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Reprendre le chemin : Renaissance politique de l’Union Patriotique en Colombie.

Route de montagne, Dolores (Tolima)

C’est au rythme des secousses que le véhicule parcourt les montées et les descentes d’une route faite de cailloux et qui serpente entre les arbres. Les armes à feu coincées entre le fauteuil et la cuisse, le chauffeur et son second se concentrent sur ce chemin de fortune à travers les vitres blindées du 4x4. A l’arrière, Alirio observe la dense végétation, les mains croisées posées sur les genoux avec, à côté, sur le fauteuil, le journal VOZ (hebdomadaire du Parti communiste colombien). La calvitie grisâtre, les lunettes sur le nez, Alirio Urrego Mesa se repose silencieusement durant les trajets qui le conduisent de meetings en réunions politiques. Candidat à la “cámara” (équivalent du Parlement) pour la ressuscitée Union Patriotique dans la région du Tolima (Sud du pays), Alirio est en pleine campagne politique. Accompagné par une équipe de camarades du PCC et de la jeunesse communiste, il parcourt ce weekend de février 2014 le municipe de Dolores, vieux bastion communiste de cette région montagneuse et productrice de café.

Aliro Urrego Mesa dans la commune de San Pedro, lors d’un meeting avec les paysans, samedi 22 février 2014.

Loin des shows à l’américaine ou même des salles de spectacles remplies de fans arborants T-shirts et drapeaux, les “meetings” d’Alirio sont à l’image de ses électeurs : modestes. Il serait même préférable de parler plutôt de “rencontres”, de discussions organisées dans le bar du village qui, pour l’occasion, aura mobilisé ses quelques chaises pour les paysans qui habitent le coin. Sans micro, droit dans les yeux, presque la main sur l’épaule, Alirio Urrego présente sa candidature et le programme de l’UP aux femmes et aux hommes venus l’écouter. Une vingtaine de personnes sont présentes cet après midi du samedi 22 février 2014. Accoudés sur un muret de pierre, assis sur une moto ou bien sur la chaise avec le nourrisson dans les bras, les paysans écoutent le vieux communiste tandis que les jeunes de la JUCO distribuent la propagande aux couleurs jaune et verte du parti. « Vous savez qu’en ce moment les camarades des FARC sont en train de dialoguer à la Havane, et l’un des points clé de ce dialogue concerne la question de la terre. Nous devons mener la lutte ici avec cette élection, car le problème agraire ne se résout pas à la Havane, il se résout ici. C’est la concentration de la terre entre les mains d’une minorité qui est à l’origine du conflit. Les FARC sont une création paysanne, elles sont nées ici, dans cette région. Cette guerre doit cesser car c’est vous, les paysans, qui en souffrez. Ce sont vos enfants qui deviennent les guérilleros, ce sont vos enfants qui deviennent des soldats » [1].

L’auditoire est attentif. Le discours de présentation terminé les paysans interpellent le candidat et lui exposent les problèmes de la région. « Ici nous sommes abandonnés. Les routes ne sont pas entretenues. Les centres de santé ferment. Et lorsqu’on demande des explications on nous répond que c’est parce qu’ici c’est une “zone rouge” (zone de présence de la guérilla communiste) et que les guérilleros utilisent les centres de santé pour se soigner ! ». Eternel refrain de l’armée colombienne qu’est celui d’assimiler tout paysan, syndicaliste, dirigeant agraire ou leader communautaire à la guérilla dés lors où cela l’intéresse. Le Tolima reste aux yeux des autorités le bastion rebelle dans lequel sont nées les FARC en 1964. La cordillère a été très tôt le refuge naturel des organisations de défense paysanne et des communistes. Cible privilégiée des opérations militaires et paramilitaires la région a longtemps souffert des exactions de ces acteurs armés. Les corps de paysans assassinés sont venus grossir les chiffres des tristement célèbres “falsos positivos” (faux positifs, paysans tués déguisés en guérilleros) durant le mandat d’Alvaro Uribe.

