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Constitution : Le "non" de l’espoir, par Pervenche Berès.


Novembre 2004


Pervenche Berès est députée socialiste française
membre de la Convention sur l’avenir de l’Europe
Présidente de la Commission économique et monétaire du Parlement européen.



Membre de la Convention sur l’avenir de l’Union européenne, je me suis mobilisée tout au long de celle-ci pour que l’Europe se dote des moyens de faire face aux défis qui l’attendent, ceux du nombre et de la mondialisation, pour que notre modèle de société, ce qui fait notre force, ce qui fait que nous avons quelque chose à dire au monde, soit renforcé.

Au soir de ses travaux, j’ai exprimé ma déception mais estimé, avec d’autres, que nous avions atteint le point d’équilibre possible dans cette enceinte. J’ai aussi estimé que les chefs d’Etat et de gouvernement ne pouvaient qu’abîmer cet équilibre s’ils rouvraient la négociation, et que s’ils le faisaient, ils ne devaient pas le faire sur la seule base des demandes des "moins-disants". Il était dès lors nécessaire et utile que le Parti socialiste français définisse ses propres exigences. C’est ce que nous avons fait lors de notre Conseil national du 10 octobre 2003 en demandant notamment davantage de capacité d’action pour l’Union en matière fiscale et sociale, une véritable gouvernance économique, des garanties pour la protection et le développement des services publics, un assouplissement des mécanismes de coopération renforcée et une procédure de révision allégée pour les politiques de l’Union.

Au lendemain du Conseil européen du 18 juin 2004, j’ai évalué l’accord conclu, considéré les reculs opérés et l’absence d’avancées au regard des exigences que nous avions formulées. Dans ces conditions, il m’a semblé que "le compte n’y était plus", que tout devenait possible et que le plus souhaitable était d’obtenir une réouverture de la négociation à l’initiative des Socialistes et sur la base d’un non Français.


I. Un texte devenu difficilement acceptable


a) Le projet de la Convention : un texte acceptable, à condition d’être révisable

Le "projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe", tel qu’il était issu des travaux de la Convention, constituait sur les points qui avaient été traités, c’est-à -dire pour l’essentiel, la première partie « définition et objectifs de l’Union », un succès relatif. Il s’explique par la composition de la Convention qui permettait d’échapper à une logique strictement intergouvernementale. Resté en l’état, ce premier projet de Constitution aurait pu être celui de la "grande Europe", celui capable d’accueillir dans le futur plus de trente Etats membres.

Cependant, une tâche s’imposait au sein de la Conférence intergouvernementale (CIG) : l’assouplissement du mécanisme de révision pour permettre les évolutions futures. Sur cette question de la IV° partie du texte, la Convention a fait preuve d’autocensure en faisant le choix de ne rien proposer s’agissant de définir la compétence de la compétence, matière par essence intergouvernementale. Une lecture attentive de son mandat, arrêté par le Conseil européen de Laeken des 14-15 décembre 2001, lui permettait pourtant de le faire : « Il faut (...) réfléchir à un réaménagement des traités. Faut-il faire une distinction entre un traité de base et les autres dispositions des traités ? Cette distinction doit-elle être concrétisée par une scission des textes ? Cela peut-il conduire à faire une distinction entre les procédures de modification et de ratification pour le traité de base et les autres dispositions des traités ?".

Les conventionnels ont voulu livrer à la CIG un texte acceptable en l’état pour éviter une réouverture des débats préjudiciable aux avancées qu’ils avaient conclues. Les chefs d’Etat et de gouvernement, pressés de voir ces travaux finir, ont considéré lors du Conseil européen de Thessalonique que la Convention n’avait pas de mandat pour en traiter. Le président Valery Giscard d’Estaing vexé de ne pas avoir obtenu la rallonge de temps nécessaire pour parachever le travail a accepté cette limitation. Les conventionnels auraient dû sur ces questions faire usage de la rédaction avec « options » suggérée par le Conseil européen de Laeken. Ils ne l’ont pas fait et l’un des premiers points sur lesquels, dans une négociation tendue et difficile, la CIG a conclu à un accord, c’est sur le fait de ne pas toucher à la clause de révision et de l’appliquer dans les mêmes conditions aux parties institutionnelles et politiques.

