Cette intervention s’inscrit dans un contexte de changement de pouvoir en Centrafrique qui fait suite à la chute du président François Bozizé, renversé en mars 2013. Bozizé avait été porté au pouvoir par un coup d’État soutenu par la France en 2003 et maintenu face à la montée d’un mouvement rebelle grâce à une intervention conjointe de la France et du Tchad en 2006. Cette fois-ci, la Séléka (« Alliance » en sango), mouvement de « rebelles », est parvenu à s’emparer de la capitale Bangui depuis le printemps dernier.
Un de ses représentants, Michel Djotodia, s’est depuis autoproclamé président pour une période de trois ans. Officiellement dissoute en septembre et intégrée partiellement aux structures de police de l’État centrafricain, la ex-Seleka et ses combattants maintiennent cependant le fonctionnement milicien qui avait été le leur dans la période de résistance au pouvoir de Bozizé, avec son lot de pillages et de harcèlements contre la population.
En riposte, et pour s’organiser face aux ex-Séléka venus du Nord et à majorité musulmane, des groupes d’autodéfense à dominante sudiste et chrétienne se sont mis en place, les antibalaka (« anti-machette »). Dans la foulée, les populations musulmanes de Bangui, assimilées aux membres de la Seleka et au nouveau pouvoir en place sont actuellement visées par des exactions, avec des dizaines de morts tous les jours.
Un coup d’État larvé sur motif d’intervention « humanitaire »
Pour qualifier cette situation qu’il décrit à outrance comme « chaotique » et « pré-génocidaire », le gouvernement français a la mémoire courte.
Si la situation est ce qu’elle est dans le pays, Paris a très certainement une petite part de responsabilité : cela fait 50 ans que la France maintient des troupes en Centrafrique. Inutile de dire, au bas mot, que ce n’est pas en en envoyant plus que François Hollande va régler quoi que ce soit.
Plus profondément, surtout, la raison de la situation actuelle est à chercher du côté du fait que la France n’a jamais rompu avec une politique néo-coloniale en Centrafrique, instaurant des hommes d’État et les destituant au gré de ses intérêts impérialistes, et cela depuis la décolonisation.
C’est la France qui est responsable de l’état de délabrement du pays, qui fait partie des plus pauvres du continent.
Elle oublie de rappeler sa lourde responsabilité dans les suites du renversement de Bozizé, qu’elle avait porté au pouvoir militairement il y a dix ans, au mépris même des droits démocratiques bourgeois qu’elle dit défendre actuellement en Centrafrique au travers de la résolution onusienne.
Ce qui se présente comme un conflit confessionnel entre musulmans et chrétiens est en réalité la résultante d’une éviction systématique des populations du Nord du pays des circuits de redistribution des richesses liés au pouvoir central, aggravé par la situation de misère dans laquelle sont plongées les populations, qu’elle que soit leur religion d’ailleurs.
Si la région Nord de la Centrafrique, parmi les plus « sous-développées » dans un des pays les plus pauvres au monde, concentre, certes, des populations à dominante musulmane, c’est surtout l’absence totale de perspective économique, la concentration des richesses de l’économie de rente dans les mains de quelques dirigeants dociles à la puissance impérialiste et favorisant leur « clan », l’usurpation systématique du pouvoir de décision, qui a favorisé la constitution d’une milice telle que la Séléka.
C’est l’état de délabrement généralisé des institutions qui explique la façon dont Bozizé à très rapidement vacillé face à la rébellion, puis a dû finalement quitté le pays, non sans avoir préalablement placé son argent et celui de ses proches en sureté, en Suisse en ailleurs.
Aucun motif « humanitaire » ne pourrait justifier une intervention militaire française, pas plus en Centrafrique qu’au Mali ou en Libye où les conséquences de l’intervention militaire de 2011 ont été plus que désastreuses !
