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800e anniversaire de Bouvines : Actualité d’un évènement fondateur de la France qu’il ne faut abandonner ni aux fascistes, ni aux euro-atlantistes !

27 juillet 2014 – 800ème anniversaire du Dimanche de Bouvines (victoire de l’armée de Philippe-Auguste, le roi de France allié aux milices communales, sur la coalition de l’Empereur germanique, du roi d’Angleterre, du Comte de Flandres et de plusieurs féodaux « français »).

Prévenons d’abord les ricanements stupides des pseudo-marxistes et des faux hommes de gauche qui contesteraient l’intérêt pour des militants franchement communistes et pour de vrais républicains de s’occuper d’une bataille du 13ème siècle qui semble n’intéresser a priori que des membres de l’aristocratie. Et pour cela, rappelons le propos stratégique d’un antifasciste qui surclasse tous les nihilistes nationaux travestis en « antifascistes » d’apparat. Voici en effet ce que Georges Dimitrov, le secrétaire général du Komintern qui venait tout juste d’humilier Göring au procès dit des « incendiaires du Reichstag », déclarait en 1937 à la tribune du 7ème congrès du Komintern :

« Les fascistes fouillent dans toute l’histoire de chaque peuple pour se présenter comme les héritiers et les continuateurs de tout ce qu’il y a eu de sublime et d’héroïque dans son passé (...) ; Mussolini s’applique de toutes ses forces à se constituer un capital politique avec la figure héroïque de Garibaldi. Les fascistes français mettent en avant Jeanne d’Arc comme leur héroïne. Les fascistes américains en appellent aux traditions des guerres américaines de l’indépendance, aux traditions de Washington, de Lincoln (...). Les communistes qui estiment que tout cela n’intéresse pas la cause de la classe ouvrière, qui ne font rien pour éclairer de façon juste, au point de vue historique, dans le véritable sens marxiste, léniniste-marxiste, léniniste-staliniste, les masses travailleuses sur le passé de leur propre peuple, pour rattacher sa lutte actuelle à ses traditions et à son passé révolutionnaire, ces communistes abandonnent volontairement aux falsificateurs fascistes tout ce qu’il y a de précieux dans le passé historique de la nation, pour berner les masses populaires ».

Or la victoire française de Bouvines va être célébrée de façon fort suspecte par les ténors de la tenaille politique qui broie notre pays. Côté FN, on a entendu Marine Le Pen s’adresser à ses troupes devant la statue de Jeanne d’Arc le 1er mai 2013 ; histoire de chasser sur les terres mémoriales désertées par la gauche[1], la présidente du FN a rappelé qu’à Bouvines, le cri de guerre de l’infanterie communale qui gagna la bataille en enfonçant l’armée germano-flamande, était « Commune, Commune ! ». Du côté du Parti Maastrichtien Unique (PS, UMP, UDI, Europe-Ecologie...) ce n’est pas mieux. L’actuel président de Lille-Métropole, qui fédère dans le Nord tous ceux qui veulent liquider les communes et les départements français au profit des euro-régions et des euro-métropoles, déclare en effet que les fêtes du 800ème anniversaire du Dimanche de Bouvines seront dédiées à « la jeunesse d’une Europe occidentale en paix » (déclaration à l’AFP). Dans la bouche de ce notable, le 27 juillet 1214, qui vit le Royaume capétien en construction, précurseur de la Nation, se consolider décisivement en écartant les prétentions germaniques, flamandes et anglaises sur notre sol, devient une grande date de l’ « amitié européenne » telle que la voient les classes dominantes de l’UE... De même, le 3 août 1914 devient-il, toute vérité historique foulée aux pieds, un moment choisi de la réconciliation des impérialismes français et allemands (champagne pour Hollande et pour A. Merkel, les Poilus et leurs homologues allemands que les bourgeoisies impérialistes envoyèrent s’entr’égorger ne sont plus là pour rectifier). Même inversion des significations historiques pour le 9 mai 2015 ; les dirigeants de l’UE atlantique qui, actuellement, arment les nazis ukrainiens pour abattre la République populaire du Donbass, traquer les communistes, discriminer les russophones et encercler la Russie, s’apprêtent à commémorer la « fête de l’Europe » en ignorant superbement que le 9 mai 1945 marque la vraie fin de la Seconde Guerre mondiale par la reddition totale de la Wehrmacht à l’Armée rouge (dont il faut rappeler qu’elle prit seule Berlin et que c’est pour lui échapper que Hitler s’est suicidé dans son bunker).

C’est pourquoi nous renouons ici, avec les modestes moyens qui sont ceux du PRCF, avec la grande tradition historique du PCF des Duclos, Vaillant-Couturier, Cachin, Pierre Sémard et autre Thorez. Elle n’est pas si éloignée en effet la période où G. Marchais pouvait s’exclamer, en arrachant son masque patriotique au fascisant Charles Maurras, « tout ce qui est national est nôtre ! ». Au-delà de la lutte contre le négationnisme historique actuel, qui banalise le Troisième Reich tout en criminalisant l’U.R.S.S., qui pleurniche sur Marie-Antoinette en diabolisant Robespierre et qui enseigne aux bambins que la « construction européenne » et le triomphe « libérateur » de l’Empire anglo-saxon sont le fil bleu de toute l’histoire occidentale, il y va du sens même de notre combat. Alors que l’oligarchie maastrichtienne veut mettre un point final à l’histoire de la nation en liquidant « l’histoire de France », en détruisant le produire en France, les services publics, la souveraineté du peuple, la structure républicaine du pays et jusqu’à la langue française sacrifiée au tout-anglais, allons-nous nous laisser enfermer dans l’alternative historique mortelle qui nous est imposée par le « P.M.U. » et par l’U.M.’ Pen : soit oublier la France, céder à l’auto-phobie nationale pratiquée par les élites atlantiques, ignorer que la connaissance de l’histoire multiséculaire de notre pays peut devenir ou redevenir un point d’appui pour nos résistances présentes et nos luttes d’avenir, ou bien allons-nous céder à la version xénophobe et néocoloniale de l’histoire de France que voudraient symétriquement nous imposer la « droite dure » et le Front « national », dont un des chefs de file vient encore récemment de comparer les criminels de l’O.A.S. aux résistants antifascistes ? La résistance idéologique et culturelle ne se divise pas. On ne peut pas défendre l’avenir et le présent de notre pays en méconnaissant son passé et en ignorant, en diabolisant ou en idéalisant les événements majeurs de notre histoire. Saisir le sens progressif, dégager le fil d’abord « blanc » (construction d’un Etat national dans une Europe caractérisée par la domination des grandes familles féodales, la stratégie des Capétiens consistant à s’allier avec la bourgeoisie contre les féodaux pour réaliser cette unification nationale), puis « bleu » (régimes bourgeois issus de 89) et, espérons-le, rouge (c’est en France, avec Babeuf, puis avec les batailles ouvrières-républicaines de 1848, puis avec la Commune, le premier Parti socialiste, la C.G.T., le PCF, qu’a pris naissance le mouvement ouvrier et communiste international moderne[2]), de son devenir impose de comprendre comment s’est construite la nation dans un processus multiséculaire où les classes dominées ont surgi plus souvent qu’on ne croit sur la grande scène de l’histoire. C’est pourquoi, entre autres tâches historiques, nous invitons ceux qui en sont professionnellement capables à produire une véritable étude marxiste de la bataille de Bouvines, des forces de classes qui s’y manifestèrent et du sens à la fois féodale et pré-bourgeoise de son issue. Pour notre part, ce n’est pas en historiens mais en militants politiques assumés, soucieux des batailles idéologiques en cours sur la « mémoire nationale », que nous esquissons ici quelques pistes de réflexion.

