Entrer, c’était l’aléa de se voir infecter par le poison libéral. Ne pas entrer c’était risquer d’être constamment hors du coup, de ne pouvoir peser sur rien et laisser le champ libre aux syndicats « modérés » qui en seraient ressortis légitimés, en particulier aux yeux de la grande masse des non syndiqués. Le syndicat auquel j’appartiens, la fédération à laquelle il est rattaché furent parmi les derniers à accepter de jouer le jeu de « l’Europe », en se disant que, si la cuiller est longue, on peut s’attabler avec le diable.
J’ai toujours pensé que, vu la puissance de feu des milliers de banquiers, de groupes de pression multiples et variés harcelant sans relâche les représentants du peuple, les moyens dérisoires des forces syndicales ne feraient pas le poids. J’estimais par ailleurs – et je n’ai pas changé d’avis – que plus on s’affaire, plus on se croit utile et intéressant dans les sphères ouatées si loin de la vraie vie, moins on a d’envie et d’énergie pour descendre dans la rue et lutter dans les entreprises. Ce sont des habitudes que l’on perd très vite.
Pour rendre plus concret ce que j’avance ici, je vais revenir ici sur la lutte récente des cheminots français, son échec relatif par absence de perspective européenne. Cette absence n’est pas étrangère à la personnalité de la responsable syndicale suprême de l’Union européenne.
Pendant la grève des cheminots français, le silence de la Confédération européenne des syndicats fut assourdissant. Alors que cette CES prétend œuvrer en faveur d’un « syndicalisme européen », militer pour des « euro-manifestations », elle n’a rien fait pour, par exemple, aider à la convergences des luttes en France, en Allemagne et en Suède. En 2010, les autorités suédoises ont mis fin au monopole de l’opérateur national, les Statens Järnväger. Les rails sont toujours la propriété de l’État mais des entreprises privées comme Veolia (sa filiale Connex) opèrent désormais dans les chemins de fer, ainsi que dans les transbordeurs et les taxis. En Allemagne, les cheminots ont en ligne de mire la semaine de 37 heures. La CES ne s’est nullement intéressée à ces mouvements, n’a affiché aucune solidarité.
La CES regroupe des syndicats socialistes, mais aussi des démocrates-chrétiens et des libéraux. En France, la CES unit la CGT, la FSU mais aussi FO, l’UNSA, la CFDT ou la CFTC. Alors que les patrons sont tous du même côté de la barrière, les syndicats sont fortement désunis de part et d’autre des piquets de grève, ou lorsqu’il s’agit de négocier avec les patrons. Il ne faut donc pas s’attendre à trouver la CES à la pointe des luttes. Son objectif est d’aplanir, de concilier, d’aseptiser, de construire une Europe qui laisse libre cours aux menées du capital.
Cette CES est dirigée par une française qui n’a jamais milité dans un syndicat français : Bernadette Ségol. Elle est favorable au « dialogue social », entre « partenaires sociaux », naturellement. Elle croit en la construction d’une Europe unie, avec « une dimension sociale », créatrice de « prospérité et de compétitivité ». Organiser les luttes au niveau européen n’est pas vraiment sa tasse de thé.
Né en 1949, Bernadette Ségol (dont le nom, belle antiphrase, signifie « le loup victorieux ») est depuis mai 2011 Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats et depuis novembre 2011, vice-présidente du Mouvement européen (président Jean-Marie Cavada). Son slogan, aussi choc que subversif, est : « L’Europe, c’est vous ! » Bernadette Ségol a étudié la philosophie à l’Université de Toulouse. De 1974 à 1985 elle a œuvré au sein de la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et du cuir. En d’autres termes, elle n’a jamais travaillé dans la vie active, et a occupé des postes de cadres dans la machine associative.
En 1985, elle rejoint l’Euro-FIET, structure européenne de la Fédération internationale des employés, techniciens et cadres où elle est Secrétaire régionale pour l’Europe.
En 2000, elle est Secrétaire régionale Europe dans le cadre d’UNI-Europa. En mai 2011, elle quitte UNI-Europa pour devenir Secrétaire générale de la CES. La même année, en novembre 2011, elle est élue vice-présidente du Mouvement européen international lors du congrès de Varsovie.
Mieux que Bergeron, et peut-être même mieux que Notat !
PS : Notez bien : 250 milliards d’euros d’investissement = 11 millions d’emplois. Pas 11,8 ni même 11,5. If that isn’t a con, comme on dit en globish bruxellois...