L’histoire de la « Françafrique » est là pour nous le rappeler : la France a toujours su user de la persuasion ou de la force, de l’intervention militaire et de ses réseaux, finançant parfois milices et mercenaires, selon le cas, pour faire valoir le respect de ses intérêts. Ce fût le cas en Centrafrique, quand la France a soutenu le coup d’État permettant l’arrivée au pouvoir de Bozizé.
Il semble que ce soit également le cas pour sa destitution : sa chute, orchestrée par le mouvement rebelle Séléka, n’a, cette fois, pas été empêchée, mais plutôt encouragée par Paris, soupçonné de double-jeu avec la milice qu’elle souhaite désarmer à présent. L’usure des dix ans de pouvoir de Bozizé, ainsi que sa concession de contrats de prospection pétrolière dans la zone de Boromata à des entreprises chinoises n’en faisaient plus le partenaire idéal pour l’impérialisme français.
Après quelque mois passés au palais présidentiel à Bangui où il s’est comporté comme un parfait autocrate, Michel Djotodia ne le serait pas davantage. Si ce dernier a pu exprimer ses « sincères remerciements et [sa] profonde gratitude à la France et tout particulièrement au président », François Hollande, lui, voit d’une toute autre manière l’avenir de son homologue autoproclamé centrafricain : « On ne peut pas laisser en place un président qui n’a rien pu faire, a laissé faire », faisant référence à l’incapacité de Djotodia à désarmer les milices, et en se positionnant en faveur d’élections prévues pour 2015, et à laquelle le président actuel n’aurait pas le droit de se présenter.
Coup d’État larvé ? Cette intervention en a tout l’air, d’autant que l’instabilité sur le territoire centrafricain, qui a une localisation stratégique pour le reste de la sous-région, pourrait se propager aux pays voisins, et mettre en péril les intérêts français, notamment au Cameroun, où se présage une fin de règne de Paul Biya.
Un redéploiement de l’impérialisme français dans la sous-région
Loin de répondre à une urgence humanitaire, de nombreux éléments portent à croire que la France préparait depuis longtemps une intervention en Centrafrique. Il y a un an déjà la France envoyait à Bangui, en renfort des 250 soldats présents sur place, un détachement de 150 parachutistes détachés de leur base militaire de Libreville, au Gabon. À l’époque, la déclaration de François Hollande au président Bozizé, déjà menacé par les « éléments incontrôlés » de la Séléka, sonnait comme au arrêt de mort politique : « si nous sommes présents, ce n’est pas pour protéger un régime » mais « pour protéger nos ressortissants et nos intérêts ».
Assorti d’un mandant onusien, l’envoi de 1600 hommes supplémentaires, pour la plupart détachés des bases dont la France dispose au Gabon et au Cameroun, n’est que le prolongement de cette politique qui vise à renforcer un contrôle sur le territoire centrafricain. Ils viendront s’ajouter aux 6.000 hommes dépendant de l’Union Africaine et qui répondent également aux intérêts des impérialistes, la Mission Internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (Misca), composé en large partie d’effectifs des armées gabonaise, camerounaise et tchadienne, mis au service des intérêts français.
Si Hollande a du mal à s’imposer sur la scène intérieur, il en va tout autrement en Afrique où il veut avoir les coudées franches. Il faut noter que s’opère un véritable tournant de Paris vis-à-vis de sa politique en Centrafrique. La France s’en était partiellement désengagé jusqu’en 2012, avec des effectifs sur sa base limités à 250 militaires.
Avec cette intervention, qui tranche, dans un sens, avec celles en Côté d’Ivoire en 2011 et au Mali à l’hiver dernier et où les intérêts français sont plus affirmés, l’opération militaire en Centrafrique annonce un nouveau cap dans le déploiement de l’impérialisme français dans cette sous-région du continent africain.
L’heure est à l’union sacrée autour de « nos troupes » et la seule force parlementaire qui s’est démarqué de Hollande a été le PCF qui a dénoncé l’opération sans organiser quoi que ce soit, bien entendu.