I – De la configuration des forces à l’époque de la bataille de Bouvines.

Ce serait idéaliser la réalité historique que de ne pas saisir qu’à l’époque de Bouvines (1214), les conflits nationaux naissants étaient masqués et surdéterminés par les querelles féodales, religieuses et dynastiques : ce sera d’ailleurs le cas pour une part jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Pour autant, l’enjeu de Bouvines était bel et bien une question qui redevient centrale à l’heure de la « métropolisation » et de la « länderisation » de notre pays, aujourd’hui menacé d’évaporation nationale par la contre-réforme territoriale exigée par le MEDEF et mise en musique par F. Hollande : ce qui, en gros, s’est joué à Bouvines, c’est la question suivante : l’existence et l’unité de la France féodale allaient-elles faire un bond qualitatif ou au contraire, la défaite du roi capétien allait-elle aboutir au partage de la France. Dans la pratique, cette question tranchée par Bouvines coïncidait objectivement avec la consolidation ou avec l’éviction de la monarchie capétienne, centrée sur Paris, parlant le francien[3] et forgée initialement dans la lutte d’Hugues le Grand contre l’envahisseur viking. Face à la monarchie anglaise, qui tenait toute une partie du Royaume par l’entremise des fiefs normands, aquitains et angevins de la Couronne anglaise, face à l’Empereur germanique désireux de rétablir la puissance romano-impériale de Karl der Grosse (alias Charlemagne), Philippe-Auguste[4] sentit que son trône, sa dynastie, l’unité et l’avenir même du Royaume de France étaient mortellement menacés par la coalition guerrière formée par l’Anglais Jean Sans Terre, par le Germain Othon IV, par le Comte des Flandres et par plusieurs féodaux français qui voulaient devenir pleinement maîtres en leurs fiefs respectifs en se dégageant de la suzeraineté capétienne. Philippe IV eut alors l’intelligence de laisser tomber la Croisade, dans laquelle il s’était engagée de mauvais gré, et de s’occuper de son pays au lieu de guerroyer en « Terre Sainte » : il y abandonna son « allié », l’Anglo-Normand Richard Cœur de Lion ; pour compenser son infériorité militaire et numérique notoire, Philippe eut la grande intelligence politico-stratégique[5] de s’allier aux Communes ; de Paris à la Picardie, ce vaste mouvement populaire, dirigé par la bourgeoisie industrieuse, artisanale et commerçante des villes, refusait la tutelle prédatrice des seigneurs féodaux ; elle s’alliait quelquefois aux paysans des entours et se tournait tactiquement vers le roi de France pour tenir tête aux empiètements seigneuriaux et ecclésiastiques. C’est l’époque où les beffrois laïques défiaient les édifices religieux par leur hauteur, où les « bourgeois » de Laon, de St-Quentin, de Cambrai... (bourgeois = habitants du bourg, par opposition aux nobles et aux « vilains ») se « juraient commune », c’est-à-dire engageaient leur parole pour la mutuelle défense de leurs biens et de leur personne, accueillant toute personne venant se réfugier sous les remparts pour peu qu’elle « jure commune » elle aussi et qu’elle serve dans la milice communale qui protégeait la ville et le bourg contre les chevauchées seigneuriales. Bref, tombe d’elle-même l’objection de certains « marxistes » qui déclareraient que, la nation étant un phénomène bourgeois, donc récent, elle ne peut qu’avoir été consécutive aux révolutions bourgeoises... du 18ème siècle. Comme si le mouvement révolutionnaire et populaire bourgeois (la bourgeoisie d’alors n’avait rien de commun avec les PDG milliardaires du CAC-40, la plupart de ses membres, issus de basse roture, travaillaient de leurs mains...) n’avait pas commencé dès le Moyen Âge. Mais combien de jeunes Français, y compris de bacheliers émérites, savent-ils seulement que la première Révolution franco-parisienne, celle de 1358, que dirigea le fougueux « prévôt des marchands » Etienne Marcel, s’allia – non sans réticences – à la Grande Jacquerie des paysans du Nord conduits par Guillaume Carle. Etienne Marcel, qui voulait que la commune parisienne contrôlât le budget royal, tint quelque temps militairement Paris et le signe de ralliement des insurgés parisien était alors un bonnet bleu et rouge, ancêtre du bonnet phrygien, que les Parisiens arboraient au combat en criant « le prévôt le veut ! » ? Quant à la grande richesse des Flandres et des Pays-Bas, ces premières places fortes du pouvoir républicain-bourgeois au sein de l’Europe monarchique, elles précédèrent de loin les révolutions anglaise, américaine et française du 17ème et du 18ème siècle : leur origine politique est évidemment à chercher dans les révolutions communales, bourgeoises et populaires, notamment celles du « triangle » flamand Gand-Anvers-Bruges...