Certains nous disent aujourd’hui que cela n’est que le prolongement du système existant et que donc cela ne change rien. C’est inexact dans une Europe à 25, le texte sera plus difficile à faire évoluer qu’à 15. La référence à Nice n’a pas de valeur puisque cela renvoie à un traité qui n’était pas encore en vigueur au départ de la négociation et que la Convention avait précisément pour objet de modifier sur ces points comme l’avait suggéré le rapport Dehaene avant même le traité de Nice.


b) Le résultat de la CIG : un texte inacceptable

Nous avons commis là une erreur stratégique : les chefs d’Etat et de gouvernement ne se sont guère privés de rouvrir les débats, infligeant au texte des dégradations graves, et ils ont été incapables de remplir leur mandat propre qui était de faire évoluer la clause de révision du texte.

L’actualité la plus récente nous éclaire sur les conséquences des dégradations infligées au texte par la CIG. Elle a ainsi supprimé la proposition de la Convention d’obliger chaque Etat membre à proposer trois noms pour occuper les fonctions de Commissaire. Dans la mise en place de la Commission Barroso cela aurait pourtant permis d’éviter l’affaire Buttiglione et le cas Nelly Kroes. Plusieurs autres aspects méritent notre attention.

En premier lieu, les chefs d’Etat et de gouvernement ont abîmé le texte de la Convention pour ce qui touche au coeur du dispositif, c’est-à -dire le processus de décision. Ils ont relevé les seuils nécessaires à la prise de décision à la majorité qualifiée au Conseil des ministres, exigeant 55% des Etats et 65% de la population (au lieu de 50% des Etats et 60% de la population) ce qui diminue mathématiquement le nombre de "combinaisons gagnantes". La CIG a également compliqué le système décisionnel, en l’assortissant de critères complémentaires (les 55% d’Etats doivent comprendre au moins 15 Etats membres, une minorité de blocage doit inclure au moins 4 Etats membres) et d’une "clause d’appel" (qui permet à une minorité de blocage de 26% de la population ou de 33% des Etats d’empêcher le passage au vote jusqu’en 2014, et au-delà , si le Conseil proroge ce système).

Concernant le champ du vote à la majorité qualifiée, la CIG est revenue à l’unanimité dans plusieurs domaines où la Convention avait arraché le vote à la majorité qualifiée. Ces modifications affectent la nature même du projet politique porté par le texte car sont ainsi visées la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale illégale ou la mise en place de coopérations structurées dans le domaine de la défense. La négociation du budget pluriannuel (perspectives financières) fait aussi partie des cas pour lesquels la CIG est revenue à l’unanimité pour le vote au Conseil.

De plus, dans le domaine budgétaire, la Convention octroyait le dernier mot au Parlement européen sur toutes les dépenses tandis que la CIG retire au Parlement européen le dernier mot en cas d’échec du comité de conciliation.

Dans le domaine de l’Union économique et monétaire, la compétence de l’Union en matière de promotion et de coordination des politiques économiques a été affaiblie par la CIG, qui renvoie aux Etats membres là où la Convention prévoyait une compétence de l’Union. Lors de son audition comme Commissaire désigné devant la Commission économique et monétaire du Parlement européen, Joaquim Almunia a d’ailleurs regretté le "pas en arrière de la CIG" dans ce domaine. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont également introduit la stabilité des prix parmi les objectifs de l’Union, sans que l’on puisse considérer que la présence, parmi ces mêmes objectifs, d’une "économie sociale de marché (...) qui tend au plein emploi" équilibre les choses.

Dans un cas, l’objectif est repris dans la partie relative aux politiques et assorti de tous les outils de sa mise en oeuvre avec la politique monétaire, dans l’autre, l’objectif affiché est oublié ou contredit dans la III° partie et l’Union ne dispose pas d’instrument propre pour les atteindre. Pour reprendre les conclusions de l’économiste allemand Wolfgang Munchau, "le problème de la Constitution, c’est qu’elle laisse intact le système actuel de politique économique qui est défaillant. Elle ne pourra tout simplement pas constituer un cadre pour une union politique capable de supporter une union monétaire à long terme. Valery Giscard d’Estaing, l’ancien Président français qui a présidé la Convention, a prédit que cette Constitution durerait cinquante ans. Espérons qu’il se trompe. S’il a raison, la Constitution pourrait bien survivre à l’euro".

Au final, le résultat de la CIG est loin des attentes des Européens exigeants en général, des socialistes français en particulier. Robin Cook dans un récent plaidoyer pour ce texte2 l’écrit clairement : « il est paradoxal que la Constitution européenne soit devenue la cible des attaques de ceux qui se plaignent le plus d’une évolution fédérale de l’Europe. Ils devraient se réjouir d’une Constitution qui porte un coup dur au fédéralisme et déplace l’équilibre des pouvoirs vers les Etats membres (...). Dans l’argot bruxellois, la future direction de l’Union européenne sera moins supranationale et plus intergouvernementale ».

