« C’est celui qui n’a jamais exercé qui trouve que le pouvoir n’est pas agréable. » - Proverbe africain
Cette phrase résume à elle seule le drame des Africains qui héritent après des décolonisations bâclées de dirigeants assoiffés de pouvoir. Encore une fois et pour ne pas changer l’Afrique se signale par un énième conflit. Souvenons-nous en décembre c’était le Mali aux prises avec les islamistes d’Al Qaîda en décembre 2013. C’est un autre pays, la Centrafrique, aux prises dit-on, depuis quelque temps, à un conflit religieux. La chose est grave puisque c’est une épuration ethnique sous les yeux des puissants qui laissent faire de l’Union Africaine qui regarde ailleurs, et des musulmans trop lâches pour protester contre ces massacres au nom du divin.
La Centrafrique et ses richesses
Quelques informations prises sur l’Encyclopédie Wikipédia nous apprennent que la République centrafricaine, a une population estimée à 4.500.000 habitants, pour une superficie d’environ 623.000 km². La République centrafricaine dispose par ailleurs de nombreuses ressources naturelles, notamment l’uranium, l’or et les diamants. Le pétrole et l’énergie hydroélectrique sont d’autres ressources potentiellement importantes mais inexploitées à ce jour. Les Français colonisèrent la région à la fin du XIXe siècle et l’administrèrent sous le nom d’Oubangui-Chari. Le projet colonial français, avait pour objectif de traverser le continent africain d’ouest en est. Ce projet est stoppé net en 1898 à Fachoda, par les Anglais (on parle du fameux complexe français de Fachoda).
L’indépendance fut acquise en 1962. Le premier chef de l’État, Barthélemy Boganda, est considéré comme le père de la nation centrafricaine. En 1965, lors du « coup d’État, Jean-Bedel Bokassa renverse son cousin David Dacko et prend le pouvoir. En septembre 1979, une première ingérence de la France fut « l’opération Barracuda », elle renverse Bokassa après lui avoir permis d’être sacré empereur et remet au pouvoir David Dacko. En effet, Bokassa se rapprochait de plus en plus de Kadhafi dont la politique au Tchad est en contradiction complète avec les intérêts français. David Dacko lui succède encore brièvement. Il sera chassé du pouvoir le 1er septembre 1981 par le général André Kolingba qui établit un régime militaire. Jusqu’en 1993, Ange-Félix Patassé désigné par la France est élu président de la République. En 2001, une tentative de coup d’État provoque de violents affrontements dans la capitale, Bangui. Le 15 mars 2003, le général François Bozizé réussit, avec l’aide de militaires français (deux avions de chasse de l’armée française survolaient Bangui pour filmer les positions des loyalistes pour le compte de Bozizé) et de miliciens tchadiens (dont une bonne partie va rester avec lui après son installation au pouvoir. » (1)
L’accession à la présidence de Bozizé est violemment contestée, une première guerre civile ravage le pays entre 2004 et 2007, jusqu’à la signature d’un accord de paix en France. Cependant, les rebelles reprennent les armes fin 2012, lançant une série d’attaques démarrant la deuxième guerre civile de Centrafrique. Le 24 mars 2013, les rebelles de la coalition Seleka s’emparent de Bangui et Bozizé s’enfuit. Parallèlement se forment des milices chrétiennes d’auto-défense, les anti-balaka se forment. Le 5 décembre 2013, la France arrache une résolution de l’ONU qui lui permet d’envoyer des troupes armées (opération Sangaris). Deux mois et demi plus tard, le conflit tourne maintenant au génocide des musulmans.
L’acharnement sur la Centrafrique pour cause de richesse
Pourquoi cet acharnement pour le pouvoir et pourquoi la sollicitude permanente de la France, ancienne puissance coloniale ? Est-ce une guerre ethnique ? Est-ce un conflit religieux ? D’après le World Factbook de la CIA (États-Unis), près de 50% de la population est chrétienne dont 25% de catholiques et 25% de protestants. 15% des habitants sont de religion islamique. Le reste de la population, soit environ 35%, reste fidèle aux religions africaines traditionnelles (animisme, génies, ancêtres, divinités).
La réponse est donc surtout économique. Les Centrafricains avant les interférences vivaient en bonne intelligence. La culture du coup d’Etat permanent est entretenue de l’extérieur, notamment de la France avec sa politique gravée dans le marbre de la Françafrique – France à fric – pourrions nous être tenté de dire, qui peut prendre des formes différentes. La deuxième raison concerne les richesses de ce pays. Bien qu’il soit très arriéré l’activité minière (or et diamants) constitue une importante source de richesse de la République centrafricaine en matière de recettes d’exportation. Il faut signaler la présence de multinationales dont Areva : le Groupe industriel français spécialisé dans l’exploitation de l’uranium de la région de Mbomou à Bakouma. Archéologie récente du conflit.