Bref, pour rompre l’étau militaire que représentait la double invasion menaçante de l’Anglais Jean Sans Terre allié à certains féodaux comme Renaud de Dammartin, et des Germano-Flamands d’Othon IV, le grand Capétien procéda bon gré mal gré (car on peut deviner que reconnaître des « manants » comme une force politique autonome devait fort lui coûter[6]) à ce que les marxistes appellent d’ordinaire un compromis historique. Alors que l’avantage était pris, dans la bataille de Bouvines, par les armées anglo-germaniques des seigneurs, la tentative de ces dernières d’attaquer de front le roi de France et de le tuer aux cris de « mort aux Français ! » échoua grâce à l’infanterie communale, qui gardait le roi ; les roturiers français brisèrent l’assaut ennemi et contre-attaquèrent aux cris (quelle tristesse que la Le Pen soit aujourd’hui la seule à le rappeler !) – non pas de « Montjoie-St-Denis ! » qui était le cri de guerre traditionnel des rois de France – mais de « Commune ! Commune ! » : un mot subversif qui courra désormais, ouvertement ou clandestinement, dans toute l’histoire progressiste de notre pays. Et dans leur contre-attaque furieuse, les manants armés d’arcs et de piques brisèrent le front ennemi et contraignirent Othon IV et ses aigles impériales, poursuivis par la cavalerie noble (et non noble) française, à la fuite et à la débandade[7]. Précédé par la victoire remportée le 2 juillet précédent par un fils de Philippe sur Jean Sans Terre à la Roche-aux-Moines, le succès politico-militaire de Bouvines consolida la monarchie française : pour la première fois, un Capétien put se dispenser de faire préventivement sacrer son fils aîné du vivant de son père (les successions étaient jusqu’alors à haut risque dans le Royaume des Francs). Célébrée dans la liesse par le peuple parisien, la victoire permit d’engager le lent processus de centralisation autour de Paris (la centralisation n’est pas « une invention jacobine »). Ce processus ne trouva son achèvement – non sans nouvelles contradictions – qu’avec la République « une, laïque et indivisible » issue de 1793 ; il renforça l’attractivité du français en Europe et permit à Paris – une ville chère à Philippe (qui la dota de remparts et fit paver ses rues) – de devenir une vraie capitale politique, universitaire (la Sorbonne) et culturelle. Bien entendu, le « patriotisme » de cette époque, qui se confond avec l’allégeance féodale à la personne du roi, sacré à Reims[8], est très différent du patriotisme moderne, si patriotisme il y a. Mais en vertu de quel pédantisme faudrait-il s’interdire de parler d’un patriotisme gaulois, sous Dumnorix et Vercingétorix, d’un patriotisme royaliste sous Philippe-Auguste, d’un patriotisme bourgeois-républicain et républicain-paysan à l’époque de Valmy ou de Fleurus, ou d’un patriotisme prolétarien à l’époque de la Commune, du Front populaire et des FT.P.F.?

Bien entendu, seule la Révolution jacobine-bourgeoise de 1789-94, vite suivie de sa caricature militaro-bureaucratique par le Premier Empire, permettra à cette patrie encore brumeuse de devenir une « nation » de plein droit en cessant d’être ce que l’Abbé Grégoire appelait un « agrégat de peuples inconstitués ». Engels a remarqué que c’est seulement la Révolution française qui, en abolissant les droits seigneuriaux sur le sol, a réellement unifié ce pays encore fort disparate (langages, coutumes, droit) qu’était la France d’Ancien Régime. En particulier, c’est la Révolution, la levée en masse des soldats-citoyens, la geste sans égal des Soldats de l’An II qui, aux accents du Ca ira ! et de la Marseillaise, créée à Strasbourg pour l’Armée du Rhin, reprise par les Volontaires marseillais montant sur Paris, puis reprise en cœur par les fédérés marseillais et les Sans Culotte parisiens lors de la Prise des Tuileries le 10 août 1792 (revoir le magnifique film de Jean Renoir La Marseillaise), approfondira l’unité de la Nation en donnant aux paysans parcellaires enfin débarrassés de la sujétion féodale la propriété pleine et entière sur leur terre. Sans cela, comment ces hommes auraient-ils accepté de mourir ou de vaincre aux cris de « vive la Nation ! » et de « liberté, égalité, fraternité ou la mort » ? Engels fera ainsi observer que seule la Révolution a réellement intégré ce qu’il appelle, un peu schématiquement, les « Allemands d’Alsace », les « Italiens de Corse » et surtout, la « France du Sud » (dixit Engels) cette Occitanie que les barons français du temps de Philippe-Auguste avaient rabattue dans le giron catholique à la suite de la barbare Croisade des Albigeois : le plus haut exemple de cette intégration républicaine de l’Occitanie étant l’Albigeois Jaurès, fils de paysan, occitan de langue maternelle, porte-voix des mineurs de Carmaux et sans doute le plus grand orateur francophone qui ait jamais tenu tribune. Jaurès fusionna brièvement les traditions « bleues » et « rouges » du patriotisme républicain français avant de tomber sous les balles de Raoul Villain et de ses sinistres inspirateurs impérialistes.

II – De Bouvines à la défaisance de la France : de la trahison nationale de la classe bourgeoise.

