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Quand Onfray se rêve Camus...

Très récemment, l’homme de médias et militant d’extrême droite Martial Bild, ancien cadre du Front National, prenant appui sur les écrits d’Onfray, s’est permis d’affirmer sur les ondes à propos de Sartre que "sa vie durant la seconde guerre mondiale donne la nausée". Cette déclaration aussi effarante que dénuée de tout fondement me permet de revenir sur un de nos nouveaux prophètes contemporains.

Après Bernard Henri Levy, Caroline Fourest et Eric Zemmour, un nouveau penseur auto-proclamé émerge du bourbier médiatique : Michel Onfray. Mais à la différence des premiers, opportunistes pantins désarticulés, Onfray se rêve un destin et tente de figurer l’Albert Camus de notre époque qu’il prétend, depuis plusieurs années, vouloir réhabiliter face à un Jean-Paul Sartre qui l’aurait exclu du champs philosophique. Cette opposition autour de laquelle Onfray se structure désormais est centrale pour appréhender le personnage et l’inconséquence de son discours.

Onfray, pour mieux se définir, nous offre ainsi un conte où deux personnalités complexes sont transformées en personnages manichéens de bande-dessinées. Il nous pose un Camus issus d’un milieu pauvre, humaniste, penseur exceptionnel et résistant, face à un Sartre d’origine bourgeoise, malhonnête, manipulateur, médiocre et, pur délire, qui se serait compromis avec l’occupant nazi. Qui plus est, le second aurait passé sa vie entière à conspirer pour écarter le premier du champs du débat intellectuel. Conspiration couronnée de succès puisqu’aux dires d’Onfray, Sartre aurait aujourd’hui triomphé et Camus en serait réduit à être considéré comme un "philosophe de classes terminales". Au travers du prisme d’Onfray, l’histoire de la pensée universelle du XXème siècle se réduirait à cette opposition. Outre le fait, n’en déplaise à nos ethnocentristes, que la France est une goutte dans l’univers de la pensée, Onfray balaye les Bourdieu, Deleuze ou même des Vian ou Aragon.

On reste tout d’abord coi devant une telle redéfinition de la réalité. Puis, bien vite, on comprend qu’Onfray ne nous raconte pas Camus. Il nous raconte Onfray. Un Onfray mythifié à travers son propre regard embué de rancoeurs et de désir de revanche. Ainsi, sur le plan biographique, Onfray ne manque jamais de mettre en avant ses similitudes, réelles ou supposées, avec Camus : origines modestes – dont Onfray prétend tirer une légitimité, engagement politique de gauche, traduction en actes de son engagement, rejet et marginalisation par l’establishment intellectuel et politique de son oeuvre. Sartre figure quant à lui la gauche moralisatrice et "bien-pensante" d’aujourd’hui qui tenterait de museler toute voix originale et juste dont Onfray serait l’avatar.

C’est oublier "qu’origines modestes" et pauvreté ne sont pas synonymes. Que même si tel était le cas, avoir été pauvre n’empêche nullement de pouvoir débiter des âneries. Que Camus lui-même ne s’est jamais prévalu de ses origines sociales pour asseoir la légitimité de son discours. Que le fait de mener des "universités populaires" (curieuse définition pour des conférences publiques) n’est en aucun cas comparable avec la participation à la résistance de Camus. Que Camus, de son vivant, ne fut nullement méprisé par "l’establishment" intellectuel mais au contraire considéré, même par ses détracteurs, comme une figure majeure de la pensée existentialiste. Que personne ne se soucie de marginaliser Onfray qui, tel Zemmour, est omniprésent dans le débat public.

De même, lorsque Camus prit réellement une posture iconoclaste en s’opposant aux disciples du marxisme-léninisme alors triomphants, Onfray ne prend quant à lui aucun risque. Onfray proclame un athéisme et une laïcité – dont il ne comprend pas même la signification – "militant", il fustige la "bien-pensance" et le "politiquement correct" - dont il ignore jusqu’aux significations historiques, s’insurge contre la "théorie du genre", dénonce un islam menaçant jusqu’aux fondements mêmes de notre société et prône le rejet de toute expression religieuse au-delà des frontières de son appartement, il peste contre des élites déconnectées d’un peuple qu’il est tout aussi incapable que les autres de définir. Allez... ce discours est présent partout. Quotidiennement. Depuis des années. De l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par le Parti Socialiste. Il n’y a là rien d’original ni d’iconoclaste. Il n’y a là que l’égarement d’un intellectuel de gauche en quête de notoriété médiatique et de reconnaissance par ses pairs et le politique. Ignoré par ces derniers, on le voit avec consternation se lamenter publiquement de n’avoir jamais été reçu par le président de la République malgré sa renommée hertzienne grandissante. Contrit, il se sent aujourd’hui obligé de convoquer dans ses discours un intellectuel d’extrême droite et de traiter Manuel Valls de "crétin" pour attirer l’attention. Peine perdue, ces efforts ne semblent interpeller que nos chroniqueurs aux préoccupations éphémères et ne sauraient passer pour une quelconque révolution de la pensée.

