent de la consommation de luxe, des suites dans des hôtels, des repas à La Tour d’Argent, de la vie à grandes guides. D’où la popularité, la fascination du Loto, qui promet des gains autrement fabuleux, autrement mirifiques que les trois francs six sous des augmentations collectives gagnées par les mouvements sociaux.
Tant que la gauche, sans rien renier de ses valeurs, de ses idéaux, ne saura pas parler aux gens dans la langue de leurs rêves, la droite aura encore de beaux jours devant elle...
Philippe Arnaud