Mais aujourd’hui, la bourgeoisie qui a en grande partie « fait » la nation, d’abord en s’associant épisodiquement aux rois capétiens puis en s’opposant aux Bourbons, défait la nation. Devenue réactionnaire, totalement acquise aux « Etats-Unis d’Europe », à l’ « Union transatlantique », à l’ « Europe des régions », l’oligarchie largement transnationale qui domine les sommets du MEDEF et du CAC-40 privilégie le tout-anglais impérial, accepte la tutelle humiliante de l’Axe Berlin-Washington, détruit le produire en France, la Sécu et les services publics nationaux, détricote les lois laïques et l’Education nationale, vomit l’ « exception française » (c’est-à-dire l’héritage progressiste, quoique contradictoire, des Lumières, de 1789, de 1905, de 36, de 45 et de 68) au profit d’une marchandisation universelle de l’existence humaine qui trouve sa justification, tantôt dans le « modèle allemand », tantôt dans le « modèle » anglo-saxon d’inspiration thatchérienne. Non seulement l’oligarchie bourgeoise, devenue de moins en moins productive et de plus en plus « compradore », détruit l’œuvre du Front populaire, du C.N.R. et des ministres communistes de 45 (statuts publics, conventions collectives, Sécurité sociale, principe des retraites par répartition, nationalisations industrielles, Code du travail, Recherche publique...), non seulement elle détricote les lois plus ou moins progressistes de la Troisième République (en particulier la loi de 1905 séparant l’Eglise de l’Etat, les lois de 1901 sur le droit associatif, l’interdiction du travail dominical, etc.), non seulement elle érode les avancées démocratiques-républicaines de la Révolution française (principe de la souveraineté nationale et populaire, République une et indivisible, structuration du territoire national selon le maillage « Communes, départements, Etat Nation »), mais à certains égards, elle revient sur des avancées de civilisation qui datent de l’Ancien Régime. Alors que le roi François 1er avait érigé le français en langue officielle du Royaume pour commencer d’unifier le droit et pour faciliter sa compréhension plus large (auparavant les actes étaient en latin) et que la constitution actuelle stipule encore que la langue de la République est le français, les « féodalités financières » (comme disait Waldeck Rochet), aiguillonnées par l’UE atlantique en marche vers le « Grand Marché Transatlantique », sacrifient la langue nationale au tout-anglais et ouvrent la voie, par la Charte européenne des langues minoritaires et régionales, à la « co-officialité » du français et des langues de territoire (et demain, très certainement de l’anglais, qui est déjà « langue minoritaire de France »). Plus gravement encore, cette Charte institue l’idée de minorités ethniques se distinguant par leur langue et s’attribuant des territoires particuliers. La Loi de décentralisation prônée par François Hollande et réclamée par le MEDEF (qui, dans son Manifeste de 2011 Besoin d’aire, exiger la « reconfiguration des territoires » et la suppression des communes) mettra rapidement fin à l’existence d’une loi unique sur tout le territoire, c’est-à-dire à l’égalité formelle des citoyens devant le droit ; en effet les nouveaux Länder (« grandes régions ») mis en place par Hollande auront le droit de moduler la loi nationale, et très vite sans doute, ils obtiendront aussi celui de moduler les conventions collectives, les statuts nationaux, le SMIG national, les diplômes et les qualifications nationales (suppression du bac national au profit du contrôle continu local) tout en pratiquant le moins-disant social et le mieux-disant patronal pour faciliter la guerre économique entre « territoires » ; pendant ce temps, aux marches du ci-devant Comté de Nice, de la Savoie, de l’Alsace, du Nord, de la Bretagne des « Bonnets rouges » lorgnant vers l’Outre-Manche « celtique », du Pays basque et de la Catalogne lorgnant sur Bilbao ou sur Barcelone, émergeront des « régions transfrontalières » marginalisant le français au profit des langues régionales et surtout, de l’anglais, et réduisant à néant l’idée même de territoire national.

C’est là une problématique de destruction de la France dont les élites oligarchiques ne font même plus mystère : de l’eurocrate allemand Von Thadden déclarant que « pour faire l’Europe, il faut défaire un peu la France » à D.S.K. ou à Hermann Van Rompuy célébrant l’« Empire européen », on a affaire à un projet qui, l’« intégration européenne » vise clairement à désintégrer notre pays et plusieurs de ses voisins au profit du règne dictatorial et supranational de la Troïka. Quand on sait par ailleurs que les lointains ancêtres de nos services publics – actuellement asphyxiés, démantelés, privatisés au nom du « sauvetage de l’euro » – ne s’appellent pas Marcel Paul, Ferry ou Monge, mais Sully ou Colbert[9], on voit combien la réaction capitaliste actuelle pénètre loin dans le tissu historique – que dis-je : dans l’A.D.N. – de la nation française. A l’échelle mondiale, ces gens qui ont déjà détruit la Révolution d’Octobre 17 et qui criminalisent le pays de Stalingrad sont en passe de démonter les acquis consécutifs à la Révolution française, et le premier d’entre eux, qui est le droit universel des peuples à disposer d’eux-mêmes (sacrifié au droit d’ingérence) : mais en France même, ce n’est plus seulement à la République une, souveraine, laïque et indivisible qu’ils s’en prennent, c’est à la l’existence même du lien national, laquelle ne date évidemment pas du 14 juillet 1789 ! Et pour en revenir à Bouvines, où le pouvoir national-royal s’allia avec les Communes bourgeoises-populaires, c’est aux communes françaises actuelles que le Parti Maastrichtien Unique (composé du PS, de l’UMP, de l’UDI et d’E.E.-L.V.) s’attaque désormais frontalement en transférant leurs compétences aux « communautés d’agglo » et aux métropoles, comme il s’attaque à l’Etat-nation pour lui substituer un Empire des régions directement branché sur Bruxelles et Berlin. Bref, le 800ème anniversaire officiel du 27 juillet 1214 fait figure de revanche sur Bouvines : revanche des nouveaux féodaux, des nouveaux Impériaux, voire de l’Empire anglo-saxon transmanche et transatlantique, dont la langue et la culture hollywoodienne s’imposent désormais partout au pays de Jeanne Darc !

Il n’est pas jusqu’à la renaissance actuelle de l’esprit colonial des Croisades qui ne vienne grossièrement contredire l’esprit de Bouvines. On a rappelé plus haut comment Philippe-Auguste avait planté là les Croisés, et tout d’abord son « cher allié » anglais, pour s’occuper de son Royaume de France en appliquant l’honnête précepte selon lequel mieux vaut éteindre le feu chez soi que l’allumer chez autrui. Mais aujourd’hui, les nouveaux Croisés pyromanes qui plongent la France et la vieille Europe dans la crise, l’austérité et le chômage de masse, attisent l’ingérence occidentale permanente des Etats de proie impérialistes de la Libye à la Syrie, de l’Irak à l’Afghanistan, du Mali au Soudan ; désormais, ils s’attaquent même à l’Ukraine (demain, n’en doutons pas, à la Biélorussie, au Caucase, etc.) dans le but d’encercler la Russie, d’empêcher la réunion des ex-Républiques soviétiques et d’étendre vers l’Est leur Empire plus en plus atlantique et de moins en moins « pacifique »... Tantôt en alliance avec leurs frères ennemis djihadistes (qu’ils ont ouvertement appuyés en Afghanistan contre les communistes afghans et contre l’Armée rouge), tantôt en rivalité avec eux, poussant en avant ce pseudopode de l’Occident en Palestine qu’est le gouvernement d’extrême droite israélien, les nouveaux Croisés brandissent les « droits de l’homme » pour multiplier les pratiques génocidaires : saigné à blanc par dix ans de guerre, de blocus alimentaire, d’embargo médical et de terrorismes « communautaires » sous influence, l’Irak, où est née l’écriture, se meurt. Et l’impérialisme français, qui a démantelé ses régiments de la frontière Nord-Est, est présent sur vingt théâtres militaires étrangers pour imposer la loi des transnationales du pétrole et de la banque ! Après avoir longtemps pris appui sur le sentiment national pour exploiter le monde (notamment en 14-1918 ou pendant les guerres coloniales), l’impérialisme français déclinant mais d’autant plus agressif fait le « choix de la défaite » de la France dans l’espoir fallacieux d’obtenir des maîtres du monde une place de choix, un lot de consolation en position subordonnée ; qu’importe la nation pourvu que les richards qui ont expatrié 40 fois le « trou de la sécu » dans les paradis fiscaux européens puissent continuer de s’empiffrer à la grande bouffe de la mondialisation capitaliste et de l’Union transatlantique organisée par Washington, Berlin et Tokyo...