Mais ce qui rend le délitement du contenu constitutionnel encore plus inacceptable, c’est la situation de blocage dans laquelle la ratification de ce traité constitutionnel nous enfermerait, situation liée en premier lieu à la rigidité extrême de la procédure de révision prévue.


II. Un texte figé et sans perspective


Les outils pour installer l’étape suivante pour la première fois sont absents : l’unanimité à vingt-cinq fait reculer les possibilités de révision de la Constitution ; le texte ne comporte aucune clause de rendez-vous ; les modalités de mise en oeuvre des coopérations renforcées ne sont pas améliorées.


a) Rigidité de la procédure de révision

Le traité établissant une Constitution pour l’Europe prévoit quatre procédures de révision distinctes : une procédure ordinaire ; une procédure simplifiée avec l’utilisation des "clauses passerelles" ; une procédure simplifiée concernant les politiques et actions internes ; enfin, une clause de flexibilité permettant d’étendre les compétences de l’Union. Ces diverses formules ont un point commun : elles exigent toutes l’accord unanime des Etats membres. Or l’unanimité à vingt-cinq est un recul par rapport à l’unanimité à quinze, d’autant plus que l’Union européenne est devenue beaucoup plus hétérogène.


b) Une Constitution en panne de projet et sans clause de rendez-vous

Contrairement à ce que tous les traités avaient prévu depuis Maastricht, ce texte ne comporte aucune clause de rendez-vous. Aucune étape ultérieure de l’intégration européenne n’est envisagée. Le Président de la Convention, Valery Giscard d’Estaing, n’estime-t-il pas que cette Constitution est écrite pour cinquante ans ? Cette absence de projection dans le futur en dit long sur l’état actuel de la dynamique européenne. Pour la première fois, à la fin d’une CIG, le groupe de pays souhaitant aller au delà de l’équilibre atteint par le texte final est minoritaire. Il existe aussi une méfiance croissante des grands pays à l’égard du jeu collectif européen, qui explique l’absence de perspective européenne de ce texte. La déclaration sur la Pacte de stabilité annexée au traité constitutionnel est, de ce point de vue, éloquente. Les Pays-Bas souhaitaient que davantage de méthode communautaire soit instillée dans le pacte, en permettant à la Commission de saisir la Cour de justice contre un Etat qui n’en respecterait pas les règles. L’Allemagne était opposée à cette proposition. Plutôt que d’en discuter autour de la table avec l’ensemble des partenaires européens, où il est peu probable qu’une telle proposition ait recueilli l’unanimité, elle a négocié en bilatéral avec les Néerlandais pour garantir le statu quo, en échange d’une déclaration sur le pacte annexée à la Constitution au moment même où elle en souhaite la révision. Cette approche est révélatrice de la difficulté croissante des grands Etats à considérer que leurs intérêts coïncident avec l’intérêt général européen.

Ces deux phénomènes se conjuguent pour produire la panne actuelle du projet européen. Dans l’équilibre de la construction européenne, l’approfondissement a souvent suivi l’élargissement. Ce qu’à quinze nous n’avons pas été capables de faire à Amsterdam ou à Nice, nous devions le réussir avec ce projet de Constitution, stimulés par l’adhésion enfin devenue réalité des dix nouveaux Etats membres. Mais le Traité constitutionnel, tel qu’il nous est aujourd’hui proposé, n’apporte pas l’approfondissement nécessaire. Il n’est pas porteur de dépassement comme l’était par exemple le traité de Maastricht fondateur de l’euro : il apporte de légers correctifs à Nice, mais pas de projet pour faire avancer l’Europe. Il y a un divorce entre la volonté affichée de franchir une étape politique en adoptant une Constitution et le contenu politique du texte, qui reste pour l’essentiel en l’état.


c) Des coopérations renforcées impraticables

Dans ces conditions, la seule manière de rendre le texte acceptable pour les partisans d’une intégration plus poussée eût été de faciliter les coopérations renforcées. Mais le mécanisme prévu pour les coopérations renforcées les rend très peu probables. Du point de vue de la procédure, à l’initiative d’un tiers des Etats doit répondre une proposition de la Commission pour lancer le processus (en dehors de la politique étrangère et de sécurité commune). Mais rien n’oblige la Commission à formuler unetelle proposition et l’autorisation de procéder à la coopération renforcée est soumise à l’approbation du Parlement européen. Ici aussi, la CIG a fait reculer le résultat de la Convention : retour à l’unanimité pour le lancement de coopérations renforcées dans le domaine de la PESC, possibilité d’utiliser une clause passerelle supprimée dans les cas où la législation envisagée a un impact dans le domaine militaire ou de la défense.

