Ne pas figer, par une photographie, un processus avec ses avancées et ses reculs permet de relativiser ce qui a été conquis ici ou là. Et cela n’enlève rien aux batailles en cours.
Il ne suffit donc pas de dire que "la laïcité est à la fois une éthique et un ensemble de règles juridiques relatives au fonctionnement de l’État et des services publics, dont celui de l’Éducation Nationale" (1) (bien que ce ne soit pas faux) car on manque là encore de réfléchir sur la sécularisation (2) qui a affecté la France et d’autres pays lors du XX ème siècle.
La sécularisation comme mouvement historique de repoussement du fait religieux dans le cadre familial et communautaire au sein de la société civile n’est que la suite historique et logique du même mouvement qui a repoussé au XIX siècle puis après le fait religieux hors de l’État et plus largement de la société politique. La célèbre loi française du 9 décembre 1905 n’est qu’une étape de cette conquête.
Il faut bien remarquer qu’au XX ème siècle en France il y a eu divers groupes de pensées. Certains voulant aller en arrière , d’autres voulant sanctifié l’acquis au titre de la laicité-séparation entre un Etat neutre et une société civile laissée à la bataille des idées et d’autres encore voulant poursuivre le mouvement par une laicité-sécularisation de portée variable.
Pour comprendre cette dynamique historique, qui n’est pas terminée, il faut alors saisir la laïcité comme un mouvement de conquête contre l’envahissement du religieux partout dans la société politique comme dans la société civile pendant plusieurs siècles et sur plusieurs continents avec des religions fort diverses. La laïcité ne se comprend que par rapport à une double emprise religieuse. Elle a deux volets qui correspondent à deux stratégies des appareils religieux, la conquête de l’État et la conquête de la société civile. Ou le maintien quand le pouvoir est durablement installé.
La laïcité est un mouvement qui se rapporte au mouvement anticlérical, sans être identique à lui. Le mouvement anti-clérical s’est peu à peu doté d’une conception de la laïcité et sa définition est manifestement un enjeux. En ce sens il faut alors reconnaître qu’il n’y a pas une laïcité. Il y a plusieurs conceptions.
Ce mouvement historique pro-laïque et pro-laïcité s’est opposé dans plusieurs pays aux dogmes des religions, aux diktats totalitaires qu’elles imposaient aux consciences et aux corps. La laïcité se rapporte à un mouvement de libération et d’émancipation de la tutelle des appareils religieux, masculins le plus souvent, contre les individus, des individus pas nécessairement athées.
Ce mouvement a une accroche particulière en France. Citons ici Jean Baubérot et son Histoire de la laïcité française (p20), « Pour rompre avec la société de corps d’Ancien régime, on va tenter de construire un modèle abstrait et individualiste de la nation : l’État doit être l’expression et le garant d’une société de citoyens, censés êtres autonomes à l’égard de tout corps intermédiaire » et par excellence, de l’institution religieuse.
Le mouvement de laïcité ne termine jamais sa bataille car la logique même des religions est de conquérir des espaces aussi bien dans l’État que dans la société civile. Des courants peuvent déclarer la pause et se caler sur la loi de 1905 au moins provisoirement mais pas d’autres. Il n’y a jamais de repos là ou elles sont fortes que ce soit en Pologne ou ailleurs.
C’est là qu’intervient l’option philosophique de la laïcité. Reprenant Philippe Grollet (3) à mon compte je dis comme lui "La laïcité entendue comme conception de vie (la laïcité quelquefois dite « philosophique ») est une conception fondée sur des valeurs de libre examen, d’émancipation, de citoyenneté et de justice, qui ne sont pas la chasse gardée des « mécréants », mais auxquelles les laïques (dans le sens non confessionnel) reconnaissent un seul fondement pertinent : l’humanisme. La « laïcité philosophique » est donc une conception de vie (un idéal de vie ou une approche de la morale) fondée sur des valeurs positives dégagées, « délivrées » de toute référence surnaturelle, religieuse ou magique."
La laïcité comme mouvement ne dessine à priori aucune perspective. L’histoire n’est pas écrite à l’avance.
Christian DELARUE
1) 01. Laïcité : définition et historique - [Mouvement Europe et Laïcité - C.A.E.D.E.L]
http://www.europe-et-laicite.org/spip.php?article69
2) La sécularisation désigne un processus factuel alors que le sécularisme désigne un projet en défense ou une théorisation.
3) in Politique, revue de débats - Les deux facettes de la laïcité
http://politique.eu.org/spip.php?article392