Dans ces conditions, la France ne survivra pas comme Etat nation si elle demeure sous la coupe de la bourgeoisie ; seule la classe travailleuse peut encore, en prenant le pouvoir politique et en construisant le socialisme, sauver et « parachever » la construction nationale. Car seule la classe ouvrière peut « continuer la France » (l’expression est de Vaillant-Couturier) pour venir à bout, par la révolution sociale et par la construction d’un nouveau mode de production, de ce qui, depuis toujours, sape l’unité de la nation et la rend largement fragile et illusoire : sa division en classes antagoniques, la domination sur le pays d’une minorité égoïste qui, plus que jamais, préfère ses privilèges à l’intérêt national, lequel coïncide de plus en plus avec l’intérêt de classe réellement universel, lui, du monde du travail. C’est ce que Georges Politzer résumait admirablement quand, en 1939, il énonçait l’idée que « la nation, c’est le peuple » ! Bref, la grande bourgeoisie a longtemps exploité le patriotisme pour imposer ses desseins prédateurs, pour refréner le combat de classe ouvrier et pour prôner l’illusoire « union sacrée » des prolétaires et des capitalistes. Aujourd’hui, sa tactique est différente : elle promeut du même geste la xénophobie d’Etat de l’U.M.’ Pen, pour opposer les travailleurs français aux ouvriers issus de l’immigration (récente, car qui n’a pas d’ancêtres immigrés en France ?), et l’auto-phobie nationale de l’U.M.PS. Pour cela, ses médias célèbrent en permanence le « modèle allemand » tout en dénigrant la « France moisie », la « France rance », le peuple français « hexagonal », « franchouillard », « ringard », « frileux », « gréviculteur », « franco-français », etc. Si bien qu’à notre époque, le patriotisme républicain bien compris devient une arme puissante aux mains des classes populaires pour dénoncer l’oligarchie xénophobe ET auto-phobe, pour appeler notre pays à sortir de l’euro, de l’UE, de l’O.T.A.N. et in fine et si notre peuple en décide ainsi, du capitalisme lui-même par la mise en place d’un nouveau mode de production socialiste-communiste.

Bref, si notre époque est bien celle de larges alliances populaires autour du prolétariat moderne, elle n’est plus celle des compromis historiques plus ou moins dominés par la classe dominante, qu’elle soit monarcho-féodale, comme à Bouvines ou qu’elle soit bourgeoise-jacobine, comme sous la Révolution. Défendre aujourd’hui le C.N.R., se réclamer de Robespierre et de la Révolution jacobine, refuser d’abandonner l’Edit de Nantes, la geste johannique ou la victoire de Bouvines à l’adversaire de classe, en un mot s’affirmer la continuatrice critique de la Nation, ce n’est plus pour la classe ouvrière passer un compromis – positif certes, mais la laissant au second plan –, c’est au contraire combattre pour le rôle dirigeant des travailleurs dans un nouveau Front antifasciste, patriotique et populaire dont le terme n’est pas une république bourgeoise « sociale », mais une République socialiste de plein exercice. Dans une telle perspective, les nécessaires alliances entre classes populaires et couches moyennes imposeront longtemps des traits spécifiques, comme il en va de toute construction socialiste authentique pour autant que le pouvoir politique et les grands moyens de production sont aux mains du peuple travailleur : car si le socialisme n’est rien sans la socialisation des grands moyens de production et le pouvoir des travailleurs, sa nature de classe profonde n’en exige pas moins que ses constructeurs gardent à l’esprit la profonde conclusion du dernier écrit laissé par Lénine : le socialisme est « l’œuvre vivante des masses ».

III – Notre attitude face à l’histoire de France.