Cependant, nombreux sont ceux qui, au sein même de la classe politique française, émettent des doutes quant à la portée stratégique d’une telle intervention, par la voix de Bruno Lemaire (UMP) et plus timidement par celle de Jean-François Copé. Il est vrai que la France a peu d’intérêts directs en Centrafrique, mais les récentes découvertes en termes de ressources pétrolières ont renforcé l’attractivité pour les impérialistes de tout poil dans un pays déjà riches en minerais.
De plus, Areva dispose d’un site d’extraction de l’uranium au Sud-Est du pays, à Bakouma. Mais depuis juin 2012 et l’attaque d’assaillants tchadiens, la multinationale française a dû suspendre son activité du fait du climat général de développement des milices ougandaise, tchadienne et centrafricaine dans le pays. D’où l’intérêt d’une opération de « maintien de l’ordre ».
Il faut construire l’opposition à l’Opération Sangaris
Avec 900 soldats au Gabon, 350 au Cameroun, et 950 au Tchad, présents dans des bases militaires françaises hérités des accords militaire de la « décolonisation », la France dispose d’un incroyable dispositif de contrôle de la sous-région, qu’elle peut enclencher à tout moment au service du maintien de ses intérêts, tout comme pour contrer les velléités impérialistes et économiques sur le territoire africain de ses principaux concurrents.
Alors que la crise capitaliste se poursuit, la France multiplie les interventions militaires en Afrique et ce n’est pas anodin. D’abord la Libye, puis la Côte d’Ivoire et le Mali, aujourd’hui en Centrafrique. L’enjeu, pour Paris, c’est de maintenir ses intérêts et s’arroger un accès privilégié aux ressources, nouvelles et anciennes, du continent africain. La France entend ainsi maintenir son rang dans la guerre économique qui l’oppose aux autres puissances impérialistes sur le continent africain, mais également vis-à-vis des multinationales chinoises ou sud-africaines qui parfois font le l’ombre aux siennes.
Jamais disparu, l’interventionnisme français a repris de l’envergure sur le continent africain depuis 2011 et aujourd’hui il crève les yeux de ceux qui ont pu céder à l’illusion d’un « renouveau des relations françafricaines » ou d’un changement de politique avec l’arrivée des socialistes à l’Élysée.
L’union sacrée derrière Hollande et sa guerre se fait par le haut. En revanche, au niveau de l’opinion publique et des classes populaires, l’intervention est loin de faire l’unanimité, avec 64% d’opinion défavorable. Avec l’accumulation des colères contre la politique anti-populaire du gouvernement, c’est une brèche de plus qui pourrait s’ouvrir dans la contestation. Mais pour cela, il faudrait que les organisations ouvrières et populaires, à commencer par l’extrême gauche, ne déserte pas le terrain de la mobilisation, même minoritaire dans un premier temps, contre l’interventionnisme impérialiste français comme cela s’est malheureusement vérifié dans le cas de la Libye et par la suite du Mali.
Il s’agit d’une question de solidarité internationaliste élémentaire, car on ne sait que trop que l’armée française ne résoudra rien à la crise centrafricaine puisqu’elle en est un des ingrédients. C’est aussi une question politique fondamentale ici, en France, car toute avancée de l’impérialisme à l’extérieur ne pourra que se retourner contre nous, les travailleurs, la jeunesse et les classes populaires. C’est pour cela que plus que jamais il faut mettre sur pied un mouvement contre l’Opération Sangaris et exiger le retrait de toutes les troupes française d’occupation, en Afrique et ailleurs !
Avec ou sans mandat onusien, à bas l’intervention française en Centrafrique !
À bas l’impérialisme français et ses guerres colonialistes !
Stop au pillage des ressources par la France et ses multinationales !
Nina Kirmizi, le 09/12/13