Il n’est donc pas étonnant que Pascal Lamy, interrogé récemment sur cette possibilité de mettre en oeuvre des coopérations renforcées, ait pu répondre : « J’y suis favorable comme tout le monde, mais je n’ai aucune illusion. Elles n’ont jamais fonctionné ». Du point de vue de leur champ d’application, les coopérations renforcées sont très encadrées. Elles ne peuvent être lancées qu’en dehors des domaines de compétence exclusive de l’Union, ce qui écarte les questions ayant une incidence sur le régime de la concurrence ou, pour les pays de la zone euro, sur la politique monétaire. Elles doivent respecter "la Constitution et le droit de l’Union", et ne peuvent pas « porter atteinte au marché intérieur », « ni constituer une entrave ni une discrimination aux échanges entre les Etats membres ni provoquer de distorsions de concurrence entre ceux-ci ».

L’acceptation de cette Constitution serait donc synonyme de blocage, d’autant plus qu’il serait difficile de modifier dans un avenir proche un texte auquel vingt-cinq ratifications nationales et plus de dix referenda auraient donné une très forte solennité et légitimité démocratique. Le « non » ouvre, au contraire, des perspectives d’avenir pour redonner un cap et une boussole à cette Europe devenue « bateau ivre ».


III. Un « non » d’avenir


Dans le débat qui s’est ouvert en France, et tout particulièrement au sein du Parti socialiste, les défenseurs de la Constitution dramatisent les conséquences d’un rejet du texte par la France, considéré comme un scénario de crise et d’isolement. Ces arguments ne résistent guère à l’analyse.


a) L’isolement : un mauvais argument

Le débat riche et profond qui occupe actuellement le PS français fait figure de privilège dans le paysage de la social-démocratie européenne. En réalité, nombreux sont les militants de ces partis qui ne partagent pas la conviction affichée par leurs dirigeants. Dans ces conditions, il existe des marges de manoeuvre pour convaincre. La récente victoire du Parlement européen face à la Commission Barroso est riche d’enseignements : les Socialistes français, isolés au début, ont fini par convaincre leurs pairs, parce que unis, ils défendaient une ligne juste. Mais surtout, les arguments avancés à cette occasion par les grandes figures socialistes du Parlement devraient les conduire à interroger davantage leur position sur la Constitution. Ainsi, selon Josep Borrell, Président du Parlement européen, "lorsque l’on se présente à un examen, il faut savoir qu’on peut gagner ou non ; si on nous demande notre avis et qu’on ne peut pas dire non, alors il ne faut pas nous le demander, c’est la démocratie. Si c’est non, il y a des mécanismes prévus. La Commission approuvée avec une faible majorité sera faible, ce dont l’Europe a besoin c’est d’une Commission forte". Quant à Martin Schulz, président du groupe PSE, il a estimé que "ceux qui disent non à cette Commission sont ceux qui renforcent l’Europe". De la même façon, ce dont nous avons besoin c’est d’une Europe forte, et c’est en disant "non" à cette Constitution que l’on renforce l’Europe.

Enfin, l’argument de l’isolement, qui est aujourd’hui mis en avant par une partie des socialistes français, ne les a pas empêché de s’opposer seuls à "l’accord technique" conclu entre le PSE et le PPE après les élections européennes, par fidélité à leurs convictions, et alors même qu’ils n’avaient aucune prise sur le réel. Tous ceux qui croient en l’idéal européen, doivent se méfier d’un excès d’indulgence avec l’objet de leur rêve : ce ne serait pas lui rendre service.


b) La rhétorique de la crise

L’Union européenne sombrera-t-elle réellement dans une crise sans précédent en cas de non ratification du projet de Constitution par un ou plusieurs Etats membres, comme le prétendent les partisans du "oui" ? Tout d’abord, nous avons du temps : la Constitution, si elle était acceptée, entrerait en vigueur pour l’essentiel en 2009 et complètement en 2014. Un non français à l’automne 2005 clôturerait une phase de 4 ans ouverte avec le début des travaux de la Convention en février 2002. Il resterait encore 4 ans avant l’entrée en vigueur réelle du texte alors même que cette nouvelle négociation bénéficierait de l’immense travail déjà accompli et que les modifications que nous demandons sont significatives mais ciblées.