Comme on le sait, le mot histoire comporte deux sens complémentaires en français. Il y a l’histoire que l’on écrit et celle qui se fait au jour le jour et dont nous sommes tous acteurs, ne serait-ce que par notre passivité et notre laisser-faire. Concernant l’histoire qui se fait, la position de tout militant communiste et de tout vrai républicain ne peut être qu’univoque : si critique que nous soyons à propos de ce que fut et de ce qu’est notre pays, nous aimons son peuple et sa classe ouvrière, nous acceptons son héritage sous réserve de le critiquer et de le retravailler à partir de nos besoins actuels[10] ; et surtout, nous servons sa classe laborieuse dans toute sa diversité, et nous continuons la France en réclamant, pour les travailleurs, ce que Benoît Frachon appelait « la succession » des classes dominantes en faillite. Mais il s’agit plus particulièrement ici de l’histoire qui s’écrit, de la connaissance historique. Comme nous le signalions dans notre introduction, les classes dominantes et leurs historiens officiels voudraient nous forcer à choisir entre deux attitudes non moins catastrophiques, tant sur le plan scientifique que sur le plan civique. La première serait celle de la nostalgie, du « temps béni des colonies », de « nos ancêtres les Gaulois » (voir à ce sujet l’hilarante chanson de Boris Vian chantée par Henri Salvador), de l’ « apport positif de la colonisation » (sic), bref de l’idéalisation puérile du passé, de l’élimination de ses contradictions de classes, de son racisme latent ou affiché, de sa lecture néo-cléricale des choses (les « voix » de Jeanne prises au premier degré, la France née dans un bénitier lors du Baptême de Clovis, etc.) quitte à dissimuler aux écoliers les contradictions ethniques immenses (Gaulois, Gaule latine, Grecs et Ligures du littoral méditerranéen, Francs, Wisigoths et Burgondes germaniques, Celtes chassés de Grande Bretagne par les Anglo-Saxons et réfugiés en Armorique, etc.) qui firent de notre territoire national actuel un maëlstrom des cultures entre la défaite d’Alésia et la mort de Charlemagne ; et surtout les incessantes révoltes des classes dominées (jacqueries médiévales, révoltes des paysans protestants « camisards », bonnets rouges breton, Jacquou le Croquant, Canuts, luttes ouvrières modernes...) qui tout à la fois, interdisent d’idéaliser la construction nationale et sans lesquelles la naissance de la nation perd tout sens et toute vitalité. En face de ces représentations et les dominant largement dans les manuels scolaires actuels, s’impose la « vision » des élites maastrichtiennes telle qu’elle est notamment exposée dans ce traité d’histoire officielle qu’est le Manuel d’histoire franco-allemande naguère commandité par Chirac et par le chancelier Schröder (!). Là aussi sur fond d’anticommunisme et d’antisoviétisme, l’histoire de France qui s’estompe et disparaît. La France ? Quelle France ? Ici c’est l’idée même d’une chronologie permettant aux lycéens de se repérer dans l’histoire de leur pays qui est évacuée. Mêmes impasses (ou sous-estimation) sur la Commune, sur le rôle éminent du PCF dans la Résistance, sur l’œuvre des ministres communistes de la Libération, même criminalisation de l’U.R.S.S., même regard suspicieux sur la Révolution française et spécialement, sur sa grandiose étape jacobine, avec en sus, un redimensionnement européiste et/ou régionaliste selon les cas qui empêche les jeunes d’hériter consciemment du passé, bon ou mauvais, de leur pays de naissance ou d’adoption en leur livrant sans fard « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité », comme il se doit.

Face à cette construction idéologique bifrons qui est aussi une déconstruction du patriotisme français et de la conscience de classe prolétarienne, quelle forme de résistance pour tous ceux qui, comme nous, veulent mettre en pratique la devise de Politzer « l’esprit critique, l’indépendance intellectuelle ne consistent pas à céder à la réaction mais à ne pas lui céder » ?

Méthodologiquement, il s’agit de réintroduire en histoire le matérialisme historique qui met en avant le mouvement des forces productives, les rapports de classe et de production, l’interférence des structures économiques et des hégémonies culturelles, le rôle des classes sociales ; il s’agit aussi de pratiquer la dialectique : assez de ces affrontements stériles où les uns voient dans l’histoire nationale une suite d’images d’Epinal, du bon Saint-Louis rendant la justice sous son chêne à Louis XVI réparant des serrures, et où les autres réduisent l’histoire au mythique « roman national » quand ils ne noircissent pas à plaisir la philosophie des lumières (« mère des totalitarismes », sic), la Révolution française ou, plus que tout, le PCF de Thorez-Duclos-Frachon qui a toujours eu tort et qui a même eu tort d’avoir parfois raison... « la contradiction est la source de toute vie et de tout mouvement », cette observation de Hegel doit nous éclairer dans la lecture non manichéenne de notre histoire, étant entendu que, selon la manière dont on les traite, les contradictions peuvent être motrices ou dévastatrices...

Sur le plan historiographique, il s’agit de mettre en lumière, sans l’idéaliser, c’est-à-dire sans masquer les ruptures, les régressions, les nodosités et les rugosités d’une construction nationale multiséculaire pour que les jeunes, y compris ceux qui viennent d’un ailleurs lointain, comprennent – contre le zapping idéologique, le « no future ! » et le « no past ! » imposés (en anglais comme il se doit, hélas) par la classe dominante – combien est lente, précieuse, fragile, réversible en un mot, la construction vacillante d’une identité nationale, d’une identité de classe, combien l’héritage du passé – qu’il faut toujours à la fois s’approprier avec bienveillance (c’est si aventureux et risqué de faire œuvre humaine !) et critiquer sur des bases progressistes en ayant toujours en vue les intérêts universels et d’avenir de la classe sociale et de l’humanité.

Sur le plan des contenus, il faut mettre en lumière un fait central de l’histoire nationale. Ce fait concerne sans doute d’autres peuples, car il relève en un sens d’une loi universelle de la lutte des classes. Mais dans notre pays, dont Marx disait qu’il est celui des « luttes de classes poussées jusqu’au bout » (dans un sens ou dans l’autre !), il prend un relief particulier. Il s’agit du fait patent que généralement, les classes dominées ont défendu – et pour cause ! – l’indépendance et l’unité du pays, tandis que le plus souvent, les classes dominantes ou tout au moins, une partie significative des « élites », ont pactisé avec les envahisseurs étrangers pour obtenir d’eux des privilèges, la défense de leurs profits ou, plus généralement, une protection contre le peuple français jugé « frondeur » et « dangereux ». Dans son beau livre Vercingétorix, Camille Julian montre ainsi que les classes dominantes gauloises ont largement collaboré avec l’occupant romain et qu’elles se sont jetées sur les postes sénatoriaux après la défaite d’Alésia. Au contraire,

« ... le fils de Celtill (= Vercingétorix) n’eut point de peine à grossir sa troupe de nombreux partisans. La plèbe rurale, les chemineaux de l’hiver, les misérables fugitifs que des années de lutte politique avaient éloignés des villes, toutes ces ruines humaines de la misère et de la discorde, se réunirent à Vercingétorix. Au nom de la liberté de la Gaule, beaucoup de ces prolétaires s’insurgeaient sans doute par haine de l’aristocratie dominante qui les exploitait dans les chantiers et sur les terres ».