L’absence des pouvoirs publics dans la région se fait sentir et vise également à chasser les familles paysannes de leurs terres. « Il y a une zone pétrolière dans ce coin, et ils veulent exploiter cette ressource » explique un homme en pointant du doigt la forêt qui se dessine à l’horizon. La région est en effet source du précieux “or noir”. Durant l’année 2000 l’entreprise Ecopetrol annonçait la découverte d’un gisement pétrolier des plus important dans les environs de Melgar (Tolima) [2]. En 2012 l’entreprise brésilienne Petrobras (associée à Ecopetrol) a découvert un nouveau gisement dans cette même zone, estimant son exploitation initiale à près de 500 barils par jour [3]. L’appétit des multinationales pour la riche Colombie est palpable. L’activité paysanne est un un cailloux dans leur chaussure et empêche le développement totale de l’exploitation sur le territoire. Le deuxième cailloux dans cette chaussure reste l’existence de groupes armés insurgés.

La nuit tombée nous nous rendons chez l’un des camarades du Parti communiste, dans sa “finca” (propriété ou ferme, dans les régions agricoles) pour dîner. Appuyé sur un poteau, fumant sa cigarette, Alirio contemple l’épais rideau noir d’une nuit en montagne en attendant le repas. « Tu parlais des “muchachos” [4] tout à l’heure, ils sont présents dans le coin ? » je lui demande. A travers ses lunettes je vois ses yeux qui s’ouvrent grand en guise d’affirmation. « Ils sont par là oui. Depuis toujours. C’est une zone stratégique ici. C’est le Front 25 qui opère là, appartenant au Bloc Oriental. Je ne les connais plus ceux d’aujourd’hui, ils sont trop jeunes. Ceux que je connaissais sont tous morts maintenant. Ils sont influents, il suffirait qu’ils désignent du doigt pour quel candidat voter et celui-ci serait sûr de l’emporter ici ». La guérilla des FARC-EP est en dialogue avec Bogota depuis l’automne 2012 afin de trouver une solution politique au conflit. Derrière les “bonnes volontés” du gouvernement on retrouve les intérêts pragmatiques des multinationales. Selon une étude de la FIP “Fundación Ideas para la Paz” (Fondation idées pour la paix) 32 dirigeants d’entreprises et 9 hauts responsables de multinationales opérant dans le pays se sont prononcés en faveur du processus de paix avec les FARC en août 2012 [5]. L’exploitation du sous-sol colombien nécessite la libération de zones entières du pays de la présence insurgée. A cela s’ajoute la nécessité de clore un conflit dans lequel le déplacement des populations et les massacres à répétition entachent sérieusement l’image d’Epinal que veulent s’offrir les grandes entreprises surtout lorsque leur implication dans le financement de groupes paramilitaires a été avérée (le cas notamment de Coca cola, Drummond ou Nestlé).

« Le problème de cette oligarchie c’est qu’elle ne respecte pas les accords » explique Alirio devant une nouvelle assemblée de villageois, dans la commune de San Pedro. Réunis dans ce qui semble être le bar central du village, assis sur des chaises, les paysans forment un demi cercle attentif au paroles du candidat communiste. « Souvenez vous que l’Union Patriotique nait des dialogues de paix de 1985 avec Belisario Betancur. La suite a été la tragédie que vous connaissez. Ils nous ont assassiné près de 5.000 camarades. Aujourd’hui l’UP a retrouvé son entité juridique ; nous essayons à nouveau de peser sur la politique nationale avec l’espoir que cette fois on ne nous tue pas. Le gouvernement doit respecter nos vies ». De sa voix calme il réitère alors son appel à voter pour l’UP et ses principaux candidats : Lui-même pour le parlement comme représentant du Tolima, le journaliste Carlos Lozano (directeur de VOZ) pour le Sénat et Aida Avella pour les élections présidentielles de mai.

Affiche de campagne d’Alirio Urrego Mesa pour l’Union Patriotique.