Ensuite, les gouvernements qui ont signé ce texte et se sont engagés dans sa défensene peuvent bien évidemment pas dès aujourd’hui travailler à l’élaboration de scénarios alternatifs, ce qui fragiliserait leur engagement en faveur de sa ratification. Mais ces scénarios font déjà l’objet de nombreux travaux universitaires qui ne concluent pas à la catastrophe4. Les gouvernements ont en effet investi trop d’énergie et de crédibilité dans ce projet de Constitution pour ne pas tenter de le sauver. Il est très peu probable qu’ils "passent l’éponge" et se contentent de revenir à Nice. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter la déclaration n°30 annexée au Traité qui stipule pour la première fois dans un traité de l’Union que "si à l’issue d’un délai de deux ans à compter de la signature du traité (...), les quatre cinquièmes des États membres ont ratifié ledit traité et qu’un ou plusieurs États membres ont rencontré des difficultés pour procéder à ladite ratification, le Conseil européen se saisit de la question". On ne saurait imaginer qu’une telle disposition serait valable dans l’hypothèse d’un non hollandais, maltais ou britannique mais pas français !

Enfin, ce texte ne résout en rien la crise qui est là : elle est à la fois économique, sociale et démocratique. Au fil des traités, nous avons accepté de reporter la construction d’un espace social pour installer les préalables (un marché, une monnaie...). La Constitution et la naissance de l’Europe politique devaient nous permettre de sauter le pas. Or le social est le grand absent de ce rendez-vous. On ne peut pas, encore une fois, dire aux citoyens : "votez oui, on progressera dans le domaine social la prochaine fois". Cette attitude est d’autant plus déraisonnable que les pays qui ont le plus tiré le texte vers le bas risquent de le rejeter. Ni la France, ni l’Allemagne, ni les autres Etats providence d’Europe ne se sentiront à l’aise avec cette Constitution et l’Europe ne peut avancer sans que ses citoyens s’y reconnaissent. Les taux d’abstention sans cesse croissants aux élections européennes illustrent ce divorce entre l’Europe et ses citoyens, qui s’interrogent sur l’adéquation avec leurs besoins du cours pris par les politiques européennes mises bout à bout depuis l’origine. Le débat sur ce traité nous fournit une occasion unique de faire le point sur la relation entre l’Europe et ces citoyens : pour la première fois lors d’une révision de traité européen, ils n’auront pas à se prononcer sur les seuls éléments nouveaux, mais sur l’ensemble des politiques accumulées, en raison de la refonte complète des textes. L’organisation d’un référendum suppose que les deux issues soient possibles. Suite au "non" populaire d’un pays fondateur comme la France, les préoccupations des citoyens, trop souvent négligées, devront être prises en compte. A cet égard, il est significatif que la Convention, en dépit de quelques efforts vis à vis de la société civile, ait été davantage préoccupée de savoir ce qui était acceptable ou non par les gouvernements que par les citoyens.

Un "non" français peut donc être l’occasion de faire rebondir le projet européen autour de la force de celui-ci, c’est-à -dire son modèle de société plutôt que son marché. Si l’on songe à un autre "non" français (celui qui a conduit à l’échec de la CED en 1954), on peut certes estimer qu’il a interdit pendant 50 ans toute avancée européenne en matière de défense. Mais on peut aussi le considérer comme le point de départ d’une nouvelle approche, trois ans plus tard, plus adaptée à l’état d’esprit des Etats et des peuples européens, et qui aura permis jusqu’ici de porter avec le succès que l’on sait la dynamique de la construction européenne.


Conclusion


Les chefs d’Etat et de gouvernement ont trop abîmé et trop peu complété le projet de la Convention pour que l’équilibre fragile atteint demeure acceptable. Il appartient donc aux Européens exigeants de ne pas renoncer, de rentrer en résistance en disant non à cette Constitution pour que demain la négociation se rouvre afin d’obtenir trois avancées indispensables : une vraie Constitution sans l’adjonction de toutes les politiques communes, des coopérations renforcées rendues possibles parce qu’assouplies et des modalités de révision qui permettent de sortir de l’impasse de l’unanimité. Ceux qui ont gagné les dernières élections européennes en faisant campagne pour l’Europe sociale ne peuvent aujourd’hui dire oui à l’Europe libérale. C’est comme ça que les Européens retrouveront l’adhésion des citoyens à leur projet d’avenir.

Pervenche Berès

Article paru dans l’édition de décembre 2004 de la revue Dokumente.


François Hollande n’ a strictement rien à faire de la Constitution Européenne ... « si Chirac avait mis en jeu son mandat, le PS aurait naturellement appelé à voter NON, comme pour De Gaulle en 69 »... 26 mai 2005


"Si la Constitution Européenne échoue, les Etats-Unis ne se réjouiront pas"

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- Illustration : www.lateliergraphique.org


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