Pour délaisser notre apprenti polémiste, il faut souligner que Camus et Sartre convergeaient tout autant qu’ils divergeaient. Tous deux ont réalisé une oeuvre tant littéraire que philosophique, égrenant les pièces de théâtre, les romans et les essais. Tous deux ont, à mon sens, plus brillé par leurs pièces que leurs essais. Tous deux partageaient les mêmes questionnements et le même cadre d’analyse : l’essence de l’humain, la liberté s’opposant au déterminisme, l’engagement politique "à gauche", la condamnation du travail en tant qu’aliénation, le fait d’avoir été – derrière des certitudes de façade – pétris de doutes tout au long de leurs vies comme leurs proches en ont témoigné.

Enfin, tous deux peuvent à la fois tirer gloire et s’exposer à un jugement posthume sévère de par leurs engagements. Sartre ne s’est nullement compromis avec le régime de Vichy comme le prétend un Onfray délirant. Il n’a pas pris les armes. La nuance n’échappera à personne. Oui, Sartre a demandé à Vichy l’autorisation de faire jouer deux pièces : Huis clos et Les mouches. Pièces dénonçant de manière à peine déguisée l’idéologie nazie et les fondements du vichysme. Il est également établi que Sartre fonda une cellule de "résistance intellectuelle" dès 1941, "résistance" éthérée qui, il est vrai, peut prêter à sourire. Mais nulle trace de collaboration ni même de compromission. Le déshonneur de Sartre n’est pas là. Il est dans son aveuglement – mû par son désir de voir l’avènement du rêve marxiste de libération de l’Homme – face aux crimes du stalinisme et du maoïsme. Il est d’avoir proclamé que la fin justifiait les moyens. Aveuglement mis en évidence par la justesse d’un Camus qui, face à l’incarnation intellectuelle du marxisme-léninisme, convoqua Marx dans L’Homme révolté pour rappeler sa parole tristement prophétique : "des moyens injustes ne peuvent jamais servir un but juste".

A l’inverse, Camus, qui s’honore de par son engagement dans la résistance armée, s’est dramatiquement égaré lorsque, bien que défendant la dignité des peuples colonisés, il défendait l’Algérie française et ne comprenait rien aux revendications du tiers monde, ce qui lui vaudra même la condamnation de ses proches. Egarement motivé par un universalisme dévoyé contrastant avec l’engagement anti-colonial sans faille de Sartre qui lui vaudra de voir son appartement plastiqué par la très méprisable OAS. On pourrait également souligner la clairvoyance de Sartre quant à la nécessaire libération des mœurs et continuer cette liste ad nauseam. Mais ce qui a été dit suffit à démontrer l’absurdité de la relecture historique partielle de Michel Onfray.

Onfray prétend que Sartre a persécuté Camus jusqu’à l’écraser et le faire disparaître de nos mémoires encore aujourd’hui. Vraiment ? Il semble pourtant que Camus et Sartre demeurent, tant dans notre imaginaire collectif que pour le monde universitaire, deux auteurs qui, parmi bien d’autres, ont marqué l’histoire de France et plus largement du XXème siècle. De sa pensée mais également de ses déchirements politiques. Bien sûr, Camus et Sartre se sont opposés et, souvent à coup de jugements moraux aussi violents qu’intransigeants, critiqués. Mais cette hargne n’a été que le symptôme de ce qu’ils ont par ailleurs également tous deux affirmés explicitement : la considération envers la pensée de l’autre.

Onfray n’a rien d’un Camus. Mais plus encore que la mise en évidence de la vacuité de ce nouveau penseur médiatique, que ce billet soit l’occasion de ramener les lecteurs vers les oeuvres tant de Camus que de Sartre. Car, alors que la parole d’Onfray s’éteindra avec ses participations aux shows des Giesbert ou Ruquier, celles des auteurs des justes et des mains sales résonnent toujours et résonneront encore longtemps dans nos consciences. De par leurs qualités propres. Mais aussi parce que, au-delà de leurs errements respectifs, ils s’opposent, se complètent et se répondent dans le même questionnement.

Camus et Sartre partis, resterait Onfray ?

Qui pourrait s’y résoudre ?

Shanan KHAIRI

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En finir avec l’eurolibéralisme - Bernard Cassen (dir.) - Mille et Une Nuits, 2008.
Bernard GENSANE
Il s’agit là d’un court ouvrage collectif, très dense, publié suite à un colloque organisé par Mémoire des luttes et la revue Utopie critique à l’université Paris 8 en juin 2008, sous la direction de Bernard Cassen, fondateur et ancien président d’ATTAC, à qui, on s’en souvient, le "non" au référendum de 2005 doit beaucoup. La thèse centrale de cet ouvrage est que l’« Europe » est, et a toujours été, une machine à libéraliser, au-dessus des peuples, contre les peuples. Dans "La fracture (…)
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Les rares personnes qui comprendront le système seront soit si intéressées par ses profits, soit si dépendantes de ses largesses qu’il n’y aura pas d’opposition à craindre de cette classe-là  ! La grande masse des gens, mentalement incapables de comprendre l’immense avantage retiré du système par le capital, porteront leur fardeau sans se plaindre et peut-être sans même remarquer que le système ne sert aucunement leurs intérêts.

Rothschild Brothers of London, citant John Sherman, communiqué aux associés, New York, le 25 juin 1863.

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