On sait que Jeanne d’Arc dut bousculer l’aristocratie française dont une partie avait rallié Bedford et dont l’autre se satisfaisait de la retraite dorée du « dauphin », le futur Charles le Victorieux, que Jeanne fit sacrer à Reims à l’issue d’une expédition militaire risquée. Ce qu’une fois faite prisonnière et livrée aux Anglais par le « Bourguignon » Jean de Luxembourg, la Pucelle paya de sa vie à l’issue d’un verdict que le duc de Bedford eut l’habileté de faire prononcer par un haut membre de l’Eglise française, le bien-nommé Evêque Cauchon, évêque de Beauvais. Pour nous en tenir à des faits plus récents et mieux connus de tous, on peut aussi parler de l’attitude très différenciée des classes sociales durant les guerres de la Révolution française : les aristocrates émigrés combattirent la France révolutionnaire dans les armées de la Coalition européenne anglo-austro-prussienne, pendant que « l’armée des savetiers et des avocats » (comme disait avec mépris le Duc de Brunswick en parlant des Français en Révolution) stoppait l’invasion à Valmy. Pensons aussi à la Commune de Paris : éminemment internationaliste, ralliée par les étrangers Dombrowski (Pologne), Léo Frankel (Hongrie), Elisabeth Dimitrieva (Bulgarie), Giuseppe Garibaldi (Italie), qui étaient aussi des amoureux de la France révolutionnaire, la Commune fut aussi une insurrection patriotique qui défendit Paris avec acharnement contre l’envahisseur prussien, qui refusa de rendre à Thiers les canons de la Garde nationale parisienne, et qui dut combattre pour finir les soldats français libérés par Bismarck que Thiers s’était engagé, par lettre au chancelier impérial allemand, à « n’utiliser que contre Paris ». Qui n’a en tête par ailleurs la glauque période de Vichy, où, de l’aveu de l’écrivain gaulliste François Mauriac « seule la classe ouvrière est restée fidèle, dans sa masse, à la France profanée » (grève patriotique de 100 000 mineurs du Nord en mai-juin 1940, Bataille du rail, sabotages chez Renault, maquis F.T.P. ouvriers et paysans, guérilla des F.T.P.-M.O.I....) ; à l’inverse, l’état-major fascisant de l’Armée française et l’essentiel des banquiers et des industriels « français », Louis Renault et Comité des Forges en tête, faisaient alors ouvertement le Choix de la défaite (cf le livre d’A. Lacroix-Riz), et menaient d’excellentes affaires sous l’Occupation en attendant de relancer, après-guerre, la « construction européenne » sous pilotage américano-allemand...

La suite, chacun la connaît : la haute bourgeoisie française rêve de mettre le point final à l’histoire commencée à Bouvines en enterrant la Nation, tandis qu’objectivement, la classe laborieuse défend – pour se défendre elle-même – le produire en France, les services publics, la Sécu, bref ce qui fait que nous continuons – de plus en plus malaisément – à « faire nation » ensemble en attendant de pouvoir refaire « commune » jusqu’au bout en virant l’exploitation capitaliste. Et s’il y avait encore aujourd’hui un PCF d’avant-garde unissant comme Thorez et Duclos le faisaient hier, le patriotisme républicain à l’internationalisme prolétarien, cette défense de la nation par la classe ouvrière et de la classe ouvrière par l’ensemble des couches potentiellement anti-oligarchiques, serait bien plus efficace : en s’opposant à l’euro et à l’UE atlantique, la classe laborieuse reprendrait place au cœur de la Nation ; elle redeviendrait alors la force dirigeante menant notre peuple à l’assaut du capitalisme dont le maintien est de plus en plus incompatible avec la survie de la nation comme telle...

Conclusion

Les falsificateurs, qui confondent mémoire et grands spectacles touristiques, s’apprêtent à présenter Bouvines comme un grand moment de la construction européenne capitaliste. Les mêmes ont scandaleusement ignoré le 70ème anniversaire de la victoire de Stalingrad en présentant l’anniversaire du Débarquement en Normandie comme le tournant de la guerre (alors que De Gaulle reconnaissait en 1966 que l’U.R.S.S. a « joué le rôle principal dans notre libération » et qu’aux alentours du 6 juin, le chef de la France libre ne décolérait pas contre Churchill et Roosevelt, qui voulait remplacer l’occupation allemande par l’Administration militaire américaine des Territoires occupés – A.M.G.O.T.). Les mêmes font ou feront défiler l’armée allemande sur les Champs Elysées – pas celle de la R.D.A. antifasciste, dont les cadres ont été persécutés, voire emprisonnés sous Helmut Kohl, mais l’armée de la R.F.A. néo-impériale de Mme Merkel –le 14 juillet 2014, le 11 novembre 2014 et le 8 mai 2015. A nous, militants franchement communistes et citoyens vraiment républicains d’assumer notre histoire[11], avec sa part d’ombre mais aussi avec ses grandes lumières. Alors, recueillons précieusement la braise de cette histoire que d’aucuns veulent éteindre ou falsifier : il y va du sens présent de nos luttes et de la continuité de notre combat antifasciste, patriotique et populaire.

Georges Gastaud

»» http://www.initiative-communiste.fr/articles/culture-debats/800e-anniv...

[1]Avant la guerre de 1914, c’est le Parti socialiste, Jaurès en tête, qui célébrait Jeanne d’Arc par de grandes manifestations. Insulté pour cette raison par le nationaliste préfasciste Déroulède, Jaurès se battit même en duel avec ce triste personnage. Après 1920, le Parti Communiste S.F.I.C. rendait annuellement hommage à la grande héroïne populaire, morte brûlée vive à 19 ans pour n’avoir pas abjuré sa foi patriotique. Ce sont les grands écrivains communistes allemands, Bertolt Brecht et Anna Seghers, qui ont co-signé une magnifique Pièce de théâtre intitulée Le procès de Jeanne d’Arc, que tout marxiste doit lire ou relire pour comprendre ce que signifie traiter de la question nationale en termes de classe. Comment s’étonner qu’aujourd’hui, la « gauche », le gauchisme bobo et le PCF-PGE ayant renoncé à défendre l’indépendance et l’histoire nationales, les maîtres usurpateurs du « Front national » (dont ils ont volé l’appellation au front d’organisations de résistance mis en place par le PCF clandestin) puissent si facilement se présenter comme les « héritiers et continuateurs » de la nation française, voire de ces très anciennes manifestations d’indépendance populaire que furent les « communes », un mot dont est sorti, via la Commune insurrectionnelle de 1793 et la Commune de Paris de 1871, le mot même de « communisme » ?