Les manoeuvres pour piller les faibles
Patrick O’Connor écrit : « Les Etats-Unis et la France sont en train d’envoyer des troupes supplémentaires en République centrafricaine (RCA) alors que les milices anti-gouvernementales progressent vers la capitale Bangui. L’intervention fait partie d’un renforcement plus général des opérations militaires impérialistes sur l’ensemble de l’Afrique alors que Washington et ses alliés européens s’efforcent de maintenir leur domination stratégique sur le continent et le contrôle de ses ressources naturelles. » (2)
Patrick O’ Connor décrit l’influence soft de Chine que les Occidentaux combattent : « Le 17 juin 2009, l’ambassadeur américain Frederick Cook avait envoyé un câble disant, « relations France-RCA sérieusement sous tension, » (...) Une autre dépêche envoyée cinq mois plus tard était intitulée « L’influence chinoise grandissante en RCA est évidente. Il ajoutait qu’environ 40 officiers de l’armée de la RCA étaient formés tous les ans en Chine, contre les deux ou trois officiers qui allaient aux Etats-Unis et les 10 à 15 en France. (...) les Chinois en toute probabilité se positionnent comme étant le principal bienfaiteur de la RCA en échange de l’accès aux vastes dépôts d’uranium, d’or, de fer, de diamants et probablement de pétrole. (2)
Pour rappel, le 11 janvier 2013, les accords de Libreville ont temporairement empêché un coup d’Etat et impulsé un accord de partage du pouvoir. L’accord n’a toutefois eu qu’une courte durée ; les forces rebelles de la Seleka, avec le soutien tacite des puissances impérialistes, ont lancé une offensive contre les forces de Bozizé. Bozizé a été renversé le 24 mars, et le chef rebelle Michel Djotodia s’est déclaré président. Lui-même sera destitué en janvier 2014
Pourquoi la France intervient en Centrafrique
Anne Guion et Elena Fusco, tentent de comprendre pourquoi la France ne veut pas lâcher ses anciennes proies : « La Centrafrique est un peu plus grande que la France. Entre or, uranium, pétroles et autres ressources, la Centrafrique est un pays potentiellement très riche et dont les gisements représentent un enjeu dans le conflit en cours, surtout les diamants. Dès la colonisation, les autorités locales françaises ont exploité ce territoire comme une entreprise commerciale. « Elles l’ont divisé et ont octroyé des concessions exclusives à des compagnies françaises avec lesquelles elles travaillaient main dans la main pour faire du profit, explique l’International Crisis Group dans un rapport intitulé De dangereuses petites pierres : les diamants en République centrafricaine, publié en 2010. Cette confusion entre autorité étatique et intérêts privés a ancré l’idée que détenir le pouvoir donnait le droit de profiter des ressources naturelles et du labeur de la population. » (...) Les Centrafricains sont à 80% chrétiens. A l’arrivée de la Séléka, les communautés religieuses ne s’affrontaient pas. Lors de leur redéploiement dans le pays, les membres de la Séléka ont attaqué les églises et les intérêts religieux. Dans son message de Noël, l’archevêque de Bangui, a exhorté les Centrafricains au calme : « Beaucoup de personnes de mauvaise foi et volonté voudraient voir éclater un conflit intercommunautaire et interreligieux en Centrafrique. Ne laissons pas ces personnes transposer sur le terrain du religieux ce conflit. » Les conséquences seraient dramatiques. »(3)
Chaos et nettoyage ethnique
Apparemment, la force africaine pourtant plus nombreuse est muette. La France continue à envoyer des renforts qui sont mal vus aussi bien par les chrétiens que par les musulmans. La France va envoyer 400 soldats de plus en Centrafrique, portant ses effectifs à 2000, alors que le gouvernement centrafricain a décidé de mettre au pas les miliciens anti-balaka. La mesure va à l’encontre des engagements initiaux du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Face au chaos qui a pris de l’ampleur depuis le désarmement de la séléka, les centrafricains sont désemparés. Vincent Hugeux écrit : « Mon problème, lâche Laurentine, hôtesse d’accueil, c’est les Sangaris. Quand un homme se fait découper, ils regardent et ne font rien. D’ailleurs, la Misca ne fait pas mieux. » Allusion aux contingents africains de la Mission internationale de soutien à la RCA. Jugement outrancier certes, mais symptomatique du désarroi de Banguissois exténués et de la défiance qu’inspirent çà et là les forces étrangères. « (...) Moi, je suis chrétienne. Nous et les musulmans, on a toujours fait famille ensemble. Maintenant, il faut que tout le monde pardonne. Pas le pardon de la bouche, mais celui du coeur. » »(4)