Le dimanche 23 février Floricel Buitrago nous invite à prendre le “tinto” (café) chez lui. Dirigeant communiste de la région, ancien conseiller municipal, il est aujourd’hui assigné à résidence par les autorités pour soupçon d’appartenance au Front 25 des FARC-EP. « Pour eux, la gauche c’est la guérilla » m’explique-t-il. Harcelé par l’armée, notamment la Brigade Mobile 21 qui opère dans la zone, Floricel a déjà été sérieusement menacé de mort par des officiers. « Le matin du 9 mai 2013 il y a eu tout un déploiement militaire. Des hélicoptères, des troupes au sol, etc. Au début tu n’imagines pas que c’est pour toi. Combien ça coûte de déployer autant d’unités ? Tout ça pour un paysan ? Arrive un hélicoptère au dessus de ma maison avec la SIJIN (Police d’investigation criminelle). Ils s’introduisent chez moi et fouillent toute la maison. Ils ne trouvent que des papiers m’impliquant dans des activités d’organisations de défense des Droits de l’Homme. Bien sûr, eux cherchaient des armes ou des ordinateurs. Ils m’accusent d’être le responsable logistique et politique du Bloc Oriental et de nourrir la guérilla. Bref, de subversion. Ils m’ont emmené avec 7 autres paysans, tous dirigeants communaux » [6]. Faute de preuve, la juge a tranché pour la détention domiciliaire.

Alors que nous sommes tous à table, partageant le repas que la femme de Floricel nous a préparé, un des garçons de la ferme annonce qu’à la télé on parle d’un attentat raté contre Aida Avella. Précipitamment, tous quittent la table et se serrent devant le poste de télévision d’une des chambres. La caravane de la candidate présidentielle, composée d’une dizaine de voitures, a essuyé des tirs dans la région de l’Arauca provenants de deux hommes en moto. « Déjà ? Ils vont déjà commencé à nous tuer ? » s’inquiète l’un des jeunes communistes. Les militants s’agitent au téléphone, communiquent, demandent des détails sur l’incident. Aucun blessé lors de l’attaque. Aida Avella et Carlos Lozano (qui se trouvait avec elle) sont indemnes. Nous ne le savons pas encore mais cet “attentat” n’est autre qu’une bavure signée de l’ELN, la deuxième guérilla du pays. Selon leurs dires, les deux rebelles en moto auraient voulu identifier les membres de la caravane et sous le refus de ces derniers de s’arrêter ils auraient ouvert le feu. Le blindage des voitures et la réaction rapide des gardes du corps ont ainsi évité un tragique débouché. L’ELN présentera ses excuses officielles 5 jours plus tard aux membres de l’UP [7]. Mais pour les militants, les vieux démons ont déjà refait surface. Rappelons que le pays reste un cimetière à ciel ouvert pour la gauche et l’opposition. La Marche Patriotique, mouvement social et pacifique apparu en 2012, d’implantation rurale principalement, compte déjà 30 membres assassinés dans le pays [8]. Sur le chemin du retour vers la ville d’Ibagué, la femme d’Alirio interpelle son mari qui vient d’avoir une conversation téléphonique sur son portable. « Pourquoi tu dis où tu es ? Ne le dis pas. Ne raconte pas ton programme, ne dis pas où tu vas, ils n’ont pas à le savoir. Fais attention avec ça ! ». « Madame a raison » rajoute le garde du corps, assis à côté du chauffeur, « il faut prendre nos précautions. Vous dites que vous n’êtes pas là, ou que vous êtes en campagne, mais c’est tout. Les détails sont inutiles ». Alirio ne dit rien. Il écoute et regarde par la vitre les arbres défiler.

Loïc Ramirez

Alirio Urrego Mesa (à gauche) en conversation avec Floricel Buitrago.

[1Intervention d’Alirio Urrego Mesa, samedi 22 février 2014.

[4“muchachos” (les jeunes garçons) terme utilisé pour parler des jeunes guérilleros.

[6Entretien avec Floricel Buitrago, dimanche 23 février 2014.


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