[2] Lors de la création de l’Internationale communiste, Lénine – qui voulait répudier l’épithète discréditée de « social-démocrate » – a choisi la dénomination de communiste, formée sur les mots français « commun, commune », non seulement en référence à l’objectif final du communisme, mais en hommage à la Commune de Paris et à l’ « Etat-commune », distinct de toute démocratie bourgeoise, que les Communeux français (« communard » était originellement péjoratif) avaient instauré la première.

[3] Les dynasties précédentes, mérovingienne puis carolingienne, parlaient un dialecte germanique. Hugues le Grand, qui défendit Paris contre les Vikings, puis Hugues Capet, le refondateur du Royaume (et non plus de l’Empire) franc, parlaient francien – le dialecte francilien de langue d’Oïl qui deviendra le français « national ». Pour la première fois depuis Vercingétorix, qui parlait un dialecte celtique et dont la défaite amena l’extinction du gaulois et le triomphe du latin dont sortirent les langues d’Oïl et d’Oc, les figures de proue de la Gaule franque parlaient le dialecte de la population locale, ou du moins de la capitale de leur royaume. La victoire du Capétien favorisa grandement l’usage lettré du français en France et en Europe ; elle permit aussi l’éclosion du grand art « français », rebaptisé par la suite « gothique », par volonté de dénigrement : celui des cathédrales.

[4] Qu’il ne s’agit pas d’idéaliser, ni de regarder de haut. Le roi de France n’était évidemment pas un révolutionnaire. C’était le premier des féodaux. Mais sa position même l’obligeait, par intérêt dynastique bien compris, à porter le futur « intérêt national ». Dans la droite ligne de Hegel, le marxisme nous a enseigné depuis longtemps à ne pas opposer le particulier à l’universel. Dans des conditions concrètement déterminées, il peut parfaitement se faire qu’une classe sociale, qu’une nation, voire qu’une fraction de classe donnée, porte objectivement l’universel. Le fait que très souvent, des intérêts grossièrement particuliers se dissimulent derrière le masque usurpé de l’universel ne doivent pas occulter qu’il n’en est pas toujours ainsi dans l’histoire...

[5] « nationale-populaire » eût peut-être dit Antonio Gramsci. Mais nous n’avançons ce mot qu’avec beaucoup de circonspection.

[6] Pas plus qu’à De Gaulle quand il s’allia tactiquement aux communistes pour « faire le poids » face à Vichy et aux Anglo-Saxons, pas moins qu’aux dirigeants du PCF quand ils informèrent De Gaulle de leur soutien face au général Giraud, l’homme de Vichy ET des Anglo-Américains, etc. Comme le dit sans cesse Lénine aux gauchistes de son époque : « qui craint le loup n’aille pas en forêt »...

[7] Notons pour l’anecdote, et en direction de ceux qui se croient révolutionnaires parce qu’ils conspurent le drapeau tricolore et qu’ils n’honorent que le drapeau rouge, que les oriflammes du roi de France furent longtemps l’étendard fleurdelisé et l’oriflamme rouge de St-Denis (censé être teint par le sang du martyr dont le nom est fièrement porté par la grande ville du 93 !)... Heureusement que les ouvriers parisiens qui, en 1792, s’emparèrent du drapeau rouge de la loi martiale brandi contre eux par La Fayette (et qui inscrivirent sur ce drapeau, désormais frère du tricolore, la devise « loi martiale du peuple souverain »)- ne se sont pas dit de manière pédante que le drapeau rouge était un drapeau crypto-royaliste ! LES SYMBOLES NATIONAUX, CA SE DISPUTE ! Au besoin, on va les arracher des mains de la classe dominante !

[8] Le principal exploit politique de Jeanne d’Arc, la fille très croyante d’un laboureur lorrain, aura été de faire sacrer à Reims celui qu’elle appelait le « dauphin de France » et qui était alors relégué à Bourges, dans une prison dorée, par l’occupant anglais : vox Dei, vox populi, la voix de Dieu, c’est la voix du peuple, comme le montrera Brecht qui comprenait parfaitement, en vrai matérialiste, qu’en ces temps très catholiques, l’intervention en politique – surtout pour les jeunes filles d’origine roturière – passait obligatoirement par le canal religieux et, s’agissant de Jeanne, par ce que sa grande spécialiste contemporaine, l’historienne Colette Beaune, appelle le prophétisme féminin. Rappelons que les « voix » de Jeanne d’Arc (une roturière : d’Arc, ou plutôt « DARC », veut dire « Dupont » en dialecte lorrain d’Oïl) peuvent s’expliquer sans nul recours au merveilleux chrétien : enfant, Jeanne a pu assister de loin à l’incendie et au massacre par les Anglais du village de Domrémy. On peut imaginer facilement ce qu’elle entendit, comme les survivants d’Oradour ou ceux de Gaza aujourd’hui...

[9] Pas question d’idéaliser le brutal Maximilien de Béthune, dit Sully, ni Colbert, qui contresigna le terrible Code noir. Cependant le Grand Voyer de France qu’était Sully, fit beaucoup, sous l’impulsion d’Henri IV, pour reconstruire la France ravagée par les Guerres de religion ; il planifia la mise en place d’un réseau de routes et de canaux qui sont les ancêtres de notre ministère de l’Equipement. Or aujourd’hui, la France maastrichtienne ne remplace plus 6 postes sur 7 de fonctionnaires de l’Equipement partant à la retraite. Quant à Colbert, non seulement il donna une impulsion d’Etat à la construction d’une industrie nationale, mais il s’attaqua au principe délétère de la vente des offices et il est l’ancêtre d’une forme de statut de la fonction publique.

[10] C’est ce que Lénine appelait l’assimilation critique de l’héritage et qu’il opposait à la fois au traditionalisme et au nihilisme culturel des gauchistes qui prennent malencontreusement au pied de la lettre la phrase de l’Internationale « Du passé faisons table rase ».

[11] Encore une fois, assumer l’héritage ne veut pas dire tout en approuver. Quand vous assumez l’héritage de vos parents, vous assumez l’actif et le passif. Mais si vous faites correctement votre deuil, le passif ne cesse pas d’être passif, l’actif d’être actif. Simplement vous dites haut et clair devant vos compatriotes : j’assume cet héritage, je continue cette œuvre et donc, je la transformerai pour mieux en respecter le sens global, que je juge positif. J’ai écrit une brochure il y a quelques années sur cette question : « qu’est-ce qu’hériter en communistes de l’héritage communiste »...


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