« L’apaisement donc, mais à quel prix ? « Avant la crise, on recensait à M’Baïki et dans les villages alentour 4118 musulmans, Il en reste une quarantaine. Le 6 février, les Tchadiens ont évacué environ 2500 d’entre eux par camions militaires, pour les soustraire aux appétits de vengeance des milices chrétiennes. » (...) Bien sûr, la présidente transitoire répète que jamais elle ne cédera « un pouce du territoire de notre Centrafrique unie et laïque », promet de traquer les anti-balaka et juge réversible l’exode des musulmans ; à l’instar de l’adjoint Dido, convaincu que ses frères, nés ici pour la plupart, reviendront un jour d’un Tchad qui leur est totalement étranger... Il n’empêche : qu’on la nomme épuration, nettoyage ethnico-confessionnel ou, plus pudiquement, homogénéisation communautaire, la fuite des disciples du Prophète (Qsssl) aura déchiré durablement le tissu social centrafricain. La paix par le vide, la paix du chacun-dans-son-coin est-elle vraiment la paix ? Imputer le phénomène aux médias, ces « miroirs déformants » volontiers fustigés par Le Drian et son entourage est aussi injuste que stérile. Oui au volontarisme. Non au déni de réalité. » (4)
Les Centrafricains musulmans fuient le pays où ils ont toujours vécu
Près d’un million de personnes, musulmans ou chrétiens, sont déplacées ou réfugiées, selon l’ONU, sur 4,5 millions d’habitants. (...) L’exode des musulmans est aujourd’hui massif. Accusés d’être complices des exactions commises par les miliciens sanguinaires de la Séléka, après la chute de François Bozizé en mars 2013, des centaines d’entre eux quittent la capitale chaque jour. Le 7 février, ils étaient 10 000 à prendre la route pour le Tchad dans des convois à la merci des pillards. D’autres rejoignent le Cameroun. Peter Bouckaert, le directeur de la division Urgence de l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch, relatait via son compte Twitter une de ces scènes à Bangui. Le phénomène s’étend à la province, à l’image de Bossangoa qui s’est vidée de sa population musulmane. (...) Autre conséquence de ce grand exode, la sécurité alimentaire du pays est compromise. Dès la fin de l’année 2013, l’Unicef alertait sur les risques de malnutrition pour les enfants. L’exode a un impact réel sur l’économie du pays, à l’heure où 90% de la population n’a accès qu’à un repas par jour »(5)
Delphine Chedorge de Médecins Sans frontières lance un appel au secours : « Alors que la Centrafrique s’enfonce un peu plus dans le chaos, elle raconte la détresse de la population, la « violence intercommunautaire générale », la fuite des populations...- Il y a un véritable exode massif des populations musulmanes. Mais il faut faire attention à ne pas tomber dans un schéma simpliste. (...) Oui, la population musulmane est la plus ciblée et a organisé son exode massif : on voit des camions venir chercher les gens dans toutes les villes du pays. J’ai vu le dernier convoi se mettre en route à Bozoum.
L’ONG Amnesty international a interpellé mercredi 12 février dans un communiqué l’opinion internationale sur le « nettoyage ethnique » de civils musulmans qui se déroule selon elle dans l’ouest de la Centrafrique, et que les forces internationales ne « parviennent pas à empêcher ». L’ONG critique notamment « la réponse trop timorée de la communauté internationale », en notant que « les troupes internationales de maintien de la paix se montrent réticentes à faire face aux milices anti-balaka ». (6)
Que fait l’Afrique ?
Après avoir bombé le torse en décidant de créer une force d’action rapide, elle réduit la voilure, en remerciant à tour de bras ceux qui s’engagent. Ainsi le 28 décembre l’Union africaine remercie le Tchad L’Union africaine (UA) salue les actions en Centrafrique de l’armée tchadienne, dont la proximité avec certains ex-rebelles auteurs d’exactions a été dénoncée à plusieurs reprises, a déclaré samedi soir à Bangui le commissaire à la Paix et la Sécurité de l’UA, Ismaël Chergui. (7)
Devant toutes ces avanies, que pense-t-on que l’Afrique fait ? Coordonne-t-elle en vue d’une sécurité alimentaire ? En vue d’une médecine de qualité ? Etudie-t-elle un développement endogène ? Demande-t-elle qu’on la laisse en paix en alimentant en armes des belligérants ou en soutenant des tyrans qui refusent l’alternance ? Rien de tout cela, sa « force d’action rapide » avec les armes des Occidentaux est devenue une vue de l’esprit.
Le néolibéralisme a réussi à problématiser la coexistence pacifique des peuples en créant de toutes pièces des conflits ethnique et religieux. Pendant ce temps le pillage continue, businesse as usual...
Chems Eddine CHITOUR